lundi 20 octobre 2025

Aux âmes égarées

Il l'avoue: "Le cinéma me rend excessif. Je suis un junkie de l'image". Âgé de 43 ans, le Franco-Espagnol Óliver Laxe affiche un certain sens de la démesure et paraît l'assumer pleinement. Il en faut à coup sûr pour écrire et tourner Sirāt, Prix du jury du Festival de Cannes 2025. La quatrième couronne du cinéaste sur la Croisette - en quatre films !

Dans la tradition musulmane, le mot Sirāt est le nom donné à un pont tendu entre l'enfer et le paradis, où l'âme se confronterait à sa vérité. Le film, lui, suggère qu'il est facile de se perdre dans un entre-deux rempli d'incertitudes, qui n'est plus la vie, mais pas encore la mort. Nous arpentons d'abord ce vaste espace indéfini avec Luis, un père parti à la recherche de sa fille disparue. Avec lui, son fils, Esteban. Inquiet, il espère obtenir des renseignements auprès des participants d'une rave au coeur du désert marocain, à qui il distribue des tracts avec la photo de l'absente. Mais, soudain, l'armée disperse la foule. Pris dans le mouvement, Luis et Esteban décident de suivre un groupe déterminé à rouler vers le sud. Qui sait ? S'ils rallient une autre fête organisée à la frontière de la Mauritanie, ils reverront peut-être celle qu'ils sont venus chercher. Rapidement, nous partageons cet espoir avec la petite dizaine de personnages concernés par cette "aventure". Il nous réconforte, tandis que le film suggère qu'une guerre mondiale vient d'éclater et montre, déjà, des hommes privés de presque tout...

Quel choc esthétique ! J'insiste: certains des plans de ce long-métrage figurent sans conteste parmi les plus beaux que j'ai vus cette année. Plus que logique, il est bien évident qu'ils ont été élaborés pour l'écran géant des cinémas, de même que la musique (techno) et la bande-son l'ont été pour leurs installations XXL. C'est la meilleure des garanties possibles pour vivre un grand moment, au-delà même d'un scénario éprouvant et imparable, qui exige de nous, public, un engagement absolu sur les méandres du chemin qu'il entend nous faire parcourir. Dès lors, autant vous avertir: Sirāt n'est JAMAIS un film confortable. Il risque en réalité de vous secouer, non sans une certaine violence. Par ailleurs, il pose maintes questions, mais ne répond pas à toutes. Ainsi, pourquoi deux des protagonistes sont-ils estropiés, l'un privé de son avant-bras droit, l'autre unijambiste ? Ce n'est pas expliqué. Unique certitude: Óliver Laxe a fait appel à d'authentiques "teufeurs". Les associer à Sergi López, seul acteur pro, est un autre bon choix. Son lointain périple est de ceux dont on ne revient jamais vraiment...

Sirāt
Film franco-espagnol d'Óliver Laxe (2025)

J'avais vu un autre opus du réalisateur, Viendra le feu, sorti en 2019. Sa nouvelle création me paraît encore plus forte, sous l'influence probable de films aussi puissants que Le salaire de la peur, Mad Max ou encore Gerry. De quoi "expérimenter sa petitesse", d'après Laxe. Notons autre chose: lui affirme n'avoir aucune référence spirituelle. Et ajoute: "L'art m'a un peu réchauffé le coeur". Je peux l'admettre...

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Vous voulez creuser le sujet ?

Un conseil: lire les avis de Pascale, Dasola, Princécranoir et Benjamin.

samedi 18 octobre 2025

Deux coeurs

Promis: ce samedi, ma chronique sera plus courte que la précédente. Je vous y parlerai d'un film japonais, sorti en 2022 dans son pays d'origine, mais diffusé depuis seulement dix jours en France: Egoist. Une première précision: le titre est en quelque sorte un trompe-l'oeil. N'allez donc pas imaginer qu'il qualifie l'un ou l'autre des personnages !

Pas d'égoïsme, au contraire: il est question d'une relation amoureuse. De nobles sentiments unissent rapidement Kosuke, salarié embauché dans un magazine de mode, à Ryuta, jeune homme d'origine modeste devenu son coach sportif. Je parle bien d'une relation homosexuelle. C'est la possible surprise du début du film: il évoque une situation encore largement taboue dans le cadre rigide de la société nippone. Et comment procède-t-il ? En nous montrant les grandes difficultés qu'affrontent Kosuke et Ryuta pour vivre leur histoire, malgré un coup de foudre réciproque. Bon... Egoist ne fait pas dans la demi-mesure. J'aime autant vous en prévenir: il adopte d'emblée le ton d'un drame sans concession (ce qui est peut-être sa manière à lui d'être réaliste). Je vous avoue que j'ai trouvé certaines situations un peu too much. Les âmes sensibles garderont quelques mouchoirs à portée de main. Tout est affaire de sensibilité, bien sûr. Il n'est pas interdit d'aimer...

Egoist
Film japonais de Daishi Matsunaga (2022)

L'adaptation d'un livre, lui-même tiré de l'expérience de son auteur. J'ignore en revanche si ce roman d'un dénommé Makoto Takoyama peut être disponible dans une version traduite en français (ou autre). Ce que je peux dire, c'est que, pour parler des grandes figures gays au cinéma, je préfère largement Le secret de Brokeback Mountain. Sans négliger La vie d'Adèle ou encore Carol pour la parole féminine !

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Vous voulez un autre avis ?
Cela tombe bien: celui de Pascale est en ligne (et clairement positif).

Je vous en ressers un peu ?
Ce sont les Fiches du Cinéma qui m'ont permis de chroniquer le film. Cette maison d'édition signe de nombreux articles sur le site Actu.fr. Elle publie aussi pour son propre compte - sur supports Web et papier.

jeudi 16 octobre 2025

In love with cinéma

Un bonus à ma chronique de lundi: c'est la Cinémathèque de Grenoble qui m'a permis de découvrir un "nouvel" Antonioni sur grand écran. Explication: le mois dernier, l'institution fêtait sa rentrée officielle avec cinq autres associations locales de promotion du septième art. J'en reparle plus bas et d'abord, un mot sur quatre courts-métrages ! Eux aussi ont été présentés au cours de cette soirée exceptionnelle...

La cena
Jesus Martinez Nota - Espagne - 2023

Dans ce petit film, un homosexuel fait son coming-out lors d'un dîner avec ses parents. Mais Papa et Maman n'y comprennent rien ! Comment imaginer qu'un homme puisse faire l'amour avec un autre ? Ce n'est pas que cela les choque, mais ils pensent la chose impossible sur le plan pratique, aucun des deux partenaires n'ayant de vagin conçu pour être pénétré. Les diverses révélations qui s'ensuivent amuseront celles et ceux qui ont l'esprit ouvert sur ces sujets intimes. Rien de scandaleux à l'horizon, mais peut-être un brin de caricature...

