mardi 31 août 2021

Après son départ

Trois en 2017, deux en 2018, deux encore en 2019 et trois l'année dernière: chaque millésime, j'essaye de voir quelques films africains. C'est peu après la mi-juillet que j'ai découvert Abouna, premier opus du réalisateur tchadien Mahamat-Saleh Haroun (déjà cité sur le blog). Le titre peut être traduit Notre père, sans la connotation religieuse...

Le père dont il est question est celui de Tahir et Amine, deux enfants tchadiens. En quittant son village un jour, il les a laissés derrière lui. Leur mère, elle, n'a pas eu d'autre choix que de confier leur éducation au responsable d'une école coranique. Si le plus âgé des deux frères paraît plus raisonnable, cette double séparation est aussi douloureuse à vivre pour lui que pour son cadet. Le film nous montre dès lors comment ces deux mômes s'en sortent... ou pas, sans leurs parents. Autant vous le dire: Abouna est un film "doux", mais pas angélique. Dans une interview aux Cahiers du cinéma en 2003, le réalisateur assure que raconter cette histoire "rejoint des questions sur l'Afrique tout entière et répond à (son) unique préoccupation: filmer la vie". Croyez-moi: ce long-métrage d'une heure trente vaut bien le détour. Je retiens une formule que j'ai lue après coup: il parle de la tragédie d'une vie, sans jamais se contenter d'en faire un drame. Bon résumé ! Le cadre subsaharien m'a rendu curieux, mais je crois que l'histoire reste de portée universelle. À vous de voir, si vous en avez l'occasion.

Abouna
Film franco-tchadien de Mahamat-Saleh Haroun (2002)

Je crois vraiment ce film accessible à tous, adultes et adolescents. Disons en tout cas qu'il est certes un peu triste, oui, mais très beau. En Afrique toujours, Wallay est peut-être moins "dur à encaisser" pour les plus jeunes. Vous êtes prêts à vous frotter à un autre récit d'enfants oubliés par leur père ? Je vous suggère Le retour: ce film russe est la (possible) seconde partie d'un diptyque avec celui du jour.

lundi 30 août 2021

Jeux de dupes

"Mes collaborateurs et moi-même n’avons eu qu’à lire les journaux pour trouver des éléments de documentation passionnants": j'ouvre ce billet avec une citation de Federico Fellini, liée à La dolce vita. Aujourd'hui perçu comme un classique, ce grand film italien était loin de faire consensus à sa sortie. Un autre temps... et d'autres moeurs !

Mai 1960: le film obtient la Palme d'or du 13ème Festival de Cannes. Présidé par Georges Simenon, le jury, lui, est unanime à ses côtés. Peut-être a-t-il été sensible au ton nouveau de ce long-métrage transalpin, très nettement détaché du courant néoréaliste dominant des productions d'après-guerre. OK, mais de quelle "douceur de vivre" parle-t-on exactement ? De celle qui attire les trentenaires italiens d'alors qui, à l'image du personnage de Marcello Mastroianni, veulent oublier les années fascistes et vivre une vie sans véritable contrainte. Évidemment, un tel propos dans l'Italie de l'époque, ça décoiffait ! Là-bas, le film fut interdit aux moins de 18 ans ! Et en France aussi...

Période de renouveau économique oblige, les jeunes gens des villes avaient pourtant quelques bonnes raisons de croire en leur avenir. Federico Fellini nous explique que, pour certains, revenir à la réalité quotidienne a pu s'avérer tout à fait brutal (et même parfois cruel). Ainsi, en une petite dizaine de séquences, La dolce vita montre-t-il que, malgré sa grande assurance et le charisme qu'il se croit capable d'imposer aux autres, son héros reste un homme très seul et enfermé dans sa misère affective. Marcello Mastroianni ? Il est excellent. Cependant, il serait bien injuste de réduire le film à cette prestation d'acteur: d'autres personnages sont superbement écrits et interprétés par une troupe de haute volée - dont Anouk Aimée, Yvonne Furneaux et Alain Cuny côté français. Les valeurs morales des sociétés latines ont sans nul doute évolué depuis, mais je trouve que le long-métrage demeure très moderne, notamment dans ce qu'il dit des conséquences d'un changement de génération ou des relations hommes-femmes. Deux grands sujets intemporels... et un film à voir ou à revoir, donc !

