Et revoilà Joss ! Mon amie souhaite aujourd'hui vous parler d'un film que je n'ai pas encore vu. Coup de bol: je trouve ce choix excellent ! Sans attendre davantage, je lui cède donc la place: Joss, c'est à toi...
Tout a sûrement été dit sur
Les noces rebelles (
Revolutionary Road en VO), un film décortiqué, débattu, critiqué et vivement encensé. Mais ne pourrait-on dire qu'il fait partie de ces imperfectibles, tout simplement parce qu'il approche la force du sublime ? C'est un choc. Humainement, intellectuellement, esthétiquement parlant. Et l'on peut ne pas avoir toujours l'humeur de le revoir facilement pour son histoire si douloureuse, mais à chaque fois, immanquablement, on y découvrira des détails dont on se demande comment on a pu passer à côté, la fois précédente.
Le scénario de Justin Haythe fut tiré de l'excellent roman de Richard Yates, publié en France sous le titre
La fenêtre panoramique, vivement critiqué aux États-Unis pour sa remise en question de la nature du mariage. Beaucoup de personnes avaient alors considéré ce livre comme un pamphlet contre la banlieue, alors que l'auteur le voulait comme une charge contre la soif générale de conformisme et la quête de sécurité à tout prix: "
Je voulais suggérer que la route de la Révolution de 1776 était devenue, dans les années cinquante, quelque chose qui ressemblait beaucoup à une impasse".
Personnellement, le titre du livre me plaisait beaucoup. Non pas que
Les noces rebelles ne m'évoquent rien, mais j'appréciais ce titre de roman si paradoxal au regard du contenu. Et puis, après tout, celui de ces
Noces rebelles marque peut-être mieux les retrouvailles entre Leonardo DiCaprio et Kate Winslet, onze ans après
Titanic de James Cameron. On y revoit aussi l'actrice Kathy Bates, ex-Molly Brown dans
Titanic (la bourgeoise parvenue, embarquée à Cherbourg, qui prend la défense de Jack devant l'aristocratie à laquelle elle n'appartient pas elle-même) et ici dans le rôle de Helen Givings, l'agente immobilière.
Autre élément particulier (d'influence ?): ce film américano-britannique est le premier de Kate Winslet dans lequel elle est dirigée par son mari d'alors, Sam Mendes, qui réalise son quatrième film, après l'oscarisé
American beauty, le film de gangsters
Les sentiers de la perdition et le film de guerre
Jarhead: La fin de l'innocence. Étude de mœurs à la fois liée à son temps et également intemporelle en ce qui concerne l'humain, ce nouveau film est une véritable consécration de talents, de celles que l'on n'oublie jamais.
Dans l'Amérique des années cinquante, April (qui suit des études de comédienne) et Frank (qui collectionne les petits boulots, notamment le dernier dans une compagnie d'assurance) font connaissance l'un de l'autre, séduits par leur anti-conformisme respectif, leur ambition de légèreté et de grandeur. Et c'est sur ces idéaux élevés qu'ils vont s'épouser et fonder une famille avec deux enfants, qu'ils installent bientôt justement sur Revolutionary Road ! Inertie du lotissement, nécessité de partir travailler même sans enthousiasme pour Frank qui se noie le matin dans un flot de costumes gris, et qui cache comme il peut son manque de confiance en lui derrière une grande désinvolture. Tandis qu'April (qui a vécu son insuccès au théâtre) se morfondra toute la journée. Tout va les conduire à devenir ce qu'ils ne voulaient pas être, jusqu'à ce qu'April lance un projet d'installation à Paris. Frank se laisse convaincre, suscitant parmi ses collègues comme parmi leurs voisins une vague de jalousie dont on perçoit la toxicité dans un malaise palpable. Mais bientôt, une promotion inattendue dans le travail de Frank marquera le point de départ d'une chute vertigineuse…
Si, dans Titanic, les deux héros étaient bien à leur place, il en va de même pour Les noces rebelles. Les deux gardent sur eux et en eux la marque d'une jeunesse pleine d'illusions auxquelles rien en réalité ne pourrait nous empêcher de croire. Il y a de la folie, mais encore plus celle de la refuser. Et pourtant, à des indices uniquement induits par la mise en scène, à quelques silences ou accords (musique originale de Thomas Newman, habitué de tous les films de Sam Mendes), la tragédie va monter en puissance. Accablante.
Plus encore que DiCaprio qui joue sur des cordes plus accessibles (cette fameuse désinvolture qui le fait s’agiter et palabrer, son manque de détermination…), Kate Winslet se révèle une fois encore extraordinairement complexe et authentique. Encore plus vraie que dans toute autre prestation. Que de sincérité dans ses regards et le moindre de ses gestes ! Bien sûr, Leonardo s'y montre très bon, mais comme toujours aussi bon dans les rôles qui l'apparentent à un homme très jeune, voire à un jeune homme immature, déconnecté de la réalité. Aucun mystère de son côté.