RAmén
Rubén Seca - Espagne - 2019

Connaîtriez-vous le pastafarisme ? Considérés comme les adeptes d'une religion dans certains pays, ses fidèles croient en l'existence d'une divinité sous l'apparence d'un monstre de spaghettis volant ! Après tout, la foi se passe allégrement de preuve tangible, pas vrai ? Bon... ce n'est pas exactement ce que raconte ce court, qui s'ouvre sur la "communion" d'une petite fille, devant sa grand-mère ulcérée. Je vous laisse découvrir vous-même comment les choses s'arrangent. Vous comprendrez que tout cela n'est pas très sérieux, évidemment...

Sacrées nonnes
Étudiants de l'école ISART-Digital - France - 2018

Pas sérieux non plus, ce court commence aussi avec une cérémonie religieuse. L'officiant impressionne grandement les petites soeurs dont il semble être le directeur spirituel. Or, pour une bonne raison que je ne dévoilerai pas, deux d'entre elles sortent de leur couvent. Une surprise les attend dans ce monde extérieur encore peu connu ! Croyant ou non, le spectateur, lui, est supposé en rire sans retenue. C'est possible, à condition de ne pas attendre un sketch désopilant. Comme l'aura souligné quelqu'un ce soir-là, "les jeunes ont du talent".

Où vont les sons
Florent Gouëlou - France - 2021
Je ne pourrai pas vous donner une vision très complète de ce court sensible, pour la simple raison qu'il n'a pas été projeté en entier. Malgré un timing serré, il était tout de même facile de comprendre qu'il était question de la réunion de six jeunes ados-adultes au chevet d'une de leurs amies, agressée dans la rue pour son orientation sexuelle. Un message bien utile pour rappeler que nos sociétés occidentales ne sont pas toujours aussi tolérantes qu'on le proclame. J'espère à présent avoir l'occasion de le réentendre dans sa globalité !

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C'est 24 heures durant que cette initiative de la Cinémathèque grenobloise a permis de mettre en avant les associations spécialisées de la commune. L'image composée ci-dessous vous donnera une idée de ce que j'ai pu voir. On pourra y revenir en commentaires, bien sûr.

Autre association, le Ciné-Club de Grenoble existe depuis 1967. Objectif annoncé: "Promouvoir la culture populaire et l'éducation permanente en s'inspirant de l'idéal laïc". Variés, les films qu'il défend sont regroupés par thèmes. Actuellement: Les machines au pouvoir...

Au coeur de ses activités, Vues d'en face promeut le festival international du même nom, 100% orienté sur le cinéma LGBTQIA+. Sa 25ème édition s'achève demain par (je cite) "une soirée queer, inclusive et désinvolte". Au programme: DJ sets... et ambiance drag !

Fa Sol Latino est, elle aussi, l'organisatrice d'un remarquable festival annuel, Ojoloco, consacré au cinéma ibérique et sud-américain. Majoritairement composée d'étudiants, elle favorise la découverte d'oeuvres fortes et rares: fictions, docus et classiques du patrimoine.

Cet éclectisme prévaut aussi chez Dolce Cinema, en bonne spécialiste reconnue du cinéma italien de toutes les époques. Son festival 2025 débutera le 8 novembre: je dois avouer que je suis plutôt impatient ! Surtout qu'il pourrait aussi y avoir quelques causeries intéressantes...

Et Terreur Nocturne, dans tout ça ? J'ai déjà mentionné son travail quand je vous ai parlé du Maudit Festival, dédié aux films de genre. Pour moi, c'est l'un des rendez-vous incontournables du début d'année. On y rit et on y tremble. Sensations fortes - et... bizarres - garanties.

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Il en manque une ? Exact ! Je suis heureux de voir que vous suivez. La Cinémathèque de Grenoble conserve, étudie et présente des films de toutes les époques et de tous les horizons. Elle est l'organisatrice d'un grand festival annuel, entièrement consacré aux formats courts. Elle vient d'entamer un cycle de projections sur le thème de la folie. Prochaine étape dès ce soir avec le Wanda de Barbara Loden (1970). La suite du programme se déroulera ensuite jusqu'au 14 décembre. Aucune info n'a encore circulé sur la programmation prévue en 2026...

lundi 13 octobre 2025

Silencieux et ravagés

"Comment ? Tu me parles ? Que dis-tu ? Je ne te comprends pas !". Dignes d'un dialogue de sourds, ces phrases tout à fait imaginaires pourraient être la version française - et simplifiée - d'une réplique dans un film de Michelangelo Antonioni. Le maître italien (1912-2007) est connu comme le grand cinéaste de l'incommunicabilité ! Et donc...

On ne s'étonnera pas que, dans La nuit, il fasse le portrait d'un couple incapable de se parler et nous propose d'assister à sa déliquescence. Écrivain renommé, Giovanni (Marcelo Mastroianni) visite un confrère hospitalisé, en compagnie de son épouse, Lidia (Jeanne Moreau). S'efforçant de faire bonne figure, cette dernière refuse le champagne que le malade voudrait lui offrir et, très émue, quitte la chambre. Quand Giovanni fait de même, il est accosté par une jeune femme visiblement démente, en fait empressée... de faire l'amour avec lui ! Il se rend alors à une réception de lancement de son nouveau livre. Lidia, quant à elle, s'en échappe et rallie le quartier où ils vivaient après leur mariage. Le soir, ils vont dans un cabaret, puis à une fête mondaine. Antonioni, aussi patient et curieux qu'un entomologiste, examine les chemins qu'ils empruntent ensemble, ainsi que tous ceux qu'ils abordent chacun de leur côté, sans juger bon d'en aviser l'autre. Ce qui permet au spectateur de voir Milan sous plusieurs facettes. Vous rêviez d'un voyage d'agrément ? Vous n'êtes pas au bon endroit. Le film n'a rien de vraiment plaisant pour l'homo touristicus lambda...

On m'avait prévenu que j'allais me frotter à du cinéma "intellectuel". Pas faux - et son propos est évidemment beaucoup moins simpliste que le pseudo-verbiage que j'ai élaboré au début de cette chronique. La nuit a, en tout cas à mes yeux, quelques attributs de la tragédie classique: une unité de lieu (la capitale de la Lombardie), une unité de temps (quelques heures) et une unité d'action (la fin d'un amour). Saisis dans les filets du destin, les personnages se débattent à peine. Pire, peut-être: ils laissent de côté les rares nouvelles opportunités qui s'offrent à eux telles que, par exemple pour Giovanni, l'offre d'embauche d'un capitaine d'industrie - qui le rendrait moins tributaire de son succès littéraire et, du même coup, moins dépendant de Lidia. Les très beaux plans d'Antonioni découpent cette réalité au scalpel tout en composant une oeuvre à la froideur clinique, que la présence de la sublime Monica Vitti, muse du réalisateur, peine à réchauffer. Un bémol ? Non. La photo noir et blanc et les cadres sont splendides. J'ajoute que le film était reparti du Festival de Berlin avec l'Ours d'or !

