lundi 30 avril 2018

Illusion de liberté

Allez ! J'enchaîne aujourd'hui avec un second film en noir et blanc. Nous allons bien remonter dans le passé, car j'ai choisi de vous parler d'une oeuvre rare et ancienne: Mauvaise graine. Je l'ai visionnée dans l'espoir d'aimer cette histoire "old school", mais pas seulement. Maintenant, je vous explique ça, en deux temps trois mouvements...

L'argument de Mauvaise graine repose sur la très franche opposition d'un fils avec son père. Oisif, Henri Pasquier mène une vie tranquille et entretenue par Papa, jusqu'au jour où ce dernier vend sa voiture pour lui apprendre les bonnes manières et le faire devenir un adulte responsable. C'est un échec: plutôt que de se ranger à la raison, Henri tempête et, de rage, claque aussitôt la porte du domicile familial. Bientôt, comme le titre du film le suggère, il tourne mal et s'associe avec une bande de voleurs d'engins motorisés, le temps de retrouver son autonomie financière et un certain standing social. Il se fait quelques nouveaux amis et une jolie jeune femme lui tape dans l'oeil. Quelques années avant la guerre, Paris est un appel à l'insouciance. La liberté serait-elle accessible, sans avoir de prix à payer ? Pas sûr...

Nous sommes dans les années 30, n'est-ce pas ? La relative douceur de vivre n'est au fond rien d'autre qu'une bénédiction provisoire. Maintenant, je préfère vous laisser découvrir la suite des péripéties proposées aux protagonistes du film, sans les annoncer à l'avance. J'ajoute juste que les trajectoires de l'intrigue sont multiples, drôles parfois, mais pas seulement: cela pourra (peut-être) vous surprendre. Pour ma part, j'ai regardé cette oeuvre méconnue pour une raison précise: il s'agit de la toute première réalisation du grand Billy Wilder. Alors âgé de 28 ans, le jeune Juif austro-hongrois a choisi de quitter son pays et Berlin, où il vivait depuis 1926, pour fuir le régime nazi. Avant de s'embarquer définitivement pour les États-Unis, il travaille sur ce film en duo avec Alexandre Esway, alias Sandor Ezry, un exilé hongrois de onze ans son aîné. Les images que les deux hommes fabriquent viennent alors démontrer un certain sens de la modernité artistique, surtout par des plans tournés dans les rues parisiennes. NB: Mauvaise graine fait aussi briller la très jeune Danielle Darrieux !

Mauvaise graine
Film français d'Alexandre Esway et Billy Wilder (1934)

Je réclame une forme d'indulgence pour ce film gentiment fauché. Billy Wilder dira avoir oublié comment il avait été financé ! Il reste intéressant aujourd'hui de le voir comme le témoignage d'une époque révolue et d'un cinéma un peu moraliste, même si compréhensif aussi avec la jeune génération. On reste encore bien loin de La chienne ! J'ai vu des points communs avec Marius, dont je reparlerai un jour... 

----------
Au fil du temps, des chroniques sont apparues...

Si vous êtes curieux, vous en lirez d'autres chez Princécranoir et Lui.

samedi 28 avril 2018

Atalanta fugiens

9 doigts est-il vraiment "un de ces objets inclassables qui traversent de temps en temps la nébuleuse du cinéma" ? On peut le dire ainsi. Rendons à César: cette belle définition est l'oeuvre de la présidente de mon asso cinéma, qui a choisi de diffuser ce film dernièrement. C'est vrai: il y avait de quoi être surpris. J'essaye de vous expliquer...

D'un noir et blanc superbe, le long-métrage ne déroute pas d'emblée. Ses toutes premières scènes pourraient même être celles d'un thriller ordinaire: on y voit un homme, la nuit, fuir devant l'avancée rapide d'une voiture dont les occupants, semble-t-il, lui veulent des ennuis. Finalement rattrapé et visiblement menacé, notre ami est emmené de force dans une villa isolée, squattée par un gang de cambrioleurs. Ensuite, le prisonnier... intègre la bande (!) et, sur une demande expresse du chef des malfrats associés, reste avec les deux femmes du groupe lorsque ses ex-geôliers passent de nouveau à l'action. L'affaire tournant au fiasco, toute la troupe est donc obligée de lever le camp et embarque sur un cargo, juste le temps de se faire oublier. Humblement, je vous prie de m'excuser si vous repérez des erreurs dans ce pitch: en fait, 9 doigts devient assez vite incompréhensible. Volonté délibérée de noyer le poisson ? Exercice de style particulier auquel je n'ai été que peu sensible ? Ou les deux, mon capitaine ? Navré, bande de petits curieux: je n'ai pas du tout envie de trancher !

Ce que je peux vous dire, c'est que, malgré ses évidentes qualités d'originalité, ce film atypique a eu du mal à me plaire totalement. C'est un peu, au fond, comme s'il était une longue installation vidéo destinée à être exposée dans un grand musée d'art contemporain. Formellement, pas de doute: il y a une vraie recherche esthétique. Cinéaste mais aussi romancier, poète et musicien punk, le réalisateur m'apparaît bien légitime à composer ce méli-mélo visuel et sonore. Qu'est-ce qui coince, alors ? Moi et ma rationalité bornée, sûrement. J'ai quand même besoin de comprendre un minimum ce que je vois. Sans même raisonner en fonction du plaisir, ressentir "quelque chose" ne me suffit pas... ou pas toujours. Une précision: ce n'est pas grave. 9 doigts pourrait même séduire ou ébahir certain(e)s d'entre vous que je ne m'en porterais pas plus mal. Au contraire ! Le septième art n'est pas pensé et conçu pour faire toujours l'unanimité, pas vrai ? Même quand il ne me convainc pas, je tiens à défendre ce cinéma alternatif, fauché par nature, mais sincère et innovant. C'est déjà ça.

9 doigts
Film français de François-Jacques Ossang (2018)

Il n'y a pratiquement qu'avec mon association que je vois des films bizarroïdes comme celui-là ! J'aimerais enfin, un jour, me replonger dans la filmographie de David Lynch, ne serait-ce que pour connaître quelques références supplémentaires. D'ici là, vous dire simplement que l'OVNI du jour m'a aussi refait penser à La chambre interdite. Esprits cartésiens, méfiance: vous voguez vers une terre improbable !

