dimanche 30 novembre 2014

Inéluctable

Vladimir Poutine n'y est pas pour rien: un certain nombre de préjugés tenaces colle à l'image de la Russie. Je me garderai bien d'un avis tranché sur la question - mes connaissances sur ce gigantesque pays sont objectivement plus que limitées. Côté cinéma, je n'avais pas vu le moindre film russe depuis environ cinq ans quand j'ai découvert Léviathan, honoré à Cannes du Prix du scénario, le 25 mai... dernier.

Bon, autant le dire: si vous assimilez les Russes à des "princes" corrompus, de pauvres gens et/ou des alcooliques impénitents, il est possible que Léviathan vienne confirmer ces idées-là. L'histoire tourne autour de Kolia et Lylia, couple menacé d'expropriation. Évidemment, l'indemnisation qui leur est proposée est dérisoire comparée à la valeur - réelle et affective - de leur maison. L'intervention d'un ami avocat n'y change rien: la loi et la justice demeurent du côté des puissants et, en l’espèce, du maire, peu enclin à faire preuve de patience. Sans entrer dans les détails d'un scénario effectivement remarquable, je vous dirai simplement que, pour Kolia et Lylia, tout ira bientôt de mal en pis. C'est la vieille rengaine habituelle, celle du combat de David contre Goliath. La différence essentielle tient à ce que, cette fois, c'est le géant qui gagne. Amis lecteurs qui préférez les happy ends, il vaut mieux aller voir ailleurs...

Vous êtes encore là ? Parfait ! Si le drame ne vous rebute pas d'emblée, vous avez toutes les raisons du monde d'apprécier ce film exigeant, mais par ailleurs d'une grande beauté. J'avais entendu quelqu'un dire qu'il aurait pu être récompensé pour sa mise en scène. Je confirme ! Léviathan est aussi d'une incroyable puissance formelle. J'y ai vu quelque chose qui ressemblait à un opéra. Sur une musique de Philip Glass, les premières images fixent un décor et accrochent aussitôt le regard: nous voilà projetés avec force sur une terre inhospitalière, le rivage de la mer de Barents, au nord de la Russie occidentale. Entre ce fastueux prélude et un épilogue très comparable en intensité, j'ai pris une vraie gifle et j'en suis vraiment content ! Andreï Zviaguintsev a eu 50 ans cette année. Artiste rare, il n'a signé "que" quatre films en onze ans. Le regard qu'il porte sur son pays mérite le détour, soyez-en sûrs. Vous pouvez oublier les préjugés...

Léviathan
Film russe d'Andreï Zviaguintsev (2014)

J'aurai au moins une prochaine occasion de me frotter au cinéma russe... et à Andreï Zviaguintsev. Patience, patience... j'en reparlerai probablement très vite ensuite. À ce stade, je ne sais pas quel film citer pour vous servir de point de comparaison. Le seul long-métrage russe dont j'avais parlé ici jusqu'alors, c'était Mongol - rien à voir. Mon inculture est encore plus manifeste sur le cinéma soviétique...

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Un mot sur le titre, pour compenser...
Monstre du chaos primitif de la mythologie phénicienne, le Léviathan apparaît aussi dans la Bible et notamment dans le Livre de Job. Thomas Hobbes, philosophe anglais du 17ème siècle, utilisa son nom comme titre d'un de ses ouvrages. L'occasion d'évoquer sa conception de l’État et d'affirmer que chaque homme poursuit prioritairement son propre intérêt. Cette idée, le film fait bien plus que la suggérer...

Et pour finir, feriez-vous un p'tit tour sur un site ami ?

Au choix: "Le blog de Dasola" et/ou "Sur la route du cinéma".

samedi 29 novembre 2014

Un père, une fille

Il s'était passé presque un an depuis mon dernier film québécois. Encore une fois, c'est Arte qui m'a permis de rattraper mon "retard" en m'initiant au cinéma de Denis Côté, réputé pour ses aspects insolites. Sauf erreur, Curling est son cinquième long-métrage. D'après mes lectures, ce serait aussi le premier distribué en France. Je continue de trouver notre francophonie cinéphile trop restrictive...

C'est de ce fait avec un plaisir manifeste que j'ai regardé Curling. Quelque part au Québec, un père, Jean-François Sauvageau, élève seul sa fille, Julyvonne, 12 ans. La gamine est coupée de tout contact extérieur: elle n'a aucun(e) ami(e) et ne va même pas à l'école. Cependant, en grandissant, elle manifeste l'envie d'une autonomie relative ou, au moins, l'espoir que son paternel autorise des sorties. Apeuré, ce dernier l'emmène alors sur ses lieux de travail, un motel bientôt fermé ou un bowling géré par une toute petite équipe. Julyvonne visite parfois Rosy, sa mère... en prison. Elle reste cloîtrée à la maison, le plus souvent. Si j'ai un conseil à vous donner pour voir ce film, c'est surtout de ne pas chercher trop d'explications. L'attente d'un cadre rassurant est vite découragée. Le scénario laisse des trous béants dans le récit et invite notre propre imagination à les combler.

Le procédé peut dérouter. Je parierais bien que certains décrocheront rapidement, quand Julyvonne croise un tigre lors d'une escapade clandestine en forêt  ou quand, au milieu de la neige, elle découvre les cadavres congelés d'un groupe d'inconnus. Projections mentales d'une gamine conditionnée pour avoir peur, d'après certains critiques. C'est possible. Cette irrationalité fait en tout cas partie du charme étrange de Curling. Il m'a paru difficile de ne pas avoir d'empathie pour ce père solitaire, confronté au grand défi de l'éducation monoparentale. D'autres y lisent tout autre chose: une névrose obsessionnelle pour son enfant, mâtinée peut-être d'une dose d'inceste. Pour ma part, j'ai vu dans le personnage de Jean-François une évolution qui me semble invalider cette piste. À chacun sa vérité. Le septième art n'accouche pas toujours d'oeuvres aussi ouvertes...

Curling
Film canadien de Denis Côté (2011)

Papa poule ou père abusif ? C'est à vous de le décider. Je dois dire qu'il m'a inspiré plus de pitié que d'inquiétude. Les images finales m'ont rassuré quant à sa manière d'envisager l'avenir de sa fille. Franchement, je crois qu'on est à mille lieues de l'ambiance mortifère d'un Canine, par exemple. C'est peut-être la neige qui vient adoucir l'étonnant propos de Denis Côté. Une certaine ambigüité subsiste...