La dolce vita
Film italien de Federico Fellini (1960)

Vous aurez remarqué que je n'ai pas utilisé le mot "chef d'oeuvre". C'est évidemment volontaire: je me méfie de ce genre d'assertions. Disons que j'ai vu un grand film, assurément, et des plus importants dans le contexte cinématographique italien. Sur les conséquences négatives de l'essor économique, Il boom m'est apparu plus cinglant. On peut en rire avec Larmes de joie: le septième art à son plus haut !

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Sur le film du jour, pour finir...

Je vous recommande l'analyse de Strum (qui parle d'un film-monde). La chronique de "L'oeil sur l'écran" semble un peu moins enthousiaste.

dimanche 29 août 2021

Retour à terre...

Bonjour à toutes et à tous ! J'espère que vous allez bien ! Ma coupure saisonnière étant terminée, je reviens parler de cinéma avec vous. Mes prochaines chroniques seront quotidiennes, je pense, et j'espère que je pourrai écrire sans autre (longue) interruption jusqu'aux fêtes de décembre. Vous devez savoir que je suis attaché à cette "routine". J'ignore, moi, quels plaisirs et émotions 2021 nous proposera encore. Contrairement à d'autres millésimes passés et plus stables sur le plan sanitaire, je n'ai pas réellement souhaité anticiper sur le programme à venir. Cela ne m'empêchera pas de vous retrouver dès demain midi autour de mon 90ème film de l'année. Et je vous dis donc à très vite !

dimanche 8 août 2021

Hissez haut !

Un aveu: j'avais pensé couper plus tôt, mais c'est en fait aujourd'hui que je mets les voiles (façon de parler...) pour une pause estivale. J'ai un peu moins écrit au cours de juillet et Mille et une bobines restera donc à l'arrêt, sauf imprévu, ces trois prochaines semaines. L'année dernière, c'est déjà en août que j'avais vu le moins de films et, bien sûr, je parlerai à mon retour de ceux que je verrai cet été. Je souhaite bon courage à celles et ceux qui travaillent ce mois-ci. Les salles et séances plein air sauront peut-être vous faire patienter jusqu'à la reprise, sans vague à l'âme lié à ma propre inactivité blog. Quoi qu'il en soit, je tiens le cap vers l'ailleurs - et vous dis à bientôt !

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Mise à jour (mercredi 18, 16h05):

J'ai pris le temps, hier, de répondre à vos derniers commentaires. Mes index - à droite - sont à jour. Mais mon retour aux chroniques reste programmé au dimanche 29 ! Je vous espère donc patient(e)s...

vendredi 6 août 2021

Annette par Estelle

Je souhaite revenir aujourd'hui sur Annette, le film évoqué avant-hier. Ne lisez pas la suite si vous ne l'avez pas vu: j'en dévoile un aspect important... que j'ai moi-même découvert quelques jours avant d'aller voir le film dans une salle de cinéma, sur un bel écran...

Si Annette, protagoniste du film, est bel et bien censée être l'enfant d'Ann (Marion Cotillard) et Henry (Adam Driver), sa "réalité" à l'image est celle... d'une marionnette, conçue à la demande de Leos Carax. Pas celle de la photo, bien sûr: la conceptrice de cet étonnant objet pose ici avec une autre de ses créations.  J'ai eu la chance d'échanger avec Estelle Charlier, qui a cofondé la compagnie iséroise La Pendue. Et voici donc ce qu'elle m'a raconté sur son travail autour d'Annette...