----------
Un mot encore pour être (un peu) plus clair...
Le titre de ma chronique correspond au nom d'un livre d'alchimie publié au 17ème siècle. Si j'ai bien suivi et entendu, c'est aussi celui d'un traitement prescrit dans le film par un docteur un peu étrange. Diantre ! Il est à craindre que des effets hallucinogènes en découlent !

jeudi 26 avril 2018

Soviétique ?

C'est peu de le dire: la Russie n'a pas bonne presse actuellement. Aurait-elle même repris à la Chine et à certains pays arabes sa place d'ennemie du monde libre dans l'imaginaire collectif américain ? J'ose à peine formuler cette hypothèse, faute d'une enquête sérieuse. Reste ce constat: la Russie est bel et bien au coeur de Red sparrow !

Ce film d'espionnage à l'ancienne a pour héroïne Jennifer Lawrence. Devenue Domenika Egorova, la jeune star se voit offrir ici un rôle franchement paradoxal, qui la pousse dans des retranchements inattendus pour elle, mais qui n'échappe pas tout à fait aux clichés. Pour résumer, la belle joue d'abord une danseuse-étoile du Bolchoï. Victime d'un accident lors d'une représentation, elle est contrainte d'abandonner sa carrière et se retrouve menacée d'une expulsion immobilière, le ballet réglant la facture de son modeste appartement. Problème: Domenika peut se débrouiller seule, mais pas sa maman. Cette dernière, handicapée, vivant à ses frais, Filille n'a d'autre choix que d'accepter le premier boulot qui passe et devient donc... espionne pour le compte de son pays (et d'un oncle plutôt flippant) ! On la suit dans sa formation, au sein d'une école où l'alternative pédagogique est aussi limpide que la vodka: obéir ou mourir. Vous voyez le truc...

Plutôt soigné sur la forme (costumes, décors, musique et son), le film tangue légèrement sur le fond, à force de caricatures. Dommage. Comme je le disais, Jennifer Lawrence pousse le bouchon plus loin qu'on ne pouvait l'imaginer, objectivement très investie dans la peau de son personnage. Red sparrow a parfois des allures de thriller érotique, mais la froideur du scénario calme assez vite les ardeurs coquines qu'il pourrait susciter. Autre point surprenant: l'absence quasi-totale de scènes d'action, si ce n'est une brève course-poursuite et un meurtre particulièrement sordide dans les premiers instants. Attention: nous n'échapperons pas à la violence, le viol et la torture s'invitant à l'écran de manière courte... mais intense ! Je dois dire qu'à mes yeux, le film aura été plus spectaculaire qu'enthousiasmant. L'intrigue principale, qui consiste à démasquer un probable agent double, est traitée avec un peu trop de désinvolture pour convaincre. Le casting - Joel Edgerton, Matthias Shoenaerts, Charlotte Rampling, Jeremy Irons, Ciaràn Hinds - aurait-il mérité mieux ? Je réponds oui !

Red sparrow
Film américain de Francis Lawrence (2018)

Sauf à être vraiment exigeant, on peut s'offrir un assez bon moment avec cette histoire abracadabrante - et longue de deux heures vingt ! Parmi les films d'espionnage récents, elle vaut bien un James Bond nouvelle génération comme Spectre, sans avoir le rythme d'un film comme La mémoire dans la peau. Son lancement à la Black swan peut séduire, à la rigueur, mais Le pont des espions est mieux écrit !

----------
Pas certain que le film marche très fort...

 Il fait tout de même l'objet d'une (petite) chronique chez Dasola.

mercredi 25 avril 2018

Coup de froid

Un aveu pour commencer: voilà quelques jours, je pensais vous parler aujourd'hui d'un souci avec la section des commentaires. J'ai changé d'avis en constatant que cela n'avait pas d'impact sur mes chroniques déjà parues. Je vais donc plutôt évoquer un nouveau film: Tonnerre. N'attendez pas l'orage: c'est aussi le nom d'une petite ville de l'Yonne !

C'est là, loin de Paris, qu'un musicien à succès s'est mis en retraite pour composer un nouvel album. On comprend, en voyant Maxime jouer de la guitare, que son inspiration n'est pas extraordinaire. D'ailleurs, c'est un peu à l'image de sa vie, aussi terne et pathétique que celle de son père, qu'il retrouve à Tonnerre, seul, dans la maison de son enfance. Heureusement, il reste toujours une petite étincelle pour le jeune musicien: elle s'appelle Mélodie, fait office de pigiste pour le journal local et, ni une ni deux, devient son amoureuse. Logiquement, vous devriez vous imaginer que cela ne va pas durer. Vous auriez raison, mais je n'en dirai pas plus. C'est à vous de voir...

Assez classique sur le fond, Tonnerre est un premier long-métrage honorable. Son cadre naturel et froid n'est jamais utilisé à des fins misérabilistes: on sent au contraire une vraie empathie du réalisateur et scénariste pour ces personnages. Pas de manichéisme à déplorer. Côté acteurs, le trio principal est pile dans le ton juste, qu'il s'agisse de Solène Rigot, Vincent Macaigne ou... Bernard Menez, épatant ! Assurément, on ne rigole pas, mais tout cela reste bien assez subtil pour traiter dignement un sujet battu et rebattu, voire casse-gueule. Quelques petits défauts, d'accord, mais moins que dans d'autres films de cinéastes plus expérimentés. Je me suis laissé embarquer, donc. L'issue du voyage était assez prévisible, mais cela ne m'a pas gêné. Loin de là: pour moi, le cinéma, c'est (aussi) ce genre de petits films.

Tonnerre
Film français de Guillaume Brac (2014)

Prenez garde aux spoilers si vous cliquez: le personnage de Maxime m'a rappelé celui de Kostis, dans Suntan (en moins masochiste). Finalement, ce récit me paraît plus intéressant parce qu'il s'inscrit dans un cadre quasi-rural, souvent négligé par le cinéma français. Inutile de citer les Dardenne en Belgique: la campagne tient aussi lieu de personnage dans Petit paysan ou même Willy 1er. Et ça marche !

lundi 23 avril 2018

Il était une foi

Vous n'êtes pas obligés d'être d'accord, mais je trouve que le débat public accorde trop de place aux religions. Non-croyant, je m'intéresse toutefois à ces questions et j'aime réfléchir aux faits historiques derrière les croyances. Je me suis donc intéressé à Marie Madeleine. Quelques mots, aujourd'hui, sur ce film passé quelque peu inaperçu...

