Je ne voulais pas terminer cette année sans donner à mon amie Joss une nouvelle carte blanche pour une chronique de son cru. Son choix s'est porté sur une immense classique du cinéma français: Le viager. Un excellent choix, à mon avis, pour attendre 2018 avec le sourire. Joss, merci et à bientôt ! Les ami(e)s, je vous laisse (re)découvrir...
À Paris en 1930. Le presque sexagénaire Louis Martinet va consulter le médecin Léon Galipeau. Celui-ci conclut à une "
usure précoce" et fin prochaine, et lui conseille de vite prendre sa retraite, tandis que le bon M. Martinet lui fait l'éloge d'une modeste maison de pierre, achetée dans un petit village de pêcheurs alors totalement méconnu: Saint-Tropez. Opportuniste autant que mesquin, l'improbable docteur est vite séduit par la belle affaire et persuade son frère Émile d'acquérir la maison en viager. "
Faites-lui confiance !".
Pas question de laisser ce blog honorable passer un nouveau Noël sans boudin blanc ! L'occasion d'un réveillon avant l'heure autour de l'un de mes films cultes, chéri dès la première fois, sur le petit écran en noir et blanc de mes parents. Depuis, que ne l'ai-je revu une bonne trentaine de fois ! Chaque détail y raconte quelque chose, sans aucun hasard, pas même dans les patronymes: Louis Martinet porte le nom de la punition à infliger aux Galipeau, synonyme de matières sales. Jubilation.
Le plus ancien souvenir qui m’en revient, c'est justement quand Pierre Tchernia (réalisateur et également voix
off) pose le cadre parisien. Dès les premières secondes, l'esprit du metteur en scène me transcendait, sautant comme à guet d'une silhouette noire à une blanche, du curé au pâtissier, de la nonne à la veuve. Il faut dire que pour la deuxième fois, il s'associait à son ami René Goscinny, avec lequel, six ans plus tôt, il s'était déjà surpassé pour
L'arroseur arrosé, un documentaire humoristique en hommage aux frères Lumière (Rose d'or et Prix du jury de la presse au Festival de la Rose d'or de Montreux). Entre les deux, en 1961, Pierre Tchernia se lança aussi avec Robert Dhéry et Alfred Adam dans le scénario de
La belle Américaine, un beau succès. Dans
Le viager, Pierre Tchernia et René Goscinny partagent le scénario, tandis que le premier est le réalisateur et le second, le chef de production. Nous y reviendrons.
L'affaire est grave: c'est un Noël à l'huile de foie de morue, que Louis Martinet ingurgite en ravalant ses larmes et en s'essayant à fredonner son air préféré. Louis Martinet se sent perdu. C'est qu'il nous fait fondre, le jeune Michel Serrault, en papi voûté ! Incroyable jeu d'acteur dans la démarche, les mimiques, le phrasé… sans parler des six autres rôles fugaces que Michel Serrault a pris à son compte (général nazi déguisé en portier d'hôtel, général nazi non déguisé, parachutiste allemand déguisé en religieuse, Allemand infiltré dans l'usine d'armement, instituteur, ou encore dans l’état-major français). Bref, quelques pas de danse, un bouchon de campagne qui saute et nous fait sursauter, le tout avec vue sur... le cimetière !
L'ensemble du film ne sera d'ailleurs pas basé sur un autre schéma que cet incessant va-et-vient entre douceur et explosion, parallèle permanent cousu d'humour noir. La part en revient sûrement pour une large part à René Goscinny, rédacteur en chef de
Pilote, habitué à observer ses comparses et à interpeler le monde avec ironie, mélangeant allègrement les rites du monde politique et ceux du petit peuple. Les contrastes, dénouements multiples et effets de surprise cousent le film sans lasser ni alourdir, bien au contraire. Les rebondissements inattendus prennent mieux leur élan à partir d'une trame aux allures linéaires. Sur fond de chœurs antiques, j'en raffole.
Scène jubilatoire lors de la cérémonie de départ du pauvre Louis qui quitte son entreprise de prothèses après de longues décennies de dévotion: discours édifiant du chef de bureau pour évoquer le sous-chef du même bureau, émotion du sexagénaire auquel on remet un trophée innommable, sorte de mini-mannequin portant justement une prothèse. Entre attendrissement et fou rire, nous abordons encore la scène chez le notaire lorsque les deux frères acceptent d'indexer la rente viagère sur le cours d'une valeur qu'ils pensent sans avenir ("
les casseroles, vous pensez !"), mais ce sera sans compter sur le développement de l'industrie aéronautique.
Bref, le cours de l'aluminium ne cessera de s'élever, tout comme l'impatience de la famille Galipeau au grand complet, qui choisit de supprimer le bon M. Martinet, alors que celui-ci continue à profiter du bon air méditerranéen. Rythmées par des fêtes immuables comme le Premier mai et Noël, les années se succèdent, portées simultanément par les évènements extérieurs (seconde guerre mondiale, France coupée en deux, résistance, délation), par les générations successives des chiens de Louis Martinet, et bien sûr, au sein de la famille Galipeau, les plans de meurtres échafaudés avec soin et pourtant sans cesse avortés. Trois présidents français, mariage de Brigitte Bardot et Jacques Charriet, épisodes de guerre... les images d'archives ajoutent au tableau un contraste énergisant entre d'une part l’univers des "petits Français" (constitué de douceur chez les uns ou de bassesse chez les autres), et d'autre part la frénésie du reste du monde, avec l'image que les médias veulent bien en donner !
Et tandis que Louis Martinet gagne en dynamisme, les membres de la famille Galipeau disparaissent les uns après les autres. Jusqu'au seul descendant de la famille, le petit Noël devenu trentenaire, tous mériteront l'affection de l'innocent Louis. C'est lui-même qui décrochera la libération de Noël en se présentant comme témoin à la barre pour défendre le seul survivant de la famille Galipeau, déclenchant une vague de mouchoirs blancs jusque parmi les jurés. Juste avant, la scène du plaidoyer par l’avocat commis d'office (Jean Carmet) vaut vraiment son pesant d’or. "
Le premier et le dernier procès qu’il gagnera !". On aura rarement généré autant de défilés mortuaires joyeux. Chacun d'eux vient clore une saison de tergiversations dans la famille Galipeau.
"
Tu vois Kiki, ça, c’est le bouquet !": la toute dernière phrase culte vient du survivant, le seul, l'honnête et l'innocent. La morale est sauve pour résumer la chronique d'une vie décidément non annoncée !
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Un dernier mot pour un rappel...
Juste pour signaler que, cette année, Joss vous a parlé aussi de films éclectiques comme Les grands esprits, Pain, tupiles et comédie, Paraíso, Dans la chaleur de la nuit, La double vie de Véronique, Artemisia, Dalida et Sing Street. Et sans oublier sa spéciale Vespa !