Comment avez-vous rencontré Leos Carax pour la première fois ?

Lui travaillait depuis un moment sur l'idée du personnage. Annette ne pouvait pas être une vraie petite fille et il ne souhaitait pas utiliser une image de synthèse ou un robot. Il tenait à utiliser un objet que les acteurs pourraient toucher et prendre dans leurs bras. Il s'est donc décidé pour une marionnette. En novembre 2016, j'ai été contactée : il cherchait plutôt des manipulateurs que des constructeurs, à cette époque, mais sans avoir encore choisi ce que serait le visage d'Annette. Il avait simplement les photos d'une enfant, qui m'ont beaucoup touchée. Je lui ai donc proposé de faire un essai de sculpture. C'est ainsi que nous avons commencé à travailler ensemble.

Et ç'a été un travail au long cours…
Un projet énorme : il y a plusieurs expressions du visage, plusieurs marionnettes, plusieurs âges et plusieurs types de manipulation. Mon complice, Romuald Collinet, a intégré l'équipe en janvier 2017. Le film aurait dû être tourné cette année-là, mais on a été interrompu après quatre mois. Finalement, le projet a été relancé en 2019, avec une autre production : c'est donc un projet au long cours, en effet, mais plus encore pour Leos Carax. Entre le moment où il a commencé à y penser et la sortie du film, si je ne dis pas de bêtises, il s'est passé sept ou huit ans…

Et vous n'aviez donc que les photos d'une petite fille comme base de travail ! C'est celle que l'on voit dans le film, Devyn McDowell ?
Non : Devyn a été choisie au début du tournage, quand la plupart des marionnettes avaient déjà été construites. Au départ, j'avais les photos d'une autre petite fille ukrainienne que Leos avait rencontrée il y a une vingtaine d'années. Son visage fascinant, très candide et un peu maladif, était très inspirant. J'ai essayé de retranscrire l'émotion qui s'en dégage en sculptant les visages.

Aviez-vous aussi revu les autres films de Leos Carax pour vous inspirer ?
Je les ai revus pour moi et j'en ai profité pour voir le premier, que je n'avais pas pu découvrir jusqu'alors. Je me suis surtout concentrée sur les consignes de Leos, qui avait une idée assez précise du personnage d'Annette. Nous avons eu énormément de discussions pour savoir jusqu'à quel point nous assumions la marionnette. Fallait-il, par exemple, voir ses articulations ou pas ? Quelle peau devions-nous lui donner ? Moi qui travaille pour le théâtre, j'utilise beaucoup le grain, les aspérités, les défauts… car c'est cela, je pense, qui crée l'étincelle de l'émotion. C'est dans les défauts que la marionnette prend vie. Leos a beaucoup aimé les premiers essais, mais le cinéma a fait que nous avons dû uniformiser la peau pour permettre les raccords entre les différents plans. De plus, la marionnette a plusieurs âges, avec toujours des expressions associées : on utilise donc des masques différents pour montrer un sourire extatique, une inquiétude, un endormissement, par exemple. On a essayé une peau très lisse, et réaliste comme celle d'un être humain, mais, à chaque fois, on perdait Annette…

Que de contraintes !
Effectivement. Leos ne voulait surtout pas tomber dans ce qu'on appelle la vallée de l'étrange. C’est une théorie robotique japonaise qui décrit la répulsion, le sentiment d'angoisse qu'on ressent face à un robot à l'apparence trop humaine. Or, il fallait au contraire qu'Annette soit attachante dès le premier regard et donc que nous trouvions le juste degré de réalisme pour qu'elle puisse fonctionner avec les acteurs et vivre à côté d'eux. C'est la problématique d'Annette : elle ne vit pas dans un monde de marionnettes.

