samedi 28 février 2015

Rides

Vous me donnerez votre avis, mais j'ai l'impression que le cinéma d'animation suit peu ou prou la même voie que la bande dessinée. Loin d'être réservé aux enfants, il aborde de plus en plus de thèmes adultes pour s'adresser à un public mûr, sinon averti, comme on dit pudiquement. Cela dit, c'est toutefois parce qu'il s'agit d'un film espagnol que j'ai d'abord voulu voir La tête en l'air. Une bonne idée...

Le thème du long-métrage n'est pas spécialement joyeux: son héros s'appelle Emilio et, fragilisé par son âge avancé, il vient juste d'entrer en maison de retraite. La tête en l'air, c'est lui, une autre périphrase en tout cas pour ne pas dire qu'il perd la boule petit à petit. Programme respecté à la lettre: le long-métrage parle sans ambages de ce sujet ultra-délicat qu'est la fin de vie. Je voudrais ici distinguer le fond de la forme. Sur le premier de ces deux points, le travail réalisé est remarquable: adaptée d'un roman graphique publié en 2007 et signé Paco Roca, l'oeuvre cinématographique tient la route. Sincèrement, j'ai vite ressenti une certaine empathie pour Emilio. Jamais larmoyant, le scénario ne l'épargne pas: il est bien question ici d'une déchéance certes progressive, mais inéluctable. C'est assez dur.

Je regrette d'autant plus que, sur la forme, le trait me soit apparu moins maîtrisé. Autant être honnête: même si je les imagine fidèles au style originel, les dessins ne m'ont pas toujours paru très réussis. C'est probablement ce qui a empêché La tête en l'air de m'émouvoir vraiment, même si j'ai vu aussi de belles choses dans ce (petit) film. Pour retenir un aspect positif, je pourrais citer quelques flashbacks intelligents, venus donner plus d'épaisseur à certains personnages secondaires. Mais voilà que je reparle du fond ! Il faut bien admettre aussi que j'ai apprécié le courage du long-métrage, qui traite honnêtement son sujet, sans réelle invraisemblance ou compromis. Gage d'un certain succès critique, le film a reçu une mention spéciale au Festival d'Annecy 2012 et, la même année, le Goya du meilleur film d'animation. Malgré ses défauts, il reste tout à fait recommandable. Maintenant, je vous aurai prévenus: ne vous attendez pas à rigoler !

La tête en l'air
Film espagnol d'Ignacio Ferreras (2012)

En version originale, le long-métrage s'appelle Arrugas (Rides). J'aime mieux ce titre espagnol, pour être honnête: sa version française me paraît plus explicite, mais plus légère, aussi, ce qui est assez trompeur, de mon point de vue. Dans l'édition 2014 de l'Annuel du cinéma, Gaël Reyre juge que le dessin animé est, avec Amour, l'un des films les plus pertinents sur la vieillesse de ces dernières années.

jeudi 26 février 2015

Le même visage

Le 70ème anniversaire de la libération d'Auschwitz a remis la Shoah au coeur de l'actualité. Si ce terrible sujet a bien sûr déjà été évoqué au cinéma, je ne me souviens pas d'un film qui ait traité du retour des rares rescapés des camps de la mort - et a fortiori des rescapés allemands. C'est le vide que vient courageusement combler Phoenix. Un long-métrage qui traite avec une belle dignité son sujet difficile.

Nelly est toujours vivante quand la fin de la guerre arrive. Laissée pour morte par ses bourreaux, la jeune femme cache ses blessures physiques sous les épais bandages qui entourent son visage. Déterminée à retrouver sa vie d'avant, elle demande au chirurgien venu l'opérer de lui redonner exactement l'apparence qui fut la sienne avant son martyre. Une fois revenue à la vie, elle refuse de suivre son amie Lene en Israël: elle voudrait retrouver Johnny, son pianiste de mari. Je vous laisse à présent découvrir seuls quel autre drame surviendra lors de ses funestes retrouvailles. L'enjeu du scénario repose précisément sur le fait que tout a changé de manière probablement irrémédiable. Phoenix bâtit lentement une intrigue éprouvante, où le temps perdu ne se rattrape guère. Il me paraît difficile de rester indifférent au sort de cette femme amoureuse. Certains coups au coeur font plus de mal que d'autres portés au corps.

Comme Nelly, face au film, on se sent assez vite pris en étau. Formellement, l'absence de tout éclat de voix et la froideur absolue des décors rendent les émotions assez difficiles à endurer parfois. D'après moi, le très grand mérite de cette oeuvre cinématographique est d'aborder frontalement quelques graves questions. Peut-on parvenir à se reconstruire quand on a connu le pire ? Doit-on nécessairement pour cela pardonner à ceux qui nous ont fait souffrir ? Est-il seulement possible de faire comprendre à autrui toute l'horreur de ce que l'on a vécu ? Avec comme arrière-plan l'Allemagne dévastée de l'immédiate après-guerre, on perçoit d'autant mieux l'aspect universel de ces interrogations. Malgré cela, je dois bien admettre que Phoenix - quel titre parfait ! - ne m'a pas pleinement convaincu. L'effacement des personnages secondaires réduit la portée du drame intime qui se joue sous nos yeux. Il n'aura pas manqué grand-chose...

Phoenix
Film allemand de Christian Petzold (2014)

En dépit de mon petit bémol final, qui me fait retirer une demi-étoile à la note d'abord envisagée, je veux défendre l'idée d'un long-métrage intelligent et percutant. J'ai un faible pour le cinéma historique allemand (cf. Good bye Lenin, La vie des autres ou Le tambour). J'aimerais revoir Allemagne année zéro - dont j'avais pensé utiliser le titre pour ma chronique. D'ici là, j'écoute vos bonnes suggestions...

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Pour être complet, un aparté littéraire s'impose...

Le long-métrage que je vous ai présenté aujourd'hui est l'adaptation au cinéma d'un roman de Hubert Monteilhet, Le retour des cendres. Sorti en 1961, cet ouvrage - que j'ai désormais envie de lire - s'inscrit dans un cadre français. Sa fin semble très différente de celle du film.

Vous vouliez aussi un autre avis cinéphile ?
Pascale ("Sur la route du cinéma") se montre plus sévère que moi. Dasola, en revanche, est enthousiaste et en révèle davantage.

mardi 24 février 2015

Iñarritu avant tout

Malgré la nécessité d'aller bosser et une réunion de mon association hier soir, j'ai voulu tenir mon pari de vous dire un mot des Oscars aujourd'hui. La (87ème) célébration annuelle du cinéma américain s'est tenue au Dolby Theater de Los Angeles et, pour la première fois, a été présentée par Neil Patrick Harris, que vous connaissez peut-être pour son rôle de Barney dans une série culte: How I met your mother.

