vendredi 31 octobre 2014

Bad trips

Ce n'est pas forcément le film-événement de l'année, mais ça sera sûrement l'un des plus ambitieux, au moins pour le cinéma français. Aussitôt que je suis sorti de Saint Laurent, la première impression qui m'est venue, c'est de m'être modérément intéressé à l'histoire. Chose curieuse: au même instant, j'ai eu le sentiment d'avoir vu l'une des toutes meilleures mises en scène appréciées jusqu'alors en 2014.

Au final, je me dis donc que Bertrand Bonello, le réalisateur, a su habilement mélanger la forme et le fond, avec ses propres partis pris esthétiques et narratifs. Je ne peux pas comparer son film à celui sorti en janvier, proposé par Jalil Lespert - j'ai manqué cet opus. Toutefois, il est toujours temps de relever que Saint Laurent "version 2" n'a pas reçu la caution morale de Pierre Bergé, l'amant fidèle du couturier et, accessoirement, le concepteur de son empire et son premier héritier. Cette considération me semble importante dans la mesure où, plutôt qu'une hagiographie filmée, les écrans auront accueilli cet automne une reconstitution de ce qu'aurait pu être la vie du créateur, sans toujours le souci d'une conformité à la réalité. Gaspard Ulliel est gaucher: il ne dessinera jamais de la main droite. On peut donc admettre que certains se sentent floués, voire trahis...

Quand, à l'image, Bergé rappele un journaliste qui vient d'interviewer Saint Laurent pour le menacer de poursuites, il se peut que Bonello règle ses comptes avec l'homme d'affaires, lequel lui aurait plutôt mis des bâtons dans les roues. Je laisserai chacun juger du bon droit respectif des uns et des autres. Saint Laurent - le film - m'intéresse pour ce qu'il est: un regard sur un homme qui a révolutionné la mode et, du même coup, l'image de la femme. Quelques-unes des scènes les plus intéressantes du long-métrage le montrent dans son atelier parisien, s'assurant personnellement que ses dessins sont reproduits fidèlement. Le montage impose l'image d'une ruche, mais un malaise s'insinue. Le défilé de blouses blanches confère au lieu l'apparence d'un hôpital et c'est logique: YSL se montre vite aussi intransigeant avec ses petites mains qu'un médecin peut l'être avec ses infirmières.

Cela dit, il n'est pas ici question de nous montrer un génie au travail. L'idée est plutôt d'évoquer un homme d'une redoutable... fragilité. Névrosé et doutant constamment d'un talent pourtant reconnu partout dans le monde, le roi des podiums s'est construit sa propre réalité. L'unique réconfort lui vient de ses muses, ces femmes magnifiques qu'il sait sublimer encore parce qu'au fond, il se reconnaît en elles. Âmes sensibles, attention: Saint Laurent donne à voir frontalement des choses assez dures et principalement une homosexualité triste doublée d'addictions, à l'alcool, aux médicaments et aux drogues. Comme mon titre vous l'aura peut-être laissé imaginer, le handicap social dont souffre le "héros" fait des ravages. Si la dernière image est bien celle d'un sourire, celui-ci demeure d'une profonde ambigüité. Bref, avec ce film, vous n'allez pas rigoler ! Dans le sillage mortifère d'un homme tourmenté, vous devriez, au contraire, partir à la dérive. Torpeur d'autant plus perceptible que le récit prend tout son temps...

N'hésitez pas si cela vous tente: ces deux heures et demie de tension peuvent déplaire, mais offrent de très bons moments de cinéma. Difficile de croire que les acteurs feront l'unanimité, mais j'ai trouvé qu'ils étaient tous crédibles. Gaspard Ulliel est un Yves Saint Laurent convaincant, Jérémie Renier un Pierre Bergé solide - à vérifier notamment dans une superbe scène de négociation commerciale. Surprise pour moi: Louis Garrel, un comédien que, jusqu'ici, j'ignorais consciencieusement, compose habilement un Jacques de Bascher aussi salace que sensible. Valeria Bruni-Tedeschi a droit à une scène de métamorphose incroyable, Léa Seydoux et Amira Casar à des rôles intéressants, mais Saint Laurent n'est pas un film de femmes. Visuellement et pour sa bande son, il n'en mérite pas moins un éloge sincère. Peut-être est-il juste un poil trop long et si explicite parfois que l'on pourra déplorer un léger manque de retenue. Resté bredouille à Cannes, je vois toutefois bien Bonello se rattraper avec un César...

Saint Laurent
Film français de Bertrand Bonello (2014)

Je l'ai dit, je le répète: il ne faut surtout pas chercher ici le reflet exact d'une réalité historique. Le plus gros du film se concentre d'ailleurs sur une décennie, de 1967 à 1976. En dépit d'une conclusion parfois maladroite sur la fin de la vie du personnage, Saint Laurent assume bien ses choix. C'est un biopic imparfait, mais intelligent. Dans d'autres genres, Bird, Bright star ou même Cloclo le sont aussi.

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Une petite anecdote de plus...

J'ai trouvé ça amusant: dans le film, Yves Saint Laurent embauche une jolie fille, mannequin de la maison Chanel. Elle résiste un peu. Serait-ce un clin d'oeil à Gaspard Ulliel, lui-même égérie chez Coco ?

Et YSL vu d'ailleurs, ça donne quoi ?
Il semble que mes camarades aient aimé. Certains citent le premier. Pour cette version Bonello, vous pouvez lire "Sur la route du cinéma", "Le blog de Dasola" et "La cinémathèque de Phil Siné". Il y a le choix !

mercredi 29 octobre 2014

Acro-pirates

Une question, chers lecteurs: connaissez-vous Valerio Evangelisti ? J'ai découvert cet auteur italien récemment, en lisant Tortuga, publié au format poche par les éditions Rivages. Si je le cite aujourd'hui, c'est que le romancier a voulu donner une idée réelle de la piraterie maritime au 17ème siècle. Le cinéma, lui, présente les flibustiers sous un jour favorable, en général. Illustration avec le film du jour...