Pour autant, il ne fallait donc pas créer quelque chose de trop réel…
Non, mais au début, ce n'était pas si facile. Leos souhaitait que la marionnette soit habillée le moins possible dans certaines scènes, presque nue avec juste une couche, par exemple. C'était un vrai problème pour nous, compte tenu de ses articulations ! Les conditions d'assemblage étaient vraiment compliquées. Nous étions aussi manipulateurs et, lors du tournage, il fallait être en mesure de changer les costumes et les expressions du visage rapidement. Dès qu'on lui mettait une autre robe, nous devions changer les tiges, dégonder les bras…

D'où la nécessité pour vous d'être rapides et efficaces. Ce n'était évidemment pas possible d'attendre quelques jours pour que la marionnette soit prête…
Exactement ! C'est pourquoi nous avons opté pour une technique de changements de masque. Sur l'arrière du crâne, l'implantation des cheveux était très longue : avec 15 masques d'expression différents, on ne pouvait pas faire 15 implantations. La construction d'Annette a pris beaucoup de temps, jusqu'au dernier jour du tournage. Nous utilisions un atelier portatif, avec toute une équipe derrière nous pour assumer ce travail.

Fallait-il également que la marionnette ressemble à Marion Cotillard et/ou à Adam Driver ?
Non. Marion est arrivée assez tard : je n'avais pas du tout ses traits en tête, au départ. J'avais quelques photos d'Adam, mais les suivre n'était pas véritablement la consigne. Il s'agissait plutôt de s'inspirer de cette petite fille que Leos avait connue. Lui voulait qu'Annette soit féminine, drolatique, attachante, un être spécial au charme particulier… et créer ainsi une marionnette poétique. C'est plutôt de cela que l'on discutait ensemble.

On imagine que le tournage a aussi été un gros défi en termes de manipulation…
En effet : il y a une quarantaine de séquences avec la marionnette, avec, à chaque fois, une manipulation différente. Romuald Collinet s'est chargé de concevoir une "sur-marionnette", c'est-à-dire une marionnette en kit, avec plusieurs bustes, plusieurs bras, plusieurs pieds, plusieurs positions des mains, plusieurs systèmes de manipulation… auxquels sont associés les différents masques. Cela nous apportait une grande liberté ! Leos se laisse la possibilité d'expérimenter jusqu'au dernier moment. Nous savions que ces décisions tombaient parfois à la toute dernière minute, et nous essayions de lui proposer un panel de possibilités dans lequel il a pu choisir ce qu'il voulait. N'ayant jamais travaillé pour le cinéma, nous n'avions pas forcément conscience de ses exigences et de son timing. L'équipe de tournage, elle non plus, n'avait jamais eu affaire à des marionnettes. Elle s'est montrée très ouverte et à l'écoute de nos contraintes. On a composé avec celles des deux mondes…

Pris par le film, on oublie presque qu'Annette est une marionnette. Y a-t-il eu un travail en posproduction pour "effacer" certaines choses trop visibles ?
Leos voulait qu'il soit le plus réduit possible. Nous étions cachés dans les décors, et quand cela n'était pas possible, nous utilisions les fonds verts ou bleus, avant d'être "effacés" numériquement. Après, il y a aussi pas mal de scènes où Annette est manipulée par les acteurs. Comme nous n'avions pas beaucoup de temps à passer avec eux, nous préparions les scènes entre manipulateurs, en amont, pour arriver avec quelque chose d'assez écrit, avant que les comédiens se l'approprient et l'adaptent à leur propre jeu.

Du coup, on ne vous voit pas du tout dans le film ?
Non. On nous aperçoit malgré tout lors du générique final. Nous sommes quatre manipulateurs à apparaître avec chacun une marionnette dans les bras. Toute cette expérience a été très intense et magnifique. C'est un évènement historique pour l'art de la marionnette qu'un réalisateur comme Leos Carax donne un de ses rôles principaux à une marionnette. C'était un pari risqué. Cette marionnette donne à tout le film une merveilleuse étrangeté et une poésie incomparable.