Mon titre se veut déjà très explicite: le grand gagnant de cette soirée des Oscars 2015 est mexicain et s'appelle Alejandro Gonzalez Iñarritu. Réputé pour ses films choraux complexes, le réalisateur de Birdman impose ce nouveau long-métrage comme meilleur film de l'année écoulée. Il est aussi récompensé comme cinéaste et pour le scénario original. Enfin, et c'est bien aussi, il permet à Emmanuel Lubezki d'obtenir un second Oscar de la photographie consécutif ! Le film débarque dans les salles françaises demain - un timing parfait. Programmé en ouverture de la dernière Mostra de Venise, il évoque en un seul et même long plan-séquence la destinée d'un acteur déchu. Nombreux sont ceux qui pensaient que Michael Keaton allait obtenir l'Oscar du meilleur acteur, mais finalement non... je vais en reparler.

Les dames d'abord ! L'Oscar de la meilleure actrice dans un rôle principal a été décerné à Julianne Moore, pour Still Alice, qui sort chez nous, en France, le 18 mars prochain. La comédienne interprète une linguiste soudain frappée par la maladie d'Alzheimer, aux côtés notamment de Kristen Stewart et Alec Baldwin. Je demeure curieux d'apprécier le résultat, notant au passage que l'Académie n'a pas salué l'incroyable performance réalisée par Rosamund Pike dans Gone girl. Ses retrouvailles avec Neil Patrick Harris auraient pu être drôles...

Un résultat qui me réjouit, maintenant: l'Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle attribué à Patricia Arquette, pour Boyhood. L'avenir dira si le film de Richard Linklater est réhabilité ou non. Aujourd'hui, je constate que cette fresque sur douze ans se fait discrète à l'heure de l'énoncé des meilleurs films de 2014 - et ici aussi, d'ailleurs. Que l'on récompense aujourd'hui la totale implication de Patricia Arquette me paraît à tout le moins légitime. Meryl Streep pouvait bien attendre un peu sa quatrième statuette, il me semble...

En termes de précocité, Eddie Redmayne, 33 ans, est plutôt bon. Chose qui étonnera peut-être ceux d'entre vous qui me fréquentent dans la vraie vie: j'ai connu le Britannique, Oscar du meilleur acteur, dans une (mini-)série, Les piliers de la terre. Je ne suis pas allé voir Une merveilleuse histoire du temps, l'adaptation de la biographie éponyme du physicien Stephen Hawking - sans y renoncer toutefois. Sachant que le protagoniste évolue en fauteuil roulant, j'imagine déjà le résultat. Tant pis pour Steve Carrel, épatant dans Foxcatcher...

Les favoris gagnent aussi, parfois: c'est le cas de J. K. Simmons, prof de batterie tyrannique dans Whiplash - encore un film à rattraper ! J'aime bien l'acteur, en fait, vu également dans une série (The closer) et redécouvert chez les Coen, notamment. Simmons fête ses 60 ans depuis quelques semaines et tourne depuis plus de deux décennies. Le film qui lui vaut aujourd'hui sa plus grande reconnaissance obtient deux autres statuettes dorées: celles du montage et du mixage son. Pas de commentaire particulier à faire sur ces aspects techniques.

J'ai sans doute plus de choses à dire sur The Grand Budapest Hotel. Un aveu, d'abord: lui aussi a failli être l'un des dix de mon top 2014. Je dois admettre qu'à la sortie de la salle, j'étais un poil déçu. Désormais, il vieillit vraiment bien dans ma tête et j'ai donc... envie de le revoir. Pas question toutefois d'attendre pour vous présenter l'artiste retenu pour ma photo: c'est Alexandre Desplat, compositeur français, auteur de la bande originale et, vous l'aurez compris, lauréat de l'Oscar de la meilleure musique - à sa huitième nomination ! L'histoire ne dit pas si ça console Wes Anderson d'avoir fait chou blanc comme réalisateur, au scénario ou pour son film lui-même. Restent trois raisons d'être heureux et autant d'Oscars techniques décernés au long-métrage pour ses maquillages, costumes et décors.

Un autre film qui sort du lot, c'est Ida, un long-métrage polonais réalisé par Pawel Pawlikowski. Ce cinéaste expérimenté - il tourne depuis 1990 - nous raconte l'expérience d'une novice, que sa mère supérieure incite à sortir du couvent avant de prononcer des voeux définitifs. J'ai laissé passer cette histoire (deux fois !) et le regrette quelque peu aujourd'hui, d'autant que l'Académie lui a décerné l'Oscar du meilleur film en langue étrangère. Pour l'anecdote, je voulais souligner qu'il n'y avait aucun film français et/ou francophone en lice cette année. Je ne suis pas sûr de le déplorer, surtout si ça apporte un peu de lumière à un pays que je connais très mal, en règle générale et pour son cinéma en particulier. Je ne vais pas reprocher aux Américains de Hollywood de s'ouvrir au monde, tout de même...

Pour presque conclure, je dois ajouter qu'Interstellar décroche l'Oscar des meilleurs effets visuels et Selma, biopic de Martin Luther King, celui de... la meilleure chanson originale. Imitation Game, qui parle du savant qui a su décrypter les codes nazis, est le meilleur scénario adapté. J'évoquerai d'ici une vingtaine de jours le succès polémique du American sniper de Clint Eastwood, salué pour son montage son.

C'est Citizenfour, un film sur Edward Snowden et l'espionnage américain, qui a eu l'Oscar du meilleur long-métrage documentaire. Du côté de l'animation, l'Académie a récompensé Les nouveaux héros au format long: il s'agit du 54ème classique animé du studio Disney. Festin, le lauréat du format court, vient lui aussi de chez Mickey. Désolé: je n'ai pas vraiment eu le temps de trouver des infos précises sur The phone call, l'Oscar du meilleur court-métrage de fiction. Rien non plus sur Crisis hotline: veterans press 1 (court documentaire)...

Vous retiendrez enfin que, dès le 8 novembre dernier, des Oscars d'honneur avaient honoré l'actrice américaine Maureen O'Hara, l'acteur et scénariste français Jean-Claude Carrière et le vieux maître de l'animation japonaise, Hayao Miyazaki. Ce même jour, l'Académie avait récompensé l'acteur et chanteur new-yorkais Harry Belafonte d'un prix humanitaire. Et voilà: je crois désormais que j'ai TOUT dit.

lundi 23 février 2015

Un diamant, etc...

On m'avait dit tellement de bien de Snatch que j'en attendais monts et merveilles, ce qu'il ne m'a malheureusement pas offert. Il faut dire aussi que je sortais d'une grosse semaine de boulot quand j'ai choisi de regarder ce supposé film-culte. J'ai d'emblée eu du mal à suivre. Deux intrigues se mélangent ici: l'une concerne le vol d'un diamant géant, l'autre l'organisation de paris sur des combats de boxe truqués.