Le corsaire rouge est le 16ème film de Burt Lancaster... en six ans seulement d'une carrière alors naissante. Le comédien collabore ici  pour la troisième et dernière fois avec Robert Siodmak, le réalisateur qui l'a lancé en 1946. Il est le capitaine Vallo, pirate qu'un esprit rusé rend plus efficace qu'un banal assassin. On dirait presque Zorro ! Audacieuse, la comparaison n'est pas si incongrue: comme le justicier californien, le marin est lui aussi accompagné d'un comparse muet. L'histoire a retenu que Nick Cravat, l'acteur qui l'interprète, pouvait parfaitement parler, mais avec un tel accent qu'il aurait alors porté préjudice à la crédibilité de son personnage. Mieux qu'un faire-valoir ordinaire, il était toutefois l'ami fidèle de Burt Lancaster et l'associé habituel de ses jeunes années d'artiste de cirque. Vous remarquerez rapidement que le long-métrage exploite largement cette complicité. Son attrait visuel tient pour beaucoup aux acrobaties des deux potes.

Ce n'est pas tout, évidemment. Il est aussi question des sentiments amoureux, intenses et d'abord contrariés, qui animent le capitaine pirate et une jolie femme, la fille d'un homme du peuple en révolte contre l'injustice de sa condition. Je conseille vivement à tous ceux qui exècrent ces clichés hollywoodiens de rester au large: Le corsaire rouge s'y complait allégrement, sans retenue ni vergogne. Anecdote "amusante": tiré d'un roman, le premier scénario du film fut considéré comme promoteur des idées du communisme et, de ce fait, détruit ! Produit par Burt Lancaster himself, le long-métrage garde un ton particulier pour l'époque: celui de la pure comédie. Les personnages virevoltent et enchaînent les cabrioles. En guise d'introduction, visage tourné vers la caméra, le héros encourage même le public à ne croire finalement qu'à la moitié de ce qu'il verra. La recette de ce cinéma classique et de divertissement supporte fort bien l'invraisemblance.

Le corsaire rouge
Film américain de Robert Siodmak (1952)

Je garde généralement ce genre de productions pour les réveillons. Cela dit, ce n'est pas antipathique à d'autres moments: je donne quatre généreuses étoiles pour l'enthousiasme des protagonistes. Entre combats navals et assauts par la voie des airs, vous apercevrez aussi Christopher Lee dans un petit rôle ! Le film vogue dans les eaux de Pirates des Caraïbes, à vrai dire assez loin de Capitaine Blood...

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Et qu'en dit-on sur la blogosphère ?

Le rédacteur de "L'oeil sur l'écran" en dit plutôt du bien.

Une anecdote qui n'aura pas échappé aux cinéphiles...
L'une des scènes du début est reprise dans... La classe américaine !

lundi 27 octobre 2014

L'attente

J'aime bien Arte. Pour plusieurs raisons. Il me semble que la chaîne franco-allemande a des programmes plus accessibles qu'à ses débuts. Au rayon cinéma, j'apprécie particulièrement de pouvoir découvrir quelques productions d'outre-Rhin, en version originale et restées inédites dans nos salles. Le titre "français" choisi pour Halbschatten m'a surpris, sans m'empêcher toutefois de voir cet Everyday objects.

Je vais être franc: la première chose qui a titillé ma curiosité cinéphile, c'est que le film a été tourné sur des sites que je connais bien: Nice et les communes avoisinantes, avec une vue plongeante sur la mer Méditerranée. Une dénommée Merle y débarque un jour d'été, invitée par Romuald, un Allemand propriétaire d'une belle villa. L'homme, toutefois, manque à l'appel: il est retenu par son travail, laisse donc son hôte à la garde de ses enfants et est censé réapparaître le surlendemain. Surprise mais pas fâchée, Merle prend ses aises, fait bronzette sur la terrasse et profite de la piscine. Situation idyllique ? Pas vraiment, non. Bien qu'elle parle un français plus que correct, la jeune femme reçoit presque partout un accueil froid, sinon hostile. Et Everyday objects s'enfonce dans la torpeur...

Je n'ai pas bien compris où le réalisateur voulait en venir. Il est vrai que Everyday objects est un premier film, ce qui pourrait expliquer un manque de maturité artistique, mais le problème est ailleurs. Après coup, j'ai lu les rares critiques disponibles en français: on y dit que le long-métrage aborde la question de l'attente, mais aussi celle d'une possible trahison d'un amant, peu concerné par la relation affective et dès lors oublieux de sa compagne. Admettons. L'ennui dans tout ça, c'est que je n'ai ressenti aucune véritable empathie dans cette petite heure et quart de cinéma. J'ai même eu l'impression de regarder un univers tourner à vide, dans un non-rythme absolu. Quand Merle s'encanaille et quitte la maison, ses aventures nocturnes avec d'autres gens ne m'ont guère intéressé. Bon, voilà, tant pis...

Everyday objects
Film allemand de Nicolas Wackerbarth (2013)

Combien serons-nous à avoir regardé ce curieux long-métrage diffusé au tout début du mois ? Peu, j'imagine. Je ne vais pas renoncer à voir d'autres films allemands - et sûrement y reviendrai-je dans un futur proche. Je vous laisse aussi parcourir mon index "Cinéma du monde" pour avoir d'autres idées. Là, après le délire Near death experience au cinéma, j'ai encore eu du mal à apprécier un personnage solitaire.

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Ah... une petite précision, tout de même...
Halbschatten, en allemand, ça veut dire "Pénombre, opacité". J'arrive difficilement à faire le lien avec Everyday objects, objets quotidiens du titre en France. Le sous-titre Arte, lui, proposait "Clair obscur"...

samedi 25 octobre 2014

Occasions manquées

J'en ai parlé ici dès le mois d'août. J'attendais impatiemment la sortie de 3 coeurs, le nouveau film de Benoît Jacquot. Je me rends compte que j'en attendais trop: il s'avère que le long-métrage n'a pas trouvé en moi l'écho escompté. Malgré d'évidentes qualités, il m'a déçu. Proposer une énième variation cinématographique sur la figure classique du triangle amoureux n'a pas suffi à combler mes espoirs...