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Si jamais vous voulez d'autres avis...
Pascale livre le sien sur son propre blog: "Sur la route du cinéma". Aucune autre possibilité parmi mes références habituelles, désolé...

Et pour finir, une chose amusante quant aux acteurs...
Emmanuel et Philomène Bilodeau sont père et fille dans la vraie vie !

vendredi 28 novembre 2014

La proie de l'autre

52 ans et dix longs-métrages: je vais peut-être arrêter de considérer David Fincher comme un petit malin. Cela étant, il reste indéniable que le natif de Denver, Colorado apprécie les mystères poisseux capables de lui/nous retourner le cerveau. Adaptation paraît-il fidèle d'un bestseller de la littérature policière, Gone girl en construit un. Son scénario est signé Gillian Flynn, déjà auteur(e) du roman originel.

Venus de New York vivre dans le Missouri, Amy et Nick Dunne forment ce qu'il est convenu d'appeler un couple sans histoire. Ils sont mariés depuis cinq ans et leur harmonie saute aux yeux. Vraiment ? Un jour où les tourtereaux sont censés célébrer leur anniversaire, Nick sirote un bourbon au pub du coin et raconte ses déboires conjugaux à la fille du comptoir, Margo, qui est aussi sa soeur jumelle. Quand il rentre finalement chez lui, il n'y retrouve que son chat: Amy a disparu et, détail angoissant, la table du salon est en miettes. Son sang-froid relatif et son allure désinvolte font que le "pauvre" mari se trouve bientôt accusé de meurtre. Gone girl entame alors un chassé-croisé visuel pour nous montrer le présent, mais aussi le passé d'une union pas-si-modèle-que-ça. C'est assez bien ficelé, même sans éviter complètement les clichés du genre. Les images sont plutôt réussies dans le genre "esthétique glacée" et composent lentement un maillage oppressant, densifié par la musique de Trent Reznor et Atticus Ross. Bref, sur le seul plan formel, je ne vois aucune fausse note à signaler.

Sur le  plan narratif, je me suis laissé embarquer, comprenant vite toutefois que Nick devait être innocent et l'histoire plus complexe qu'une banale dispute entre époux en route vers le crime. Ben Affleck joue intelligemment ce type dépassé par les événements, crédible dans le rôle ingrat du citoyen moyen sur fond de crise économique. Face à lui, Rosamund Pike est juste parfaite: sa blondeur cadre bien avec sa nature d'héroïne hitchcockienne, bien entendu moins sage qu'il n'y paraît au premier regard. J'ai aimé que Gone girl délaisse vite les oripeaux du thriller pour nous entraîner dans une réflexion complexe sur la dictature des apparences. Au passage, le film égratigne les mythes de l'Américaine contemporaine, grands avocats pénalistes, flics bornés ou mass medias tout-puissants. J'ai trouvé cette démonstration appuyée, un peu trop parfois pour être juste. David Fincher offre deux heures et demie de cinéma: c'est beaucoup. Il expédie quelques personnages en route: c'est dommage. La partie d'échecs reste jouissive pour qui se fiche un peu de la vraisemblance.

Gone girl
Film américain de David Fincher (2014)

Titre oblige, il me semble que le film pourrait aisément être confondu avec Gone baby gone, sorti en 2007, autre histoire de disparition réalisée par... Ben Affleck et interprétée par son frère Casey. Il y a probablement un peu plus de noirceur chez David Fincher, déjà réputé pour sa défiance à l'égard de la société consumériste (Fight club). Devant ce spectacle, j'ai également souvent pensé à Seven et Zodiac.

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Une histoire de qualificatif...

En évoquant ses défauts, certains disent du film qu'il est misogyne. Pas moi. Pervers ? Oui, je peux l'admettre. Et malsain ? Un tantinet. Initialement, j'avais pensé titrer ma chronique "Toile d'araignée"...

Il fait en tout cas parler de lui sur la blogosphère cinéma...

Vous pourrez donc en lire d'autres analyses sur "Callciné", "Sur la route du cinéma", "Le blog de Dasola" et "Le blog de Tinalakiller". J'encourage aussi un détour sur l'espace "Ma bulle" de Princécranoir. Sans oublier, par souci d'exhaustivité, d'aller voir "Chez Sentinelle"...

jeudi 27 novembre 2014

La balade de l'ange

C'était couru d'avance: mon souhait de mieux connaître le cinéma allemand devait forcément m'amener à voir Les ailes du désir. J'avoue que je n'aime pas trop ce titre français et lui préfère nettement Der Himmel über Berlin (Le ciel au-dessus de Berlin). Maintenant, j'ai aussi découvert le film dans la langue de Molière ! Arte m'a surpris par ce choix, je dois dire. Je leur pardonne, mais...

Les ailes du désir fait partie de ces films que j'aurais aimé appréhender sans en connaître rien. J'imagine parfois les émotions ressenties par nos pères (ou grands-pères) en découvrant directement dans la salle ce dont tel ou tel long-métrage pouvait parler. Je peux croire que c'était parfois inconfortable, mais vivre une expérience cinéma sans être déjà formaté par une bande-annonce ou une lecture préalable, c'est un plaisir rare, que je recherche parfois. Bref... il est vrai que cette fois, je savais d'emblée que j'allais rencontrer Damiel et Cassiel, deux anges descendus sur Terre. Je savais que le premier allait tomber amoureux d'une trapéziste, croisée sur son chemin. J'attendais aussi de voir Peter Falk, "dans son propre rôle ou presque" selon la critique que j'avais parcourue. Tout ça est bien présent. Désormais, c'est moi qui en dis trop ! Deux ans à peine avant la chute du Mur, Wim Wenders filmait là une étonnante déambulation urbaine.

Je connais encore bien mal le réalisateur allemand. Les cinéphiles retiennent qu'avec Les ailes du désir, il signait également un retour dans son pays, après une période américaine lancée par l'invitation d'un dénommé Francis Ford Coppola. Retenu dans la sélection officielle de Cannes 1987, le film reçut le Prix de la mise en scène. Quelques plans (forcément) aériens nous invitent de fait à découvrir Berlin sous une facette inédite. Les anges ont bel et bien l'éternité devant eux, pas vrai ? Parce qu'ils demeurent invisibles au commun des mortels, sauf peut-être aux enfants, tout en captant les pensées des uns et des autres, le long-métrage s'appuie sur la contemplation. Les vrais dialogues y sont rares et sans grand intérêt sur le plan narratif. Je me suis parfois senti un peu en marge de cette histoire. Malgré ma germanophilie confirmée, je n'ai pas toujours été sensible à ce que ce lent récit nous dit de l'Allemagne. C'est bien dommage...