Une certitude: dans Snatch, rien ne se passe jamais comme prévu. Les personnages passent tout leur temps à vouloir se filouter les uns les autres, sans y parvenir. Au final, ce sont ceux qu'on prend d'abord pour les plus insignes crétins qui s'en sortent le mieux. L'humour anglais censé faire monter la mayonnaise prend par petites touches burlesques. Je n'ai pas vu un mauvais film mais, oui, j'attendais mieux. La virée a ceci d'agréable qu'elle s'effectue en compagnie d'acteurs charismatiques et de trognes incroyables. J'étais ravi d'avoir l'occasion de voir Jason Statham dans autre chose qu'un déluge d'explosions. L'un des personnages les plus marrants revient toutefois à l'ami Brad Pitt, improbable gitan bagarreur à la droite surpuissante et affublé d'un accent tout à fait incompréhensible. 100% impayable !

Au tournant du siècle, l'accueil réservé au film par les critiques pro s'est avéré nuancé. Si Le Parisien a parlé d'une "comédie bondissante" et Première de "pop-corn cérébral", d'autres chez Télérama ont raillé la "frime clipesque" d'un "délire lourdingue saturé d'effets visuels". Snatch est sans doute un peu tout ça, à vrai dire. Je le trouve ressemblant à un film de Quentin Tarantino, hémoglobine en moins. J'ajoute que le rythme, les jeux de caméra et la double intrigue participent d'une inventivité qui ne m'est pas (du tout) antipathique. Objectivement, en le prenant au tout premier degré, le long-métrage est réussi, dans son genre - et ce dès le début, avec Benicio del Toro déguisé en juif orthodoxe à bouclettes. Quelque chose n'a pas marché avec moi, c'est tout. Je suis sûr que vous pourriez trouver ça génial...

Snatch - Tu braques ou tu raques
Film britannique de Guy Ritchie (2000)

Guy Ritchie, pour cadrer le personnage, c'est l'ex-Monsieur Madonna. Au cinéma, c'est aussi l'inventeur de deux Sherlock Holmes décalés. Son style joue un peu à quitte ou double: on l'aime ou on le déteste. C'est clair: personnellement, je trouve quand même que ça manque un peu de consistance. J'ai préféré Mi$e à prix, de Joe Carnahan. Guy Ritchie se serait désormais tourné vers le mythe du roi Arthur...

dimanche 22 février 2015

Hypnotique

Je crois en avoir déjà fait état: sur les Bobines, le Japon et l'Italie font la course pour être le quatrième pays le plus souvent cité derrière les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne. Le camp nippon est le premier à se renforcer cette année: c'est quelques jours avant la fin du mois de janvier que j'ai découvert Cure, film méconnu sous nos latitudes, mais noté 7,5/10 sur le site de référence IMDb...

Pour vous dire les choses comme elles sont, j'ai eu quelque difficulté à véritablement apprécier Cure à sa juste valeur - il est possible d'ailleurs que j'y revienne bientôt, mais c'est une autre histoire. Thriller assez glaçant, le long-métrage évoque une série de meurtres sanglants, sans rapport apparent les uns avec les autres, si ce n'est que les victimes ont été retrouvées avec un X gravé dans la nuque. Deux hommes, l'inspecteur Takabe et son ami psychiatre Sakuma, tentent d'appréhender les éventuelles connexions entre les crimes. Plusieurs suspects sont appréhendés, mais ne se souviennent de rien. Ensemble, les deux enquêteurs se penchent sur la personnalité complexe d'un dénommé Mamiya, jeune homme amnésique soupçonné d'avoir croisé la route de chaque assassin avant le passage à l'acte. Banale affaire de serial killer ? Pas vraiment. Le long-métrage s'ingénie à brouiller les codes: on ne sait alors plus trop quoi penser...

Autant être honnête avec vous: j'ai cherché quelques informations complémentaires sur le Net pour écrire ma chronique. Il en ressort que le film a quelques sincères admirateurs, moins largués que moi dans ses tortueux méandres. J'ai lu quelque part que Cure posait davantage de questions qu'il n'apportait de réponses: c'est juste. Chacun d'entre vous est libre d'apprécier ce style, bien entendu. Personnellement, même si je suis resté un peu "à côté", je conçois parfaitement qu'on puisse aimer se  perdre dans un labyrinthe mental d'autant plus déroutant qu'il est également question ici de suggestion par l'hypnose. Le tout laisse planer une impression malsaine, appuyée finalement par l'idée souterraine que, sans le savoir, chaque citoyen d'apparence ordinaire dissimule peut-être un tueur en puissance. Formellement, le long-métrage est réussi, avec quelques beaux plans et un admirable travail sur les sons. Un peu fantomatique, tout ça...

Cure
Film japonais de Kiyoshi Kurosawa (1997)

Précisons-le une bonne fois pour toutes: il n'y a aucun lien familial entre Kiyoshi et son aîné, le grand Akira Kurosawa. Le "jeunot" semble l'avoir rappelé à plusieurs reprises, sans se plaindre toutefois du supplément de notoriété que lui a apporté cette homonymie. Cure l'a fait connaître d'un certain public occidental, une quinzaine d'années avant le diptyque Shokuzai, encensé en 2012. J'ai songé à Epitaph...

samedi 21 février 2015

La gloire modeste de Sissako

Il y avait sans doute différentes façons d'évoquer la 40ème cérémonie des César, organisée hier au Théâtre parisien du Châtelet. J'ai fini par choisir l'une des plus exhaustives. Ma petite touche d'originalité consistera cette année à mettre d'abord les films en avant. Vous allez comprendre en lisant: hormis deux longs-métrages qu'on peut sortir du lot, les récompenses ont été très "dispersées". Revue de détail...

Une chose est sûre: Abderrahmane Sissako et sa femme Kessen Tall sont les grands gagnants de la soirée. Bredouille au dernier Festival de Cannes, le cinéaste mauritanien a pourtant évoqué en termes chaleureux son passage sur la Croisette, toute première occasion d'après lui d'attirer la lumière sur Timbuktu. Je dois encore découvrir cette oeuvre en partie française, qui évoque l'arrivée des islamistes radicaux au Mali, à partir d'une histoire vraie survenue en 2012. J'attends encore quelque temps et sa projection par mon association cinéphile, à l'occasion d'un partenariat avec Amnesty International. Sans délai, toutefois, je note que le film a reçu sept compressions dorées, à la fois artistiques et techniques: meilleurs film, réalisateur et scénario original, photographie, musique, montage et son. Bravo !

L'autre film multi-récompensé, c'est Les combattants. J'en suis ravi. D'après moi, la reconnaissance de l'Académie est un joli message adressé à la jeunesse de France, un signe discret de compréhension, de respect et d'encouragement. J'avais moi aussi cité le long-métrage dans mon top 2014, touché par le souffle de jeunesse qu'il a apporté au cinéma d'auteur français. Je suis absolument enchanté de revoir Adèle Haenel au sommet de son art, reconnue par ses pairs: à 26 ans seulement, elle est pour moi l'une des artistes les plus stimulantes "rencontrées" ces dernières années. Chose amusante: elle est l'aînée de son partenaire à l'écran, Kévin Azaïs, légitime meilleur espoir masculin. Thomas Cailley, lui, approche des 35 ans: le cinéaste décroche le César du meilleur premier film - et je n'ai rien à y redire.

