lundi 31 mars 2025

Un père, ses impairs

Le 18 février, en apprenant sa mort, j'ai réalisé que Gene Hackman avait atteint l'âge de 95 ans. Il avait annoncé la fin de sa carrière depuis longtemps: c'était en 2004, après un ultime long-métrage. Quelques jours après sa disparition, j'ai revu La famille Tenenbaum. J'avais TOUT oublié de ce film. Or, sa fin lui ferait un bel hommage...

Royal Tenenbaum est un drôle de type, fumeur, menteur et infidèle. Sa femme Etheline (la magnifique Anjelica Huston) ont donc décidé d'une rupture, sans pour autant signer les papiers d'un divorce officiel. Royal doit expliquer la situation aux trois enfants du couple. Tous ont déjà un talent affirmé: Chas, l'aîné, pour la haute finance, Margot, la fille adoptée, pour l'écriture, et Richie, le petit dernier, pour le tennis. Je vous laisse découvrir ce qu'ils en font exactement. Une info en plus, tout de même: quand Royal quitte la grande maison familiale, il part pour 22 ans et le don supposé de chacun des mômes finit par disparaître avec lui. Cette triste tendance s'inversera-t-elle lorsque, sans le moindre sou vaillant, il cherchera à revenir en grâce auprès des siens ? C'est bien tout l'enjeu de ce scénario loufoque. Enfin, pas seulement: La famille Tenenbaum n'évite aucune situation tragique. Mais la fantaisie domine: c'est naturel, chez Wes Anderson !

Le cinéaste dandy signait ici la troisième de ses onze réalisations. Attendu cette année avec un nouvel opus, son style caractéristique fait d'images ultra-colorées et de plans relativement symétriques semble de fait avoir été affirmé dès ses toutes premières créations. Ces bonbonnières (comme les appelle une amie à moi, hello Céline !) peuvent sans doute lasser ceux qui les ont fréquentées dès le début. La famille Tenenbaum s'avère cependant un joli petit film... familial et ouvert en tout cas à un large public - à partir des ados, disons. Autre caractéristique très "andersonnienne": un casting de prestige. Quand les enfants ont grandi, ils sont ainsi incarnés par un trio chic et choc: j'ai nommé Ben Stiller, Gwyneth Paltrow et Luke Wilson. Fidèles du réalisateur ou non, on retrouve aussi d'autres grands noms du cinéma US: Owen Wilson, également crédité comme coscénariste, Bill Murray, Danny Glover et même Alec Baldwin... en narrateur ! Comme pour honorer leur travail, le film a permis à Gene Hackman d'obtenir plusieurs prix d'interprétation aux États-Unis. Il les mérite...

La famille Tenenbaum
Film américain de Wes Anderson (2001)

Au sujet de la smala dysfonctionnelle, c'est peut-être ce que le cinéma américain a de plus aigre-doux à offrir à nos mirettes européennes. Du même cinéaste, je préfère (légèrement) Moonrise Kingdom. L'aborder par ses animés - Fantastic Mr. Fox et L'île aux chiens - n'est pas forcément une mauvaise idée: un petit retour d'enfance. Ensuite, on pourra chercher des liens chez Spielberg, Zemeckis, etc...

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Un regard sur ce qu'en pensent les autres ?

Avec joie: vous pourriez notamment rebondir chez "L'oeil sur l'écran" !

vendredi 28 mars 2025

Reconstruction ?

Je dirais de The brutalist qu'il est un film imposant. Du grand cinéma made in USA, porté par l'interprétation aussi magistrale que fiévreuse d'Adrien Brody, bientôt 52 ans, dans le rôle principal (Oscar à la clé). Je n'avais jamais retenu le nom de Brady Corbet acteur. Coscénariste et réalisateur, il déconstruit ici le rêve américain. Un peu plus encore.

Son "héros" s'appelle László Tóth - avec accents hongrois de rigueur. Nous sommes vers 1945. Rescapé de Buchenwald, il débarque un jour à New York depuis les cales d'un bateau, encore totalement étranger au territoire qu'il découvre. Il veut croire que sa femme et sa nièce parviendront à le rejoindre, elles qui ont aussi survécu à l'horreur nazie - bien que prisonnières du camp de Dachau (ouvert dès 1933). László trouve refuge chez un cousin, Attila, qui a gommé son nom d'origine pour mieux se fondre dans le grand tout qu'est Philadelphie. Il fait rapidement des affaires avec ce parent, mais cela ne dure pas. Quand l'un de ses riches clients découvre qu'il était un architecte réputé avant la guerre, il l'embauche à nouveau pour le projet XXL d'un centre communautaire dédié à la mémoire de sa mère. On se dit que la bataille des egos ne fait alors que commencer... et la suite vous le confirmera, avec grandiloquence. Un film imposant, disais-je.

Découpé en plusieurs époques, The brutalist est une reconstitution soignée de ces temps révolus (les années 50 étant le plus marquant). Je ne vois rien à reprocher au film sur le plan visuel et esthétique. Forme toujours, l'environnement sonore - sons et surtout musique - constitue une vraie réussite. Les trois heures et demie de projection, entrecoupées d'un quart d'heure d'entracte, passent donc sans ennui. Elles réclament cependant du spectateur une certaine concentration. J'ai choisi la version originale: le nombre et la densité des dialogues n'ont pas été loin, parfois, de me faire "perdre le fil". L'introduction d'un nouveau personnage central s'effectue à peu près à mi-parcours. Quand on arrive à passer ce cap, on a sans doute fait le plus dur. Même si, à chaud, je crois bien que j'ai préféré la première heure. J'aimerais éviter de trop en dire, mais on est ici dans un schéma classique d'ascension et de chute. Avec échos au monde d'aujourd'hui.

Et les interprétations ? Je l'ai suggéré dès le préambule: Adrien Brody fait des étincelles et n'a pas volé son Oscar. Il faut juste admettre que tout tourne autour de lui, du titre aux conclusions de l'épilogue. Felicity Jones, la comédienne britannique qui joue Erzsébet, la femme et muse de László, semble parfois presque en retrait. C'est logique. On pourrait presque lire le scénario comme le récit d'amours tragiques et contrariées. Âmes très sensibles, vous voilà ainsi donc prévenues. Également en tête d'affiche, l'Australien Guy Pearce se sort très bien du rôle du soi-disant mécène: vous allez sûrement adorer le détester. Je passe sur les autres, concernés mais assez secondaires: Joe Alwyn, Stacy Martin, Ariane Labed et Isaach de Bankolé (revu avec plaisir). Aux Oscars, ils ont été bredouilles. Daniel Blumberg pour la musique et Lol Crawley pour la photo, eux, ont chacun remporté leur statuette. Dix nominations et trois récompenses: certains ont parlé d'un échec...