Les ailes du désir
Film allemand de Wim Wenders (1987)

Je termine avec cette notation, qui peut vous paraître sévère. Précisons alors que je donne souvent deux étoiles et demie aux films qui m'ont laissé indécis quant aux émotions qu'ils m'ont procurées. J'ai vu ici de très belles choses, mais n'ai pas tout compris, et en suis sorti un peu frustré. En fin de métrage, un carton annonce une suite. Fausse promesse... devenue réalité avec Si loin, si proche ! (1993).

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Ah ! Il me faut vous dire une dernière chose...
J'ai utilisé deux images en noir et blanc. Celui du film est très beau. Parfois, une scène ou un plan s'anime en couleurs. Plutôt vers la fin...

mercredi 26 novembre 2014

De neige et de sang

À commencer par le génial Sergio Leone, bien des réalisateurs italiens de westerns ont un temps caché leurs origines sous un pseudonyme anglo-saxon. Pas Sergio Corbucci, semble-t-il: le cinéaste romain assumait d'emblée sa différence, apparemment. Il y a un bon moment que je voulais découvrir son film le plus connu: Le grand silence. Histoire de me placer enfin parmi ses admirateurs (ou contempteurs).

Tu vois, lecteur, le monde se divise en deux catégories. Personnellement, j'ai vite été motivé à l'idée d'apprécier un western entièrement tourné dans la neige - ou la mousse à raser, parait-il. Quel beau décor, en tout cas ! Couvert de blanc, Le grand silence impose aussitôt cette image d'une nature dominante, de vie sauvage dans tous les sens du terme. Nous sommes dans l'Utah, en 1898. Quelque part en ville, un gouverneur un peu naïf a cru bon de décréter que le règne de la violence devait cesser, croyant pouvoir mettre fin aux agissements des chasseurs de primes. La réalité est toute autre sur le terrain: un juge de paix corrompu refuse d'appliquer l'amnistie promise aux bandits qui arpentent les montagnes, en fait des paysans ordinaires poussés par la faim. La vénalité des bounty hunters arrange bien ses affaires. Sans surprise immédiate, le scénario propose une énième variation sur le thème du règlement de comptes.

Silenzio semble du côté des proscrits, mais ne dit pas un mot: il veut surtout venger la mort de ses parents. Tigrero, lui, se rangerait plutôt du côté de la loi et applique d'abord la sienne, celle du plus fort. Jean-Louis Trintignant versus Klaus Kinski: l'affiche est aussi atypique qu'alléchante. Le grand silence lui doit beaucoup, l'absence de texte dans la bouche du Français offrant une incongruité supplémentaire. L'Allemand, lui, est superbe, aussi ambigu que d'habitude et maîtrise parfaitement ses émotions: un méchant comme je les aime. Maintenant, là où le long-métrage se démarque très significativement des standards du genre, c'est dans son déroulé. Les amateurs trouveront là tous les archétypes attendus, jeune veuve éplorée devenue objet de concupiscence, putain généreuse et shérif incompétent. La conclusion est écrite: la mort va frapper et le froid revenir. Et là, ô stupeur ! Rien ne se passe finalement comme prévu !

Le grand silence
Film italien de Sergio Corbucci (1968)

Quelques gros plans mal maitrisés et autres mouvements de caméra hasardeux nuisent à l'image de ce western pas-comme-les-autres. Corbucci n'est pas Leone, même avec un prénom en commun. Tourné deux ans après Le bon, la brute et le truand, le film d'aujourd'hui n'en a pas l'ampleur. Son auteur reste toutefois une figure du cinéma transalpin. Son Django (1966) a ému un certain Quentin Tarantino...

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Si vous voulez arpenter les Dolomites à cheval...

Le rédacteur de "L'oeil sur l'écran" pourrait vous servir de guide. Princécranoir, lui, vous aurait tout dévoilé du chemin ("Ma bulle").

Pour les "westernophiles" les plus chevronnés...
Je signale aussi qu'une fin alternative a été tournée, à la demande des producteurs du film. Elle est visible sur le DVD... et sur Youtube.  

mardi 25 novembre 2014

Une vie samba

Les cinéphiles le savent bien: Annecy, 53.013 habitants en 2011 d'après la mairie, n'est pas que le chef-lieu de la Haute-Savoie. Depuis 1960, la petite cité alpine accueille un festival du cinéma d'animation. Référence internationale, l'événement a, au mois de juin dernier, généré 115.000 entrées en six jours, avec plus de 500 films projetés, venus de 26 pays. De quoi repousser quelques frontières...

Cette année, le Cristal, le plus prestigieux des prix du Festival d'Annecy, est allé à une oeuvre brésilienne: Le garçon et le monde. J'ajoute que le long-métrage s'est aussi vu décerner le Prix du public. C'est la deuxième création d'Alê Abreu, après un premier opus resté inédit en France. J'ai eu la chance de la découvrir il y a trois semaines environ, dans la plus petite des salles - 37 fauteuils - du... plus petit des cinémas de ma ville. J'en suis sorti absolument en-chan-té ! Comme le titre le suggère, il est ici question d'un petit garçon, qui vit à la campagne avec ses parents. Les premières images le montrent en train de gambader dans la nature, visiblement heureux. Le titre original s'affiche alors et le ton change: le père quitte la petite famille et l'enfant reste, désemparé, avec sa mère pour unique compagnie...

Une petite heure et demie durant, Le garçon et le monde nous place à la hauteur d'un marmot pour envisager la conséquence sur le groupe familial du départ d'un de ses membres. Il semble assez difficile alors de réfréner une empathie à l'égard de ce p'tit bout, privé de son papa. La vraie magie, c'est d'être touché par un dessin. S'il s'enrichit d'innombrables couleurs et de formes plus complexes, le graphisme premier du film paraît assez simpliste, un peu comme si un enfant s'était soudain emparé des crayons de l'auteur. Je me suis convaincu en l'admirant que ce style pouvait aider les plus jeunes à s'immerger dans le scénario. Je crois toutefois qu'il me faut également souligner qu'il n'y avait pas que des enfants avec moi dans la salle. Il y avait aussi des adultes, venus seuls comme moi, ou en groupe de "grands".