La nuit
(ou La notte)
Film franco-italien de Michelangelo Antonioni (1961)

Le long-métrage paie d'une demi-étoile sa relative aridité formelle. D'autres opus du même réalisateur sont un tantinet plus "accessibles" pour les profanes dont je fais partie - cela reste discutable, bien sûr. Antonioni est cependant bien placé sur l'échelle du grand cinéma italien, quelque part entre Fellini (Les vitelloni) et De Sica (Il boom). Hésitants ? Essayez d'au moins laisser une petite chance aux acteurs !

Non ? Toujours pas convaincus ?
OK. Je vous laisse désormais juge des regards d'Eeguab et Benjamin. Vincent, lui, s'est risqué à considérer les choses sous un autre angle...

samedi 11 octobre 2025

Trop intelligente ?

Cécile de France a eu cinquante ans cet été et j'aime à la considérer comme l'une des meilleures actrices françaises. Sauf qu'elle est belge. Blague à part, je confirme l'avoir trouvée à son aise et convaincante dans son dernier film, Dalloway, thriller futuriste signé Yann Gozlan. Elle ne se laisse décidément jamais enfermer dans un registre x ou y !

Clarissa, romancière, a été admise pour quelque temps en résidence artistique, auprès d'autres créateurs (peintres, musiciens, etc...). C'est censé lui permettre d'écrire plus facilement, le monde extérieur apparaissant vraiment hostile du fait d'une canicule et d'une épidémie virale. Dans son supposé cocon, l'autrice a également une opportunité rare: celle de constamment interagir avec une intelligence artificielle avancée, qui la guide dans son travail tout en rendant son séjour confortable. Futuriste, disais-je ? Pas sûr. Dalloway ne fait en somme que reprendre des situations réelles et imaginer le développement prochain de technologies déjà existantes, en bon film d'anticipation. Là-dessus, le scénario brode un suspense intéressant, l'assistante virtuelle de Clarissa entrant dans sa vie... un peu trop profondément. Mylène Farmer est sa voix et ajoute encore une couche de trouble ! Résultat: un film foncièrement accrocheur, bien que plutôt "chargé". NB: il adapte Les fleurs de l'ombre, un roman de Tatiana de Rosnay. Ne l'ayant pas lu, je ne juge pas que c'est absolument indispensable...

Dalloway
Film franco-belge de Yann Gozlan (2025)

Un petit bémol à mon enthousiasme: le propos est (un peu) surligné par quelques images spectaculaires et une bande musicale invasive. C'est vrai toutefois que ce film efficace m'a paru tout à fait pertinent. Son ambiance quasi-paranoïaque m'a rappelé Conversation secrète. Yann Gozlan n'est pas Coppola, bien sûr, ni Kubrick, évidemment. Mais j'ai aussi repensé à l'IA dans 2001 ! On n'a pas fini d'en parler...

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De quoi faire l'unanimité ?

Oh que non ! Dasola, par exemple, trouve le film "un peu perturbant". Bien moins enthousiaste, Pascale, elle, indique même s'être ennuyée.

mercredi 8 octobre 2025

Robert

"Au revoir, Robert... Parler de toi en quelques mots, c'est difficile. Une certitude: tu resteras mon Sundance Kid". C'est ce que j'ai écrit sur ma page Facebook après avoir appris la mort de Robert Redford. J'ai toujours supposé que la meilleure manière d'honorer la mémoire des acteurs était de voir (ou de revoir) leurs films. Sans en faire trop.

Robert, tout de même, avait assurément une place toute particulière dans nos coeurs. Sans doute parce que, héros et héraut du cinéma indépendant, il nous offrait la plus belle image possible de son pays. Je n'ai en réalité vu qu'une petite partie de sa longue filmographie. Devant et/ou derrière la caméra, l'ami Bob était souvent excellent. Sans en faire trop, lui non plus, et en partageant donc la lumière. Personnellement, c'est bien son rôle dans Butch Cassidy et le Kid dont je me souviens d'abord quand je repense à lui. Il avait 32 ans. Paul Newman, expliquait-il, l'avait pris sous son aile. Leur complicité évidente fait du film l'un de mes westerns de chevet. Une référence...

Je vous confirme bien évidemment que Redford n'était pas l'homme d'un seul film. Mais en fait, ce qui me vient rapidement à l'esprit quand je repense à lui dépasse même largement le cadre du cinéma. J'ai l'image d'un mec classe, tout simplement, dès le tout premier jour de sa carrière et jusqu'à ses toutes dernières apparitions publiques. Quand j'ai farfouillé sur le Web pour les photos, je n'ai rien trouvé d'outrageant ou de provocateur. Je n'ai pour ainsi dire vu qu'un type souriant. Cool. Visiblement heureux. OK, et alors ? Ça fait du bien. Cela laisse imaginer qu'il était dans la vie comme dans son travail. Meryl Streep l'a présenté comme "un lion". Calme et bienveillant, oui !

L'animal n'a pas croulé sous les récompenses et n'a jamais eu d'Oscar comme comédien, à l'exception d'une statuette d'honneur, en 2002. L'Académie lui en avait (tout de même !) octroyé une autre pour l'une de ses réalisations, Des gens comme les autres (1981). Un beau film dont j'aurais du mal à vous parler... vu que je dois encore le voir. Redford, pour moi, c'est Jeremiah Johnson, Nos plus belles années, L'arnaque et Out of Africa, notamment. Des personnages iconiques et des interprétations d'une grande justesse, presque à chaque fois. Peut-être parce que tout avait commencé au théâtre, en réalité. J'avoue être très peu au fait de ce début de carrière sur les planches !

Outre les quelques films déjà cités, j'ai aimé Robert dans Pieds nus dans le parc, Les hommes du président, L'affaire Chelsea Deardon, Spy game, Sous surveillance et enfin... Peter et Elliott le dragon. J'ai eu un jour la chance de rencontrer Sibylle Szaggars, son épouse. Elle avait accepté de me parler de sa propre carrière d'artiste peintre et d'évoquer La conspiration, l'un des films du Redford réalisateur. C'est un chouette souvenir, associé à celui de Gilles Jacob, président du Festival de Cannes, qui m'avait expliqué le peu de considérations pour l'acteur qu'avait eue certains journalistes lors de l'édition 1972. Politique des auteurs: ils voulaient parler à son ami, Sydney Pollack. Peut-être qu'on n'est jamais aussi aimé que lorsqu'on est parodié. L'hypothèse est une bonne excuse pour revoir La classe américaine...