Mais pas moi ! Je l'ai dit et le répète: The brutalist m'a intéressé. Parce que c'est aussi une histoire sordide, je peine à dire que le film m'a véritablement plu. Ses grandes qualités narratives et formelles m'attachent à l'écran, oui, a fortiori parce qu'au cinéma, il est géant. Jouer sur la petitesse de l'être humain face à son environnement immédiat et dangereux marque mon esprit (féru d'art et citoyen). Résultat: je ne peux pas occulter la dimension politique du dispositif. Je ne le souhaite pas non plus: certaines de mes réserves sur le film me semblent y trouver leur source. Bon... on échappe heureusement au brûlot 100% militant et manichéen, que j'aurais sûrement rejeté. J'espère que ce long-métrage trouvera sa juste place dans la mémoire collective du cinéma américain et, au-delà, du cinéma international. Malgré ma légère retenue, je le vois volontiers comme une oeuvre essentielle de ce début de 21ème siècle. Il en est d'autres à (re)voir...

The brutalist
Film britannico-hongro-américain de Brady Corbet (2024)

Beaucoup de très belles choses dans ce film... qui m'a trop bousculé pour que je lui accorde une note supérieure. Certaines situations m'ont paru surlignées (ou quelques scènes déjà entrevues ailleurs). Une partie de la projection, j'ai pensé à La porte du paradis, un film comparable par sa longueur et ses enjeux, mais honni en son temps. Allez... je préfère ce Brady Corvet au The immigrant de James Gray !

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Il faut quand même que j'ajoute une dernière chose...
Le film n'aurait coûté "que" dix millions de dollars américains environ. Une somme folle ? Oui, mais sur de nombreuses grosses productions hollywoodiennes actuelles, on facture plutôt en centaines de millions !

Et bien sûr, d'autres points de vue s'expriment sur la toile...
Vous y trouverez notamment ceux de Pascale, Dasola et Princécranoir.

mercredi 26 mars 2025

Ils plient, mais...

Au début de ce mois, après les César et la consécration (attendue ?) d'Emilia Pérez, je me suis souvenu que j'avais la possibilité concrète de découvrir plusieurs films primés qui m'étaient encore inconnus. C'est un souvenir adolescent qui m'a d'abord poussé vers Les roseaux sauvages. L'occasion aussi d'un peu mieux connaître André Téchiné...

1962. La fin de la guerre d'Algérie approche. Le réalisateur-scénariste nous embarque vers le Lot-et-Garonne, où un groupe de garçons s'apprête à passer le bac. La relative douceur du printemps aquitain réveille aussi leur soif de vie et leurs diverses envies amoureuses. Comment s'aimer, justement, quand la France traverse des heures sombres et se divise sur le devenir de ses toutes dernières colonies ? Que comprendre quand on est à des kilomètres du lieu des combats ? Les roseaux sauvages pose intelligemment ces questions cruciales. Dans le - magnifique - cadre naturel du film, une partie de l'avenir s'écrit pour des jeunes incertains, souvent emplis de contradictions. Proche d'eux, la caméra capte au mieux leurs émotions et les sublime pour rendre parfois leurs attitudes et questionnements universels. Discrète mais omniprésente, Élodie Bouchez tient un rôle-révélation que ceux qui l'ont repérée n'ont sûrement pas oublié. Un talent brut...

Beaucoup de ce qui a trait à la jeunesse de ce début des années 1960 est, de fait, très beau dans Les roseaux sauvages. J'ose même dire que toute la fin du film est magnifique, où des regards se croisent avant que des corps ne se frôlent, un temps oublieux de l'attente angoissée d'un résultat scolaire (et d'éventuels départs vers l'ailleurs). Le film n'est pas parfait pour autant: il nous présente un personnage d'enseignante, par exemple, qui ne m'aura qu'à moitié convaincu. Peut-être ce développement est-il dû à l'origine même de ce projet d'auteur: avant d'inventer un vrai film de cinéma, André Téchiné répondait à une commande d'Arte, dans un format un peu plus court. Je laisse pour l'heure à chacun le soin de se renseigner sur ce point. Je me contenterai donc de retenir ce qui m'a ému personnellement. J'imagine qu'on apprécie d'autant plus ce lumineux long-métrage quand on a une petite idée de sa facette sombre et des "événements d'Algérie" qu'il évoque - sans jamais en montrer la moindre image. Point de crainte: le récit reste accessible ! Et oui, très actuel, aussi...

Les roseaux sauvages
Film français d'André Téchiné (1994)

Je tempère mon enthousiasme, c'est vrai, mais je garde le positif dans un film proche des deux heures de métrage. Un César mérité ! Les jeunes de 2025, vus dans Eat the night, pourraient s'y retrouver. Bien des films ont été faits avec cet éveil à l'existence comme toile de fond. Exemples récents, Shéhérazade, Les passagers de la nuit ou Sans Coeur rendent tous compte de sa belle et franche diversité...

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Et maintenant, pour conclure et en quelques clics...

Vous trouverez les avis de "L'oeil sur l'écran" et/ou celui de Benjamin.

lundi 24 mars 2025

Neiges éternelles

Je le savais: le cinéma de Bong Joon-ho est plutôt sans concession. Dans le film d'aujourd'hui, une institutrice fait l'apologie d'un dirigeant politique à coups de mitraillette, une ado ne supporte son quotidien que grâce à une drogue dure et les pauvres se nourrissent de cafards broyés. La représentation d'une réalité de notre monde courant 2031 ?

Adaptation - libre - d'une B.D. du duo français Jacques Lob (scénario) et Jean-Marc Rochette (dessin), Snowpiercer - Le Transperceneige est demeuré quelque temps le plus gros succès du cinéma sud-coréen en France. Et conserve la deuxième place de ce box-office particulier.