Une précision, d'abord, pour ceux qui l'ignoreraient: Marie Madeleine est un personnage de la tradition biblique. Elle aurait suivi le Christ jusqu'au jour de sa crucifixion. Longtemps présentée par l'Église catholique comme une prostituée repentie, il semble que cette femme bénéficie désormais d'une sorte de réhabilitation, en étant citée parmi les premiers apôtres de Jésus et témoins de sa résurrection. Marie Madeleine - le film - s'attache d'abord à nous la présenter comme quelqu'un d'extrêmement humble, à tous les sens du terme. Seul "problème" pour les moeurs de son temps: son refus de se marier avec le brave homme que son père et son frère ont choisi pour elle. C'est ce qui la conduira bientôt sur les routes de l'exil, de son village natale de Magdala à Jérusalem, en suivant les pas d'un prédicateur. Quelque chose de moderne réside dans cette farouche détermination à ne pas se soumettre pour, peut-être, devenir soi. À vous d'en juger.

De fait, une telle oeuvre ne peut probablement pas faire l'unanimité. J'ai pour ma part aimé l'épure de ces images, tournées principalement en Sicile. J'ai aussi apprécié la relative discrétion des dialogues, liée sans doute au fait que le réalisateur a laissé à ses acteurs une part d'improvisation. Il m'a plu de retrouver Rooney Mara dans le beau rôle principal, ainsi qu'une distribution étonnante de par sa diversité culturelle: Joaquin Phoenix en prophète y côtoie des comédiens venus d'un peu tous les horizons, à l'image de Tahar Rahim, Ariane Labed, Chewitel Ejiofor, Denis Ménochet, Lubna Azabal ou Tchéky Kario. Marie Madeleine perd en vraisemblance ce qu'il gagne en humanité. Après tout, je ne suis pas convaincu qu'il faille juger le long-métrage en termes de réalisme ou même de crédibilité. J'ai préféré le recevoir sans me poser trop de questions. Du coup, je l'ai assez bien apprécié dans l'ensemble - et malgré l'aspect un peu anachronique de son sujet.

Marie Madeleine
Film australien de Garth Davis (2018)

Je ne pense pas que l'on verra beaucoup d'autres opus de ce genre. Ses producteurs britanniques et américains devaient sûrement savoir qu'il existe une tradition hollywoodienne du film biblique, de Ben-Hur à Barabbas, en passant évidemment par Les dix commandements. Darren Aronofsky l'avait remise à la mode avec Noé, film controversé. Autant l'admettre: ces oeuvres sont ma foi d'une qualité très inégale !

----------
Allez, un petit mot sur le Movie Challenge...
Hop ! Je coche la case n°40: "La bande-originale du film est bonne". Elle est le fruit du bon travail de Jóhann Jóhannson, un compositeur islandais déjà entendu dans les films du Québécois Denis Villeneuve. Un triste souvenir: le musicien est mort à 48 ans, le 9 février dernier.

Et pour finir, un lien vers un site ami...

Oui, parce que j'ai fini par trouver une autre chronique chez Pascale !

samedi 21 avril 2018

Virtualité(s)

Neuf films à revoir et sept à découvrir: c'est mon cahier des charges pour finaliser mon intégrale Spielberg. Sans attendre, je suis allé voir son nouvel opus en salles, la semaine de sa sortie. Ready player one s'inscrit dans la tradition ludique de son cinéma: comme il l'a déjà fait plusieurs fois, Tonton Steven nous conduit à sa suite... vers le futur !

Nous débarquons donc à Columbus, la capitale de l'Ohio, en 2045. Toujours plus nombreux, les hommes s'entassent dans des bidonvilles géants, depuis qu'ils ont de cessé de lutter contre les problèmes concrets que pose la réalité. Heureusement pour eux, un petit génie de l'informatique a inventé un nouveau doudou: un univers virtuel baptisé l'Oasis. Ultra-connectée, la population peut dès lors s'évader vers un monde qui n'a qu'une seule limite: celle des imaginations ! Homme banal, le propriétaire de cet espace d'irréalité finit par mourir dans la "vraie vie". Son testament stipule que son immense fortune reviendra au joueur qui trouvera un objet caché au coeur de l'Oasis...

Les geeks dénomment un tel objet un Easter egg (oeuf de Pâques). C'est bel et bien à eux que Ready player one s'adresse en priorité. Pratiquant chevronné et légitime ambassadeur de cette pop culture depuis près de cinquante ans, Steven Spielberg se et nous fait plaisir en poussant le concept à fond les ballons, en multipliant les clins d'oeil aux grands classiques du cinéma de divertissement et des jeux vidéo. Pour peu qu'on accepte d'entrer dans la danse, on se trouve alors pris dans un tourbillon d'images colorées comme peu d'autres réalisateurs sont capables d'en inventer. Le trip a quelque chose d'étourdissant. D'ailleurs, les rares scènes d'exposition ne sont pas les plus réussies...

Derrière cette frénésie, le film nous parle quand même du monde d'aujourd'hui, autour des opportunités nouvelles nées des technologies d'usage collectif, mais aussi des dangers que le non-réel peut induire si nous n'en faisons pas un usage encadré et... disons responsable. Pas question pourtant de nous faire la morale: le long-métrage assume parfaitement ses outrances, ainsi que ses petites faiblesses narratives. Sur écran géant, pas de doute, c'est d'abord un voyage incroyable, comme seule la fiction est encore capable de nous offrir. J'imagine qu'il sera intéressant, dans dix ou vingt ans, de mesurer comment tout cela aura vieilli. À ce jour, je me suis laissé emporter !

L'escapade dure plus de deux heures: autant dire que vous en aurez vraiment pour votre argent ! Soyez sûrs que je peux comprendre ceux d'entre vous que l'idée de monter dans le grand huit ne motive guère. Les autres, de grâce, lancez-vous sur un écran digne de ce nom ! Ready player one est sûrement déjà piraté, sortira un jour prochain sur supports numériques et en VOD, mais reste taillé pour le cinéma. C'est le flambeau qu'un monsieur de 71 ans transmet à la jeunesse triomphante et un spectacle quasi-idéal pour oublier les petits tracas de nos vies quotidiennes. Il m'a donné envie de découvrir le livre ! Constat d'évidence: des blockbusters comme celui-là, j'en redemande.

Ready player one
Film américain de Steven Spielberg (2018)

Deuxième film de l'année pour Spielby... et deuxième belle réussite ! Après Pentagon papers, le virage thématique est négocié avec brio. Formellement, l'opus est dans la même trempe que la claque Avatar et à des années-lumière du pourtant soigné Valérian de Luc Besson. L'avenir nous dira s'il a aussi la capacité de devenir un classique. Possible, à mon avis... même si E.T. me parle et m'émeut davantage.