Pierre Niney, 25 ans, est un autre des jeunes lauréats de ce cru 2015 des César. L'Académie devait hier arbitrer entre deux regards portés sur l'un des génies de la haute-couture française: je tiens à souligner que l'acteur d'Yves Saint Laurent (version Jalil Lespert) a eu un mot d'admiration pour son "rival", Gaspard Ulliel, vu chez Bertrand Bonello.

Saint Laurent, la deuxième version, n'a pas rencontré le succès escompté. Ulliel, Bonello et les autres repartent toutefois avec un lot de consolation: le César des meilleurs costumes - le second trophée d'Anaïs Romand, déjà récompensée en 2012. C'est d'autant notable que les archives des collections Saint Laurent sont restées fermées...

Remarquable aussi, et déjà maintes fois évoquée, la prestation produite par Kristen Stewart dans Sils Maria. Hein ? Oui, une jeune ! Jamais encore une Américaine n'avait reçu de César: l'ex-Bella Swan comble la faille à seulement 24 ans, jugée comme la meilleure actrice dans un second rôle. Dommage pour Claude Gensac, 87 printemps...

Un prix qui me fait très plaisir également: celui du meilleur acteur dans un second rôle, attribué à Reda Kateb pour Hippocrate. J'ai raté ce long-métrage de fiction tourné en milieu hospitalier, mais j'aime ce que je connais du comédien honoré. Sa gueule incroyable s'impose doucement sur les écrans internationaux: j'ai déjà hâte de l'y revoir.

Louane Emera est certainement la benjamine de ces César 2015. Avec la réussite de ses 18 ans, l'adolescente fait entrer la comédie dans le palmarès, sa très jolie prestation jouée, chantée et signée pour La famille Bélier lui valant le César du meilleur espoir féminin. Navré qu'on n'ait pas mieux su écouter les sourds à cette occasion...

Le souffle de jeunesse des César 2015 a même traversé l'Atlantique ! Bien qu'absent de la soirée, Xavier Dolan, 25 ans, reçoit pour Mommy la compression réservée au meilleur film étranger. Déjà récompensé d'un Prix du jury à Cannes en mai dernier, le cinéaste québécois s'offre donc un doublé. Sur Twitter, il a réagi d'un "Yeaaaaah baby !".

Mais que diable reste-t-il aux anciens ? Je n'ai pas vu les films concernés, mais note que Diplomatie vaut au tandem franco-allemand Cédric Gély / Volker Schlöndorff le César du meilleur scénario adapté. Nommé pour La belle et la bête (Christophe Gans) après deux échecs en 1999 et 2008, Thierry Flamand, lui, reçoit celui du meilleur décor.

Le César du meilleur film documentaire a été décerné à un duo germano-brésilien, Wim Wenders et Juliano Ribeiro Salgado. Le sel de la Terre présente le travail du père du second réalisateur, Sebastiao Salgado. Ce photographe est célèbre pour ses clichés argentiques en noir et blanc. Je connais encore mal sa signature...

Je n'ai guère plus d'infos précises à donner sur Minuscule, César 2015 du meilleur film d'animation. Je sais juste qu'il contient des images réelles du massif du Mercantour, à quelques dizaines de kilomètres donc de chez moi. Est-ce que je veux voir ça de plus près ? Oui ! Quand pourrai-je le faire ? Avant la suite déjà annoncée, j'espère...

J'ai moins de chances de tomber sur La femme de Rio, je pense. Emmanuelle Luchini - fille de Fabrice - et Nicolas Rey sont crédités comme coauteurs de ce film avec Céline Sallette, auréolé d'un César du meilleur court-métrage. Le César du meilleur court-métrage d'animation a été attribué à Chloé Mazlo, pour Les petits cailloux.

Avant les Oscars dimanche soir et mon compte-rendu prévu mardi prochain, je salue Sean Penn, récompensé hier d'un César d'honneur. J'ai aimé le voir saluer la salle sans tout de suite monter sur scène. Luc Besson, lui, est resté sagement assis. Il a reçu jeudi la médaille d'or de l'Académie des arts et techniques du cinéma. Admettons...

Solennelle, un peu longuette mais traversée par quelques pointes d'humour, cette 40ème cérémonie des César n'aura rien révolutionné. Maître de cérémonie, Édouard Baer a fait le job, sans fausse note. Danny Boon, président d'un soir, s'en est lui aussi plutôt bien tiré. L'heure est à présent venue de tourner le projecteur vers Hollywood...

jeudi 19 février 2015

Aventures lunaires

Vous l'avez sûrement déjà remarqué: je défends l'idée que le cinéma est un art de la surprise. C'est sans repère préalable que je suis allé voir Le baron de Crac, un vieux film proposé par l'association cinéphile que j'ai rejointe en septembre dernier. Vous connaissez peut-être ce personnage sous son nom allemand: Münchhausen. Georges Méliès et Terry Gilliam font aussi partie de ses admirateurs.

La version de ses aventures que je présente aujourd'hui est l'oeuvre de Karel Zeman, un réalisateur et dessinateur tchèque (1910-1989). Le baron de Crac met en avant son héros éponyme, en narrateur ironique de sa propre histoire. Tout commence lors d'un banquet organisé sur la Lune, où l'on croise notamment Cyrano de Bergerac ! Vite redescendus sur Terre, on suit alors les mille péripéties du baron (affabulateur ?): visite courtoise à un sultan turc, sauvetage nocturne d'une princesse prisonnière, bataille gagnée à deux contre une armée entière, dérive océanique dans le ventre d'une baleine, opération militaire de reconnaissance menée en survolant le front sur un boulet de canon... j'en passe et d'aussi bonnes. Vous l'aurez compris: le film est d'une fantaisie rare et offre de se laisser aller à la contemplation amusée. Outre l'univers des deux cinéastes cités plus haut, on pense également à la littérature de Jules Verne. Et c'est tout sauf un hasard.

Le voyage aller-retour de la Lune à la Terre m'a fort enthousiasmé. Malgré son âge déjà avancé, ce "délire" picaresque ne courbe pas sous le poids des années. Sa réussite formelle est indéniable: on a l'impression de voir s'animer les gravures de vieux livres d'enfants. Une fois encore, cette référence est objective: le réalisateur mélange allégrement personnages réels et éléments animés, en s'inspirant notamment des travaux de l'illustrateur français Gustave Doré. Souvent défini comme un film en noir et blanc, le long-métrage propose pourtant de saisissants effets de couleur, souvent en lien avec l'action. Le baron de Crac déroule son récit sans temps mort. Accessible aux plus jeunes, il peut aussi convenir aux adultes. Apolitique, il essaime ici et là quelques messages, sur la musicalité du langage diplomatique et son caractère incompréhensible notamment, ou sur le canon comme symbole ultime de la civilisation.