Outre les éléments déjà évoqués, il vous faut imaginer un train géant supposément bâti pour servir d'arche aux survivants d'une humanité décimée par une nouvelle glaciation planétaire. Un convoi ferroviaire constamment en mouvement où, selon son niveau de fortune, chacun est plus ou moins proche du wagon de tête du concepteur-dictateur. Lequel exploite des enfants, d'où l'envie de révolte du bas peuple. C'est bon ? Vous voyez le tableau ? Il est aussi enneigé que sombre. Lors d'une séance rétrospective, j'en ai vraiment pris plein les yeux ! Grâce aussi au casting : le héros - Chris Evans - a des partenaires bourrés de talent, de Jamie Bell à Ed Harris, en passant (entre autres) par Tilda Swinton, Song Kang-ho, John Hurt ou bien Octavia Spencer. Le récit offre peu de suspense, mais les images sont spectaculaires. Quant à la morale de toute cette histoire, je ne suis pas convaincu qu'elle puisse nous garantir une fin heureuse ! À chacun d'y réfléchir...

Snowpiercer - Le Transperceneige
Film sud-coréen de Bong Joon-ho (2013)

À dire vrai, je n'avais plus connu un voyage ferroviaire aussi agité depuis celui du Dernier train pour Busan (arrivé de Séoul, lui aussi). Six ans avant le Palme-César-Oscar de Parasite, le natif de Daegu envoyait déjà du lourd avec cette coproduction franco-américaine. Cohérent, son cinéma m'emballe: mention pour Memories of murder. Il n'est pas scandaleux de préférer l'empathie d'un About Kim Sohee...

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En tout cas, le film a fait parler de lui...

Vous lirez des avis contrastés chez Pascale, Dasola, Sentinelle, Strum et Lui. Et noterez que je n'en ai pas vraiment fini avec Bong Joon-ho !

MAJ - samedi 29, 11h16: Princécranoir a aussi publié une chronique.

dimanche 23 mars 2025

Trois (bonnes) occasions

Je crois inutile ce matin de vous faire un dessin: l'affiche ci-dessous suffira à expliquer pourquoi je trouve ce jour et les deux prochains prometteurs. Ah, le Printemps du cinéma ! C'est un peu mélancolique que j'y avais pris part l'an passé, lors des trois dernières journées d'ouverture d'un ensemble de six salles que j'aimais bien. Souvenirs...

La tendance est moins angoissante cette année, puisque j'ai appris qu'un autre cinéma que je fréquente va ouvrir une quatrième salle. Celui auquel je suis le plus fidèle, lui, défend des concepts innovants et projette désormais des films français avec sous-titres en anglais. J'espère que cela attirera une partie de la clientèle étrangère en ville !

Avant de pouvoir en juger sur le terrain, j'ai conscience que je parle d'un événement de cinéma... sans vous conseiller de film à aller voir. Deux raisons à cela: 1) je me dis que nous sommes tous assez malins pour savoir nous-mêmes ce qui nous ferait plaisir et 2) la rédaction de ce billet remonte à la fin de février et donc, en toute logique calendaire, c'est très normal: je n'avais encore vu aucun film de mars.

Il est probable que je me serai rattrapé quand vous lirez ces lignes. Voici déjà dix opus que j'avais repérés ces trois derniers mercredis...


Sortis le 12 :
Berlin, été 42 / The insider / On ira

Sortis le 19 :
La cache / Ma mère, Dieu et Sylvie Vartan / Vermiglio

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Pour conclure, en quelques mots...

Cette liste vous donne tout de même une petite idée de mes envies. Bien sûr, vous pouvez toujours remonter le fil de Mille et une bobines pour piocher d'autres "grains à moudre". Je vous retrouverai demain midi... avec une autre chronique de film à partager. Et d'ici là, merci à celles et ceux qui publieront leurs coups de coeur en commentaires !

vendredi 21 mars 2025

L'hommage au père

Luigi Comencini voudrait finaliser le tournage d'une scène extérieure. Pas de temps à perdre: le soleil se couche. Or, une gamine est restée dans le champ de la caméra ! La même, admise comme figurante, n'arrive pas à jouer, émue par la beauté de ce décor qu'elle découvre. Telle était peut-être Francesca, la troisième fille du cinéaste italien...

Ainsi que vous le savez peut-être, Francesca est devenue réalisatrice. Elle a fêté ses 63 ans l'été dernier et le septième art est aussi le sien depuis un premier film en 1984. La double anecdote que j'ai évoquée figure dans son dernier en date, Prima la vita, sorti dans les salles françaises en février après sa présentation à Venise l'année passée. Cette splendeur de long-métrage revient - longuement - sur la force de la relation père-fille qui unissait Luigi à Francesca. Une relation d'amour bien évidemment, faite de gestes tendres et d'attentions multiples, mais qui a connu son lot de turbulences, au fil du temps. Pour le montrer et y intéresser le public, la femme derrière la caméra a un immense mérite: celui de ne pas toujours se donner le beau rôle. Une performance, si j'ose écrire, d'autant qu'elle fait aussi le choix audacieux d'observer ses personnages de (très) près. Le scénario occulte la figure de sa mère, Giulia Grifeo di Partanna, une princesse sicilienne. Il ne dit d'ailleurs rien non plus du destin de ses soeurs aînées, Paola et Cristina, ni de la benjamine, Eleonora ! Qu'importe...

La grâce des acteurs - Fabrizio Gifuni et Romana Maggiora Vergano - est telle qu'aussitôt après avoir vu le film, j'en ai parlé à mes amis comme du plus touchant de ceux que j'ai vus en ce début d'année. Emballé, j'ai ajouté qu'il figure parmi les plus beaux. Deux éléments d'appréciation que je ne vais certainement pas renier aujourd'hui. Parcouru d'images sublimes, parfois issues des belles représentations d'un célébrissime classique de la littérature jeunesse, Prima la vita s'illustre aussi par des choix musicaux pertinents, des plus inspirés. Les émotions surviennent ainsi et surtout en replaçant le titre original du long-métrage - Il tempo che ci vuole, Le temps que cela prend - dans son contexte. Le film n'aura pourtant fait que 148.840 entrées en Italie l'année dernière et terminé son parcours à la 77ème position de son box-office national. Pire, en France, il passe quasi-inaperçu ! Celui qui a tant contribué à la création de la Cinémathèque de Milan mérite davantage de considération... et il en va de même de sa fille. J'espère que cette modeste chronique saura attirer certains regards...