Tout a changé aujourd'hui, évidemment, et les hommages pleuvent. C'est légitime. "Nous sommes dans un monde où plus rien n'est fixe. Où tous les cadres sont balayés par une tempête sans précédent". Robert Redford disait cela et "Il est très important pour un Américain de comprendre le point de vue des autres, car nous avons une vision trop étroite du monde, parfois". Une très belle leçon d'humilité, non ? Il me semble qu'il faudra se souvenir de sa clairvoyance, également. Parce qu'il va s'agir à présent d'entretenir la mémoire de cet homme bon, connu aussi comme un ardent défenseur de notre vieille planète. C'était une part de mon objectif en évoquant Le cavalier électrique. C'est celui de Pascale, Dasola, Princécranoir et Vincent, entre autres. Au revoir, Robert... On se retrouvera bien vite, au détour d'un écran !

lundi 6 octobre 2025

Avoir été, être encore

Robert Redford ? C'est par mon ami Philippe, alors en plein voyage professionnel à Tokyo, que j'ai appris sa disparition, le 16 septembre. J'ai cru opportun d'attendre avant d'écrire un éloge et donc laissé le fil de mes chroniques se dérouler comme prévu, autour de dix textes prêts à être publiés. Et... j'ai cherché un film de Bob à voir ou revoir !

Parmi trois-quatre options possibles, j'ai opté pour un long-métrage que je n'avais pas encore pu découvrir: Le cavalier électrique. Précision historique: cet opus est l'un des sept que ce cher Robert tourna avec son grand ami réalisateur, Sydney Pollack (1934-2008). Au sommet de sa beauté, l'acteur y incarne un ex-quintuple champion du monde de rodéo, Norman "Sonny" Steele, à présent sur le déclin. Une très sérieuse blessure l'ayant écarté du terrain de ses exploits passés, il en est réduit à mener des opérations de relations publiques pour son sponsor - une marque de céréales pour le petit-déjeuner. Lassé de cette vie, il aurait bien envie de déchirer son contrat. Finalement, un soir, attendu à dos de cheval sur la scène d'un casino de Las Vegas, il va tout envoyer promener et déguerpir avec l'animal ! Ce qui suscitera la colère de ses chefs, la panique de ses agents artistiques et la curiosité d'une jeune journaliste en panne de scoop...

J'en ai dit beaucoup, mais je veux vous rassurer: je n'ai pas tout dit. D'abord confiné dans des intérieurs bling-bling, ce beau film méconnu nous offre aussi une jolie vue dégagée sur l'Amérique des campagnes. C'est presque dans un road movie, finalement, que Steele / Redford nous embarque. Avec lui, Jane Fonda, parfaite en reporter de télé fortement attachée aux valeurs de la presse, mais moins psychorigide qu'elle n'en a l'air de prime abord. Le duo fonctionne à merveille. Librement adapté d'un roman, le long-métrage ose même s'aventurer dans des registres variés: sa bande-originale renforce sa dimension mélancolique, sans nuire à ses aspects comiques et/ou romantiques. Chut ! Le cavalier électrique respire la sincérité: à vous d'en juger. J'ai bien peu de choses à lui reprocher, si ce n'est quelques longueurs dans sa partie finale - il dure deux heures pile, générique compris. Mes goûts évoluent, bien sûr, mais je vois encore comme une chance de pouvoir fréquenter ainsi les mille et un monstres sacrés du cinéma américain. Et rien qu'avec Robert Redford, je suis loin d'en avoir fini !

Le cavalier électrique
Film américain de Sydney Pollack (1979)
Ce cinéma des gens de peu, lié aussi aux grands espaces, me fascine. J'y vois une représentation de la liberté et de ces utopies humaines qui, parfois, l'enrichissent. Comme dans Les désaxés, d'une tonalité tragique, ou Jeremiah Johnson, autre opus du duo Pollack / Redford. Je trouve en outre quelques parentés chez Schatzberg (L'épouvantail) et Eastwood (Bronco Billy). La continuité d'une forme de solidarité...

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Allez, confidence pour confidence...

Je précise que les autres films qui étaient en balance pour ma séance d'hommage étaient Votez McKay, L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux et All is lost, sortis tour à tour en 1972, 1998 et 2013. Arte a opté pour la redif' d'Et au milieu coule une rivière (1992). J'ose désormais vous assurer qu'il n'y a là que quatre parties remises !

En attendant, pour retrouver le film du jour...

Vous pourrez sans autre délai consulter la page de "L'oeil sur l'écran".

samedi 4 octobre 2025

Des voeux par centaine(s)

Tiens ! Il faut bien reconnaître que je suis passé devant cette info sans m'y arrêter: le 16 octobre 2023, le groupe Disney a eu cent ans. Je reviendrai (peut-être) un autre jour sur ses tous premiers pas historiques dans le vaste domaine du divertissement. Ma chronique d'aujourd'hui sera, pour sa part, dédiée au long-métrage anniversaire.

Je me souviens: sorti en novembre, Wish - Asha et la bonne étoile n'avait pas reçu un très bon accueil de la part de la presse spécialisée. Son box-office en France reste honorable: un peu plus de 2,8 millions de tickets vendus et la onzième place au classement de l'année 2023. Pour faire simple, le film repose sur une héroïne, Asha, à deux doigts d'être acceptée comme apprentie auprès du roi de Rosas, son pays. Seulement à deux doigts: l'entretien avec le souverain est un échec. Pire, il révèle que Magnifico, qui conserve les voeux de ses sujets sous la forme de bulles lumineuses, refuse d'utiliser ses pouvoirs magiques pour exaucer ceux qui ne servent pas ses propres intérêts. À la réflexion, il commencerait volontiers une carrière de dictateur. Le tout en violation manifeste de ses engagements passés ? Oui, oui !

Sauf que, bien sûr, il y a Asha et ses amis pour contrarier son projet. Le scénario de Wish... reste de fait très "classique" pour du Disney. Certains se sont d'ailleurs amusés à compter les supposés clins d'oeil aux autres productions du studio, contrairement à moi qui suis resté au premier degré de l'analyse filmique (en y prenant un réel plaisir). Sur le plan technique, j'ai - au départ - eu besoin d'un peu de temps pour m'habituer à ce mélange d'animation traditionnelle et d'images conçues par ordinateur, mais je n'ai rien vu de honteux pour un projet de cette envergure, doté d'un budget total de 200 millions de dollars. À noter qu'il faut également classer le film parmi les nombreux opus contenant des chansons: je sais que cela ne plait pas à tout le monde. En un mot, j'oserai dire que c'est une oeuvre assez conservatrice. J'assume ce qualificatif peu flatteur et vous confirme du même coup que cette non-originalité ne me dérange pas, vu que je m'y attendais. Il est évidemment permis de privilégier les oeuvres plus ambitieuses. Je suis déjà convaincu d'en voir d'autres... y compris côté animation !

Wish - Asha et la bonne étoile
Film américain de Chris Buck et Fawn Veerasunthorn (2023)

Disney le présente aussi comme son 62ème Classique d'animation. Bon... j'ai mieux apprécié les deux précédents, Encanto et Avalonia. L'important est de bien mesurer les stratégies marketing déployées par Mickey (et qui ne fonctionnent pas toujours). Mon opus du jour vaut bien La reine des neiges II. Et lui, au moins, il a un méchant ! Un défaut à citer ? Ce serait d'être un tantinet TROP sérieux, je crois.

jeudi 2 octobre 2025

Même combat ?