Le baron de Crac
Film tchécoslovaque de Karel Zeman (1962)

Le long-métrage me permet aussi de planter un 42ème petit drapeau sur ma page dédiée au cinéma du monde. J'ai appris en le découvrant que l'ex-Tchécoslovaquie était une terre très riche pour l'animation. Avant de peut-être y revenir un jour, j'aimerais bien pouvoir revoir Les aventures du baron de Münchhausen, dans sa version Gilliam. J'ajoute qu'il existe aussi, entre autres, un film allemand de... 1943 !

mercredi 18 février 2015

Billy le King

Je n'ai su que la veille qu'il allait passer me voir: mon cousin Bertrand m'a rendu visite pour une soirée et une nuit, courant janvier. L'occasion, entre autres, de revoir avec lui Certains l'aiment chaud. J'ai déjà parlé plusieurs fois de ce chef d'oeuvre et j'ai donc songé qu'il serait bien aussi de nous pencher sur son auteur: Billy Wilder. Surtout qu'il n'y a pas non plus si longtemps que j'ai évoqué Fedora...

La première chose à signaler, je crois, c'est qu'avant de voir son nom inscrit parmi ceux des mythes du vieil Hollywood, notre ami porte encore son prénom de naissance, Samuel, celui de son grand-père maternel. Il est né à Susa, dans la Pologne actuelle, le 22 juin 1906.

Avant d'être cinéaste, Wilder est tour à tour gigolo, danseur mondain et journaliste. Il exerce également comme "nègre" de scénaristes réputés. C'est comme scénariste aussi qu'il aborde le septième art. Son frère le précède aux États-Unis. Billy, lui, vivra à Berlin et Paris. La France sert de décor à son tout premier film: Mauvaise graine. Jeannette, sa première héroïne, est incarnée par Danielle Darrieux. Sortie en 1934, cette histoire d'exil inspirera le cinéaste ! Huit ans passeront avant son retour à l'écran: Uniformes et jupons courts...

Dans l'intervalle, Wilder reste présent dans l'industrie du cinéma américain par le seul biais des scénarios qu'il écrit (ou réécrit). Simplement, les règles du métier l'empêchent de tourner ses scripts ! Son passage derrière la caméra s'effectue au prix d'âpres négociations avec ses producteurs d'alors. Par la suite, il se charge donc à la fois de l'écriture et la mise en scène de ses films. En 1951 sort Le gouffre aux chimères, celle de ses créations qu'il disait préférer. Une étape importante: Wilder sera alors très souvent... son propre producteur.

Que vous dire encore pour ne pas attendre que l'ombre de Fedora plane sur la filmographie du génial Billy... et vous encourager à voir ses films ? Que les années 50 et 60 brillent tour à tour avec Sept ans de réflexion, Ariane, La garçonnière, Embrasse-moi, idiot, etc...

Ces années sont une période faste pour Wilder. Bien que l'Académie l'ait consacré dès Le poison en 1946, elle fait de lui un homme comblé en sortant du lot sept autres de ses réalisations. Nommé à l'Oscar onze fois lors de la cérémonie de 1951, Boulevard du crépuscule décroche onze statuettes, parmi lesquelles celles du meilleur scénario original et de la meilleure direction artistique. La garçonnière s'illustre pile dix ans plus tard: cinq prix, dont celui de meilleur film. Une comédie récompensée à ce niveau, ce n'est pas du tout fréquent !

Quand arrivent les années 70, le cinéaste reste toujours loin de la fin de sa carrière. Après La vie privée de Sherlock Holmes, il tourne encore quatre films, un tous les deux ans environ, du génial Avanti ! au méconnu Victor la gaffe (1981), remake d'un film français d'Edouard Molinaro, L'emmerdeur. Il vivra jusqu'en mars 2002. Clin d'oeil ultime, sa plaque funéraire cite la réplique finale de Certains l'aiment chaud: "Nobody's perfect" ("Personne n'est parfait"). Modeste, Wilder affirmait réaliser les films... qu'il aurait aimé voir.

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Maintenant, c'est à vous...

Que pensez-vous de Billy Wilder ? Quelles images avez-vous de lui ? Et, question-bonus, auriez-vous certains de ses films à me conseiller ?

mardi 17 février 2015

Du sang !

Mon souvenir de cette époque est assez flou, mais il me semble bien que Scream avait très largement fait parler de lui l'année de sa sortie dans les salles françaises. En tout cas, si ce que mes sources révèlent est exact, il s'était classé 17ème du box-office 1997, son compteur dépassant légèrement les 2,2 millions de tickets vendus. Et ça faisait un moment que j'attendais l'occasion de découvrir enfin ce slasher...

Ami(e) lecteur ou lectrice, tu te demandes peut-être, si le cinéma t'est moins familier qu'à moi et/ou si tu n'as pas déjà eu l'opportunité de voir Scream, ce que l'on appelle un slasher. Ce anglicisme rare vient d'un verbe, to slash, qui signifie déchirer, taillader. Le slasher est donc une sorte de film d'horreur criminel, avec un assassin spécialiste de l'arme blanche et, le plus fréquemment, tueur en série. C'est très exactement ce modèle qu'exploite l'Américain Wes Craven dans le long-métrage dont je vous parle aujourd'hui. Un meurtrier s'attaque méthodiquement aux étudiants d'une petite ville californienne, poussant parfois le vice à les terroriser au téléphone quelques minutes avant de les découper en morceaux. Un petit conseil à ceux que l'invraisemblable irrite: fuyez tant qu'il est encore temps !

Les meilleurs aspects du film m'ont en réalité raccompagné tout droit jusqu'aux années 90. Voir ici des ados pris au dépourvu simplement parce que leur ligne téléphonique - fixe ! - a été coupée m'a amusé. Une précision s'impose, je crois: une partie de l'humour de Scream est volontaire... et très souvent assez lourdingue. Ce qui fait rire aujourd'hui ne tient qu'au décalage des époques: la jeunesse geek existe toujours, mais elle n'a plus du tout les mêmes rites. Franchement, vous en connaissez, vous, des teenagers qui louent encore des VHS pour leurs soirées entre amis ? C'est bien malheureux sans doute, mais le long-métrage sent la poussière. Ce qui m'a paru plus embêtant, c'est qu'après un début plutôt bien ficelé, il sombre petit à petit dans le ridicule. J'imagine que la révélation de l'identité du tueur aurait dû me frémir. Raté: je la trouve limite grotesque ! Frustré et à vrai dire un peu déçu, j'en conclus que j'ai passé l'âge...

Scream
Film américain de Wes Craven (1996)

Je préfère Evil dead de Sam Raimi, mais il faut que je dise également que Wes Craven garde la réputation d'un maître du cinéma horrifique, après une série de films cultes tournés dès le tout début des années 70: La dernière maison sur la gauche (1972), La colline a des yeux (1977) ou Freddy sort de la nuit (1994), par exemple. Après avoir ici ri de ses propres codes, il préparerait un... Scream 5 !

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Pas grand-chose sur mes blogs de référence...