Prima la vita
Film italien de Francesca Comencini (2024)

Una meraviglia ! J'ai vraiment eu un GROS coup de coeur pour ce film honnête et d'une chaleur réconfortante par les temps qui courent. L'amour que l'on découvre ressemble un peu à celui de Mommy, opus québécois qui, lui, présentait le lien fort entre une mère et son fils. Mais, quitte à partir aussi loin, autant aller jusqu'au Japon pour voir ou bien revoir le superbe Printemps tardif. C'est presque de saison...

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Vous n'êtes toujours pas convaincus ? Bon...

Je crois qu'il ne me restera à vous conseiller que la lecture de Pascale.

mercredi 19 mars 2025

S'il suffisait d'aimer...

Hélène, une amie à moi, comédienne de son état, affirme que 99,9% des chansons parlent d'amour - ce qu'elle tend à démontrer sur scène. Qu'en est-il des films ? Le ratio est-il aussi élevé ? Sans aucun doute. Après, il y a bien sûr d'innombrables façons d'envisager ce beau sujet. J'imagine qu'il ne sera pas épuisé demain. Il faudra alors s'en réjouir !

Dans le bien nommé Fantôme d'amour, un quinquagénaire lombard qu'incarne Marcello Mastroianni recroise une femme dont il était épris de longues années auparavant, sous les traits de Romy Schneider. Mais il ne la reconnaît pas ! Des rides au visage donnent à l'amante d'autrefois l'air sombre d'une personne souffrant d'une grave maladie. Cheveux sales, Anna Brigatti paraît perdue dans cet autobus de Pavie qu'elle a emprunté sans la moindre lire en poche pour payer le ticket. Elle promet au généreux Nino Monti qu'elle le remboursera très vite...
 
Une occasion de renouer ? Pas sûr. Car, si les sentiments de  l'homme s'éveillent à nouveau, ceux de l'ancienne partenaire ont l'air éteints. Je vous laisserai découvrir pourquoi ils le sont (ou devraient l'être). Le film repose sur un scénario original qui pourrait vous surprendre. Romy S. et Marcello M. sont magnifiques dans les rôles principaux. Pourtant, c'est très étrange: j'ai l'impression que cette production franco-germano-italienne est en quelque sorte tombée dans l'oubli. Comme si l'absence de toute récompense internationale de prestige avait réduit à néant ses chances de réellement passer à la postérité. Reste le plaisir d'un opus bien mis en scène et d'une virée transalpine.

Fantôme d'amour
Film franco-germano-italien de Dino Risi (1981)

Je me faisais une idée plus caustique (parce qu'incomplète, je pense) de la filmo du cinéaste italien, actif tant au cinéma qu'à la télévision entre 1946... et 2002. Je recommande Le veuf, dans un autre genre ! L'amour en Italie, je l'ai évoqué récemment avec Les fleurs du soleil. Autre piste, Deux sous d'espoir est inscrit dans un cadre historique et social passionnant. Je suis loin d'avoir fait le tour de la question...

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Y a-t-il un ou une spécialiste, dans la salle ?

Elle et Lui, le duo de "L'oeil sur l'écran", est un peu moins louangeur. Sur ce même blog, vous trouverez cela dit une vingtaine d'autres Risi.

lundi 17 mars 2025

Le dernier ?

S'il acceptait, il serait le dernier à céder. Comme à ses rares voisins avant lui, un vague ami offre à Joseph, éleveur caprin sur le littoral corse, de lui acheter ses terres pour 42 fois leur valeur estimée ! Après son refus, trois mecs patibulaires débarquent chez le berger. L'un de ces types a alors un "accident". Joseph doit prendre la fuite...

Il aura suffi de ce pitch - et de quelques images glanées sur Internet - pour me motiver à aller voir Le Mohican. Je m'étais aussi imaginé qu'il s'agissait du premier long de son auteur: c'est en fait le second. Habilement ficelé et peu bavard, car il n'atteint pas l'heure et demie. Les enjeux sont vite et bien posés: la certitude d'un (bon) suspense...

Le bémol, c'est simplement que j'avais espéré qu'il en serait de même pour la face inattendue du scénario. Joseph a une cousine, Vannina. Admirative de son travail, elle affronte sa disparition en le présentant comme celui qui a résisté à la mafia: un héros, donc, et un exemple. Nous avons dès lors deux récits en un: celui de la cavale d'un homme lucide sur ce qui le menace et celui d'une jeune femme convaincue qu'elle peut lui éviter le pire en mobilisant grâce aux réseaux sociaux. Je juge hélas le film un peu léger dans cette deuxième composante. Attention, hein ? Cela ne veut surtout pas dire que tout soit à jeter. Mais est-ce vraisemblable ? Je vous dirais que je m'en moque un peu !

Le Mohican
Film français de Frédéric Farrucci (2025)

Vous l'avez compris: nous sommes loin des tribus d'Amérique du Nord citées dans le fameux roman de James Fenimore Cooper (1789-1851). Quitte à demeurer à l'étranger, l'ambiance a parfois pu me rappeler celle d'As bestas, chef d'oeuvre de tension évoqué ici en juin dernier. Mais ne zappez surtout pas la Corse au cinéma: Borgo et À son image témoignent, chacun à leur façon, d'un engouement récent. À suivre...

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En attendant d'autres voyages sur l'île...

Je vous laisserai apprécier l'avis de Pascale, un peu plus enthousiaste. Elle a raison de saluer la prestation d'Alexis Manenti dans le rôle-titre.

samedi 15 mars 2025

Un déferlement de violence

Je vous redis d'abord ma conviction: à bientôt 43 ans, Karim Leklou figure parmi les acteurs français les plus doués de sa génération. Vimala Pons, elle aussi, a un grand talent et souffle sa 42ème bougie aujourd'hui même - je l'ai appris juste avant d'écrire cette chronique. Ce samedi, je rattrape enfin leur film commun: Vincent doit mourir !