J'absous tout de suite celui qui m'a attiré vers le film: dans un rôle dramatique taillé pour lui, Benoît Poelvoorde m'est apparu aussi juste qu'à l'accoutumée. Ses silences sont glaçants: je crois bien difficile d'être insensible à l'émotion que le Belge dégage dans ces séquences de jeu muet. J'ai aussitôt adhéré aux tourments de son personnage. Marc Beaulieu est contrôleur fiscal. Au terme d'un bref déplacement professionnel dans la Drôme, il rate le train du retour vers Paris. Contraint à dormir sur place, il se met donc à la recherche d'un hôtel. C'est alors que le hasard place une femme sur son chemin: descendue acheter des cigarettes, Sylvie le renseigne et accepte de passer quelques instants avec lui. Il fait jour quand les deux inconnus achèvent leur déambulation citadine. Ils se promettent de se revoir rapidement, mais le destin en décide autrement. Une autre femme entre en jeu, Sophie, la soeur de Sylvie. À vous de voir comment...

Sylvie, c'est Charlotte Gainsbourg. Chiara Mastroianni incarne Sophie. J'ai bien aimé le jeu de la seconde, touchante, d'une vraie sensibilité. J'ai en revanche trouvé que la première tombait dans l'outrance. Malgré la réelle violence des sentiments, la manière dont on aborde ici la passion amoureuse m'est assez souvent apparue maladroite. Cela tient finalement à de petites choses: le ton funèbre d'une bande originale appuyée ou l'irruption soudaine d'une voix off surabondante. 3 coeurs n'est pas un mauvais film: j'y ai donc vu de belles choses dans le jeu du duo Poelvoorde / Mastroianni, ainsi qu'une photo maîtrisée, portée par une série de plans assez joliment composés. Malheureusement, quelques maladresses formelles m'ont parfois fait sortir de cette histoire et, plus grave, m'ont presque rendu indifférent au sort des protagonistes. C'est bien dommage, je trouve. Mon idée persistante aujourd'hui, c'est d'être passé à côté d'un très grand film.

3 coeurs
Film français de Benoît Jacquot (2014)

Je reste assez généreux dans ma notation, car je pense qu'il y a là beaucoup de choses qui pourront vraiment plaire à d'autres que moi. C'est bien possible que je devienne assez exigeant, pour être franc. Maintenant, sans forcément remonter jusqu'à Jules et Jim, je crois pouvoir recommander d'autres triangles amoureux de cinéma. Celui qui m'a le plus saisi ces dernières années reste sûrement Two lovers.

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Je ne suis visiblement pas le seul déçu...
Pascale ("Sur la route du cinéma") n'a vraiment pas adhéré au film. Une même amertume est perceptible sur "Le blog de Dasola". L'avis émis sur "Le blog de Tinalakiller" est lui aussi semblable au mien. "Chez Sentinelle", le site d'une toute nouvelle commentatrice, évoque aussi des regrets. J'avais sincèrement espéré une autre unanimité...

jeudi 23 octobre 2014

Vortex

Vous le savez peut-être: je suis tellement fou de cinéma que je tiens quelques statistiques sur ce que je regarde, en termes de nationalités et d'époques notamment. Je fais aussi le compte précis des films découverts et de ceux que je revois. Et je ne sais plus vraiment comment classer Un jour sans fin. Disons que que je croyais avoir déjà croisé son chemin, mais qu'alors, je l'avais largement oublié...

Pour ceux qui n'en connaissent rien, je dirai que le film raconte l'histoire de Phil Connors, un journaliste météo chargé annuellement de couvrir un événement saisonnier kitschissime dans une petite ville de l'Amérique profonde: le très fameux... Jour de la Marmotte. L'observation d'un mammifère est alors censée permettre d'envisager si l'hiver va durer ou non. Connors a deux soucis: garder un semblant de motivation pour ce reportage à la noix n'est que le premier. L'autre survient quand il se réveille le lendemain, une fois sa mission accomplie: la même fichue journée recommence à l'identique ! Quelque chose s'est détraqué dans le continuum espace-temps. J'imagine que vous pouvez comprendre seuls les conséquences fâcheuses induites sur l'humeur du déjà très irascible Phil. Évidemment, l'idée est de montrer comment il va réussir à se calmer. Un jour sans fin, c'est logique, prend tout son temps pour avancer...

C'est sans aucun doute avec ce film que Bill Murray a bâti sa notoriété de râleur sympathique. Absurde et fantastique, le long-métrage tourne assez vite à la comédie romantique, quand le cynisme du clown laisse place à un sentiment amoureux pour une consoeur reporter. Andie MacDowell assume plutôt bien ce rôle de premier personnage féminin, mais reste un peu en retrait de son alter ego masculin. Mignon, mais pas folichon sur le plan technique, Un jour sans fin reste une sucrerie qui a su trouver son public. Certains s'amusent même à imaginer le nombre de jours où Connors est resté coincé dans son vortex calendaire. D'autres voient dans son parcours immobile une belle illustration de la logique bouddhiste: il faut prendre l'autre comme il est pour vivre et être heureux. La réussite du film, c'est de savoir garder un bel équilibre, sans être gnangnan. Ne soyez pas timides... vous reprendrez bien un peu de guimauve ?

Un jour sans fin
Film américain de Harold Ramis (1993)
Ce genre de productions ne change assurément pas la face du monde. J'en suis amateur, cela dit: j'apprécie tout particulièrement le côté simple, détaché de prétention et de vulgarité. Je compare cet opus avec les classiques des années 80, et par exemple S.O.S. fantômes. Harold Ramis y est scénariste et acteur, aux côtés de... Bill Murray déjà, en 1984. J'ai aussi aimé Bill dans le mésestimé Broken flowers.

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Eux aussi parlent du film...

Elle et lui, les rédacteurs de "L'oeil sur l'écran", l'ont beaucoup aimé. Même constat chez Aelezig, de "Mon cinéma, jour après jour". 

mardi 21 octobre 2014

Solitaire, opportuniste

Les quelques jours que mon père a passés chez moi dernièrement m'ont offert une occasion de regarder avec lui un film de notre idole commune: ce bon vieux Clint Eastwood. Une précision s'impose immédiatement: sur Joe Kidd, Clintounet est crédité pour son travail devant la caméra, point barre. Certains assurent qu'il avait pris l'ascendant sur John Sturges, mais il n'est pas cité comme réalisateur.