"Mon cinéma, jour après jour" évoque juste Scream 2 et Scream 4. Je me souviens vaguement d'avoir vu le deuxième opus au cinéma.

lundi 16 février 2015

Au bout de la route

Elle est espagnole, lui italien: je ne sais pas si c'est parce que j'avais très bien dîné chez mes amis Monica et Carlo, mais j'ai ensuite eu quelques difficultés à parfaitement entrer dans Trois enterrements. Accrochez-vous: au début de ce western contemporain, sous le soleil de plomb du Texas, la narration est si éclatée qu'il faut être attentif pour suivre. Après, le scénario se faisant plus linéaire, ça s'arrange...

Pour résumer, je dirais que Trois enterrements a pour personnage central un jeune Mexicain, travailleur immigré dans une ferme américaine. Dépourvu de papiers en règle, Melquiades Estrada s'efforce donc d'être discret. La malchance veut qu'un jour, sa route croise celle d'un garde-frontière crétin, qui croit qu'il se fait tirer dessus et, ni une ni deux, l'abat à distance et sans sommation. Aussitôt après, le long-métrage suggère que cette bavure risque bien de rester impunie, sans que ça vienne vraiment heurter la conscience des culs terreux du voisinage. Ami du mort, un certain Peter Perkins mène donc sa propre enquête et comprend vite qui est le coupable. Filons-nous vers une énième histoire de vengeance ? À vous de voir ! Sachez juste qu'à ce stade, le scénario a gardé quelques surprises...

C'est notamment pour ce même scénario, oeuvre de l'écrivain mexicain Guillermo Arriaga, que le film a été récompensé au Festival de Cannes 2005. Réalisateur et acteur, le grand Tommy Lee Jones devait, lui, repartir avec un Prix d'interprétation. C'est vrai: pour peu que vous soyez un tant soit peu sensibles au charme de sa gueule burinée, chevaucher avec lui pourra sûrement vous rendre le voyage agréable. Juste au-dessus, j'ai parlé de western: Trois enterrements tient aussi du road-movie, à la découverte d'une des faces sombres du continent américain. La beauté sauvage de ces terres frontalières contraste fortement avec leur état de délabrement économique. Comme coupés de l'autre monde, Hispaniques et Texans s'opposent frontalement, mais se ressemblent absolument. J'ai pensé soudain que c'était surtout cette histoire-là que le film voulait nous raconter. Et au bout du bout de la route, inattendue, l'émotion s'est imposée...

Trois enterrements
Film franco-américain de Tommy Lee Jones (2005)

Le groupe français EuropaCorp est crédité au titre de la production. Luc Besson et Pierre-Ange Le Pogam, ses fondateurs, le dirigeaient encore en harmonie, semble-t-il. Autre point: le film est la première des deux seules réalisations cinéma de Tommy Lee Jones au cinéma. L'autre ? C'est The homesman, présenté à Cannes en mai dernier. Pour le voir "simple" acteur, je vous conseille Dans la vallée d'Elah.

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Un petit détour chez mes camarades vous tente ?
Pascale ("Sur la route du cinéma") parle du film comme d'un chef d'oeuvre. Chonchon ("Mon cinéma, jour après jour") n'en est pas loin. Princécranoir ("Ma bulle") laisse son ami Vincimus en dire du bien.

dimanche 15 février 2015

Une révolution inachevée

Je me demande si, sans l'intervention très inspirée des producteurs de James Bond, nous aurions connu Mads Mikkelsen. La carrière internationale du comédien danois favorise sûrement sa notoriété dans d'autres pays que le sien. N'empêche: c'est autour d'un film suédo-tchéco-danois que je l'ai retrouvé l'autre jour. Je vous dirai même de ce Royal affair que je tenais à le voir... depuis longtemps.

Comme vous le savez, je suis un inconditionnel des films costumés. Sur ce point précis, rien à redire: le boulot des équipes techniques s'avère absolument fabuleux. La Copenhague reconstituée de 1760 m'en a mis plein les mirettes. Peut-être d'ailleurs que c'est trop beau ! Curieusement, c'est du côté du scénario que j'ai été moins emballé que je ne l'avais espéré. Quand le film commence, une voix off féminine introduit le flashback qui va suivre. On comprend vite qu'une femme écrit à ses enfants, dont elle est visiblement séparée de longue date. Cette femme, c'est Caroline-Mathilde de Hanovre, soeur du roi George III d'Angleterre et ancienne épouse du souverain danois, Christian VII. Le film adopte son point de vue pour raconter un peu de la vie de la cour, sous le règne du monarque scandinave. C'est d'autant plus intéressant que de nouvelles idées politiques secouent alors l'Europe toute entière: celles des Lumières, bien sûr. Royal affair se tourne alors vers celui qui va y intéresser la couronne danoise: un Allemand, Johann Friedrich Struensee, le médecin du roi.

Partant de là, j'ai l'impression (fâcheuse) que le film, aussi réussi soit-il formellement parlant, passe quelque peu à côté de son sujet. Disons qu'il nous réserve une fresque romanesque, là où il aurait pu être également une grande oeuvre politique. J'en suis bien désolé pour Mads Mikkelsen, soyez-en sûrs, mais son Struensee peine finalement à prendre une dimension autre que celle d'un homme coincé, serviteur d'un roi et amoureux de sa reine. Le long-métrage choisit de ne rien dire de ses réelles convictions: certains historiens le voient davantage comme un opportuniste que comme un homme acquis à la cause de la liberté, mais Royal affair préfère ne pas parler de cette possible ambiguïté. C'est dommage aussi pour Christian VII. Assez brillamment campé par Mikkel Boe Folsgaard, le souverain passe avant tout pour un fou, pleutre et cocu, lui qui avait lancé quelques réformes libérales, sans attendre que son peuple soit passé par la case Révolution. Je suis donc passé, moi, à côté du film. N'exagérons rien: il est vrai aussi qu'il reste un très beau spectacle.

Royal affair
Film danois (etc...) de Nikolaj Arcel (2012)

Je l'ai écrit et j'insiste: même s'il m'a un peu déçu, ce long-métrage demeure une oeuvre d'une saisissante beauté. J'ai loupé la version originale et je le déplore: la langue aurait favorisé mon immersion. Pour d'autres films consacrés à cette époque, je vous laisse découvrir des approches très variées, autour de Marie-Antoinette, Lady Oscar ou Les adieux à la reine. Barry Lyndon est certes un cran au-dessus.

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Vous retrouverez le film du jour sur d'autres blogs...

- "Chez Sentinelle",
- "Le blog de Dasola",
- "Les chroniques de Mel",
-
"Sur la route du cinéma".

vendredi 13 février 2015

Les mots d'Annaud

Après Valence, Lyon et Toulon... avant Avignon, Nîmes, Montpellier et bien d'autres villes encore, Jean-Jacques Annaud est aussi passé par chez moi pour présenter Le dernier loup. C'est cette circonstance qui m'a poussé à assister à cette avant-première. Même si je suis loin d'avoir vu l'ensemble de ses films, je respecte cet artiste qui tourne inlassablement depuis 1976. Voici un peu de ce qu'il nous a raconté...