Le doit-il vraiment ? Et, si c'est le cas, pourquoi ? Ce sont bien sûr deux des questions qui se posent devant ce nouveau film de genre. Vincent, graphiste dans une boîte lyonnaise, est un jeune type d'apparence ordinaire. Il se trouve toutefois qu'il déclenche soudain une haine inexplicable quand il croise le regard d'autres personnes. Résultat des courses: il se fait souvent tabasser sans raison véritable. Sur cette base, le film construit une première partie assez originale et nous apporte de l'empathie pour le personnage de Karim Leklou. Cela se gâte (un peu) quand apparaît Margaux, celui de Vimala Pons. Fantasque, elle semble incompatible avec l'idée même de la violence. L'ennui est que le récit, en s'ouvrant à autre chose, perd en intensité. Le tout ne dure pas deux heures, ce qui m'a de fait paru suffisant pour développer le propos et nous conduire ainsi vers une fin ouverte. Le réalisateur, lui, signe ici son premier long. Pas si mal, en réalité...

Vincent doit mourir
Film français de Stéphan Castang (2023)

Je m'attendais à un peu mieux, mais je prends ce qui s'avère réussi pour conclure avec une notation relativement positive, malgré tout. J'ajoute que je partage certaines références ciné avec le réalisateur et le scénariste, Mathieu Naert - comme John Carpenter, notamment. Je pense à des films de zombie: World war Z ou The dead can't die. NB: si vous préférez en rire, Coupez ! est sûrement la solution idéale.

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Une précision ?
J'ai vu ce film quelques jours avant la dernière cérémonie des César et je ne savais donc pas encore que Karim Leklou allait obtenir celui du meilleur acteur cette année. Mais oui, je m'en réjouis pour lui ! Dans un registre très différent, il était parfait dans Le roman de Jim.

Un point de comparaison ?
Bien sûr ! C'est l'occasion de voir que Pascale a plutôt apprécié le film.

jeudi 13 mars 2025

Películas negras

L'aviez-vous appris ? Il y a bientôt un an, le 14 mars 2024, des milliers de professionnels du septième art et de simples cinéphiles argentins étaient mobilisés pour dénoncer la politique du président Javier Milei. De mon côté, j'ai revu Buenos Aires les 17 et 18 février, par écran interposé. J'y ai découvert les deux films noirs que j'évoque ce midi...

Que la bête meure
Film argentin de Román Viñoly Barreto (1952)

Le titre vous dit quelque chose ? Il est bien sûr tout à fait possible que vous ayez déjà pu voir une autre adaptation du roman éponyme de Cecil Day-Lewis (réalisée par Claude Chabrol et sortie en 1969). L'histoire ? C'est celle d'un écrivain, veuf et père d'un jeune garçon. Garçon qui, parti faire une course, meurt, renversé par une voiture. Après une période de dépression, le père se dissimule sous son nom d'auteur et fréquente alors la belle-soeur du chauffard, qu'il séduit. C'est ainsi qu'il va finalement rencontrer celui qui a causé son malheur et imaginer sa vengeance. Les amateurs de suspense apprécieront. J'avoue que j'ai eu un peu peur au début, l'interprétation des acteurs étant pour le moins outrée. Cela s'arrange nettement par la suite. Résultat: un long-métrage qui rivalise avec les bonnes productions américaines du genre. Leur influence est nette: tous les personnages ont un patronyme anglo-saxon et le héros, lui, en compte même deux.

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Info en + : le film a aussi reçu un avis positif de "L'oeil sur l'écran".

Un meurtre pour rien
Film argentin de Fernando Ayala (1956)
C'est malheureux à dire, mais le titre dit quelque chose de l'intrigue. Elle n'en est pas moins surprenante, au début: un reporter, malmené par sa hiérarchie, se laisse convaincre par un drôle d'immigrant européen qu'il est possible de monter une très lucrative escroquerie autour d'une académie d'enseignement à distance des techniques journalistiques. Confiant, il accepte que son nouvel ami et complice touche plus d'argent que lui, au moins jusqu'à ce qu'il en ait assez pour permettre à sa famille de le rejoindre. Mais ça va vite dérailler ! Avant cela, une scène onirique nous aura montré que le héros souffre d'une paranoïa sévère (ce qui l'expose à une certaine vulnérabilité). Un nouveau personnage apparaîtra à mi-métrage et, sans intention malveillante pourtant, aura dès lors tôt fait de lui causer des sueurs froides. Las ! Le film ne devient pas tout à fait le thriller angoissant qu'il promettait d'être aux premiers instants. Une légère frustration...

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Info en + : j'espérais un autre avis de "L'oeil sur l'écran", mais... non.
MAJ - samedi 29, 13h52: finalement, "L'oeil sur l'écran" a vu le film !

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Que vous dire en guise de conclusion ?

De ne pas laisser tomber juste à cause de mes notes en demi-teinte. En soi, la possibilité de découvrir deux fleurons du cinéma argentin d'après-guerre est vraiment intéressante. J'ai connu une expérience similaire début 2023 avec Double destinée, un (bon) film mexicain. L'Amérique latine aurait-elle le vent en poupe sur le blog ? Peut-être. Et même si je reviendrai sans doute bientôt... sur un autre continent.

mardi 11 mars 2025

Le poids du passé

Terrence Malick est un bon exemple: il a pu m'arriver de découvrir tardivement l'oeuvre d'un cinéaste et de vouloir ensuite me plonger dans toute sa filmographie passée. Je n'en suis pas à ce stade d'admiration avec Walter Salles, mais apprécier Je suis toujours là m'a encouragé à vite "retourner" au Brésil pour regarder Avril brisé...

Première surprise: ce film est l'adaptation d'un roman paru en 1980 sous la plume de l'écrivain... albanais, Ismail Kadaré (1936-2024). Nous revenons au début du 20ème siècle, auprès d'une famille pauvre. Notre hôte est un petit garçon, sans prénom connu. Il travaille déjà pour aider ses parents, les Breves, qui tirent leurs modestes revenus de l'exploitation de la canne à sucre. Mais il est avant tout question d'une vengeance à prendre sur le clan voisin, les Ferreira: une rivalité territoriale dont le motif premier semble oublié depuis des lustres. Reste qu'après l'assassinat du fils aîné des Breves, les Ferreira doivent à leur tour payer le prix du sang - ce qui marquera l'ouverture d'un nouveau cycle de violences réciproques et jugées inéluctables. Deuxième surprise: sur cette trame, Avril brisé construit un drame d'une rare force poétique. Sachez-le: il y a quelque chose de très beau dans ce que feront les plus jeunes pour tenter d'échapper au destin des anciens. Et, sous ses airs de western, le film cache bien son jeu ! Le mieux est donc de ne pas trop en savoir pour être touché au coeur.