Sauf très improbable retour au genre, Joe Kidd devrait donc rester dans l'histoire du cinéma comme le dernier western avec Eastwood, tourné sous la direction d'un autre cinéaste. Le film semble malaimé. L'intrigue, c'est vrai, est assez basique: deux camps se font la guerre pour la possession d'une terre, riches Américains d'un côté, Mexicains pauvres de l'autre. Clint/Joe, lui, serait plutôt du genre indépendant. Prisonnier des Yankees d'abord, il leur vient en aide, juste pour saisir l'occasion d'une libération anticipée. Il change de cap dès qu'il se rend compte que son prétendu sauveur est en fait une canaille. Et il joue très vite en solo, aussitôt qu'il constate que le chef des Hispaniques révoltés ne vaut pas beaucoup mieux. Linéaire, le scénario carbure franchement à l'ordinaire. N'en attendez pas de véritables surprises...

Solitaire et opportuniste, Clint Eastwood l'est donc toujours. J'ajoute qu'ici, il est plutôt bien entouré. Je dois admettre que je n'ai reconnu aucun des acteurs de second plan, mais j'ai trouvé qu'ils avaient tous la tête de l'emploi, y compris pour les rares rôles féminins. À l'heure du générique final, j'ai constaté que le "grand méchant" était incarné par Robert Duvall, que je n'avais pas reconnu non plus - mea culpa. Sur le plan formel, le film a une qualité: il ne traîne pas en longueur. Une heure et demie lui suffit pour livrer la marchandise et nous offrir un morceau de bravoure, avec un train qui traverse un saloon ! Quelque part, en regardant Joe Kidd, j'ai pensé que les Amerloques voulaient récupérer à leur compte une part du vitriol que les Italiens ont mis dans le western. Le résultat est bancal, mais pas déplaisant.

Joe Kidd
Film américain de John Sturges (1972)

Bon, évidemment, venu du gars qui avait réalisé La grande évasion et Les sept mercenaires, on était en droit d'attendre mieux. Personnellement, je me contente assez bien de ce type de westerns de seconde zone, surtout en les replaçant dans la filmographie eastwoodienne: bien meilleur, L'homme des hautes plaines arrive l'année suivante, soit trois ans avant Josey Wales hors-la-loi (1976).

dimanche 19 octobre 2014

Chemins

La part des productions américaines parmi les oeuvres cinématographiques que je découvre pourrait descendre cette année sous la barre des 40%. Sans en avoir fait un vrai objectif, je trouve que ce serait sympa, l'illustration en tout cas d'un certain éclectisme dans mes choix. En septembre, c'est ainsi que j'ai regardé Jackie. Tourné aux States, cet inédit a été mon premier film... néerlandais !

Sofie et Daan sont deux soeurs jumelles, chacune d'un caractère marqué, mais aussi différentes qu'il est possible. L'aînée travaille comme une acharnée et a rangé sa vie affective dans un placard. Née dix minutes plus tard, la cadette est assez désorganisée et, mariée avec un homme qui l'infantilise gentiment, voudrait justement avoir un enfant avec lui. Autre particularité: les frangines ont deux papas aimants, mais pas de maman. Présentée comme une hippie américaine, leur génitrice les a abandonnées à l'affection d'un couple de gays. Or, un beau jour, Jackie - c'est son nom - réapparait soudain. Surprises, Sofie et Daan reçoivent un coup de fil: il semble bien qu'elles soient la dernière famille connue d'une pauvre femme soignée dans un hôpital du Nouveau Mexique. Leur mère aurait besoin d'elles pour être admise dans un centre de rééducation. Les soeurs partent aux États-Unis: le début d'un road movie. On aimerait y être !

J'ai déjà dit beaucoup de choses, mais je crois ne vous avoir décrit que les dix premières minutes du film. La suite est assez classique. Malgré sa conclusion étonnante, qui a d'ailleurs pu dérouter une partie du public aux Pays-Bas, Jackie maintient plutôt le cap qu'il s'est fixé au départ. Avalanche de bons sentiments ? Oui, mais pas seulement. Au fil du métrage, vous devriez sourire aussi: le trip de Sofie et Daan n'a rien d'un enfer, mais les filles, habituées à d'autres pistes beaucoup mieux balisées, s'y prennent d'abord assez mal pour tailler la route. Pour jouer ce drôle d'attelage, le trio de comédiennes démontre une complicité intéressante. C'est finalement très logique pour les deux jeunes Bataves, Carice et Jelka van Houten, qui sont également soeurs dans la vie - avis aux fans de séries, la première est Mélisandre, prêtresse rouge de Games of thrones. J'étais content de revoir Holly Hunter dans le rôle-titre. Et même sans son piano...

Jackie
Film américano-néerlandais d'Antoinette Beumer (2012)

Il est probable que vous l'aurez compris: le titre que j'ai choisi aujourd'hui illustre l'idée qu'en retrouvant leur mère, les deux soeurs font mieux que reconstituer leur famille. Recentrées sur elles-mêmes et leurs priorités, elles accomplissent également un chemin spirituel. Je me souviens à présent du gosse d'Un monde parfait, le beau film de Clint Eastwood. Thelma et Louise est une référence plus évidente.

vendredi 17 octobre 2014

Les bannis

Le cinéma est parfois très injuste. Certains films de qualité moyenne passent à la postérité, tandis que d'autres, en dépit de leurs qualités esthétiques et narratives, tombent dans l'oubli. Comrades se classe dans la seconde catégorie. N'eut été la chance et la détermination d'UFO, une société de distribution parisienne, il est plus que probable que je n'aurais jamais eu l'occasion de découvrir ce long-métrage...

Comrades - ou Camarades, en français - s'inspire d'une histoire vraie. Angleterre, comté du Dorset, 1834: sous le joug d'un propriétaire terrien à l'abri des murs de sa propriété, les laboureurs locaux triment d'autant plus fort que leur paye diminue de semaine en semaine. Douze shillings seraient un minimum pour faire vivre une famille. Loveless, Stanfield, Hammett et les autres n'en touchent que huit. Quand ils négocient une petite rallonge, ils tombent finalement à six. C'est ce qui les décide à unir leurs forces, au cours de soirées clandestines, censées démontrer leur solidarité. Sitôt son existence portée à la connaissance des puissants, nobles et ecclésiastiques mêlés, ce proto-syndicat est dissous par la force. Six des hommes engagés, qu'on appellera ensuite les martyrs de Tolpuddle, sont jugés et condamnés à la déportation en Australie. Quasi-féodale, la règle sociale qui s'impose à toutes leurs actions a fait d'eux des proscrits.