----------
Ah ! J'avance dans mon Movie Challenge...

Je coche la catégorie n°13: "Le titre du film comporte un numéro".

Je crois que le film n'a pas fini de faire parler de lui...
Chez mes comparses, Pascale et Strum ont été les premiers à le voir. Depuis, à ma très grande surprise, seule Laura leur a emboîté le pas !

vendredi 20 avril 2018

Par simple dépit

"Je fais un sale métier, mais j'ai une excuse: je le fais salement". Après les débuts d'un cambriolage, cette petite phrase lue en voix off est l'une des premières dites par Jean-Paul Belmondo dans Le voleur. L'amertume prend ainsi, d'emblée, l'ascendant sur la flamboyance. Entrés dans le récit comme par effraction, nous voilà mis en garde... 

Le film nous embarque sur la trace de Georges Randal, jeune homme du Paris de 1890, revenu du service national pour découvrir aussitôt comment son petit monde a tourné sans lui: mal. Sa cousine adorée envisage d'épouser un bourgeois sans envergure, tandis que son oncle et tuteur a dilapidé le gros de sa fortune dans des investissements douteux. Et voilà comment un bon garçon peut mal tourner, lui aussi. Par dépit plus que par occasion, l'homme raisonnable d'autrefois devient un filou, au mépris d'un risque qui pourrait bien le conduire jusqu'à la guillotine. Deux remarques à ce stade: la reconstitution d'époque est parfaite... et Bébel à l'unisson dans la peau du brigand. Le reste de la distribution est tout aussi magnifique: Julien Guiomar, Bernadette Lafont, Marlène Jobert, Françoise Fabian... entre autres !

Mieux vaut voir Le voleur en toute connaissance de cause: s'il y en a parmi vous qui veulent de l'action et des cascades, je crois préférable de dire tout de suite qu'ils n'en auront pas. Le film n'a vraiment rien d'une gaudriole et, à plusieurs reprises et dans l'observation attentive de ce jeune homme désabusé, il se rapproche du drame. J'ai senti également quelque chose que je n'avais pas anticipé: un souffle contestataire dans le propos général. Il pourrait être celui du roman originel de Georges Darien (1862-1921), un écrivain aux sympathies anarchistes. Clairement, cette transposition au cinéma n'apparaît pas comme une banale histoire de bandit. Il y a autre chose à apprécier sous le vernis des apparences, ce que je n'avais donc pas senti venir. Je ne me suis pas emballé, non, mais j'ai aimé me laisser surprendre.

Le voleur
Film français de Louis Malle (1967)

Vous l'aurez compris: dans une ambiance à la Arsène Lupin, le récit s'avère ici franchement plus sombre que dans les romans populaires de Maurice Leblanc. Si ce siècle finissant vous intéresse, peut-être qu'un film comme Les anarchistes pourrait également vous convenir. Pour un point de vue féminin, notons que le 19ème est aussi le siècle de Tess, Bright star, Les hauts de Hurlevent... ou Madame Bovary !

----------
Ce film méconnu n'est pas complément oublié...

La preuve: il fait aussi l'objet d'une chronique sur "L'oeil sur l'écran".

jeudi 19 avril 2018

Un plan simple

Le fil de mes chroniques se prolonge aujourd'hui avec un classique hollywoodien: Quand la ville dort. Adapté d'un roman éponyme publié un an plus tôt, ce long-métrage reste dans l'histoire du septième art comme le premier film de casse (caper movie, dit-on aux États-Unis). Un argument largement suffisant pour titiller ma curiosité cinéphile...

Dans une ville qui pourrait bien être Chicago, un type sort de prison et remonte sans attendre une bande pour braquer une bijouterie. L'enjeu n'est pas mince: chaque complice repartirait avec des dizaines de milliers de dollars. Edwin Doc Riedenschneider est déjà persuadé qu'il pourra bientôt couler des jours heureux au Mexique, à distance raisonnable de ces emmerdeurs de flics et enfin rangé des affaires. On y croit volontiers avec lui, et ce d'autant qu'il parvient à recruter un bailleur de fonds pour obtenir le matériel nécessaire, un chauffeur, un gros bras et un perceur de coffres. Il n'est pas question pour moi de dire si le coup marche: la réponse est... dans Quand la ville dort !

Certains aiment aussi ce film parce qu'on y croise Marilyn Monroe. Déjà fatale à 24 ans, la blonde joue un tout petit rôle de femme adultère, qui s'avèrera toutefois déterminant, tant pour la conclusion de l'intrigue que pour le sort de l'un des personnages. Dans un univers très masculin, on constatera d'ailleurs que les protagonistes féminins de cette histoire ne sont pas véritablement relégués au second plan. D'une certaine façon, ils apportent presque la promesse d'une vie différente, à l'abri des contingences de la jungle citadine - soulignées par le titre original du long-métrage et du livre: The asphalt jungle. Film noir oblige, rien n'est évidemment aussi simple, mais je préfère m'en tenir là quant à mes explications pour ne pas risquer de gâcher votre possible plaisir. Je dois avouer à ce stade que le mien est resté un peu en-deça de mes espérances, le (brillant) exercice de style m'apparaissant un peu désincarné, en dehors d'une ou deux scènes fameuses et révélatrices de la solitude qui caractérise les gangsters. Meilleure chance la prochaine fois. Allez, je n'ai rien vu de mauvais...

Quand la ville dort
Film américain de John Huston (1950)

Malgré mes réserves, je ne peux que souligner que ce film ancien servira de matrice (ou de modèle) à bien d'autres longs-métrages arrivés plus tardivement sur les écrans. J'ai d'ailleurs un bon souvenir de Du rififi chez les hommes, que j'aurais déjà pu citer en conclusion de mon texte sur Miller's Crossing. Le film noir n'est pas mon genre préféré, vous l'aurez compris, mais Gilda mérite bien un petit détour.

----------
Ah ! Une anecdote fameuse...
En 1989, Turner Entertainment, alors propriétaire des droits du film depuis trois ans, décide... de le coloriser ! Diffusée sur la chaîne française La Cinq, cette version ne disparaîtra qu'après une procédure des héritiers de John Huston (arrêt Cour de cassation - 28 mai 1991).