C'est que, derrière sa simplicité apparente, le film a un message "politique" à faire passer, un message auquel les petits spectateurs resteront (peut-être) insensibles. C'est sans doute une caractéristique due à sa nationalité brésilienne: le long-métrage offre une tribune aux idéaux libertaires et écologistes. Quand le père du petit garçon s'efface dans le lointain, c'est en fait comme si un monde entier disparaissait avec lui, un univers jusqu'alors harmonieux que vient souiller une logique plus matérialiste, productiviste, quasi-guerrière. Le garçon et le monde quitte le royaume de l'enfance pour arpenter des terres réservées à certains adultes seulement, princes dictatoriaux de mégalopoles régies par les valeurs de l'argent. Quelques images réelles arrivent et, avec elles, l'idée de désolation...

Vous l'aurez compris: si le film vous propose un incroyable voyage parmi les couleurs du Brésil, il en explore aussi la face sombre. Aspect intéressant: il ne donne aucun véritable repère temporel, l'imagerie laissant la place à l'idée d'un futur possible, mais contenant également son lot de références traditionnelles, ancrées dans une sorte de passé reconstitué et imaginaire. Ce qui m'a touché, c'est que le film déroule son scénario presque sans aucune parole: quand les personnages s'expriment, ce qui n'arrive que rarement, ils le font dans un langage inventé, qui est en fait du portugais inversé ! Le garçon et le monde m'a touché aussi grâce à sa bande originale, mélange bien dosé d'airs de carnaval et de musiques rap. De quoi accompagner vos émotions jusqu'au bout du bout du générique final. Une vraie et belle réussite !

Le garçon et le monde
Film brésilien d'Alê Abreu (2014)

C'est peut-être un détail pour vous, mais pour moi, ça veut dire beaucoup: cette merveille de dessin animé me permet aussi d'ajouter un nouveau pays à mon "tableau de chasse" cinématographique. Jusqu'alors, le film qui m'avait le mieux permis d'approcher le Brésil était le bien nommé Rio - un autre dessin animé, venu lui d'un studio américain. Bon, rien ne vous interdit d'apprécier les deux, bien sûr...

lundi 24 novembre 2014

Avec les requins

La crise économique serait-elle propice au bon cinéma ? Si on y pense en termes de production, la réponse est très probablement négative. En revanche, l'économie qui dégringole peut inspirer les scénaristes. L'idée de Margin call est d'observer la récession de l'intérieur, au sein même d'une banque d'investissement soudain menacée par la toxicité de ses avoirs. Toute ressemblance avec la réalité n'est pas fortuite...

Avant de tourner, le scénariste-réalisateur a interviewé des vétérans de la finance. Son propre père a travaillé pour Merrill Lynch. On dit que, jusque dans son nom, John Tuld, l'un des personnages du film s'inspire de l'ex-patron de Lehman Brothers, Richard Fuld. Il est clair qu'un certain réalisme a été recherché ici: les locaux d'une ex-société de gestion... en faillite ont été utilisés et forment un décor parfait. L'intrigue démarre sur les chapeaux de roue: à peine le générique passé, une bonne partie des traders d'une grosse banque américaine est licenciée. Le plus ancien n'a que 24 heures pour accepter la prime offerte pour son départ. Son accès Internet et son abonnement téléphonique sont immédiatement suspendus. Problème: c'est lui aussi qui a soulevé le lièvre des finances "moisies" qui menacent l'équilibre de la société entière et, plus encore, de l'économie nationale. Le collègue à qui il a refilé le dossier avant de partir refait ses calculs, voit le danger confirmé, en avise alors son nouveau chef de service... Margin call ou la boule de neige qui grossit, grossit...

Autant le dire: juste techniquement, le scénario parle de choses difficiles à cerner pour le commun des mortels, qu'il soit question d'effet de levier, de volatilité ou bien encore d'autres concepts financiers pointus. Quand deux hauts cadres de la banque croisent une femme venue faire le ménage sans même la regarder ou lui dire bonjour, il est déjà très clair qu'il y a poisson et poisson à l'intérieur du bocal. C'est au fond sans surprise que les requins se dévorent entre eux, le plus fort n'étant finalement que celui qui a su réagir rapidement ou celui qui triche le mieux. Margin call joue beaucoup sur le décalage entre ces financiers incapables de chiffrer l'étendue d'un krach et les épargnants, inconscients de ce qui va leur tomber sur la tête. Le plus réussi dans tout ça est encore d'être resté à l'écart du pensum démagogique. Tout au plus déplorera-t-on des ressorts dramatiques un peu simplistes, entre le cynisme des uns et la naïveté des autres. Le casting ? Jeremy Irons, Kevin Spacey, Demi Moore, Paul Bettany, Stanley Tucci, Simon Baker, Zachary Quinto... parfaits !

Margin call
Film américain de J. C. Chandor (2011)

Un p'tit bémol dans ma notation, juste parce que le long-métrage paraît un peu froid, comme déshumanisé - c'était sans doute le but. Personnellement, je n'ai pas vu le Wall Street d'Oliver Stone, qui sert d'élément de comparaison à certains critiques et internautes cinéphiles. Le loup de Wall Street découvert chez Martin Scorsese verse quant à lui dans d'autres excès. Serait-ce un défaut ? Pas sûr...

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Les arcanes de la finance se dévoilent sur d'autres pages...

Vous avez le choix. "L'impossible blog cinéma" évoque les acteurs. Parmi les critiques positives, vous pourrez lire celles que publient "L'oeil sur l'écran", "Le blog de Dasola","Mon cinéma, jour après jour" et "Deuxième scéance". Un bon contrepoint: "Sur la route du cinéma".

Au fait, si je n'ai pas traduit le titre...

C'est volontaire: j'ai peur de vous en dévoiler un peu trop.

dimanche 23 novembre 2014

Chômeurs

J'ai été ému par l'humanisme d'Aki Kaurismäki quand j'ai vu son film tourné dans un port normand. J'ai prisé le côté absurde de son cinéma devant son personnage amnésique. J'ai ri du kitsch absolu d'un groupe de rock finlandais engagé dans une calamiteuse tournée-virée américaine. Aujourd'hui, je vais ajouter un quatrième opus à la liste de mes références du même cinéaste: Au loin s'en vont les nuages.