Cette "anecdote" historique aurait pu servir de base à un film outrancier, tout gonflé de violence militante. C'est presque l'inverse. Il n'y a que peu de sang versé dans Comrades, tout au plus les pleurs d'un nouveau-né et pas de cris du tout. À l'image du personnage principal, le long-métrage progresse avec une remarquable retenue. Les dialogues sont eux-mêmes très parcimonieux: le réalisateur laisse souvent parler les images, quitte à s'autoriser alors quelques ellipses assez radicales. Il sait aussi prendre son temps, c'est une évidence. Elle est d'autant plus flagrante que, dans le montage que j'ai eu l'opportunité de voir et qui correspond au director's cut, le récit s'étale sur trois heures. Habitué - et amateur - de ce type de fresques cinématographiques, je n'ai jamais trouvé le temps long. Il est bon parfois de ne pas reculer devant un format XXL. Cette histoire particulièrement vaut bien d'être racontée dans toute sa dimension.

Il y a très clairement deux parties, dans Comrades. Sur le plan formel, sans pour autant se renier, le film évolue significativement une fois les bannis arrivés sur le sol australien. Le groupe s'éparpille. Chacun s'adapte comme il le peut à sa nouvelle vie. On arpente alors une terre dont la beauté n'a d'égale que le caractère inhospitalier. Parmi ce que je connais du septième art britannique, je ne vois guère d'autre film qui ait su montrer ce visage de  l'île-continent, ni même de ses hôtes premiers, les Aborigènes. J'ai presque eu l'impression parfois de faire face à un documentaire, dont l'attitude de l'homme blanc serait le vrai sujet. Les nobliaux expatriés ne valent pas mieux que ceux qui sont restés au pays: sur leur chemin d'exil, les paysans du Dorset croiseront leur lot de crétins finis et de brutes épaisses. Pour le spectateur du 21ème siècle, le film est aussi beau qu'édifiant. Décors et costumes composent des images très souvent magnifiques.

Il aura fallu presque dix ans de travail à Bill Douglas pour venir à bout de son idée. Difficultés d'écriture du scénario, conditions de tournage dantesques, très profondes divergences artistiques et relationnelles avec un premier producteur, longs atermoiements sur le montage final... Comrades a bien failli rester inachevé. Il est finalement sorti dans les salles britanniques dans une version reniée par son auteur. Puis, bien que présenté au Festival de Berlin, il a disparu des radars. Mort prématurément en 1991, le réalisateur, lui, n'a jamais inscrit son nom comme référence du cinéma social, aux côtés d'un Ken Loach ou d'un Mike Leigh. Le monde est passé à côté, sans se retourner. Toute tardive qu'elle soit, la démarche qui est menée aujourd'hui réhabilite légitimement un artiste passionné, collectionneur d'objets anciens tous liés aux arts pré-cinématographiques. Le film en montre quelques-uns: c'est une autre des - bonnes - raisons de le voir enfin.

Comrades
Film britannique de Bill Douglas (1987)

J'ai cité Ken Loach: le film pourrait avoir inspiré Jimmy's hall. J'attends de découvrir le prochain Mike Leigh pour en reparler intelligemment quant à son aspect visuel, entre décors et costumes. Devant le film évoqué aujourd'hui, j'ai parfois songé au Barry Lyndon de Stanley Kubrick. Les héros de Bill Douglas ont un comportement bien plus noble, cela dit. J'ai aussi songé à Tess, de Roman Polanski.

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Pour finir, une petite précision historique...
Les martyrs de Tolpuddle devaient passer sept ans en Australie. Finalement, leur cas émut l'opinion publique, au point qu'une pétition lancée pour réclamer leur retour au pays obtint 800.000 signatures ! Cinq des six forçats furent dès lors libérés, après deux années d'exil.

jeudi 16 octobre 2014

Couples de cinéma

Depuis 1980 et Dernier été, Ariane Ascaride a joué 17 des... 18 films de Robert Guédiguian - le cinéaste était devenu son mari en 1975. Cette relation double, artistique et amoureuse, m'a donné envie d'évoquer quelques autres couples de cinéma. Je n'ai pas le sentiment qu'il existe beaucoup d'exemples similaires, en fait. Je sais cependant que vous en avez en tête que je ne citerai pas. À vos commentaires !

Nicole et Tom
Longtemps, Ms. Kidman et Mr. Cruise ont incarné l'image du couple hollywoodien par excellence. On a aussi beaucoup dit qu'ils s'étaient brouillés sur le tournage d'Eyes wide shut, mais il me semble possible que la perversité du scénario de Stanley Kubrick soit parvenu à abuser les cinéphiles. On prête également bien plus d'intelligence à Madame. Elle et Monsieur sont désormais séparés. lls n'ont plus joué ensemble.

Angelina et Brad
La malheureuse Jennifer Aniston ne s'en est pas relevée: quand Pitt est parti dans les bras de Jolie, il a sans doute entendu ses oreilles siffler, mais sa notoriété s'en est finalement accrue. Le duo glamour du Hollywood de 2014 n'apparaît que très rarement réuni à l'écran. L'écho que j'ai eu de leur "performance" dans Mr. & Mrs. Smith laisse penser qu'il vaut peut-être mieux. Je les aime bien, tous les deux.

Simone et Yves
Avec le couple Signoret / Montand, on remonte loin en arrière. D'ailleurs, aussi populaires soient-ils, eux non plus n'ont pas joué souvent ensemble. Le duo a parfois dû devenir un duel, au moment où une certaine Marilyn est entrée dans l'équation. Reste le souvenir de deux comédiens magistraux, même si d'une époque révolue. Quelques films (ici, Les sorcières de Salem) les unissent à jamais.

Charlotte et Yvan
Ils devaient se marier et, finalement, ils sont partis vivre ensemble aux États-Unis, avec leurs trois enfants. Gainsbourg / Attal: il y a assurément des couples moins harmonieux. La chose remarquable dans leur union, c'est qu'elle ne les prive pas de leur personnalité artistique propre. J'apprécie les deux... pour des raisons différentes. C'est drôle: ils ont joué ensemble dans Ma femme est une actrice !