Jean-Jacques Annaud indique que Le dernier loup est l'aboutissement d'un travail de sept ans. Le tournage a réellement eu lieu en Mongolie intérieure. Le réalisateur n'avait que neuf Français autour de lui. L'équipe complète regroupait 480 personnes ! Le film a fait l'objet d'un storyboard très précis pour bien "poser" les images dès le début.

Malgré quelques poupées et images de synthèse, la plupart des loups visibles dans le film sont de vrais animaux, à ce jour disparus du côté chinois de la Grande Muraille. Soignés et dressés par un spécialiste canadien, Andrew Simpson, ils ont aussi pris l'avion-retour avec lui pour être préservés. La meute regroupait une quinzaine d'individus.

"Le risque existe toujours que les loups attaquent": s'il souligne qu'aucun incident n'a perturbé le tournage, Jean-Jacques Annaud explique que de nombreuses scènes ont été filmées sur la corde raide. Lucide, le cinéaste s'inquiétait surtout des risques de la cohabitation entre les divers animaux. Fort heureusement, tout s'est donc déroulé comme il l'avait prévu: "Le roi des loups est même devenu mon ami. Quand nous étions proches de la fin du tournage, il refusait de jouer sans avoir obtenu d'abord dix minutes d'embrassade". Le cinéaste s'amuse de la relative tendresse de la bête. "C'est une expérience particulière. Quand ce loup a ensuite cédé son trône, son frère a pris sa place. Cet autre loup est venu me voir, m'a senti... il m'a toléré. On était copains, sans plus". Juste assez pour les dernières prises...

Parce qu'il comprend que certaines scènes de chasse aux loups peuvent choquer un public non-initié, Jean-Jacques Annaud rappelle qu'il n'a fait que reproduire les techniques mongoles. Les légendes locales font du loup un ennemi respectable, voué à rejoindre un dieu céleste, Tengri, après sa mort. "Il y encore dix ans, les Mongols présents dans le film menaient chaque année une chasse traditionnelle: la visite des cavernes. Ils sont bouddhistes et croient en la réincarnation. On revient parfois en insecte, oiseau ou animal".

Sans trop insister, Le dernier loup délivre évidemment un message écolo, selon lequel toutes les espèces ont leur place dans la nature. Bien que, poussés par la faim, les prédateurs puissent s'attaquer aussi aux troupeaux de moutons gardés par les hommes, leurs proies préférées demeurent les gazelles de la steppe. Les loups chassent seulement pour se nourrir et, autant que possible, se tiennent prudemment à l'écart des activités humaines - oui, ils en ont peur ! Leur consommation d'animaux herbivores favorise aussi le maintien d'une vie végétale sur ces grands espaces au climat instable. L'équipe du film y a vu des marmottes et défié des armées de moustiques. Jean-Jacques Annaud préfère en rire: "Je devais mettre une voilette et des gants d'apiculteur. Le look d'une bourgeoise du 19ème siècle".

Sur place, le cinéaste aura tout de même bénéficié du meilleur guide possible: Jiang Rong, l'homme qui a écrit le livre à l'origine du film. "Son séjour remonte à la fin des années 60 et il n'était jamais revenu en Mongolie intérieure. Il conserve une vive passion pour la région. Même si un écrivain sait que son histoire lui échappe quand il vend ses droits d'adaptation, j'ai de l'amitié pour cet homme et du respect pour l'amour qu'il porte à cette terre. Il vit avec la Marguerite Duras chinoise, la romancière la plus célèbre du pays. Son ami du film existe également: il est devenu un peintre reconnu pour ses tableaux paysagés et portraits de Mongolie". La boucle est bel et bien bouclée.

jeudi 12 février 2015

La légende des steppes

Cela lui portera-t-il chance ? Jean-Jacques Annaud sort cette année son 13ème long-métrage. J'en parle au présent, parce que, une fois n'est pas coutume, je suis allé à une avant-première - le film arrive dans les salles le 25 février prochain. JJA nous propose d'aller avec lui en Mongolie intérieure, une région autonome du nord de la Chine. Vous pouvez le deviner: Le dernier loup offre de sublimes paysages.

Le film adapte un roman, Le totem du loup, oeuvre de l'écrivain chinois Lü Jiamin, plus connu sous le nom de Jiang Rong. Ce livre s'est tellement vendu là-bas qu'il a dépassé les chiffres du Petit livre rouge ! J'ai d'emblée appris quelque chose sur l'histoire de la Chine lors de la période maoïste: de Pékin, des étudiants étaient envoyés dans tout le pays pour permettre le "développement" des zones rurales, éloignées de la capitale. J'ai mis des guillemets, car j'imagine qu'au passage, les missi dominici du Grand timonier étaient censés promouvoir la bonne parole socialiste. Bref... Le dernier loup développe son récit autour de deux de ces hommes et de leur périple mongol, du côté chinois de la Grande muraille. Il n'est pas question d'enjeux politiques, mais en réalité d'une sorte de voyage initiatique.

Comme son titre l'indique, le film s'intéresse aussi à la faune mongole et aux puissants prédateurs des steppes. Il parvient à être poétique et en même temps didactique, avec un petit court sur l'équilibre fragile des milieux naturels et, il faut le dire, la bêtise de l'homme venu le perturber. Pour faire monter l'émotion, Le dernier loup adopte le point de vue d'un garçon des villes converti au nomadisme. Chen Zhen ne devient pas un berger ordinaire: écoeuré de découvrir le sort réservé aux loups dans sa région d'adoption, il décide soudain d'en recueillir un et de l'élever comme d'autres le feraient d'un chien. Je vous passe les détails: les conséquences de ce choix audacieux nourrissent évidemment la totalité d'un scénario assez prévisible. J'apprécie toutefois la sincérité du propos... et les très belles images.

Le dernier loup
Film franco-chinois de Jean-Jacques Annaud (2015)

Après Le promeneur d'oiseau l'année dernière, on peut remarquer que les coproductions franco-chinoises ont le vent en poupe, régies qu'elles sont désormais par un accord bilatéral. Jean-Jacques Annaud n'a probablement pas connu les mêmes difficultés que sur le tournage de Sept ans au Tibet (1997). Cet opus reste assez loin des sommets du genre (Danse avec les loups), mais convient à un public familial.

mardi 10 février 2015

Du sens, des dessins

Il a été diffusé sur France 3 quelques jours après l'attentat survenu dans les locaux de Charlie Hebdo. C'est le lendemain, dans une salle de cinéma, que j'ai vu Caricaturistes, fantassins de la démocratie. Présenté à Cannes le 19 mai dernier, puis au cours d'une projection parisienne sur la très symbolique place de la République le 23, le film est ressorti dans de nombreuses autres villes en janvier. C'est bien...