Si vous voulez en savoir un peu plus...
Je citerais en défense mon propre site-référence: "L'oeil sur l'écran".

mardi 17 avril 2018

La vie en fuite

River Phoenix n'avait que 23 ans quand, fin octobre 1993, il est mort d'une overdose au cours d'une soirée à Los Angeles. Il avait tourné une quinzaine de films pour le cinéma et quelques autres pour la télé. On m'avait parlé du grand frère de Joaquin comme d'une étoile filante des écrans, intense et lumineuse. Il ne me restait plus qu'à vérifier...

Quand À bout de course a démarré, je me suis vite senti confiant quant à sa capacité à me plaire. Le film suit les pas d'un adolescent américain apparemment très ordinaire, mais qui semble s'inquiéter quand il observe les mouvements d'une voiture dans son quartier. Bientôt, le scénario nous apprendra que Danny est le fils aîné d'Annie et Arthur, un couple traqué depuis de longues années pour le sabotage d'une fabrique de napalm en pleine guerre du Vietnam. Tout l'intérêt du récit est qu'il nous prend alors à contrepied: loin de se concentrer sur la fuite des activistes, il dresse le portrait sensible d'une famille sous tension et, notamment, de ce jeune homme contraint de vivre comme un vrai fugitif alors qu'il n'a absolument rien à se reprocher. Cette histoire n'est pas d'une originalité folle, mais elle est racontée d'une telle façon que je me suis vraiment attaché aux personnages. River Phoenix assure... et c'est tout le casting qui mérite des éloges !

Tout cela vient me confirmer qu'il est bon parfois de regarder un film sans info préalable sur ce qu'ils peut bien raconter. Quand l'audace s'avère payante, la situation est d'autant plus jubilatoire. J'ajoute que, dans le cas présent, j'ai trouvé certaines scènes très belles. J'espère que, si vous pouvez voir ce long-métrage, vous serez émus comme moi de l'amour naissant entre Danny et Lorna, la fille rebelle de l'un de ses profs. Après une jolie séquence de plage, j'en ai adoré une autre tournée au coeur de la nuit, quand les deux jeunes enlacés paraissent avoir chacun adopté un vêtement appartenant à l'autre. J'en passe et des meilleures: les émotions sont si finement abordées qu'il est difficile, si ce n'est presque impossible, de rester indifférent. À bout de course s'inscrit dans la noble tradition du cinéma populaire américain et nous parle de la force de l'engagement, à tous les sens du terme. Je ne vois rien à ajouter, si ce n'est que la fin est superbe !

À bout de course
Film américain de Sidney Lumet (1988)

Je profite de cette conclusion pour saluer de nouveau le travail impeccable de tous les acteurs: Christine Lahti et Judd Hirsch forment un couple de parents convaincant, mais mon coup de coeur ira à Martha Plimpton (Stef dans Les Goonies !), petite amie de rêve. Autre long-métrage sur un acte militant qui "dérape", Night moves pourrait être le pendant obscur du film cité ce jour. À vous d'en juger.

lundi 16 avril 2018

Au format court

Vous avez vu ? Avec 1971, Motorcycle heart hier et Trois pêcheurs le mois dernier, l'amie Joss vient de vous présenter consécutivement deux courts-métrages. Cela m'invite à me positionner sur ce format. Comme vous le savez, un menu spécial est dédié à ces films courts dans ma colonne de droite. Une façon aussi... de les mettre en avant.

Mais de quoi parle-t-on exactement ? J'ai noté que, souvent, la notion de court-métrage fait débat. Un décret parle d'oeuvres "dont la durée de projection (...) est inférieure ou égale à une heure". La référence légale est importante, dans la mesure où la reconnaissance du format court doit, je présume, ouvrir le droit à certains accompagnements financiers. Dans l'esprit de beaucoup de cinéphiles, le court-métrage reste toutefois un film d'à peine quelques minutes. D'aucuns jugent même qu'il ne peut s'agir que du brouillon d'oeuvres plus développées.

Cette dernière définition est erronée. C'est vrai: certains cinéastes utilisent le court pour tester leurs compétences avant de se lancer dans le grand format. D'autres s'en servent probablement pour faire des économies, n'ayant pas un budget important à leur disposition. Quoi qu'il en soit, je suis bien convaincu que cette forme de cinéma peut nous offrir de très belles choses et que la concision est un atout, parfois, pour qui veut jouer sur l'impact émotionnel de son oeuvre. C'est aussi, bien sûr, une question d'envie, de confiance et de talent !

Je ne peux donc que déplorer le peu de visibilité offerte aux courts. Cela étant dit, je me dois d'être honnête: je ne saisis pas forcément toutes les occasions d'en voir qui se présentent à moi. Ma ville accueille annuellement un festival dédié... et je n'y suis jamais allé. C'est dire que je ne suis pas à un paradoxe près, moi qui insiste aujourd'hui sur la légitimité et la beauté cachée de cet autre cinéma. Assez discret sur Mille et une bobines, il y a pourtant toute sa place. Vous pouvez de fait être sûrs que, de temps à autre, j'en reparlerai...

----------
Ah ! Votre avis m'intéresse...

Je suis vraiment curieux de votre façon d'aborder le court-métrage. J'ajoute que je suis preneur de vos suggestions pour des découvertes.

dimanche 15 avril 2018

Brève rencontre

Nous sommes le 15: il est donc temps que je laisse notre amie Joss vous présenter un autre de ses coups de coeur tout en images ! Comme le mois dernier, elle a choisi de parler d'un court-métrage...

Toujours dans le semestre cinéma moto, et pour quelques mois encore axée sur mes meilleurs moments passés au premier Festival du Film de Moto qui s'est tenu les 2, 3 et 4 mars à Nice, je profite de l'arrivée du printemps pour vous présenter un court-métrage tout en art, en couleur et aussi en chaleur: 1971, Motorcycle heart. Ce titre vous dit quelque chose ? Ça se pourrait bien puisqu'en 1963, Niki de Saint-Phalle avait précisément associé une moto en relief de plâtre à un énorme cœur ! Était-ce le sien que l’artiste avait voulu représenter ? On ne le saura jamais, mais Stéphanie Varela s'est merveilleusement saisie de l'alibi pour réaliser ce petit bijou que l'on aurait aimé tellement plus long. Contrat (bien) rempli pour ce court-métrage projeté en juin 2017 au Festival Côté Court, puis sur Arte.