Jodie et Mel
Quel cinéphile n'a pas rêvé de voir les deux Australiens se marier ? L'homosexualité - revendiquée - de Foster rend la chose improbable. Avec Gibson, la plus francophile (et -phone) des actrices-réalisatrices anglo-saxonnes n'en forme pas moins un extraordinaire couple d'amis. C'est d'ailleurs pour sortir son vieux copain de l'ornière que Miss Jodie a conçu Le complexe du castor. Mel est trop embourbé, mais bon...

Katharine et Spencer
Je l'avoue humblement: qu'ils soient réunis ou non, il me reste beaucoup de films à découvrir du duo Hepburn / Tracy. Leur passion était clandestine et adultère, mais elle a duré plus de vingt ans. Ensemble, les amoureux ont tourné neuf fois. Je défie quiconque d'être insensible quand Spencer-Matt raconte "sa" Katharine-Christina dans Devine qui vient dîner ? Là, ce n'est plus vraiment du cinéma...

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Maintenant, permettez-moi d'insister...

J'aimerais beaucoup connaître vos propres couples du septième art.

mercredi 15 octobre 2014

Horizon bouché

Il n'y manque qu'une partie de pétanque ou de belote. L'avantage premier des films de Robert Guédiguian, c'est qu'on est très souvent en terrain connu. À la vie, à la mort ! n'échappe pas à la règle générale: on retrouve un groupe d'amis marseillais, issus des couches les plus modestes de la société et bien entendu plutôt solidaires. Allergiques aux idées du réalisateur, vous passerez votre chemin...

Entre Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Pascale Roberts, Laetitia Pesenti et Jacques Boudet... la troupe d'acteurs, elle aussi, reste inchangée. La principale valeur ajoutée s'incarne en Jacques Gamblin, qui prend ici l'un des rôles de Pierrot lunaire qui ont fait sa réputation. À la vie, à la mort ! brasse allégrement toutes les thématiques de la misère sociale: boulots avilissants et sans avenir, cynisme des patrons, violence conjugale, trafic de drogue... j'en passe et des pires. Ce cinéma combattant prend ici une tonalité funèbre, d'autant plus sombre que le film finit mal pour l'un des personnages. Mais j'en ai peut-être déjà trop dit...

Ce qui est frappant, c'est que, tout orienté qu'il soit, le discours tenu par Robert Guédiguian reste d'une très vive acuité aujourd'hui, 19 ans après que le film a été tourné. Tout au plus aura-t-on des difficultés pour croire à l'existence de ce cabaret, ultime refuge des petites gens en quête de réconfort. Dans une assez jolie scène pleine d'une ironie féroce, le film nous le présente comme un rêve impossible - le réveil est brutal. À la vie, à la mort ! porte bien son titre. On y parle certes du futur et de la possibilité de faire des enfants pour être heureux. Reste la seule beauté du quotidien, la lumière des ferrys qui sortent du port, la nuit, pour prendre le large. À terre, l'horizon est bouché...

À la vie, à la mort !
Film français de Robert Guédiguian (1995)

Dans la filmographie du réalisateur, le film arrive à la sixième place et juste avant le très célèbre Marius et Jeannette. La dynamique reste la même, mais, en 1997, le ton se fera (un peu) plus léger. Poète malgré tout, Robert Guédiguian reste fidèle à ses convictions. J'ai parfois pensé à Riens du tout, le premier long de Cédric Klapisch. L'école française du cinéma social, c'est aussi un peu Dans la cour.

mardi 14 octobre 2014

Les mistons

À plusieurs reprises déjà, j'ai entendu (ou lu) des critiques cinéma présenter Hirokazu Kore-eda comme - je cite - le Truffaut japonais. Flatteuse, la comparaison apparaît même telle quelle sur la jaquette du DVD de I wish - Nos voeux secrets, quatrième des longs-métrages du cinéaste nippon que j'ai eu l'occasion de découvrir. Je la trouve quelque peu mensongère, pour être honnête. Ou disons réductrice...

Bon, c'est vrai: avec I wish - Nos voeux secrets, Kore-eda démontre une fois de plus, comme son modèle supposé, un talent incroyable pour diriger les enfants. Le film leur est entièrement dédié. L'histoire racontée est celle de Koichi et Ryunosuke, les deux fils d'un couple séparé. Koichi vit à Kagoshima avec sa mère, tandis que Ruynosuke est resté avec son père, à Osaka. Si la question géographique acquiert de l'importance dans ce scénario, c'est parce que les villes doivent prochainement être reliées par un train à grande vitesse. C'est assez pour que l'imagination des gosses s'empare de l'événement et suppose qu'un miracle se produira quand deux convois se croiseront sur la ligne. Toute la qualité du film, c'est très précisément de faire d'un rêve de gamin un vrai élément de narration. Il n'est pas interdit de penser que c'est un peu léger. Moi, j'apprécie cette modestie. Personne ne prétend qu'elle soit autre chose qu'idéaliste et rêveuse.

Un tout petit bémol, tout de même: je suis entré un peu moins vite dans cette histoire que dans d'autres signées du même auteur. Objectivement, Kore-eda s'investit pleinement: il est ici réalisateur, donc, mais aussi scénariste et monteur - une sacrée performance ! Maintenant, et sûrement parce que Koichi et Ryunosuke vivent loin l'un de l'autre, il m'a fallu un petit moment avant de m'adapter parfaitement à l'alternance des scènes à Kagoshima et à Osaka. Ensuite, ça n'a plus été qu'un ravissement et je dois bien reconnaître qu'à la fin du métrage, j'étais en réalité assez ému. Une surprise attend même les amateurs de happy ends, mais je ne vous ai rien dit. I wish - Nos voeux secrets (quel titre, franchement !) doit s'apprécier à la hauteur de ses jeunes interprètes, tous formidables. Les adultes n'y sont presque plus que des éléments de décor, vagues présages d'un futur encore lointain. Pas besoin de se précipiter pour grandir...

I wish - Nos voeux secrets
Film japonais de Hirokazu Kore-eda (2011)

Je me demande finalement si le réalisateur n'a pas plus de points communs avec Spielberg qu'avec Truffaut. C'est bien le maître américain qui présidait le jury du Festival de Cannes quand Kore-eda obtint un Prix pour Tel père, tel fils - un film plus profond que celui d'aujourd'hui. Côté sombre, je conseille vivement Nobody knows. Sauf si vous préférez la fantaisie américaine, E.T. ou Les Goonies...