D'abord, une petite anecdote historique: l'année de sa sortie, le film marqua la troisième participation de son auteur au Festival de Cannes et, surtout, sa toute première sélection pour la course à la Palme. Même si le jury présidé par Francis Ford Coppola ne lui décerna aucune récompense, Aki Kaurismäki commençait à imposer son style. Sur l'aspect visuel en tout cas, Au loin s'en vont les nuages ressemble vraiment à ce que je connaissais déjà. Ce sentiment d'agréable familiarité s'est encore renforcé avec la présence à l'écran de Kati Outinen, la muse du réalisateur. Kari Väänänen, premier rôle masculin, est un autre visage connu: ici, il vient d'ailleurs remplacer Matti Pellonpää, l'acteur fidèle des tout premiers Kaurismäki, décédé quelques mois avant le tournage. Autour de ces décors et acteurs relativement habituels, le long-métrage m'a alors permis d'apprécier une facette plus sombre de son créateur. Et sans oublier de sourire...

Au loin s'en vont les nuages: le titre dit déjà beaucoup de choses. Reprise des paroles d'une chanson entendue dans le film, il annonce un possible happy end - je vous laisse juger seuls de la vraie nature de cette fin, réconfortante ou quelque peu ironique. Il vous faudra d'abord savoir accueillir un long-métrage atypique, peu bavard, entrecoupé de très nombreux fondus au noir, assez "anti-naturaliste" comme l'a suggéré celui qui, ce soir-là, le présentait dans le cinéma où je l'ai découvert. Concrètement, l'histoire d'Ilona et Lauri, couple en deuil d'un enfant et soudain frappé par le chômage, n'est pas drôle. La chose incroyable est qu'elle prête quand même à l'amusement. Face au sort qui s'acharne, les deux anti-héros se battent courageusement et, avec les moyens du bord, s'en sortent dignement. L'ironie tient notamment à ce que la source des problèmes apporte aussi leur solution, après la parenthèse désenchantée. Autant rire...

Au loin s'en vont les nuages
Film finlandais d'Aki Kaurismäki (1996)

À la table des grands réalisateurs sociaux, je placerais très volontiers Aki Kaurismäki à une place voisine de celle de Ken Loach. J'imagine qu'en se croisant à Cannes, les deux ont eu des choses à se dire. J'ajoute également notre Robert Guédiguian national. C'est bien à lui que j'ai pensé devant ce nouveau film et une Kati Outinen impeccable de sobriété, telle une Ariane Ascaride qui aurait migré vers le Nord...

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Un dernier soupçon d'ironie, peut-être ?
Cette année-là, la Palme d'or revint à un autre film social, britannique celui-là: Secrets et mensonges, de Mike Leigh. Un tout autre genre.

Quant à ce qu'il en dit, lui...
Invité du Festival de Lecce (Italie) l'année dernière, Aki Kaurismäki était notamment honoré d'une exposition de photos sur ses oeuvres. La légende sous celle d'Au loin s'en vont les nuages était une citation généreuse: "J'ai toujours eu l'ambition secrète que le spectateur sorte du cinéma en se sentant un peu plus heureux que lorsqu'il est arrivé".

samedi 22 novembre 2014

Références françaises

Puisque je vous ai parlé d'animation hier, je poursuis dès aujourd'hui avec deux courts-métrages français. Le premier a reçu le 2 mars dernier l'Oscar du meilleur court-métrage animé, quand le second s'était adjugé le César équivalent le 28 février. L'école d'animation française est une référence mondiale, dit-on. Des talents émergent régulièrement et certains s'exportent. Mieux qu'un fromage qui pue...

Bon, avant d'être exagérément cocardier, je me dois de souligner aussi que Mr. Hublot, distingué donc par l'Académie américaine derrière ses grosses lunettes rondes, est présenté par Wikipedia comme un court franco-luxembourgeois. Il s'inspire de personnages créés par Stéphane Halleux, un sculpteur belge. La francophonie triomphante de Laurent Witz et Alexandre Espigares, co-réalisateurs, porte une oeuvre... sans parole. Dans une métropole futuriste submergée par la mécanique, un homme solitaire et ultra-maniaque s'entiche d'un chien-robot. Le scénario tourne franchement à la farce quand le toutou grandit, avec tous les risques induits sur une vie jusqu'alors beaucoup moins mouvementée. Irréprochable sur le plan technique, Mr. Hublot amuse gentiment. Sans trop inventer, cela dit.

Sur l'aspect purement créatif, pour moi, c'est bien Mademoiselle Kiki et les Montparnos qui peut décrocher la Palme (ou le César, oui !). Grâce à ce programme court, j'ai d'abord découvert un personnage, celui de Kiki de Montparnasse, amie et modèle de tous les artistes majeurs du Paris de l'entre-deux-guerres, les Man Ray, Utrillo, Foujita, Modigliani et consorts. Une femme moderne qui fréquentait aussi les dadas, Picabia et Tzara, et les premiers écrivains surréalistes, Aragon, Breton, Éluard et j'en passe. Une époque d'insouciance relative, réinventée à partir du livre de souvenirs laissé par la dame (1901-1953). Par son seul graphisme, Mademoiselle Kiki et les Montparnos est une claque: c'est beau, coloré, virevoltant. Comme un tableau vivant, ces quatorze petites minutes d'animation émeuvent finalement, quand on saisit que cette vie de bamboche avait aussi des jours "sans". Bravo à la réalisatrice, Amélie Harrault !

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Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, à vos commentaires...

J'ai déjà l'intention de reparler ici de courts-métrages d'animation. Avant d'y revenir, je suis preneur de vos suggestions, sans attendre.

vendredi 21 novembre 2014

Minet pour minots

Ce soir-là, sur le canapé du salon, avec sa maman et moi, il y avait une petite fille de cinq ans et demi. Elle est restée plutôt silencieuse devant la télé, mais je ne suis pas sûr qu'elle ait tout compris. Confidence pour confidence: si elle n'avait pas été là, j'aurais regardé Le chat potté tout seul. Ce soir-là, sur le canapé du salon, j'espérais retomber en enfance. Bon, en fait, ça n'a pas tout à fait fonctionné...

Pote de l'ogre Shrek avant de pouvoir compter sur son propre dessin animé, Le chat potté est un roux matou venu des contes de fées. Outre son pelage, il a pour atout ses bottes, son chapeau à plume genre mousquetaire et, bien sûr, son épée. Un véritable p'tit mec doté de la parole, qui fait "miaou" quand il est surpris et qui ronronne quand il est à l'aise. Dans cette aventure, après une jolie bagarre dansée pour marquer son territoire, il sympathise avec une minette voleuse et... un oeuf anthropomorphe. La mission du jour consistera à récupérer des haricots magiques qui, une fois plantés, permettront de rejoindre le château-tanière d'une oie géante, supposée pondre d'autres oeufs, en or ceux-là. Ah ! Il y a aussi un méchant et deux pour le prix d'un: Jack et Jill, éleveur de sangliers vraiment stupides.