Juillet 1971. La star montante française de la moto, Christian Ravel, concurrent émérite de Giacomo Agostini, se rend en Belgique pour participer au Grand Prix de moto. Il tombe en panne et frappe à la porte de Niki de Saint-Phalle. Ils ignorent tout l'un de l'autre. En quelques heures, ils apprendront à se connaître, du moins pour l'essentiel. Entre eux, fusion immédiate. Avant même de s'effleurer. Dans leur moindre regard, leur plus petit mouvement, on sent palpables l'attraction, l'électricité, l'émotion grandissantes. Sous un voile de détachement, d'humour et de légèreté va grandir l'envoûtement réciproque. Que de beauté ! Première bio-fiction consacrée à la vie et l'œuvre de la plasticienne, cette réalisation est à la fois fidèle et utopique. Comme le souligne la réalisatrice, Niki de Saint-Phalle et Christian Ravel ne se sont probablement jamais rencontrés. Ce qui n'empêche pas le faible pourcentage de probabilité de nous maintenir dans une bienfaisante illusion !

J'ai maintes fois revu ce court-métrage, et à chaque projection, j'y ai découvert des angles ou des détails que je n’avais pas perçus aussi intensément la fois précédente. Bien sûr, j'aime la femme, Niki de Saint-Phalle, mais au-delà du personnage passionnant, il y a ce message pour l'humanité entière et, ici, la démonstration du talent de la réalisatrice Stéphanie Varela. Une peinture forte et sincère qui correspond intégralement à l'admiration qu'elle porte à l’artiste... et qui nous est commune ! "Je voulais depuis longtemps faire un film sur sa vie et surtout parler de la femme qu'elle était. Car tout le monde connaît ses Nanas aux rondeurs monumentales, mais peu de gens savent qui fut vraiment Niki de Saint-Phalle (1930-2002), jeune et belle aristocrate franco-américaine, seule femme engagée aux côtés des Nouveaux Réalistes. C'est une femme artiste, libre et rebelle, qui a su conquérir le public et la critique avec ses créations représentant son univers incroyable".

Grâce à l'exceptionnelle présence de la comédienne Anna Mouglalis, Stéphanie Varela est parvenue en quelques dizaines de minutes à dresser un portrait incroyablement fiable. On y découvre une Niki occupée à la fois par la peinture de ses Nanas et par ses tirs à la carabine. Bien entendu, l'artiste ne s'y est pas consacrée simultanément, mais rien n'est dérangeant dans cette mini-fresque construite de symboles vivants qui dressent avant tout un portrait d'une incroyable authenticité. Tandis que défile la bande son de l'un des films préférés (Le bal des vampires), Niki peint, en plein soleil sur le bord de sa piscine, le sein de l'une de ses Nanas. Lumière intense, couleurs vives, sourire aux lèvres, et pourtant…

Quand Niki observe du coin de l'œil le beau jeune homme qui vient de débarquer chez elle, c'est encore avec le regard chargé de légèreté (même si l’on perçoit que rien ne lui échappe). L'air de rien aussi lorsqu'elle observe sur sa table le combat qui se prépare entre deux insectes. Mais à mieux y regarder, c'est toute sa lutte intérieure qui s'expose ! Terrible quand on connaît l'existence de Niki, violée par son propre père à l’âge de onze ans. D'ailleurs, emporté dans cet esthétisme et cette douceur infinis, le papillon pris au piège de la surface de l’eau n'en réchappera pas. Prémices d’une histoire qui ne pourra se vivre totalement. Mais ne gardons de ce court-métrage que la vision belle et forte que nous offre Stéphanie Varela. D'ailleurs, est-il toujours utile de creuser les âmes ? Elles-mêmes ne le souhaiteraient peut-être pas en cet instant magique où Niki et Christian font connaissance. Vivons ce film pleinement, sans arrière-pensée. Laissons-nous envahir par la sincérité de leur attirance et la beauté de la réalisation.

Quand Stéphanie Varela filme Niki dressée sur la moto de Christian Ravel qui lui offre une balade après la séquence de la réparation, c'est toute la victoire de la vie qu'elle nous restitue. Les images s'enchaînent alors pour induire une sensationnelle histoire d'amour, à la fois charnelle et spirituelle. Grâce à la goutte de peinture qui colore de façon fulgurante la totalité du bassin, la même peut-être qui monte en volutes dans l’eau du bain des amants, confondant leurs deux natures, le spectateur entre dans une autre dimension. Celle à laquelle un saut conjoint (marais ou piscine ?) leur a permis d'accéder. Couleurs et silhouettes fusionnent admirablement en dehors du temps. La célébration de l'art et de la vie est totale. Les deux personnages consument leur existence au plus haut du champ des possibles. On le sent, on le sait. L'une à travers l'art extrême, surgi du tréfonds de son corps. L'autre la risquant à chaque tour de circuit. Nul doute qu'ils se rejoignent cette fois pour une forme d’éternité.

Il serait malvenu de décrire la scène finale. Je l'ai aimée comme tout le reste. Étonnante. Un fil d'Ariane la relie à tout ce qui précède, au passé brillant que les deux personnages n'ont pas partagé avant de se connaître... et à leur futur, bien sûr. Indéfectible. Au milieu, quelques heures inoubliables, réduites pour nous à une vingtaine de minutes précieuses. Difficile pari pour la réalisatrice qui a su inclure des images d’archives très à propos. Puisse le tout vous donner cœur à découvrir les arcanes de leurs deux parcours, puisque les deux ont disparu. Le court-métrage de Stéphanie Varela se hisse à leur hauteur. Une vraie œuvre d'art.

Et pour la question du mois: savez-vous si Niki de Saint-Phalle eut un logis en Charente-Maritime ? J'ai cherché en vain, mais je ne le pense pas, même au cours de ses années avec le sculpteur Jean Tinguely. En revanche, quel beau choix ! Une propriété aussi isolée dans laquelle elle aurait vécu seule pour créer. Entre terre et eau, ça lui ressemble.

----------
Film court, mais texte long: merci, Joss, pour cette chronique ! Rendez-vous est pris le 15 du mois prochain, si vous le voulez bien...

samedi 14 avril 2018

Indianana

Question: il y a des amateurs (ou -trices) de jeux vidéo, parmi vous ? Gamers repentis ou toujours actifs, cette chronique vous est dédiée. J'imagine en fait que c'est à ce public que Tomb raider s'adresse. Nouvelle adaptation de la longue série éponyme, ce film d'aventures est venu titiller le geek qui sommeille en moi. Petit plaisir coupable...