Angel Boligan (Mexique)
La grande force de ce documentaire, c'est que son propos associe plusieurs dessinateurs dans le monde, et pas seulement en France. Une association, Cartooning for peace, existe d'ailleurs pour générer une plateforme d'échange et de soutien entre ces professionnels. Caricaturistes... montre bien qu'il n'y a pas une façon de faire unique pour celui qui croque l'actualité de son pays. Souvent considérés comme des journalistes à part entière, ces reporters et as du crayon partagent la vie de leurs confrères et sont soumis à des pressions similaires. Le long-métrage permet également de faire connaissance avec eux dans leur vie ordinaire: ils ne sont que de simples citoyens.

Ramya Suprani (Venezuela)
Jean Plantu est, pour le public français, le visage le plus familier parmi ces douze femmes et hommes issus de tous les continents. Toute l'intelligence de Caricaturistes... est de ne pas avoir gradué son discours. Il n'y a pas les chanceux qui travaillent en démocratie d'un côté et les pauvres opprimés de l'autre: chacun doit composer avec une marge de liberté plus ou moins grande et sur des thèmes particuliers. Ce qui est très intéressant dans cette analyse comparée des situations, c'est de pouvoir comprendre que le quotidien des uns et des autres ne diffère pas vraiment de celui de leurs compatriotes. Quand il est autoritaire, le pouvoir l'est pour tous... et tout le temps.

Baha Boukhari (Palestine)
De ce point de vue, les images ici rassemblées font parfois frémir devant les dérives de certains régimes. Le visage de cette femme vénézuélienne sommée de décliner son identité complète pour acheter un bout de pastèque devrait rester inscrit dans ma mémoire ! Caricaturistes... apporte également un peu d'espoir, quand il montre que certains résistent au coeur même des dictatures ou s'associent avec leurs prétendus adversaires pour porter des valeurs universelles de paix et de liberté. Ce tour du monde en dessins est très juste quand il rappelle que les journaux vont parfois plus vite que l'actualité elle-même. Les caricatures ne sont pas toujours là où on les attend...

Lassane Zohore (Côte d'Ivoire) - Damien Glez (Burkina Faso)
Une autre des grandes vertus de ce film, c'est de nous faire rire ! Toutes les situations ne s'y prêtent pas, bien sûr, mais on s'amuse parfois du côté ubuesque des anecdotes. Un simple exemple: le récit d'un dessinateur russe, dont les oeuvres, après la chute du bloc soviétique, avaient été vendues à l'étranger pour établir les progrès démocratiques de l'ex-URSS. Sourires aussi devant ces journalistes africains, lancés dans une étude de leurs tabous respectifs. Caricaturistes... demeure porté par un certain degré d'optimisme. Malgré ses craintes pour l'avenir de son pays, une Tunisienne se dit notamment surprise du succès de ses dessins. La pensée reste libre !

Caricaturistes, fantassins de la démocratie
Documentaire français de Stéphanie Valloatto (2014)

Parmi les programmes rediffusés pour rendre hommage aux victimes du terrorisme, je trouve ce documentaire bien plus réussi que celui réalisé par Daniel Leconte, "C'est dur d'être aimé par des cons". L'un et l'autre méritent certes le détour pour se forger une opinion éclairée sur la crise actuelle de nos valeurs politiques, mais je trouve moins de partialité dans celui d'aujourd'hui. Le débat reste ouvert...

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Présents dans le film, mais pas sur mes photos...

- Baki Boukhalfa (Algérie),
- Jeff Danziger (États-Unis),
- Nadia Khiari (Tunisie),
- Michel Kichka (Israël),
- Menouar Merabtène (Algérie),
- Jean Plantu (France),
- Pi San (Chine),
- Kurt Westergaard (Danemark).
- Mikhail Zlatkovsky (Russie).

dimanche 8 février 2015

Charlot(s)

C'est fou: il y a quelques jours, je me suis tout à coup rendu compte que j'avais vu chacun des neuf derniers films de Benoît Poelvoorde. Pourtant, quatre jours après sa sortie, nous étions seulement trois, un dimanche matin, pour découvrir La rançon de la gloire. Je suis content de m'être dépêché: après une semaine d'exploitation, le film avait presque quitté les cinémas de ma ville. Je n'y comprends rien...

Bon, c'est vrai qu'il n'y a aucun génie dans ce nouveau long-métrage de Xavier Beauvois. L'histoire elle-même paraîtrait plutôt incroyable si elle n'était pas vraie. Nous sommes en Suisse, à la Noël 1977. Charles Chaplin vient de mourir. Eddy Ricaart, lui, sort de prison. Dehors, un ami l'attend: Osman Bricha, presque aussi paumé que lui. Les deux hommes cohabitent - je passe sur les personnages secondaires. Un (très) gros besoin d'argent les conduit vite à monter une nouvelle combine: dérober le cercueil de Charlot pour demander une rançon à Oona, sa veuve. Autant le dire: je trouve très judicieux d'avoir fait appel à Benoît Poelvoorde pour tenir l'un des deux rôles. Roschdy Zem se débrouillant très bien lui aussi, on tient là un duo inattendu, certes, mais efficace. Méfiance, cela dit: si vous attendez une comédie, le film risque de vous décevoir un peu. Plutôt tendre que drôle, La rançon de la gloire est un bonbon à la saveur amère.

En ce sens, le film réussit son modeste hommage à Charles Chaplin. L'éternel moustachu ne campait-il pas lui-même un vagabond amusant, mais tout à fait incertain sur son avenir ? Toucher du doigt cette contradiction est l'une des réussites de La rançon de la gloire. Si j'ai parlé de modestie à l'instant, c'est que le long-métrage avance sans réelle surprise, mais également - un bon point - sans esbroufe. L'unique fausse note viendrait peut-être de la bande originale, portée par une superbe partition du grand Michel Legrand, mais dont l'aspect grandiloquent m'a parfois fait sortir de l'intrigue. On dirait finalement que la caméra reste un peu en retrait, sans se soucier véritablement d'ajouter des images exceptionnelles à une anecdote qui l'est déjà. Malgré tout, j'ai bien aimé le résultat, aussi simple soit-il. Il semble que la conclusion s'éloigne beaucoup de la réalité, mais peu importe ! Quelque chose de l'esprit de Charlot survit: c'est tout ce qui compte.

La rançon de la gloire
Film français de Xavier Beauvois (2015)

Le nom du réalisateur vous parle ? Logique ! Le long-métrage marque son retour, cinq ans après le superbe Des hommes et des dieux. D'ailleurs, je crois vraisemblable qu'une (petite ?) partie de la critique ait dénigré ce nouvel opus par comparaison, juste parce que le film précédent avait plus d'ampleur. C'est à vous d'en juger, désormais. Personnellement, en souriant, j'ai repensé à The Blues brothers...

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Pour tout vous dire...
Un autre avis est publié chez Pascale: "Sur la route du cinéma". Constat: grosso modo, elle et moi sommes d'accord en tous points.