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Maintenant, si vous voulez rester au Japon, vous pouvez lire...
- David: "L'impossible blog ciné",
- Pascale: "Sur la route du cinéma",
- Dasola: "Le blog de Dasola".

Et si vous ne l'avez pas compris...
Mon titre fait lui aussi référence à une oeuvre de François Truffaut. Pour la retrouver, une source: ma rubrique "Courts-métrages".

lundi 13 octobre 2014

Périple en fauteuil

Mission accomplie ! J'ai désormais vu l'ensemble des films du duo Benoît Delépine / Gustave Kervern. J'ai fini par le début et regardé Aaltra, leur tout premier opus, il y a maintenant quelques semaines. Le hasard est généreux: cela fait jour pour jour dix ans aujourd'hui que les Grolandais ont envahi les écrans des salles de cinéma français. Ce film-là était d'abord passé par la Belgique. Sans blague.

Aaltra m'a vraiment plu. Le fait qu'il ait été tourné en noir et blanc pourrait décevoir, mais c'est finalement tout le contraire: ce choix renforce encore son incongruité. Il est ici question de deux voisins ennemis: l'un, cadre dans son costard-cravate de rigueur, vient juste d'être viré, tandis que l'autre, agriculteur en Marcel blanc, flemmarde allégrement alors qu'il est censé moissonner. Une vague histoire d'inimitié campagnarde va causer une bagarre entre les deux larrons. Un accident plus tard, les voilà tous les deux paraplégiques et, pire, condamnés à s'entendre pour cheminer de concert vers la Finlande. Objectif affiché: récupérer une indemnisation auprès du constructeur qui a fabriqué la remorque qu'ils ont prise sur le coin du museau ! Farfelu, vous avez dit farfelu ? Je confirme. Et parce que Ben et Gus n'ont peur de rien, une partie des - rares - dialogues est en flamand ou en finnois, mais sans aucun sous-titre. Le cinéma est voyage...

Les habitués des deux fous évolueront toutefois en terrain familier. Pour ce premier essai, Delépine et Kervern restent les personnages principaux de leur drôle d'aventure. Ils ont également cru bon d'inviter quelques-uns de leurs fidèles amis pour amuser la galerie. Bingo ! Personnellement, j'aime ces caméos. Benoît Poelvoorde s'offre ainsi un énième rôle de crétin prétentieux, avec sa voix reconnaissable entre mille, mais le dos tourné à la caméra. Bouli Lanners, lui, chante Sunny de Boney M comme vous ne l'avez sans doute jamais entendu. Finlande oblige, vous pourrez aussi compter sur une apparition tardive et drolatique... d'Aki Kaurismäki ! Le cinéaste d'Orimattila fait partie des références affichées de ses hôtes français: son humour nordique colle bien avec celui d'Aaltra. Comme d'autres qui lui sont personnels, le périple que propose le long-métrage ouvre une fenêtre sur une Europe méconnue. Personne ne vous oblige à en rentrer tôt.

Aaltra
Film franco-belge de B. Delépine et G. Kervern (2004)

Deux mecs en fauteuil roulant sur les routes du nord pour obtenir quelque argent: ce genre de road movie improbable peut rappeler d'autres folies, comme Leningrad Cowboys go America, bien sûr. Kaurismäki, Delépine / Kervern, même combat ? Possible. Le film présenté aujourd'hui n'a pas véritablement la tonalité sociale de ceux qui suivront - Louise-Michel, Le grand soir. J'ai rigolé quand même.

dimanche 12 octobre 2014

Quatre saisons

Son prochain film sortira le 3 décembre dans les cinémas français. Mike Leigh est un vieux routier du cinéma anglais, venu présenter cinq de ses oeuvres au Festival de Cannes - ce qui lui valut d'ailleurs d'obtenir la Palme d'or en 1996. Another year, son treizième opus pour le grand écran, n'a décroché "que" la Mention spéciale du jury oecuménique, en 2010. Ce qui ne l'empêche pas d'être intéressant...

Another year, c'est tout d'abord l'histoire de Tom et Gerri, un couple de quinquagénaires londoniens, au niveau de vie assez confortable. Monsieur est ingénieur, Madame psychologue. Ils ont eu un fils, Joe, trente ans tout juste, célibataire endurci et visiteur très régulier. C'est une évidence: Tom et Gerri aiment recevoir et comptent d'innombrables vieux amis. La plus fidèle est Mary, une secrétaire médicale au coeur d'artichaut. Sa grande spécialité est d'affirmer qu'elle va parfaitement bien tout en ayant l'air tout à fait déprimée. Sans révolutionner le cinéma d'auteur, Mike Leigh filme joliment cette petite communauté, découpant son film en quatre chapitres saisonniers. Le scénario, quant à lui, nous place au tout premier rang pour observer le délitement des relations. Âmes sensibles, s'abstenir.

Autant le dire franchement: le long-métrage est plutôt bavard. Sachant qu'en plus, il dépasse les deux heures, je veux bien croire que certains d'entre vous trouveront le temps long. Reste qu'il y a véritablement de belles choses dans Another year. La plus flagrante est liée aux comédiens: chacun joue admirablement sa partition propre, tout en laissant vivre les autres, en harmonie ou contrepoint. C'est typiquement le genre de films à voir en version anglaise ! Nommé à l'Oscar du meilleur scénario original, il reste très accessible au public français et francophone, ce qui se passe chez Tom et Gerri pouvant tout à fait correspondre à nos vies d'Européens ordinaires. Mike Leigh n'est pas un moraliste: il laisse donc chacun libre d'aimer plus ou moins tel ou tel personnage... et d'en conclure ce qu'il voudra.

Another year
Film britannique de Mike Leigh (2010)

Du côté de l'Amérique, il faudrait peut-être bien compter sur le talent d'un Woody Allen pour raconter ce genre d'histoire - le résultat final serait probablement différent, cela dit, plus névrotique, à mon avis. Autant dire que le style de Mike Leigh n'appartient qu'à lui-même ! J'ai retrouvé ici un peu de la finesse d'observation déjà appréciée dans Secrets et mensonges, la fameuse Palme d'or, ou dans Naked...

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Et qu'en pensent mes petits camarades ?