C'est presque une coïncidence: ce jeudi, j'enchaîne un deuxième film consécutif avec une guerre et un fleuve. Cette fois, je vous entraîne vers l'Amérique du Sud et sur le delta de l'Orénoque, au Venezuela. J'avance dans le calendrier et, de 1914, je passe directement à 1945. D'un conflit qui démarre, donc, à un autre dont l'armistice est proche !

La guerre de Murphy
- oui, c'est le titre du film - a bien peu d'égards pour la vérité historique. Son personnage principal est un matelot engagé sur un cargo britannique, attaqué et coulé par un sous-marin allemand. Unique survivant, notre homme est recueilli par des civils installés à proximité, autochtones, bien sûr, mais aussi européens. Parmi eux: une femme médecin anglaise - quaker ! - et un ingénieur français, qui va devenir un grand ami pour le "naufragé malgré lui". Lequel va petit à petit se perdre dans une funeste idée de revanche...

Les deux hommes avaient-ils réellement... le même combat ? Pas sûr. À vous de voir comment leurs espoirs se concrétiseront - ou pas. Simple précision: la vraisemblance n'est certes pas le premier atout du scénario (adapté d'un bouquin). Ce qui n'est pas un réel problème. Malgré quelques longueurs et faiblesses d'écriture, les personnages s'avèrent assez attachants pour qu'on passe un bon moment avec eux. Le casting fait d'ailleurs belle impression: si Peter O'Toole cabotine parfois plus que de raison, Philippe Noiret est quant à lui excellent dans un registre beaucoup plus sobre et un rôle plutôt inattendu. Unique femme à l'écran, la Galloise Siân Phillips est très bien aussi. J'ai apprécié que le film ne recule jamais devant les ruptures de ton et, par ailleurs, ne fasse pas preuve d'un quelconque manichéisme. Comment l'ai-je découvert ? Tout à fait par hasard, dans le catalogue d'un opérateur VOD. Je n'en avais jamais entendu parler auparavant. Comme vous l'aurez compris, ce fut donc une fort agréable surprise. De celles qui me font aimer le cinéma, au-delà des grands classiques !

La guerre de Murphy
Film britannique de Peter Yates (1971)

Cette fois encore, je vous laisserai lire ailleurs le récit d'un tournage calamiteux - au point de causer la mort de la scripte, tout de même. Le résultat est imparfait, mais ne mérite pas de tomber dans l'oubli. Il n'avait attiré que 382.377 spectateurs dans les salles françaises. Peter Yates, lui, reste surtout connu pour son Bullitt, il me semble. J'avais néanmoins préféré suivre sa caméra dans Les grands fonds...

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Pour conclure, voulez-vous une anecdote folle ?

Confiante en son talent, la Paramount avait d'abord pensé à Yates pour la réalisation d'un tout autre film: rien de moins que Le parrain. Les aléas de la production cinéma ne finissent pas de me surprendre !

mardi 30 septembre 2025

La guerre, un fleuve et...

Une vie suffit-elle pour voir tous les grands classiques de Hollywood ? Joker ! Plutôt que de chercher une réponse, j'ai préféré me pencher sur un titre à la réputation flatteuse: L'odyssée de l'African Queen. Un film en Technicolor sorti il y aura bientôt trois quarts de siècle. Avec Katharine Hepburn et Humphrey Bogart, je n'ai que peu hésité...

C'est presque sans la moindre info préalable que j'ai donc foulé le sol africain, dans l'actuelle Tanzanie, vers le début de l'automne 1914. Déclarée en Europe, la Première guerre mondiale atteint cette terre lointaine: le révérend britannique Samuel Sayer, tout à fait dépassé par les événements, voit son congrégation ravagée et les hommes valides du village attenant enrôlés (de force) dans l'armée du Kaiser. Le choc est si violent pour lui que le pauvre devient fou et meurt ! Résultat: sa soeur Rose, qui était son assistante, se retrouve seule...

Attendez ! Ne pleurez pas ! Et ne partez pas non plus ! Pas si vite ! L'endeuillée est rejointe par un Canadien, Allnutt, qu'elle connaissait comme employé d'une compagnie minière et facteur occasionnel. L'odyssée de l'African Queen débute véritablement quand le bougre l'embarque sur le canot à moteur qui est son véhicule professionnel. Mieux encore, quand il lui promet de descendre avec elle le fleuve voisin pour retrouver l'ennemi allemand et mener contre lui une action de résistance - non, je ne vous donnerai pas davantage de détails. Soyez sûrs d'une chose: récemment restauré, le film est superbe. Malgré quelques préjugés d'époque, son scénario est surprenant quand on s'attend au sacrifice de héros parfaits contre des méchants sanguinaires. C'est après ma séance que j'ai lu que Hepburn et Bogart avaient adoré collaborer: de fait, leur complicité rejaillit à l'écran. Tourné en partie en Afrique, leur "pas de deux" a quelque chose d'atypique, comparé à d'autres merveilles de l'âge d'or hollywoodien. Cerise sur le gâteau: au final, c'est une oeuvre joyeuse. Et optimiste !

L'odyssée de l'African Queen
Film (anglo-)américain de John Huston (1951)

Bon... j'ai décidé d'arrondir ma note en oubliant les quelques clichés évoqués ci-dessus (ils concernent les Africains et l'armée allemande). Je me suis dit que ce n'était pas tous les jours qu'un film d'aventures commençait en 1914 et prêtait à sourire. La lente descente de fleuve effectuée dans Apocalyse now sera nettement moins réjouissante. Idem pour la pérégrination africaine du Poilu portugais de Mosquito...

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Un dernier conseil...

Si vous ne l'avez pas déjà fait, je vous recommande de fouiller le Web pour dénicher des anecdotes sur l'histoire du film et de son tournage. Première étape possible, "L'oeil sur l'écran" rappelle également le lien à faire avec le Chasseur blanc, coeur noir de Clint Eastwood (1990).

lundi 29 septembre 2025

L'insatiable

Il tourne actuellement un polar - Mystyk - dans le Lot-et-Garonne. Aucune date de sortie n'a encore été annoncée pour ce long-métrage qui fait appel à ses talents d'acteur (principal) et de coréalisateur. Raphaël Quenard n'a visiblement aucune intention de lever le pied ! Aujourd'hui, je voulais dire 2-3 mots de son travail, hors du cinéma...

Vous le savez sûrement: l'ancien chercheur et assistant parlementaire a publié en mai son premier roman, chez Flammarion, un jour à peine après l'ouverture du 78ème Festival de Cannes. Un succès public immédiat, paraît-t-il - je cherche des chiffres récents pour le vérifier. Cela dit, j'ai désormais lu Clamser à Tataouine et je dois même dire qu'il ne m'a fallu que deux jours pour "venir à bout" de ses 193 pages !