Walter Salles, lui, explique avoir été "frappé par la force symbolique de cette histoire, qui ressemblait à un conte des origines". Une étude de la tragédie grecque l'aura apparemment aidé à construire son film. J'insiste toutefois pour dire qu'il n'est pas qu'une illustration moderne de la loi du talion telle qu'elle a pu être appliquée en Amérique du sud. C'est aussi une invitation au rêve, adressée par un enfant contraint de grandir bien plus vite que les autres. La littérature et le cirque jouent un rôle décisif dans ce récit, qui nous parle aussi de l'amour avec un grand A - ce qui constitue une possible troisième surprise. Vous l'aurez compris: Avril brisé est un long-métrage aussi rare qu'étonnant. Il nous offre en cadeau de superbes images du Brésil. C'est pour tout dire un voyage que je n'aurais jamais fait sans lui. Que dire des acteurs ? Je n'en connaissais aucun et suis de fait tombé sous le charme de Flavia Marco Antonio, tout en étant très sensible au jeu (tout en retenue) de Rodrigo Santoro, Luiz Carlos Vasconcelos et Ravi Ramos Lacerda. Rares, leurs dialogues savent dire l'essentiel !

Avril brisé
Film brésilien de Walter Salles (2001)

Bon bon bon... il ne me restera donc plus qu'à lire le livre, désormais. Pour comparaison, je parlerai peut-être également d'autres vendettas sur écran (le thème de la Cinémathèque de Grenoble cette saison). Aujourd'hui, je me contenterai de me réjouir d'avoir vu ce film ! D'autres perles du Brésil sont présents en section "Cinéma du monde". Dont Gabriel et la montagne. Et La vie invisible d'Euridice Gusmão.

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Et pour finir en (léger) contrepoint...

Je vous propose de lire les avis de "L'oeil sur l'écran", un peu sévères.

lundi 10 mars 2025

Sans oublier Kinuyo...

Je ne vous ai pas tout dit, vendredi: si j'ai choisi Kenji Mizoguchi comme guide de mon retour en terre nippone, c'est pour le plaisir évidemment, mais aussi parce que, le lendemain, j'ai suivi un "cours" sur ce cinéaste, grâce à une association (j'y reviendrai peut-être). J'avais envie d'avoir quelques idées supplémentaires pour en discuter.

Mais... ce n'est pas ce que je souhaitais aborder avec vous ce lundi. Vous avez vu la photo, n'est-ce pas ? Je voulais revenir sur le cinéma japonais classique pour relever que les noms de grands réalisateurs qui me viennent spontanément sont tous des hommes, Mizoguchi précédant Kurosawa et Ozu - Akira et Yasujiro de leurs prénoms. Parmi eux, au moins une femme pourrait s'imposer: Kinuyo Tanaka. Elle jouait le rôle de la mère dans L'intendant Sansho, à 45 ans. Notons que c'est aussi l'âge qu'est censé avoir atteint son personnage.

Vous prendrez sûrement mieux la mesure de l'extraordinaire carrière de cette grande dame en parcourant la très longue liste de ses films comme actrice, présentée sur sa non moins longue page Wikipédia. Mais l'image du jour, alors ? Elle correspond à la rétrospective intégrale de ses six films de réalisatrice, visibles en France en 2022. J'ai tout loupé - d'où le lien vers chez Pascale annoncé l'autre jour. J'espère bien avoir une prochaine occasion de rattraper mon retard ! En attendant, ce serait bien d'être plus attentif aux stars féminines...

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Une anecdote (rigolote ?) pour finir...
Quelques jours après avoir préparé cette chronique, j'ai eu la chance de dénicher un dictionnaire du cinéma asiatique chez un vendeur d'occasion. L'ouvrage date de 2008: il évoque Kinuyo Tanaka actrice. Des films qu'elle a réalisés, il cite le premier: Lettre d'amour (1953). Et, des autres, il dit: "On souhaiterait les voir, histoire de confirmer qu'une actrice si sublime ne peut être qu'un cinéaste aussi attachant".

NB: quatre films avec Kinuyo Tanaka sont présentés sur le blog...
- Les soeurs Munakata de Yasujiro Ozu (1950),
- La vie d'O'Haru, femme galante de Kenji Mizoguchi (1952),
- Les contes de la lune vague... de Kenji Mizoguchi encore (1953),
- et donc... L'intendant Sansho de Kenji Mizoguchi toujours (1954).

vendredi 7 mars 2025

Implacables destins

Cela faisait un moment que j'avais envie de renouer avec le cinéma japonais dit "classique". J'ai donc saisi l'opportunité (rare) d'apprécier l'un des films de Kenji Mizoguchi les plus aimés: L'intendant Sansho. Primé à Venise, il fait partie des derniers films d'un cinéaste reconnu sur le tard en Occident. Et dont 62 des 94 créations ont été perdues...

Nous retournons au 11ème siècle. Il y a un millénaire, rien de moins. En pleine féodalité, les idées humanistes de l'édile d'un petit village ont déplu aux autorités supérieures: l'homme est dès lors condamné au bannissement. Il part sans un cri, après avoir conseillé à sa femme de retourner chez ses parents, en le désignant alors comme coupable d'un entêtement funeste. À son fils, une dernière fois, il fait répéter quelques-unes des phrases selon lesquelles les hommes sont égaux par principe et qu'il faut donc que les plus fortunés soient généreux avec les plus pauvres. Surprise: L'intendant Sansho, ce n'est pas lui. C'est même son opposé absolu: celui que des privilèges ancestraux ont placé assez haut socialement pour qu'il exploite des esclaves. Toute ressemblance avec des faits historiques me semble inévitable !

On verra rarement le margoulin, mais il aura une influence capitale sur la destinée des protagonistes positifs de cette sombre histoire. Tout commencera par la séparation de la mère, décidée à rattraper son mari sur la longue route de l'exil, d'avec ses enfants, embarqués vers d'autres cieux encore plus hostiles que vous pouvez l'imaginer. Voilà... je n'ai pas envie de vous dire TOUT ce qui passera ensuite. L'intendant Sansho est un vrai drame qui montre bien le visage abject de certains spécimens de l'espèce humaine. Je dis "certains" parce qu'il y a aussi des personnages admirables dans ce film, voués malheureusement à la souffrance (ou pire) pour la plupart d'entre eux. Mais chut ! Juste vous dire que ce cinéma-là n'est jamais doloriste. C'est même le contraire, à mes yeux: un film d'une incroyable beauté.