Bilan: si le film est peut-être un peu trop exigeant pour une fillette comme ma voisine de canapé, il me semble d'un intérêt un peu limité pour un presque-quadra comme moi. Quelques vannes font mouche parce qu'elles font référence à d'autres, récurrentes dans les dessins animés. Honnêtement, ça n'a pas suffi à m'emballer vraiment. Évidemment, on peut s'amuser à rechercher les clins d'oeil au cinéma classique: il y en a quelques-uns dans Le chat potté, peut-être plus d'ailleurs que je ne l'ai remarqué. Ce minet pour minots conserve bien un potentiel de séduction - surtout quand il fait ses grands yeux tristes. J'ai vu le film en VF: ça peut avoir joué en sa défaveur. D'après moi, le tout est surtout beaucoup trop bavard: j'espérais d'autres rebondissements et plus d'action. Le chat sans le blablabla...

Le chat potté
Film américain de Chris Miller (2011)

Sauf pour faire plaisir aux gamins, je ne suis pas sûr que l'idée d'offrir au matou un film à lui soit si enthousiasmante. Je prends acte que Dreamworks est parvenu à attirer un large public, mais je préfère les démarches plus inventives - et par exemple Les Croods. Ce type d'animation mise sur l'efficacité plus que sur l'émotion, il me semble. Cette année, j'ai (de loin) préféré  Le conte de la princesse Kaguya.

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Suivez donc la piste du mistigri...

Vous le retrouverez chez Pascale ("Sur la route du cinéma").

mercredi 19 novembre 2014

Chinoiseries

Vous avez compté ? Sept des dix derniers films que j'ai évoqués ici sont américains. Je vais glisser aujourd'hui vers le Sud pour parler d'une production argentine: El Chino. Les plus cinéphiles d'entre vous auront peut-être plaisir à y retrouver celui qu'on présente parfois comme la star de Buenos Aires, j'ai nommé Ricardo Darin. Je précise qu'il campe très honorablement l'un des deux personnages principaux.

Sur la photo, Ricardo Darin est à droite. À gauche, je vous présente Huang Sheng Huang, un comédien taïwanais qui semble faire l'essentiel de sa carrière en Argentine sous l'identité "couleur locale" d'Ignacio Huang. Mon premier est un quincailler râleur et solitaire. Mon second, un Chinois - d'où le titre - à la recherche de sa famille exilée et, en attendant de la retrouver, perdu dans un pays étranger. Détail important qui démarre le film: Jun arrive en Amérique du Sud après la mort de sa fiancée, écrasée... par une vache tombée du ciel. Je sais ce que vous vous dites: "C'est n'importe quoi !". Je n'ose pas vous donner tort. Cet argument dramatique est complètement fou. Pourtant, en regardant El Chino, et sans doute parce que l'anecdote est d'abord présentée comme réelle, on oublie le côté invraisemblable de la chose. C'est le mieux à faire pour entrer dans cette histoire...

En fait, hormis donc ce lancement farfelu, le récit ne réserve que peu de surprises. Des films sur le choc des cultures, je suis tout à fait sûr que vous en avez vu d'autres. Si je crois bon de vous encourager aujourd'hui à donner une chance à El Chino, si je lui donne une note généreuse, c'est qu'il m'a en quelque sorte dépaysé. Le cinéma contemporain vous offrira des tombereaux d'oeuvres plus intenses. Objectivement, il y a des dizaines et des dizaines d'autres films autour de la question de l'émigration et de la cohabitation forcée entre deux êtres que tout oppose a priori. Celui-là insuffle toutefois une forme de poésie qui le rend finalement sympathique. Il risque certes de ne pas combler ceux d'entre vous qui attendent du cinéma une audace technique sans cesse renouvelée. Mon conseil sera donc de le prendre tel qu'il est, sans trop en attendre. Et à vous de voir...

El Chino
Film argentin de Sebastian Borensztein (2011)

Je n'ai pas vu Sin memoria, le film précédent du même réalisateur. Comme son titre le suggère, il s'agirait de l'histoire d'un homme amnésique. Rien de tel dans le film d'aujourd'hui, si ce n'est peut-être l'étude d'un individu ayant perdu ses repères. Si vous préférez aborder la question de l'émigration sur un ton dramatique, je vous conseille Rêves d'or - La jaula de oro. Voyage en Amérique du Sud, toujours...

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Pour d'autres nouvelles de Jun, vous avez le choix...

Vous pouvez aller lire un vieux texte de "L'impossible blog ciné". Alternative (ou complément): jeter un oeil sur "Le blog de Dasola".

Bon, et avec tout ça, je me rends compte d'une chose...

J'ai oublié de vous dire que le film est amusant, mais pas seulement.

lundi 17 novembre 2014

Frères d'armes

Los Angeles, 25 mars 1954: Tant qu'il y aura des hommes obtient huit Oscars et égalise ainsi le record de l'époque. Touchée, l'Académie consacre le film comme meilleur long-métrage de 1953 et couronne son réalisateur, Fred Zinnemann, pour la première fois. J'ai eu envie de me frotter enfin à ce grand classique du cinéma américain. Histoire de voir s'il pouvait m'émouvoir, 60 ans après son triomphe...

La première chose que j'ai connue sur ce film, c'est cette image iconique d'un couple enlacé et submergé par l'océan. Elle s'était tapie dans un recoin de ma mémoire visuelle depuis un bon petit moment. Devenu adulte, j'ai vu quelques films de l'homme, Burt Lancaster, mais je crois qu'en regardant Tant qu'il y aura des hommes, j'ai vu aussi mon premier film avec la femme, Deborah Kerr. Elle et lui sont deux des stars d'un magnifique casting, avec aussi Montgomery Clift, Frank Sinatra, Ernest Borgnine et, une autre découverte pour moi, Donna Reed. La première chose que j'ai aimée en découvrant finalement l'histoire qui les rassemble tous, c'est qu'il n'y a pas vraiment de premiers rôles. Tiré d'un livre, le scénario fait la part belle à tous les personnages, sans manichéisme. Un très bel équilibre.