Et alors ? Raphaël n'est pas un génie, mais un auteur intéressant. Honnête, il fait mieux que surfer sur la vague de l'indéniable culot auquel il doit une partie de sa notoriété. Oui, le Quenard écrivain vaut bien le Quenard comédien: on retrouve une part de sa faconde légendaire dans ses écrits. Toute ressemblance avec un jeune type réellement existant et doué pour le verbe est officiellement fortuite. C'est rassurant, dans la mesure où il est ici question du parcours fou d'un homme qui rate son suicide et se transforme en tueur en série...

"Mon livre n'est pas noir. Il est plutôt marrant", assurait le trublion dans une interview récente (à lire dans Vraac, mensuel grenoblois). Chacun de nous en jugera selon ses propres critères d'appréciation. Pour ma part, je le trouve au moins aussi barré que celui qui l'a écrit. Ce n'est pas tout dire, certes, mais c'est déjà dire beaucoup, je crois. Nul ne sait si le bon Raphaël a encore l'intention de taquiner sa muse littéraire... et quelle forme cette envie prendrait, le cas échéant. D'après ses déclarations, il a eu besoin de "peut-être sept ou huit ans" pour finaliser son premier opus. "Laborieux" ? Il l'a lui-même admis. Je suppose donc plutôt qu'on le reverra bientôt... sur un écran géant !

Pour mémoire, j'ai déjà présenté huit de ses films sur le blog. L'occasion d'en republier les liens, par année de sortie en salles...

- 2020 : Gagarine,
- 2021 : Fragile - Mandibules,
- 2022 : Coupez !,
- 2023 : Chien de la casse (photo) - Sur la branche - Yannick,
- 2024 : Les trois fantastiques.

Cette liste non exhaustive ne demande bien sûr qu'à être commentée. Elle pourra être complétée par mes soins - et grâce à vos suggestions.

vendredi 26 septembre 2025

Bidonville

Je vais être franc: je n'avais jamais entendu parler de la Cañada Real avant de voir Ciudad sin sueño au cinéma. Ce bidonville espagnol s'étend pourtant sur plusieurs kilomètres, à quelques minutes à peine du centre de Madrid. Y vivent principalement des immigrés marocains et des Roms. Environ 7.000 personnes, selon une estimation de 2017.

"J'ai voulu me confronter à un mode de vie en voie de disparition". C'est notamment ce qu'a raconté le jeune réalisateur Guillermo Galoe dans Sofilm, pour expliquer ce qui avait pu le pousser à faire ce film. J'insiste d'emblée sur un point important: il s'agit bien d'une fiction. Elle a pour personnage principal un ado de 14-15 ans, Toni, enfant parmi beaucoup d'autres d'une famille de ferrailleurs. Son existence miséreuse tourne beaucoup autour des bons et longs moments passés avec son ami Bilal, qu'il sait devoir bientôt partir vivre à Marseille. Mélancolique, Toni s'accroche aussi à l'amour qu'il porte à une chienne appartenant à son Paï (grand-père), mais ce dernier échange l'animal contre un lopin de terre où, espère-t-il, il pourra installer les siens. Ces situations de grande précarité sont filmées sans misérabilisme aucun. Ciudad sin sueño présente ainsi la réalité de la Cañada Real de manière frontale, tout en respectant toujours ceux qui y habitent. Ils ont largement été associés au tournage et l'écriture du scénario s'est étalée sur six ans. Avec la ferme intention de ne RIEN idéaliser !

Ce souci de grand réalisme n'empêche pas le film d'être d'une beauté plastique étonnante. Sa représentation du monde de son personnage principal passe par une idée originale: le recours régulier à des vues subjectives, saisies au téléphone portable et modifiées par des filtres colorés. Il en émane une poésie remarquable dans ce contexte social. Reste la réalité crue et cet environnement quotidien fait d'objets délabrés, abandonnés sur le sol de rues souvent privées d'électricité et où l'eau, potable ou non, est une ressource à protéger absolument. N'ayant jamais pu apprendre l'espagnol, je ne suis pas capable de dire si cette Ciudad sin sueño est une ville sans rêve ou sans sommeil. C'est en tout cas une ville animée jusque tard dans la nuit, éclairée alors par maints braséros de fortune qui témoignent de sa situation économique. On nous dit cependant que, même relogés, ses habitants ne seraient pas nécessairement plus heureux ailleurs, dans l'anonymat relatif des grands immeubles urbains susceptibles de les "accueillir". Chacun demeure libre de ses conclusions. Oui, cela reste du cinéma...

Ciudad sin sueño
Film espagnol de Guillermo Galoe (2025)

Un voyage dont on revient mieux informé, mais quelque peu groggy. Avec l'impression que certaines choses évoluent, mais que d'autres pourraient ne jamais changer - cf. le sort qui est réservé aux aînés. On est bien loin de l'imagerie spectaculaire des films sud-américains comme La cité de Dieu (au Brésil) ou Elefante blanco (en Argentine). C'est moins glauque, mais j'ai parfois repensé à Toto et ses soeurs...

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Un autre regard artistique ?
Mon titre reprend celui d'une belle chanson de Claude Nougaro (1966). Je vous renvoie donc sans plus attendre à ses paroles. Et aux images.

Objectivement, mon avis ne fait pas l'unanimité...
Je vous recommande à présent de lire celui de Pascale en contrepoint.

mercredi 24 septembre 2025

Vérités voilées

La crise politique, l'Ukraine, Gaza... il me semble que l'Iran est passé au quatrième rang - ou pire ! - de nos "préoccupations" actuelles. Sorti fin août, La femme qui en savait trop le replace sur le devant de la scène en concentrant son propos sur quelques personnages. Parmi eux, Tarlan, une ancienne professeure de danse et syndicaliste.

Le film s'ouvre sur un (très beau) plan-séquence lors d'une répétition. Tarlan apprécie la compagnie de sa fille adoptive et de sa petite-fille. Mais le ton se fait vite plus grave: la plus jeune des deux adultes subit la violence de son mari et, soudain, a des ennuis avec la police parce qu'elle ne porte pas son hijab. Il se passe quelques minutes avant que nous découvrions... qu'elle a été tuée, et peut-être bien par cet époux indigne. C'est sur cette hypothèse que le scénario construit le suspense que nous promettait le titre à la Hitchcock choisi pour la version francophone du long-métrage. Je ne pense pas qu'il faille cependant le qualifier de thriller ou même de film policier. La femme qui en savait trop s'intéresse davantage aux convictions et aux actions de sa principale protagoniste qu'à la stricte vérité. D'ailleurs, si meurtre il y a eu, il n'est que suggéré, jamais montré. Tourné dans la clandestinité, le film évolue de fait sur un fil. Tendu...