Un petit mot du contexte s'impose, tout de même, pour celles et ceux qui voyageraient ici en terra incognita. La franchise vidéoludique Tomb raider repose sur un personnage principal féminin, Lara Croft, une sorte d'Indiana Jones, avec mini-short et forte poitrine en prime. Depuis 1996, elle a exploré maints territoires isolés et grandes villes internationales, à la recherche de trésors enfouis. Ses aventures pixelisées ont été portées sur les grands écrans du cinéma dès 2001. C'est Angelina Jolie qui incarnait alors l'aventurière, dans un film décrié par la critique, mais qui connut le succès public... et une suite deux ans plus tard. Désormais, c'est une jeune (et mignonne) actrice suédoise, Alicia Vikander, qui tente de relancer la machine à dollars. Après deux ou trois scènes d'exposition assez plan-plan, le scénario l'entraînera au fin fond de l'Asie et vers le tombeau d'une reine réputée pour ses talents de sorcière. Évidemment, c'est assez risqué !

Je vous passe les détails sur l'héritage d'un père disparu et la manière dont la belle Lara saura se concilier les bonnes grâces de compagnons d'aventure au moment de botter les fesses des inévitables méchants. Vous devriez déjà avoir compris l'essentiel. Non ? Je vous conseillerais de laisser votre cerveau débranché si, à mon exemple, vous tenez absolument à découvrir la version 2018 des tribulations de Miss Croft. Tomb raider n'est pas un film antipathique, mais ça reste un produit de consommation (très) courante, sans trop de goût et sans surprise véritable, tel que nos amis les producteurs américains en conçoivent chaque année des centaines. Oui, d'accord, ce n'est pas tous les jours qu'une femme occupe le premier rôle d'un film d'action, mais je crois que cela n'a rien d'étonnant cette fois, le personnage étant identifié au préalable. Bref, je ne me suis pas ennuyé, j'ai même plutôt aimé quelques-unes des dernières scènes, mais je n'ai assurément rien vu de transcendant. En un mot comme en cent, le film fait donc pschitt. Bah ! Je ne suis même pas dépité. Parce que je m'y attendais un peu !

Tomb raider
Film américain de Roar Uthaug (2018)

Vous trouvez que le réalisateur a un drôle de nom ? Il est norvégien ! Sa toute première incursion cinématographique hors de son pays risque fort de ne pas rester dans les annales. Je recommande plutôt aux amateurs de films d'aventures de miser sur les grands classiques et de reconsidérer Indiana Jones et le temple maudit. Les jeunots reverront Les Goonies et les plus grands choisiront The lost city of Z.

----------
Tant que j'y suis, j'avance le Movie Challenge...

Je vais cocher la case n°3: "Le film a eu de mauvaises critiques". Exemple: le site Écran Large le juge "d'une nullité abyssale" et parle d'un "patchwork d'incompétence, véritable crachat au visage des fans de la saga vidéoludique". Ce qui s'appelle avoir le sens de la mesure...

Et si vous êtes en quête d'une chronique perdue...
Vous pouvez aussi suivre la piste de Tina, assez virulente sur le coup.

jeudi 12 avril 2018

L'embarras du choix

Le mois dernier, j'ai revu deux films de Denis Villeneuve: Incendies et Premier contact. Entre les deux, dans un autre genre, j'ai regardé un documentaire, Quatuor Galilée, un moyen-métrage de Karim Dridi sur un jeune Israélien d'origine palestinienne qui refuse le service militaire et se constitue prisonnier, malgré son talent pour le violon...

Évoquer ces deux petits détours de ma cinéphilie m'invite à me poser la question souvent essentielle du choix des films que je découvre. Généralement, j'agis au feeling, selon l'humeur du moment. La note que j'accorde à tel ou tel long-métrage est d'ailleurs un compromis entre sa valeur (supposée) et mes attentes préalables à son égard. J'aime me laisser surprendre, bien sûr, mais je crois qu'on se prépare toujours avant de se confronter à des images portées par un récit. Parfois, quand plusieurs films me tentent, je procède... à un tirage au sort pour déterminer celui que je verrai en priorité. Je dois dire que c'est surtout ludique, mais que je ne suis pas toujours le résultat.

Une chose avérée: je n'aime pas arrêter un film en cours de route. J'apprécie les grandes fresques et, en tous les cas, ne retoque jamais une oeuvre de cinéma au seul motif qu'elle va au-delà d'une durée supposée "raisonnable" (que je fixe arbitrairement à deux heures). Parce que je vois un peu ou beaucoup plus de films qu'eux, certains de mes amis et parents pensent que mes choix sont plus éclairés. Foutaise ! Quand c'est possible, j'aime suivre les conseils et envies des autres: c'est aussi ainsi que mes goûts s'affinent et se précisent. En fait, le cinéma ne nous laisse jamais à l'abri des bonnes surprises. La liste de celles que je n'ai pas découvertes s'allonge... chaque jour !

----------
Une petite précision...
J'ai vu les trois films cités en début de chronique "en service commandé": les deux premiers pour les présenter à quelques abonnés d'une bibliothèque et le troisième pour en reparler à mon association.

Et vous, alors, chères lectrices et chers lecteurs...

Pouvez-vous me dire sur quel(s) critère(s) vous choisissez vos films ? Avez-vous l'impression d'avoir un panorama assez large pour dénicher toujours quelque chose d'agréable à voir ? Je suis curieux de le savoir.

mercredi 11 avril 2018

L'enfant exilé

J'ai longtemps hésité avant de regarder Welcome. J'en ressentais l'envie, mais disons que l'opportunité, elle, est venue dans un moment où j'aurais plutôt eu tendance à rechercher un film de divertissement. La participation de Vincent Lindon dans l'un des deux rôles principaux m'a finalement convaincu de "faire un effort". Je ne le regrette pas...

Avant toute autre chose, je voudrais vous dire que ce film est d'abord celui d'un tout jeune acteur, Firat Ayverdi, né en 1990 et qui semble n'avoir tourné que cet unique long-métrage. Et avec quelle intensité ! Objectivement, le scénario réclamait une présence forte: Welcome s'intéresse à un très jeune Kurde arrivé en France après avoir marché pendant trois mois. Comme d'autres plus vieux que lui, le gamin rêve de passer en Angleterre et d'y retrouver la fille dont il est amoureux. Vous l'imaginez: c'est très loin d'être gagné. Attrapé dans la remorque d'un camion, l'adolescent échappe à la prison parce qu'il est mineur. Aussitôt, il échafaude un autre plan: traverser la Manche à la nage ! C'est cette idée qui va le rapprocher, petit à petit, d'un brave type fraîchement divorcé, qui se trouve être prof de natation à la piscine du coin. Lequel essayera de l'aider, tout en le détournant d'un projet évidemment très dangereux. Je vais vous laisser découvrir la suite...