Et les acteurs ? Eux aussi se sont adaptés facilement ?
Oui. Je pense que les trois acteurs ont été touchés par Annette, chacun à leur manière, par la technique ou par l'émotion. Quelque chose s'est passé. Par exemple, ce qui m'avait frappé lorsque j’avais vu Marion Cotillard manipuler Annette, c'est que la marionnette ne faisait que très peu de mouvement, mais comme Marion y croyait, du coup, le spectateur y croit aussi. C'est par le regard de l'actrice que la marionnette prenait vie.

Nous parlons d’un film musical, constamment en mouvement, presque dansé. Cela a apporté quelque chose à votre travail ?
Oui. Tout au long de la création, nous avons été bercés par cette musique. Entre manipulateurs, il a fallu que nous créions des sortes de chorégraphies. Le son ayant été enregistré en live, nous avons d'abord dû travailler avec des maquettes des Sparks, déjà géniales ! J'en écoutais également dans mon atelier, au moment de sculpter : cela m'a peut-être aussi aidé à créer le personnage. Les Sparks étaient là pour une bonne partie du tournage et font quelques apparitions dans le film.

Et toute cette belle aventure se termine à l'ouverture du Festival de Cannes !
Oui… et le film a été très bien accueilli (NDLR: Leos Carax a d'ailleurs obtenu le Prix de la mise en scène).

Désormais, Annette fait l'objet d'une exposition à Charleville-Mézières…
Oui. Nous y présentons Annette dans des décors inspirés de ceux du film et proposons une sorte de parcours poétique de sa naissance jusqu'aux dernières scènes. Il y a des photos, des vidéos et une partie consacrée à la technique. L'événement a lieu jusqu'au mois de janvier l'année prochaine. On ne sait pas encore ce qui se passera ensuite, mais, autour d'Annette, notre compagnie fera l'objet d'un documentaire de 52 minutes, Baby Annette, signé Sandrine Veysset. Cela passera sur France 3, en septembre.

Vous avez d'autres actualités cet été ? D'autres projets au cinéma ?
Non, rien avant septembre. Nous avons deux spectacles en tournée, Tria Fata et Poli Dégaine, et sommes en création d'un autre, La Manékine. Côté cinéma, Romuald Collinet, à Charleville-Mézières, développe un studio de marionnettes filmées en live, l'Arrière Plan - Ciné Puppet Lab. Nous avons plusieurs projets en tête. En même temps, nous continuons nos spectacles, enrichis par cette incroyable expérience qui a inspiré et renouvelé notre propre approche de la marionnette.

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Et maintenant ?
Je suis ravi d'avoir réalisé cette interview: merci, Estelle Charlier ! Rien n'est sûr, mais je vous reparlerai peut-être de l'exposition organisée à Charleville-Mézières. Ce ne sera pas pour tout de suite...

Un dernier mot pour saluer le travail des photographes...

La première des photos que j'ai utilisées est (c) Sean Dennie,
La deuxième (c) UGC Distribution, la troisième (c) Patrick Argirakis,
Et la quatrième, enfin, (c) La Pendue. Il fallait que je le mentionne !

mercredi 4 août 2021

Un amour fou

Ce qui m'a motivé à aller voir Annette ? Ses mauvaises critiques. Souvent présenté comme une oeuvre clivante, le film m'a donné envie de me faire ma propre opinion. Et ? Elle est à vrai dire assez positive. Le moins que je puisse vous dire, c'est que ce n'est pas tous les jours que le cinéma français "accouche" d'un tel opus. J'aime cela, l'audace !