Aussitôt son travail terminé, le réalisateur s'est exilé en Allemagne. C'est probablement ce qui explique la nationalité officielle de l'opus débarqué dans nos salles de cinéma le mois dernier, dont la langue demeure toutefois le farsi. Anecdote intéressante: pour le seconder dans l'écriture du script, le cinéaste a aussi fait appel à un confrère prestigieux, lui-même en délicatesse avec le régime: Jafar Panahi. Oui, le lauréat de la Palme d'or cette année - j'en reparlerai bientôt ! Orienté autour de la superbe Maryam Boubani, une actrice militante concrètement engagée sur le terrain, La femme qui en savait trop évoque sobrement le combat du mouvement Femme, Vie, Liberté. Bravo à deux autres comédiennes: Hana Kamkar et Ghazal Shojaei. Les rôles masculins ne sont pas moins intéressants: il est donc juste de relever la contribution de Nader Naderpour et Abbas Imani, interprètes du gendre de Tarlan et de son fils, à la réussite du film. Un propriétaire ambigu ou un policier... d'autres incarnations viriles parsèment le récit. Ce serait regrettable de ne pas vouloir l'entendre !

La femme qui en savait trop
Film (irano ?-)austro-allemand de Nader Saeivar (2025)
Du bon grain à moudre, en attendant l'arrivée de la Palme mercredi prochain: il me semble nécessaire de soutenir ce cinéma courageux. Souvenez-vous: l'année dernière, Les graines du figuier sauvage s'inscrivait dans le même contexte sociétal. Nous avons de la chance de pouvoir découvrir ces films, comme d'autres avant eux: Les chats persans, Une séparation, Un homme intègre, Leila et ses frères...

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Et parmi les avis sur le film du jour...

Je vous suggère désormais d'aller (re)lire celui de notre amie Dasola. Arrivé un peu plus tard, celui de Pascale mérite aussi votre attention.

lundi 22 septembre 2025

Face au virus

J'avais beaucoup aimé son tout premier long et, bien qu'il soit reparti avec la Palme du Festival de Cannes 2021, un peu moins le second. Après Grave et Titane, Julia Ducournau a fait son retour avec Alpha. Longtemps hésitant, j'ai enfin cédé à l'envie de voir ce troisième film malgré la tendance critique négative qui aura accompagné sa sortie...

Alpha
? Le titre du film est également le prénom de sa jeune héroïne. Âgée de 13 ans, cette adolescente tracasse d'autant plus sa mère qu'elle revient un matin d'une soirée avec un A tatoué sur l'épaule gauche. Or, impossible pour Maman de connaître l'auteur de ce dessin et les circonstances dans lesquelles il a été réalisé. D'où l'inquiétude de cette médecin qui, chaque jour, doit s'occuper de patients touchés par un virus, transmis par le sang et qui les transforme en pierre ! Problème supplémentaire: sa cohabitation avec un frère toxicomane. Bref, autant vous le dire franco: la barque scénaristique est chargée. C'est, je trouve, le défaut majeur de cette création: ses thématiques possibles sont trop nombreuses pour ne pas nous perdre en chemin. Comme si l'abondance de moyens techniques prenait alors le dessus...

D'abord sincère, mon intérêt pour les personnages a trop vite décliné. Les acteurs ? Mélissa Boros, 20 ans, n'est pas vraiment la "révélation incandescente" que le magazine Vogue a cru déceler en elle. Une fois n'est pas coutume, Golshifteh Farahani est moyenne: une déception. Heureusement, Tahar Rahim relève le niveau: la vingtaine de kilos qu'il a accepté de perdre pour le rôle le conduisent à une composition dantesque et donc convaincante, à défaut d'être tout à fait inspirée. Visuellement, Alpha n'est pas de bon goût, mais impressionne fort. C'est un véritable cauchemar, se jouant de nos émotions primaires comme la peur, la colère ou la répulsion. J'ajoute que son cadre réel demeure imprécis - il semble que ce soit la Normandie (Le Havre). Julia Ducournau s'est aussi aventurée à multiplier les temporalités. Résultat: si, au début du film, on peut imaginer être dans le temps présent, on risque de s'égarer ensuite en essayant de suivre le fil illogique de flashbacks impromptus, où les époques se mélangent ! Que faut-il dès lors comprendre ? Je ne suis pas certain de le savoir...

Alpha
Film français de Julia Ducournau (2025)

C'est déjà convaincu que la réalisatrice pourrait devenir une figure importante du cinéma national que j'ai donné sa chance à cet opus. Las ! Les outils mis à sa disposition me paraissent en fait l'enfermer dans un univers borné, où ses seules idées et lubies ont droit de cité. L'aspect horrifique de ses oeuvres n'est pas si moderne, finalement. Je préfère les classiques: Carrie, Suspiria ou Evil dead, par exemple.

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Et je ne suis pas le seul déçu, on dirait...

Vous vérifierez d'ailleurs que l'avis de Pascale est encore plus cinglant.

samedi 20 septembre 2025

À sec

Vous l'aurez constaté... ou pas: le cinéma australien se fait assez rare sous nos latitudes. Pour cette ultime chronique estivale, j'ai envie d'évoquer un film que la crise Covid a privé d'une sortie dans les salles françaises: Canicule (qui, en fait, nous parle plutôt de sécheresse). Ce qui a pu m'attirer ? La présence d'Eric Bana dans le rôle principal...

L'acteur était en fait le seul que je connaissais dans la distribution. Son charisme le rend bon et crédible dans le rôle d'Aaron Falk, un flic de retour dans la ville de son adolescence pour assister aux obsèques d'un vieil ami. Situation sordide: le défunt est supposé s'être suicidé après avoir tué sa femme et son petit garçon. Mais le doute persiste sur ce qui s'est réellement passé, à la fois quelques jours auparavant et vingt ans en arrière, Aaron étant désigné responsable de la noyade d'une fille de son entourage. Une double enquête (re)démarre donc. Que dire ? Le film que j'ai vu s'avère assez efficace dans son genre. Ses presque deux heures passent vite et sans véritable temps mort. D'aucuns l'ont comparé avec ceux que Clint Eastwood a su réaliser dans sa veine intimiste: je dirais que c'est un trop gros compliment pour ce long-métrage de bonne facture, certes, mais qui reste sage. Qu'il se place sur une terre où il n'a pas plu lors des 324 jours écoulés importe assez peu: l'histoire aurait été la même au coeur de l'Alaska. Soyez en tout cas sûrs d'une chose: je n'ai rien de honteux à signaler !

Canicule
Film australien de Robert Connolly (2021)

Ah oui, ce titre... celui de la VO (The dry) me semble plus approprié. Il est regrettable que le scénario n'exploite pas davantage cet espace éminemment cinégénique qu'est le bush, créant cependant une ville imaginaire - Kiewarra - dont j'aurais aimé sentir l'intense chaleur. Pour cela, le mieux aurait été de revoir Tracks, dans un autre genre. Côté polars, je conseille Dans la brume électrique et La isla minima.

jeudi 18 septembre 2025

Faux frères

Pat Garrett et Billy le Kid: le titre est explicite pour évoquer deux des plus fameux hors-la-loi américains, vers la fin du 19ème siècle. Une petite dizaine d'années séparaient ceux qui restent des légendes de l'Ouest et furent peut-être des amis. C'était avant que le premier décide de se ranger. Devenu shérif, il entama une traque du second...