David cite le film dans son top de 2010 - cf. "L'impossible blog ciné". Les rédacteurs de "L'oeil sur l'écran" l'ont beaucoup aimé - et trouvé plus optimiste que moi. Dasola explique avoir eu une surprise agréable (cf. "Le blog de Dasola"). Pascale ("Sur la route du cinéma") y voit en revanche de la soupe tiède. Bref, c'est vraiment contrasté...

vendredi 10 octobre 2014

Musique et réconfort

Gretta vit en Angleterre et écrit des chansons pour son seul plaisir. Elle est venue à New York avec Dave, son petit ami, en négociation pour signer avec un label et enregistrer un album. Quelques jours passent: le boyfriend part en tournée avec ses nouveaux patrons. Quand il revient avec un morceau inédit, Gretta comprend aussitôt qu'il l'a trompée. New York melody démarre ainsi avec une rupture...

En fait, c'est un peu plus compliqué, mais je vous laisserai découvrir comment la jeune femme va rencontrer Dan, un producteur musical qu'une série d'échecs, tant professionnels qu'intimes, a rendu aigri. Autant vous le dire: New York melody ne se distingue pas vraiment par son originalité scénaristique. C'est à vrai dire sur le plan formel qu'il est parvenu à m'embarquer avec lui. La bande originale y est pour beaucoup, évidemment, d'autant qu'elle est quasiment continue. Le long-métrage est aussi un hymne à la ville, qu'on a certes déjà vue d'innombrables autres fois au cinéma, mais qui demeure un décor d'une incontestable efficacité visuelle. Ensuite, pour être honnête jusqu'au bout, je vous dirai qu'elle m'a bien plu, cette petite histoire. Quelques longueurs ici et là ne sont pas venues à bout de son charme.

Côté distribution, les fans, midinettes assumées et autres groupies hystériques, filles ou garçons, auront sûrement reconnu Adam Levine. Le leader des Maroon 5 n'a pas le beau rôle ! Il s'en sort cependant avec les honneurs, pour ce qui est sa première apparition au cinéma. Mark Ruffalo, lui, a plus d'expérience, c'est évident: je l'ai trouvé comme je l'espérais, juste, impliqué dans son rôle, convaincant. Malheureusement, Keira Knightley n'est pas à la hauteur: elle surjoue assez souvent, ses mimiques venant alors contredire son personnage de jeune femme peu sûre d'elle. Bon... j'ai fait avec, malgré tout. C'est même sans retenue que j'ai "sympathisé" avec les rôles secondaires, joués notamment par Hailee Steinfeld, Catherine Keener et James Corden. Elle reste plutôt cool, cette New York melody...

New York melody
Film américain de John Carney (2014)

Surtout, n'allez pas chercher là-dedans quelque chose de réaliste ! Vous verrez un groupe musical se former et trouver illico un terrain d'entente artistique pour s'envoler vers le succès: c'est inconcevable ! Après, n'oubliez pas une chose: c'est du ci-né-ma ! J'avais adhéré encore plus fort au très improbable Happiness therapy. Et je rappelle à toutes fins utiles que John Carney a aussi réalisé le très joli Once...

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Pour conclure, je vous signale un avis différent du mien...

Il est signé Pascale ("Sur la route du cinéma") et dur avec le casting.

mercredi 8 octobre 2014

Solidaires

Matthew Warchus ? Ce nom m'était encore inconnu il y a un mois. Depuis, j'ai découvert Pride, le second film de ce cinéaste, et j'ai cru comprendre que le Britannique était surtout un homme de théâtre. Quinze ans auront en effet passé entre ses deux réalisations cinéma. Pourtant, son oeuvre 2014 ne dénote pas face à celles de réalisateurs plus réguliers, en digne représentante du cinéma social à l'anglaise...

Il faut dire que le sujet est bon ! Le film nous ramène en 1984-85. Alors que le gouvernement Thatcher compte fermer certaines mines britanniques, la résistance s'organise pour maintenir cette activité économique, indispensable à la survie de certains petits villages. Ailleurs dans le pays, des comités de soutien se mettent en place. L'un d'eux, à Londres, est créé à l'initiative de militants (et -tantes) des droits de la communauté homosexuelle. Avec beaucoup d'humour et sur un rythme endiablé, Pride rappelle ce geste de solidarité étonnant, qui a de fait dérouté jusqu'à ses premiers bénéficiaires. Évidemment, cinéma oblige, le ton du long-métrage est 100% positif. En dépit des difficultés, les bons sentiments l'emportent et tout finit toujours par s'arranger au mieux. Un peu d'utopie, ça fait pas d'mal !

Si j'ai si facilement adhéré au propos, c'est parce que le film va droit au but. Pas de digressions: dès les premières images, on est plongé dans le vif du sujet et, même si la fin est prévisible, les péripéties s'enchaînent sans temps mort. L'un des grandes qualités de Pride repose sur la multiplicité de ses protagonistes: du côté des mineurs comme dans les rangs des homos, tous ont voix au chapitre d'un bout à l'autre de l'histoire. Mieux, parce qu'il s'appuie sur des personnages réels, le long-métrage n'oublie pas son contexte historique, évoquant notamment de manière subtile le début des années Sida. Je conseille à tout le monde d'aller voir le résultat, porté par l'espoir d'un monde meilleur. Le discours n'est donc jamais plombant, ni moralisateur. J'ose penser que vous pourriez bien ressortir... avec un grand sourire.

Pride
Film britannique de Matthew Warchus (2014)

Ken Loach et Mike Leigh font des émules: la jeune classe du cinéma britannique n'a pas à rougir de ses oeuvres sociales. Si vous préférez en rire qu'en pleurer, ce que je comprends tout à fait, plusieurs films pourraient tout aussi bien vous convenir: The full monty, le pionnier du genre en 1997, Les virtuoses ou, pour citer au moins un exemple présenté sur le blog, We want sex equality. Une liste non exhaustive.

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Je conclus en allant voir ailleurs...
Je note ainsi qu'on parle du film sur "La cinémathèque de Phil Siné". Pascale, de "Sur la route du cinéma", y va elle aussi de sa chronique. Même chose sur "Le blog de Dasola", avec un texte enthousiaste. Dernière venue, sauf erreur: Tina sur "Le blog de Tinalakiller".