Henry, comédien de stand-up, est fou amoureux d'Ann, cantatrice. Sentiments forts et partagés par la diva, qui les exprime toutefois avec davantage de retenue. Le couple s'accommode des paparazzis. Seul problème: Monsieur, dont la carrière vacille, est jaloux du succès de Madame, dont il priverait bien le public, sans véritable remords. Comment arranger les choses ? Eh bien, en faisant un enfant, pardi ! C'est ainsi que naît une petite fille, dont le film porte le prénom. Annette peut surprendre à bien des égards et d'emblée parce que, comme vous l'avez sans doute entendu dire, il s'agit d'une comédie musicale ou plutôt, ainsi que je l'ai lu parfois, d'un opéra rock. Derrière le rideau, il y a certes un célèbre réalisateur made in France dont j'ignorais tout du travail jusqu'alors, mais aussi deux frères américains, Ron et Russell Mael, fondateurs du groupe Sparks (1968). Ils signent évidemment la B.O. du film, mais également son scénario. Au départ, ils avaient pensé à un album, avant que leur rencontre avec Leos Carax les entraîne vers le cinéma. Anecdote intéressante...

Je vous ai parlé d'un opéra rock: Annette contient son lot d'envolées lyriques. Il faut dès lors saluer l'investissement des deux comédiens principaux: choisie tardivement, Marion Cotillard n'a pas toujours été aussi juste qu'ici et c'est avec une grande maestria qu'Adam Driver bascule à nouveau vers le côté obscur de la force. NB: je comprends cependant que le résultat puisse laisser indifférent, voire en agacer certains, le film ne reculant jamais devant l'emphase dramatique et/ou émotionnelle. Le seul fait, en outre, qu'il soit chanté à 99,9% contribue certes à une impression de décalage: cela peut dérouter. J'imagine que cela suffira à certains pour fuir à grandes enjambées. Pour ma part, j'ai véritablement adhéré à ce dispositif original lorsque j'y ai vu un conte moderne, avec à la fois une jeune femme naïve et un grand méchant loup. C'est un peu caricatural, d'accord, mais grâce au personnage de l'enfant, ma conviction s'est renforcée. Cela valait-il deux heures vingt dans une salle obscure ? Je crois, oui. J'ai cette impression d'avoir vu quelque chose de tout à fait singulier !

Annette
Film français de Leos Carax (2021)

Spectaculaire. Grandiloquente. Outrancière. Autant de qualificatifs applicables à cette oeuvre "monstre", sans que cela nuise au plaisir inattendu que j'ai pris à la contempler. Les esthètes du cinéma piocheront sans doute ici et là les influences majeures de sa création. J'ai revu Les chaussons rouges, Moulin Rouge ! et... Black swan ! Pour plus de sobriété, on peut bien sûr se contenter de Flashdance...

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Une précision...
J'ai vu le film avant qu'il reçoive le Prix de la mise en scène à Cannes.

Toujours pas convaincus ? Effrayés par l'objet ?
Vous lirez avec intérêt la belle analyse de Strum, en léger contrepoint. La chronique de Pascale, en revanche, est particulièrement élogieuse. Et Vincent, malgré des réserves, y a noté "un amour fou du cinéma"...

lundi 2 août 2021

Le prix du sang

Les meilleurs spécialistes ne cessent de le répéter: le cinéma français de genre a le vent en poupe. Et, oui, c'est plutôt une bonne nouvelle ! Parmi les derniers exemples, La nuée joue sur notre peur supposée des petites bestioles mal intentionnées - ici, il s'agit de sauterelles. Mais, avant cela, un constat: le film s'est donné un cadre... "réaliste".

Virginie élève seule ses deux enfants depuis que son mari est disparu. Seule encore et non sans difficultés, elle s'occupe d'une exploitation agricole d'un genre nouveau, où elle élève donc des insectes sauteurs destinés ensuite à l'alimentation (animale, mais également humaine). Problème: les rendements sont trop faibles pour que cette activité soit viable. Virginie pense donc tout arrêter, en tout cas jusqu'au jour où elle découvre un moyen pour produire davantage et vendre mieux. Inutile d'insister: je ne vous révélerai pas la teneur de cette méthode hasardeuse. Sachez juste que La nuée met vraiment mal à l'aise ! Enfermée dans une névrose, son héroïne va commettre l'irréparable...