Dans cet opus de Sam Mendes, sous un premier aspect très classique de l'histoire de couple, on va éviter tous les écueils, poncifs ou pathos. La photographie de la rencontre nous emmène pourtant dans une valse. Non, c'est un slow, mais l'image de la valse est bien plus approprié, vous m'aviez comprise ! Rien ne manque, du romantisme, de l'harmonie, de l'esthétique (tons mordorés, halos avantageux, lumières de fête sophistiquées, comme dans un rêve auquel nous aspirons tous ou presque, pour l'avoir vécu ou fantasmé). Et bien que l'on en recueille la sensation physique de l'émotion du détail, la scène n'est pas si longue. Et nous voilà si vite projetés dans la vie déjà très installée de ce couple en grande souffrance ! Bref, quel talent, quelle perspicacité dans le scénario et la mise en scène pour nous faire ressentir que le film n'est pas là où on nous l'a fait croire quelques dizaines de secondes auparavant !
Nous les retrouvons sept ans plus tard et parents de deux enfants. Et maintenant, nous sommes au fait de leurs tempéraments respectifs. Elle qui se sent diminuée et préfère le retrait, le silence, lui qui culpabilise et démarre au quart de tour, levant la voix et de mauvaise foi parce qu'il ne sait comment faire autrement pour s'affirmer, donner le change à un esprit faible, plein d'illusions qu'il ne mettra d'ailleurs jamais en œuvre, ne serait-ce que dans une simple décision. Tout y est juste. Pendant la première partie du film, on ne peut s'empêcher d'entretenir quelques espoirs, sous une forme ou une autre, mais très vite, l'on intègre que l'on n'en sortira pas indemnes. L'aspiration à l'anticonformisme du couple ne pourra résister. Comme dans des sables mouvants dont nous extirperait temporairement un petit mouvement de jambe, nous nous enliserons fermement comme les deux personnages. Le tour de force est magistral. A force d'empathie, nous risquerions fort de couler avec eux. Et ça, nous le sentirons très vite.
La peinture, moins focalisée, mais tout aussi insidieuse et forte, des couples environnants (les voisins et celui de l'agente immobilière) finira de dresser le panorama complet. On y découvrira le fils du couple Givings (avec un patronyme tombé du ciel, puisqu'il s’agit quand même de ceux qui apportent… la maison !), un Michael Shannon absolument génial dans son rôle de dépressif violent (qui aurait d'ailleurs mérité l'Oscar du meilleur second rôle. Toute la vérité sortira de lui, mais comme le personnage est définitivement catalogué au rang des faibles d'esprit, on pourra encore un moment essayer de ne pas le croire (tout comme les héros qui tenteront d'y résister). Médiocrité, lâcheté, hypocrisie, tout y est. Sauf dans le personnage d'April, admirable. En parallèle à l'adultère de Frank, il y a par exemple celui d'April, en rien comparable. Alors que Frank joue un rôle devant sa conquête Maureen (remarquable dans sa naïveté et ses prétentions), jouant avant tout avec lui-même, l’adultère d'April est presque une conclusion affichée.
Quand elle se lève pour aller danser avec son voisin, après un concours de circonstances que ni l'un ni l'autre n'ont d’ailleurs provoqué, c'est un "
On y va" résolu et ferme, la matérialisation de son constat personnel, terrible. On comprend à quel point elle est déterminée (avec elle, pourrait-on s’attendre à du tiède ?). Ce moment de danse (encore un !) est d'une sensualité foudroyante. Quand elle se trouve seule aux commandes, April réussit forcément à donner le meilleur. On ne peut d'ailleurs que regretter son manque de chance ou de nez pour avoir accepté cette pièce de théâtre caricaturale où elle était bien la seule à briller (
dixit son propre mari), au milieu d'une brochette de comédiens gris et très vieillissants. Mais cela appartient au passé ! Je vous l'ai déjà dit, et au risque de me répéter, on est maintenant possédé par le devenir de ce couple, quitte à ressasser des regrets ou des remords comme s’il s'agissait de notre propre existence. C'est fort quand même !
Essayant de ne pas trop détailler la fin du film (bien que très peu d'entre vous ne l'auront pas déjà vu), je soulignerais simplement la maestria du rythme qui retombe. Comme un projecteur sur tous les personnages restants, on visualisera les différents tableaux d'un quotidien… tranquille ! Terrifiant. Bouleversant. Inoubliable. J'en ai froid dans le dos !
--- Distribution ---
• Kate Winslet : April Wheeler
• Leonardo DiCaprio : Frank Wheeler
• Dylan Baker : Jack Ordway
• Kathy Bates : Madame Givings
• Richard Easton : Monsieur Givings
• Kathryn Hahn : Milly Campbell
• Zoe Kazan : Maureen Grube
• Dylan Baker : Jack Ordway
• David Harbour : Shep Campbell
Golden Globe 2009 de la meilleure actrice pour Kate Winslet
--- Nominations ---
Oscars 2009 :
Meilleur acteur second rôle pour Michael Shannon
Meilleure direction artistique
Meilleure création de costumes
Golden Globe Awards 2009 :
Meilleur film dramatique
Meilleur réalisateur
Meilleur acteur dans un film dramatique pour Leonardo DiCaprio
British Academy Film Awards (BAFTA) 2009 :
Meilleure actrice dans un rôle principal pour Kate Winslet
Meilleur scénario adapté
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Encore une sacrée chronique de Joss, pas vrai ? Pour l'heure, j'ignore tout de ce qu'elle nous réserve pour la prochaine. Soyons patients ! Jusqu'à présent, nous avons apprécié de bien beaux films. À suivre...