Je laisse à d'autres le soin de vous dire ce que l'on sait avec certitude de leurs incroyables parcours. Le cinéma vous en donnera une vision particulière sous la caméra du grand Sam Peckinpah. Il faut savoir que le réalisateur n'a pas pu imposer son regard à ses producteurs. Plusieurs versions du film ont dès lors circulé: je crois en avoir vu une assez proche de ce que les spécialistes appellent un "director's cut". Avec James Coburn et Kris Kristofferson en tête d'affiche, ce western tardif m'a beaucoup plu. Prudence ! La violence y occupe une place importante: les bandes naissent - et meurent - à coups de revolver. Les conflits se règlent presque à chaque fois en duel ou en fusillade. Et, si le monde change, ce serait plutôt à l'avantage des propriétaires terriens qu'à celui des ultimes desperados, avides de grands espaces !

Il y a de fait une certaine mélancolie dans Pat Garrett et Billy le Kid. Elle est accentuée par une bande originale écrite par... Bob Dylan ! Surprise: du haut de ses 32 ans, l'acteur figure aussi dans le casting et, même si son rôle n'est pas central, il s'en tire honorablement. L'ironie là-dedans, c'est que son personnage (mutique) s'appelle Alias. Le film, lui, met en avant une photo irréprochable, où les codes esthétiques classiques du Far West sont plus que respectés: sublimés. Le scénario est limpide et un astucieux montage alterné nous permet de suivre les différentes pérégrinations des principaux protagonistes jusqu'à la toute dernière rencontre, décisive. Une forme de suspense s'instaure parfois et, de manière logique, la tension va crescendo. Aujourd'hui réhabilité, cet opus fait donc lui aussi office de standard. Pas de vrais héros, cependant: juste des hommes et leurs destins. Certes, on pourrait trouver à redire, mais j'y ai trouvé mon compte...

Pat Garrett et Billy le Kid
Film américain de Sam Peckinpah (1973)

Pleine satisfaction personnelle pour cette toute première incursion dans le travail du cinéaste californien. J'en ferais volontiers d'autres. Vous pourrez désormais replacer ce bel opus face à une production d'Arthur Penn: Le gaucher - avec Paul Newman (1958). Les années 70 rivalisent avec Little Big Man, Bad company ou Jeremiah Johnson. Et Clint Eastwood dans L'homme des hautes plaines et Josey Wales !

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Mon film du jour titille votre curiosité ?
Princécranoir, Benjamin et Lui ont, eux aussi, témoigné de leur avis. Et Vincent l'a (notamment) cité dans une réponse à un questionnaire !

mercredi 17 septembre 2025

Made in China

Un ami - coucou Carlos ! - venu voir Escape from the 21st century avec moi m'a indiqué que c'était la première fois qu'un film chinois était à son programme. De mon côté, j'avais envie d'aborder la filmo de Bruce Lee, mais je n'y ai plus repensé depuis... le 16 avril 2020. Petit Dragon est toujours le roi du box-office en France pour ce pays !

Bon... le fait est que je n'ai pas non plus revu les deux chefs d'oeuvre classés juste derrière les quatre réalisations majeures du maître éternel du kung-fu: Tigre et dragon (photo) et In the mood for love. Sortis l'un et l'autre en 2000, ces longs-métrages de très haute tenue demeurent les seuls à avoir dépassé le million d'entrées dans les salles françaises au 21ème siècle. Le leader du classement 2025 provisoire s'appelle Black dog et il n'a guère attiré "que" 264.884 spectateurs. Après un Prix à Cannes, c'est à mon humble avis un score décevant...

Les chiffres le prouvent: il est difficile de se faire une place au soleil français quand on est artiste de cinéma et arrivé tout droit de Chine. Il semble que, pareillement, les réalisateurs de France (et d'Europe) aient très peu d'audience dans les cinémas de la République populaire. Les principaux films étrangers à succès sont américains ou japonais. Anecdote au passage: j'ai déjà vu quatre films chinois cette année. L'aurez-vous deviné ? C'est un record personnel. Le porter plus haut n'est pas un objectif, mais si vous avez des conseils, je suis preneur. À dire vrai, je n'ai rien repéré de particulier d'ici à la fin du millésime. L'avantage étant que cela laisse grand ouvert le champ des possibles !

lundi 15 septembre 2025

Tout, partout, etc...

Voir quelque chose d'encore plus dingue en 2025 ? Ce sera difficile. Escape from the 21st century est un film chinois que j'ai découvert un peu par hasard, en commençant par sa bande-annonce déjantée. Ensuite, son pitch et une mini-critique positive des Fiches du cinéma auront suffi à me convaincre de lui donner sa chance. Et c'était parti !

Chengyong, Wang Zha et Paopao sont trois amis, adolescents. Ensemble, ils n'hésitent pas à faire le coup de poing contre tous ceux qui regardent d'un peu trop près la petite copine du premier nommé. Après une bagarre qui tourne mal, ils sont projetés dans une mer polluée et, une fois de retour au sec, développent un super-pouvoir inattendu: celui de débarquer dans le futur... après avoir éternué ! C'est en constatant l'évolution de leur lieu de vie vingt ans plus tard qu'ils pourraient démanteler un réseau criminel et sauver le monde. Tout ceci est censé se dérouler en 1999 et 2019 sur une planète appelée K et dont l'apparence ressemble beaucoup à celle de la Terre. Suffisamment en tout cas pour vous donner 2-3 repères dans ce film agité qui part littéralement dans tous les sens. Vous serez prévenus...

Autant insister: Escape from the 21st century ne laisse aucun répit. Constamment en mouvement, avec de nombreuses touches de cinéma d'animation au milieu des images réelles, il fonce à 2.000 km/h ! Parvenir à le suivre dans ses innombrables virages est un exploit d'autant plus remarquable qu'il ose allégrement mélanger les genres. Au tout premier abord, j'ai cru avoir affaire à une comédie futuriste complètement folle, mais quelques séquences vraiment mélancoliques ou dramatiques sont venues tempérer cette impression de pur délire. Bien que foutraque, il semble que le film ait aussi des choses à dire sur notre monde à nous, choses que vous entendrez donc peut-être dans l'hypothèse où vous vous y montrerez attentifs et sensibles. Sinon ? Rien ne vous interdit de prendre cet OFNI au premier degré. L'expérience a de quoi réjouir tout cinéphile un tant soit peu curieux. De là à la dire incontournable, il y a un pas - que je ne franchirai pas !

Escape from the 21st century
Film chinois de Li Yang (2024)

Ce maelström d'images et de sons m'a laissé "vidé" sur mon fauteuil ! J'aurais presque envie de le revoir, mais... je vais attendre un peu. Certains l'estiment réussi là où Everything everything all at once leur apparaît finalement comme une tentative ratée de cinéma total. D'autres le comparent avec Scott Pilgrim et/ou Ready player one. Côté cinéma chinois, j'avais aimé parcourir Le royaume des abysses.