Nous sommes ramenés en 1941. Un dénommé Robert Prewitt intègre un régiment basé à Hawaï. Son officier supérieur l'imagine aussitôt comme l'homme qui fera briller la troupe lors des combats de boxe organisés entre les différents corps d'armée. Problème: le soldat refuse de monter sur un ring, traumatisé par un accident qu'il a causé quelques années auparavant. Ce n'est pas suffisant pour l'envoyer devant une cour martiale, mais bien assez pour lui valoir d'incessantes brimades venues de son commandement. Prewitt encaisse sans moufter et s'efforce d'être irréprochable par ailleurs. Petit à petit, il gagne le respect de certains de ses camarades. Intelligemment, le film décrit alors la compagnie en détail, établissant alors que la discipline ne vaut que si elle s'accompagne d'une éthique.

Contexte historique oblige, Tant qu'il y aura des hommes aurait pu n'être qu'un banal long-métrage patriotique, exaltant les valeurs éternelles de l'Amérique face à un ennemi évidemment étranger. Honnêtement, je ne vais pas vous dire que les Japonais bénéficient ici d'une bonne image, mais je vous le certifie: l'épée de Damoclès qu'ils représentent n'est pas le sujet du film. Fred Zinnemann s'ingénie plutôt à nous montrer le quotidien des troufions, moments de détente compris. Bon, OK, à l'écran, les prostituées du roman originel sont devenues de simples hôtesses - il fallait bien passer entre les mailles de la censure. N'empêche: ce qui nous est montré conserve un fort pouvoir émotionnel. Pour peu que vous soyez sensibles au charme du cinéma ancien, laissez-vous donc emporter...

Le titre français ne doit pas vous tromper: les personnages féminins sont, ô joie ! bien plus que des faire-valoir. Des thèmes audacieux comme l'adultère sont illustrés, sans faux semblant. Il y a d'ailleurs quelques beaux salauds, dans cette histoire, et, oui, des femmes courageuses, qui pleurent parfois, mais savent aussi se révolter contre l'injustice qui leur est faite. L'ensemble est filmé dans un noir et blanc impeccable - je n'ai jamais regretté l'absence de couleurs. Comme dans de nombreuses autres productions de cette époque lointaine, la musique renforce aussi les sentiments, mais j'ai trouvé qu'elle était bien dosée, sublimant notamment quelques scènes muettes. Bref, j'aurais encore bien des choses à dire, mais je préfère vous laisser des surprises.Vous l'aurez compris: je me suis ré-ga-lé !

Tant qu'il y aura des hommes
Film américain de Fred Zinnemann (1953)

Le titre anglophone (From here to eternity) est bien plus allusif. Tant mieux: j'ai vraiment aimé découvrir ce film sans trop en savoir d'abord. À partir du même sujet ou presque, l'émotion qu'il déploie dépasse largement celle du très explicite Pearl Harbor (Michael Bay). Si vous avez envie de rire, changement de cap: je vous recommande plutôt le 1941 de Steven Spielberg. À chacun son style, n'est-ce-pas ?

samedi 15 novembre 2014

Raison et sentiments

Woody Allen aura 80 ans l'année prochaine. Les cinéphiles savent bien qu'il tourne beaucoup, en fait au moins un film par an depuis 1992. Ajoutez-y la vingtaine qui a précédé: j'ai une très sincère admiration pour une imagination aussi prolifique. Je tenais à vous en faire part d'emblée, avant d'évoquer Magic in the moonlight, le millésime 2014.

Parce qu'il enchaîne les tournages, Woody Allen est aussi connu comme un artiste inconstant, cinéaste de très grands films et auteur d'oeuvres nettement moins inspirées. Il me semble qu'il serait injuste de lui en tenir rigueur - les meilleurs talents ont leurs failles, non ? Magic in the moonlight n'est pas la plus belle réalisation du maître new-yorkais. S'il m'était demandé de la qualifier en un mot, je dirais probablement qu'elle est charmante. Un possible modèle de comédie romantique à l'ancienne, avec pour cadre la Côte d'Azur de 1926. Employée comme médium auprès d'une famille de riches Britanniques installés sur les hauteurs de Nice, la jeune Américaine Sophie Baker exerce ses talents sous les yeux de Stanley Crawford: ce magicien déguisé en homme d'affaires a très envie de déjouer une supercherie.

Le duo principal du film est donc bien, au départ, un duel. Évidemment, parce qu'il oppose un homme mûr à une jolie femme devant la caméra d'un amoureux des acteurs, le combat qui s'annonce sera avant tout une joute verbale de haut vol. Le sens des dialogues de tonton Woody fait encore merveille, 49 ans (!) après ses débuts. Magic in the moonlight est un film bavard, qui bascule tout à coup quand le héros s'octroie... une petite sieste. Vous révéler ici pourquoi et comment serait trahir l'évolution du scénario qui s'ensuit, chose que je refuse absolument. Allen est assez prévisible comme ça ! Reste qu'il a toujours le chic pour dénicher la distribution parfaite pour porter son récit: Emma Stone et Colin Firth assument le côté glamour de leurs rôles respectifs, mais aussi sa fantaisie. On y croit !

Cerise sur le gâteau: les décors du film sont magnifiques. J'aime autant laisser le récit vous expliquer lui-même pourquoi le titre parle de magie au clair de lune. Il n'y a pas tromperie sur la marchandise attendue, mais le fait est que la majorité des scènes est diurne. Franchement, c'est bien simple: la caméra vient sublimer cette région que je connais bien. Elle ose parfois la transformer, pour en faire quelque chose d'encore plus beau - l'opéra de Nice se transformant notamment en théâtre berlinois ! Magic in the moonlight ressuscite la Riviera de la Belle Époque... un monde que la guerre engloutira finalement. Ce qui est chouette, c'est que cette belle reconstitution n'est jamais vraiment nostalgique. J'y ai même puisé un message optimiste: pour trouver le bonheur, ne réfléchissez pas trop, agissez.

À qui voudra bien l'entendre, c'est le beau cadeau d'un vieux monsieur connu également pour ses névroses obsessionnelles. En m'imaginant que Woody Allen met de lui dans chacun de ses films, j'ai aussi l'impression qu'il s'apaise un peu. Il me semble moins cynique, ouvert désormais à autre chose que ses lubies bourgeoises. Il n'est pas exclu que l'Europe lui donne des ailes, étant donné que ses films américains n'ont pas toujours cette légèreté. Oui, Magic in the moonlight donne le sourire... et c'est même, à mon avis, l'une de ses grandes qualités. J'ai aussi eu la chance, c'est vrai, de l'apprécier dans des conditions optimales, dans une salle pleine, à la fois respectueuse et amusée. Applaudissements lors du générique final: je n'étais pas le seul à avoir apprécié le spectacle. Des moments comme celui-là, j'en redemande !