Bon... je n'ai pris qu'un plaisir mitigé à ce spectacle. Le mot "glauque" est sans doute celui qui caractérise idéalement ce que le métrage nous donne à voir, mais aussi... à entendre. Pas de doute: sur le plan formel, La nuée fait preuve d'une efficacité certaine, d'autant en fait que la tension va crescendo jusqu'à un climax court, mais étouffant. Nous sommes en face d'un premier film: le réalisateur n'a pas choisi entre les différentes sous-intrigues possibles et les a traitées toutes. L'épouvante en sort grande gagnante, au détriment de la chronique socio-familiale, portée par de bons acteurs, qui lui tient lieu de toile de fond. Autant vous le dire: au final, je reste un tantinet frustré. D'ailleurs, il me semble que les critiques pro sont plus enthousiastes que les spectateurs lambda, ce qui me paraît révéler un déséquilibre. Cela dit, je ne regrette pas d'être allé voir le film: j'avouerai juste que j'en ai vu de meilleurs. Mais je ne vais pas crier à la supercherie !

La nuée
Film français de Just Philippot (2021)

Un opus qui s'est fait attendre: il devait être présenté à la Semaine de la critique du Festival de Cannes... 2020 ! Sa sortie dans les salles n'a heureusement pas été remise en cause et, malgré mes bémols assumés, je suis content d'avoir pu le découvrir sur grand écran. Maintenant, de là à en parler comme d'un hybride entre Petit paysan et Grave, je ne m'y risquerai pas. En fait, je préfère ces deux films...

dimanche 1 août 2021

Restée seule

Je vous avais promis un dessin animé: le voici ! Louise en hiver m'avait attiré lors de sa sortie en salles, mais je l'avais laissé filer. Après ma séance de rattrapage, je ne peux que vous le conseiller. Comme à son habitude, le cinéaste français Jean-François Laguionie fait ici preuve d'une sensibilité rare, qui reste largement méconnue...

C'est l'été. Louise est en vacances dans une petite station balnéaire. L'horloge de son lieu de villégiature est en panne: la vieille dame constate que le train du retour est parti sans elle et se retrouve seule dans des rues désertées. Et le rêve se mélange soudain à la réalité ! L'air de ne pas y toucher, Louise en hiver, bel ouvrage d'un monsieur alors âgé de 76 ans, nous parle du grand âge et de ses conséquences. Il le fait avec une douceur et un sens de la poésie remarquables. Sublimé par la voix de Dominique Frot, soeur de Catherine, ce film rare s'appuie également sur l'incroyable talent pictural de son auteur. "C'est sans doute le film le plus intime que j'ai réalisé, dit Laguionie. Le plus précis aussi car les aventures à huit ans en haut des falaises ou dans un bois mystérieux, je les ai vécues. Ce n'était pas difficile pour moi de les dessiner". Plus un mot: je ne veux pas tout dévoiler. Disons que j'ai aimé ce que j'ai vu: un mélange de dessins au crayon de couleur, au pastel et à l'aquarelle. La bande sonore et la musique favorisent l'immersion dans le récit, au service de l'émotion ! Waouh !

Louise en hiver
Film français de Jean-François Laguionie (2016)

Une perle à ne pas manquer si vous en avez l'occasion. L'animation française est très diverse et là, c'est clairement le haut du panier ! Bon... du même auteur, je préfère le film précédent: Le tableau. Oui, mais si je faisais un classement, il serait assurément très serré. Autant donc vous conseiller de regarder d'autres animés sur un thème voisin: L'illusionniste ou La tête en l'air. Une liste non exhaustive...

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Et si vous voulez rester avec Louise encore un moment...

Vous pourrez la croiser chez Pascale et du côté de "L'oeil sur l'écran".