Une fois les principaux enjeux posés, le récit fait un bond de dix ans en avant. J'ai trouvé cela audacieux pour l'époque, mais ma culture cinéma "années 50" restant faiblarde, je serais ravi d'être démenti. Blague à part, je crois que l'important n'est pas là. Ce qui me semble bien plus intéressant, c'est que Kenji Mizoguchi construit un avenir possible, offrant donc à toutes et tous une opportunité pour évoluer. C'est à la fois simple et parfait pour maintenir l'intérêt du spectateur. Et vous savez le mieux ? C'est qu'il n'y a pas de rebondissement grossier comme on peut en voir parfois dans les longs-métrages larmoyants. Tout découle d'une certaine logique, mais L'intendant Sansho ne lasse pas pour autant. Je vais me répéter: c'est très beau. Deux heures d'images sublimes, ce serait dommage de passer à côté !

J'ai - entre autres - beaucoup aimé les plans qui placent les acteurs dans un cadre naturel XXL. Le message est très clair, me semble-t-il. Puissant ou misérable, nous sommes peu de choses en ce monde. Mais il y a un petit miracle derrière ce constat fataliste: l'affirmation que c'est tout sauf une raison pour que les damnés de la terre acceptent leur sort sans moufter et renoncent à lutter pour la justice. Sur ce point aussi, L'intendant Sansho m'a paru d'une modernité étonnante - en tout cas, je ne l'avais véritablement pas anticipée. Quel plaisir, tout de même, pour un opus "vieux" de sept décennies ! Tout à mes rêves pour le septième art, je croise très fort les doigts afin que cette merveille traverse et séduise quelques générations supplémentaires. Pour mémoire, son auteur était né le 16 mai 1898...

L'intendant Sansho
Film japonais de Kenji Mizoguchi (1954)
Inévitablement, ce genre de films me donne envie d'en voir d'autres de la même époque et du même pays. Patience: cela devrait venir. D'ici là, je vous rappelle que quatre autres Mizoguchi restent à portée de clics, dont le superbe Les contes de la lune vague après la pluie. Par ailleurs, je valide aussi d'autres excellentes références japonaises comme Les sept samouraïs ou Voyage à Tokyo. Faites-vous plaisir...

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Mais encore ?
Sur le film du jour, "L'oeil sur l'écran" livre un bref avis et nombre d'anecdotes intéressantes, quand Wikipédia offre également une page assez complète. Eeguab nous a pour sa part proposé un texte double et Strum son analyse sur cinq autres longs-métrages "mizoguchiens". Vincent évoque le maître dans plusieurs textes: j'en ai retenu un. J'aurais pu citer Pascale... et ce sera fait bientôt. Ah, quel suspense !

mercredi 5 mars 2025

La diva déchue

J'en ai peut-être déjà touché un mot: dans l'une de mes quelques vies d'avant, j'ai eu la chance de découvrir la coulisse d'un opéra. Hommes et femmes. Mains, matières et machines. Les répétitions de Norma. C'est alors qu'on m'a parlé de l'aria Casta Diva, un "tube" de la Callas. J'ai réentendu cette merveille - signée Vincenzo Bellini - dans Maria...

Maria
, comme le prénom: ce choix de titre dit quelque chose du film. C'est par un biais presque intime que le cinéaste chilien Pablo Larraín aborde Callas, en ayant choisi de représenter les sept derniers jours de sa vie. Paris, fin d'été 1977. La cantatrice habite un appartement cossu de l'avenue Georges-Mandel. Elle est comme coupée du monde. Elle a accepté de se confier à un journaliste, sans être dupe pourtant des turpitudes du métier, mais ferraillant avec lui et agissant encore telle la diva qu'elle n'est plus. Maria s'ennuie et se soigne (fort mal). Seuls son majordome et sa gouvernante n'ont jamais voulu la quitter. Tous les autres sont morts ou bien ont disparu. Autant de fantômes desquels il faudra se séparer avant, peut-être, de chanter à nouveau. Ce n'est pas facile. Mais l'existence elle-même ne l'est pas toujours...

Ne prenons pas ce film pour un banal biopic ! Je suis sorti de la salle en entendant une dame dire: "J'ai sûrement raté quelques épisodes pour comprendre". Et je me suis dit qu'elle évoquait ce qu'elle venait tout juste de voir. Le mieux est en réalité de se faire confiance ! Même si on ignore le parcours d'une femme, on est parfois sensible aux émotions que pourrait faire naître en nous sa simple évocation. Dans le cas d'aujourd'hui, Angelina Jolie se propose de nous y aider. L'actrice américaine, qui ne refuse pas forcément les blockbusters, démontre sa capacité à affronter des rôles beaucoup plus complexes. Elle est vraiment bien accompagnée, notamment par Alba Rohrwacher et Pietrofrancesco Favino (deux protagonistes parfaitement réels). D'accord, mais l'opéra ? Vous en entendrez quelques notes dans Maria. L'amateur d'art lyrique qui veille en moi y a trouvé une satisfaction discrète: je suis à mille lieues de croire que je puisse faire référence en matière de chant - ou alors tout au plus pour ma sincère curiosité. J'ai surtout été ravi d'aimer ce beau film. Y compris sa face sombre...

Maria
Film américain de Pablo Larraín (2024)

L'opéra étant souvent un art international, je crois bon de souligner que le film a aussi des producteurs allemands, italiens et émiratis. J'aimerais que son réalisateur aille plus loin, mais ses pseudo-biopics développent souvent un propos intéressant (cf. Jackie, par exemple). Je tiens à insister: toutes les biographies filmées ne sont pas à jeter. Bonnard Pierre et Marthe m'avait ému. Et Frida ? Aussi, je l'admets.

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Une autre précision sur le titre...

C'est par ailleurs celui d'un tout autre film, consacré, lui, à l'actrice française Maria Schneider (1952-2011). J'en reparlerai, probablement.