Magic in the moonlight
Film américain de Woody Allen (2014)

Dans le Studio Ciné Live d'octobre, j'ai lu quelque chose d'assez juste sur le film: il ne faut pas trop écouter ceux qui fustigent Woody Allen pour la douceur de son humour, car certains d'entre eux critiqueront aussi ses films dramatiques. OK, après Blue Jasmine, le revirement scénaristique est assez radical. Je ne m'en plaindrai pas, moi ! J'aime l'un et l'autre film, comme Manhattan, Alice, Stardust memories... 

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Et maintenant, un petit tour sur la toile...

Une commentatrice récemment venue, Sentinelle, a aimé le film aussi. Je vous laisse lire sa chronique sur son blog: "Chez Sentinelle". Elle en a parlé en août dernier, aussitôt après la sortie en Belgique. Princécranoir, lu aussi, semble s'être laissé séduire: cf. "Ma bulle". Pascale ("Sur la route du cinéma") est un peu moins emballée. Quelques lignes font le tour de la question sur "Le blog de Dasola".

jeudi 13 novembre 2014

Un verre de trop

On prend les mêmes et on recommence. Il n'y a pas besoin d'aller chercher bien loin pour trouver le film-modèle de Very bad trip 2. Cette suite copie-colle le premier film et n'a pour toute originalité qu'une action délocalisée en Thaïlande. Le reste du programme reprend l'intrigue du premier volet: un groupe de potes enterre la vie de garçon de l'un d'entre eux, avant un réveil "gueule de bois XXL"...

Suspense: le mariage prévu aura-t-il lieu ? Stu, qui a eu l'idée lumineuse d'épouser une Asiatique, saura-t-il convaincre beau-papa qu'il est un mec bien, malgré ses copains peu recommandables ? Franchement, effet de surprise oblige, il y a quelques situations improbables qui m'avaient fait marrer dans le premier opus. Maintenant, le menu dégusté à Las Vegas paraît fadasse à Bangkok. L'invraisemblance de la chose n'est pas un problème en soi. Simplement, aussitôt que Very bad trip 2 démarre, on sait d'avance comment il va avancer et comment il va finir. On vous conseillera encore de ne pas zapper le générique final. Pour ce que ça change...

Je me répète: Very bad trip 2 sent fort la suite mise en boîte aussitôt après le premier film, afin de ramasser un autre gros paquet de fric. Une stratégie payante, d'ailleurs: cet épisode a ainsi rapporté  581 millions de dollars, contre 469 pour le précédent. Sur le sol français, 2,5 millions de spectateurs l'ont vu en salles, le prologue n'ayant fait vendre "que" 2 millions de tickets. Ces chiffres flatteurs n'ont pas empêché le film d'être nommé deux fois aux Razzie Awards. Échappant finalement à la honte de ces anti-Oscars, la petite bande s'est alors offert un troisième volet - sur lequel je ferai probablement l'impasse. Rien d'indispensable dans ce cinéma ras-des-pâquerettes.

Very bad trip 2
Film américain de Todd Phillips (2011)
Une étoile pour le voyage thaïlandais, une demie supplémentaire histoire de saluer la constance des protagonistes: tout le monde assume, au moins. Les amateurs d'un humour tout en finesse resteront sagement à l'écart, d'accord ? Pour s'octroyer un petit plaisir coupable, autant voir Very bad trip, premier du nom. Vous pouvez préférer Very bad things, qui les a tous deux inspiré. Pas vérifié...

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Et chez les autres, ça donne quoi ?
David de "L'impossible blog ciné" a dû supporter une séance cinéma plombée à cause d'un emmerdeur. Je n'ai pas trouvé de critique vraiment élogieuse. Pascale ("Sur la route du cinéma") a supporté...

mardi 11 novembre 2014

Un traumatisme

Jamais deux sans trois: j'opte aujourd'hui pour une nouvelle chronique commémorative, afin de célébrer dignement le 96ème anniversaire de l'armistice de 1918. J'avais deux ou trois longs-métrages envisageables pour marquer le coup: j'ai choisi Les fragments d'Antonin. D'abord parce que je ne l'avais jamais vu jusqu'alors. Ensuite parce que je n'en savais que très peu de choses, à dire vrai.

Les fragments d'Antonin s'intéresse à l'immédiate après-guerre. Antonin Verset est revenu vivant, mais profondément traumatisé. Sans famille connue, il est interné dans un hôpital psychiatrique. Inlassable thérapeute, le professeur Labrousse le soumet à des tests cliniques et espère le libérer de ses névroses. L'ancien poilu tremble presque en permanence et, pour tout dialogue, répète inlassablement une même série de prénoms. Ses médecins n'ont pas réussi à trouver de correspondance dans sa "vraie" vie. Avec ce titre que je trouve remarquable, le long-métrage vient rappeller que les blessures causées par la guerre ne sont pas toutes visibles et qu'avoir vécu l'innommable ne facilite pas toujours le fait d'en parler ouvertement. Chose très appréciable: tout est traité avec beaucoup de délicatesse.

Dans le rôle-titre, Grégori Dérangère fait la démonstration d'un talent étonnant et s'investit pleinement dans son personnage. L'intelligence du scénario est d'avoir fait de lui un colombier, moins exposé au feu que ses camarades, puisque supposé apporter des soins aux pigeons voyageurs porteurs des messages de l'état-major. Antonin Verset échappe presque à la violence et à la mort, mais elles le rattrapent soudain, quand l'absurdité de la guerre reprend finalement le dessus. Je ne crois pas que je qualifierais Les fragments d'Antonin de film pacifiste. Le "héros" lui-même est constamment tiraillé de sentiments contradictoires. C'est peut-être bien cette absence de manichéisme qui rend le propos si juste et si fort. Quelques scènes illustrent l'horreur du conflit, mais l'essentiel reste ce qui demeure hors-champ.

Les fragments d'Antonin
Film français de Gabriel Le Bomin (2006)

Pour mieux mettre en avant le film, j'ai volontairement omis de citer les acteurs. Sachez toutefois qu'ils sont tous bons, avec une mention spéciale pour Anouk Grinberg, touchante en infirmière alsacienne. Touchant, Niels Arestrup l'est aussi, en médecin militaire, dépassé par les événements, dévasté lui aussi. Le long-métrage d'aujourd'hui m'a remémoré La chambre des officiers, avec... Grégori Dérangère.

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Avant de tourner cette page d'histoire...

Vous retrouverez le film chez mes amis de "L'oeil sur l'écran". Princécranoir en parle aussi longuement sur son blog: "Ma bulle".