Et si vous voulez lire d'autres avis...
Je passe allégrement le micro virtuel à mes chères Pascale et Dasola. Benjamin apporte sa pierre à l'édifice avec son point de vue masculin.

lundi 3 mars 2025

Aux origines de l'art

Le nom de Marcelino Sanz de Sautuola vous est-il familier ? Ce juriste espagnol (1831-1888) s'intéressait en amateur à la vie des hommes préhistoriques. Il a aujourd'hui sa place dans les livres de référence pour avoir identifié le premier site d'art pariétal en Europe: la grotte d'Altamira, ornée il y a environ 15.000 ans. Un bon sujet pour un film.

Je doute que beaucoup d'entre vous aient entendu parler d'Altamira. Son casting est hétéroclite, mais séduisant avec Golshifteh Farahani, Antonio Banderas, Rupert Everett et Pierre Niney en têtes d'affiche. Le récit, lui, n'a rien d'inintéressant, mais est si proche de l'histoire réelle que le mieux est encore de renvoyer vers la page Wikipédia ceux d'entre vous qui voudraient tout savoir et sauter la case cinéma. Aux autres, j'indiquerai simplement qu'il a fallu attendre longtemps pour que la communauté scientifique admette qu'une découverte majeure avait bien eu lieu en 1875, dans un coin reculé de Cantabrie. Le film nous montre que les hauts dignitaires religieux des environs ont vite pensé à une forme d'hérésie, eux qui jugeaient que seul Dieu mérite le nom de Créateur. Résultat: si les plus grands spécialistes rendent désormais hommage à Sanz de Sautuola, celui-ci est décédé 14 ans avant que ne cessent les accusations de fraude à son endroit. La réhabilitation filmée, elle, reste inédite dans les salles de France. Ses très belles images valent, à elles seules, la séance de rattrapage !

Altamira
Film franco-espagnol de Hugh Hudson (2016)

Peut-être est-ce parce qu'il s'agit d'une coproduction binationale dirigée par un cinéaste britannique que cet opus est passé inaperçu. Mon avis est que ce n'est pas scandaleux, mais (un peu) dommage. Rares sont de fait les films sur fond de préhistoire: La guerre du feu demeure un incontournable, devant Alpha ou la saga L'âge de glace. C'est à croire que l'homo sapiens préfère les dinos de Jurassic Park...

samedi 1 mars 2025

Apparition d'un génie

Pourquoi un tel courroux ? C'est ce que je me suis demandé en 2016 quand l'Académie suédoise a été fustigée pour avoir décerné le Nobel de littérature à Bob Dylan. Je ne voyais pas en quoi il était choquant d'honorer celui que j'estime être un très grand poète de notre temps. Oui, il me faut l'admettre: même si je connais encore mal son oeuvre.

Au-delà de la polémique, c'est avant tout la curiosité qui m'a poussé dans une belle salle de cinéma pour y rencontrer Un parfait inconnu. Traduction d'un passage de Like a rolling stone, l'une de ses chansons les plus célèbres, le titre du film ressemble également à un clin d'oeil lorsqu'il s'agit donc d'évoquer Bob Dylan. Réputé pour ses compétences d'écriture, James Mangold, réalisateur et coscénariste, a fait un choix vraiment intelligent: s'appuyer sur un bouquin pour raconter le début de carrière d'un gamin de dix-neuf ans, venu tout droit du Minnesota jusqu'à New York - un trajet d'environ 2.150 km - dans l'espoir insensé de chanter devant Woody Guthrie, son idole personnelle, hospitalisée. Qu'importe au fond si c'est conforme à la réalité: la scène inaugurale du film a capté mon attention, ensuite en alerte tout au long du récit. J'ai été impressionné par le parcours artistique de ce véritable génie de la folk music, capable d'exprimer des choses belles et puissantes avec simplement sa voix et une guitare acoustique (de 1961 à 1965). J'ai mieux compris que tout n'était pas forcément agréable pour lui. Lui qui n'est pas toujours resté le bon garçon innocent de ses débuts. Lui qui, tant admiré, devait encore batailler pour imposer ses choix...

Dans le respect, le film choisit d'expliquer que, si Robert Zimmerman est définitivement devenu Bob Dylan, c'est parce qu'il a eu le soutien quasi-immédiat de quelques grands noms qui l'ont précédé sur scène. Il montre également l'importance décisive de deux jeunes femmes présentes à ses côtés: Suze Rotolo (renommée Sylvie Russo à l'écran) et bien sûr Joan Baez. L'une était peintre, l'autre musicienne: Robert sortit avec les deux et, planqué derrière Bob, finit par les perdre. Mais le vrai sujet du film n'est pas là, je crois. Un parfait inconnu dresse surtout le portrait d'un artiste insaisissable, las de son image publique et qui, n'écoutant alors que son instinct, prit une décision radicale et un vrai risque: introduire de l'électricité dans sa musique. La très bonne nouvelle, c'est qu'il ose faire montre d'un enthousiasme des plus communicatifs, assis sur une reconstitution d'époque soignée et, bien entendu, de très nombreux "tubes". Leur force émotionnelle ressort même renforcée de la remarquable interprétation des acteurs. Timothée Chalamet, la tête d'affiche, est lui aussi joliment entouré. J'ai adoré le personnage d'Edward Norton et l'incarnation "classieuse" de Monica Barbaro. Sans oublier Elle Fanning - le tout premier amour !

Un parfait inconnu
Film américain de James Mangold (2024)

J'ai été long et, malgré cela, il n'est pas exclu que je revienne encore sur ce long-métrage, en lice pour huit des Oscars bientôt décernés. Avant cela, je dois dire que je suis content de voir James Mangold comme un bon artisan: Le Mans 66 le démontre aussi, par exemple. Vous voulez un autre film musical ? Control est dur, mais je le vois comme un must du genre. Nowhere boy est très bien aussi en face B.

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D'autre avis vous intéresseraient ?

Je suis certain que vous pouvez faire confiance à notre amie Pascale. Princécranoir mérite aussi toute votre attention pour sa chronique d'admirateur avisé (enrichie notamment d'un commentaire d'Eeguab). Je conseille enfin Strum... au moins pour l'encourager à écrire encore. MAJ - Dimanche 2 : Dasola, elle, m'a précédé... de quelques heures !