Vous n'aurez pas droit aujourd'hui à une chronique dithyrambique. Welcome est bien loin d'être un excellent film, car il use et abuse parfois de nos cordes sensibles, au point de devenir larmoyant. L'interprétation des acteurs n'est pas en cause: je les ai tous trouvés très justes et j'ai notamment beaucoup aimé ce qu'Audrey Dana faisait du premier personnage féminin, à savoir une femme de bien fragilisée par la contradiction de ses sentiments ou convictions. Malgré quelques traits un peu trop appuyés, j'ai trouvé que le déroulé du scénario évitait le manichéisme et parvenait à raconter des choses profondes - bravo à ceux qui ont imaginé et donné corps à ce récit ! Le film m'a également touché au regard de l'actualité, évidemment. Neuf ans après sa sortie, rien ne paraît avoir changé (ou si peu). L'effet de ces images est démultiplié parce qu'elles abordent un drame collectif en suivant une trajectoire individuelle. Je n'en dis pas plus...

Welcome
Film français de Philippe Lioret (2009)

En dehors de ses qualités cinématographiques, je suis bien certain qu'un tel récit ne peut pas faire l'unanimité. Passons... et rappelons que d'autres films de ce blog parlent des migrations, comme Harragas ou La pirogue pour parler des plus explicites sur l'exil lui-même. Autre registre: j'ai un assez bon souvenir du malaimé Eden à l'Ouest et quelques réminiscences positives sur Inland. Et vous ? Des pistes ?

----------
J'avance dans mon Movie Challenge...

Eh oui ! Je coche aujourd'hui la case n°24: "C'est un film engagé".

Vous auriez envie de lire d'autres avis ?
Bonne nouvelle: vous pourrez en trouver chez Pascale, Dasola et Lui.

mardi 10 avril 2018

Le solitaire

Je l'aime bien, Nanni Moretti. Je le connais encore mal, cela dit. Dernièrement, je me suis dit qu'il serait sans aucun doute intéressant de voir l'un de ses premiers films et j'ai choisi Bianca. J'y ai regardé de plus près ensuite: ce long-métrage est le quatrième de notre ami italien, sur treize au total à ce jour. Il date de l'année de ses 30 ans...

Michele Apicella est prof de maths. Il arrive à Rome et rejoint le corps enseignant d'un bien étrange établissement: l'école Marilyn Monroe ! Rapidement, la caméra observe plutôt sa vie intime et sa façon bizarre d'observer celle des autres depuis sa terrasse. Son désarroi ensuite quand il voit un policier fermer les volets de l'appartement voisin, après que l'une des femmes du quartier a été assassinée. Entendu comme témoin, voire suspect, l'observateur frustré changera quelque peu d'attitude et, bientôt, s'intéressera à une jeune collègue. Tout en justifiant le titre de son film, Nanni Moretti aura eu le temps d'instiller le doute quant à ses intentions véritables. Un ange passe...

Bon... je dois bien vous avouer que je n'ai pas totalement accroché. C'est peut-être parce que je suis parti avec des attentes particulières à l'égard du film, mais qu'il ne les a pas concrétisées. Ma confusion tient à ce que je ne sais pas trop expliquer ce sur quoi je misais exactement. Je dirai juste que Bianca m'a paru un peu évanescent parfois, à la limite de l'onirisme même: cela a pu me dérouter un peu. Pour autant, je n'ai pas vu un mauvais film: en le considérant bientôt comme le portrait d'un homme très seul, j'ai même trouvé un intérêt certain à le regarder jusqu'au bout pour confirmer cette hypothèse. Quelque chose me dit qu'il faudrait que je vois encore d'autres films de Nanni Moretti (et italiens) pour mieux comprendre ce cinéma. Saisir les occasions: vous pouvez compter sur moi pour m'y employer !

Bianca
Film italien de Nanni Moretti (1983)

Je ne sais pas pourquoi, mais suppose que la première photo utilisée y est pour quelque chose: j'ai L'homme qui aimait les femmes en tête comme possible film de comparaison - mais mon souvenir reste flou. Alors, quel autre film mettre en parallèle avec celui d'aujourd'hui ? Sincèrement, je sèche: j'ai lu toutefois qu'il pouvait faire un diptyque avec... le long-métrage suivant de Nanni Moretti, La messe est finie.

----------
Aujourd'hui, je vous propose deux autres éclairages...

Vous pourriez être intéressés à lire ce qu'en ont pensé Strum et Lui.

lundi 9 avril 2018

Au coeur des gangs

Le cinéma des frères Coen est peuplé de losers et de sombres crétins. Fichtre ! Certains de leurs personnages sont même les deux à la fois ! C'est en tout cas ce que j'ai pu constater au fil de mes découvertes. Maintenant que j'approche de l'intégrale, je me sens obligé d'affiner ce jugement en pointant les exceptions. Dont celles du film du jour...

C'est un fait: sans renoncer tout à fait à leur esprit de caricaturistes sarcastiques, les frangins ont fait de Miller's Crossing l'un des opus les plus sérieux de leur filmographie - NB: ce n'était que le troisième. Apparemment inspirés par les travaux de Dashiel Hammett, écrivain célèbre des années 30 et 40, Ethan et Joel nous offrent une histoire de gangsters efficace, dans le cadre ultra-classique de la Prohibition. Leur caméra colle aux basques de Gabriel Byrne, excellent en homme de main d'un caïd de la mafia irlandaise, soucieux d'éviter une guerre des gangs. Je vais vous laisser découvrir tout cela par vous-mêmes. Sommairement, je dirais juste que la paix des braves est un concept fragile quand elle repose sur la seule volonté de criminels patentés. Les Coen le démontrent avec brio: grand bonheur pour les cinéphiles !

Attention: si, jusqu'ici, vous êtes toujours restés à l'écart du cinéma du duo, je ne suis pas sûr que ce soit ce film que je vous conseillerais en priorité pour rattraper votre retard. À défaut d'autre qualificatif plus précis, j'ai envie de vous dire que c'est une oeuvre "exigeante". Volontiers bavarde, elle demande une assez vive attention aux détails pour bien mesurer les liens et interactions entre les protagonistes. Heureusement, ces derniers sont incarnés par de très bons acteurs pour la plupart: Gabriel Byrne, donc, mais également John Turturro, Steve Buscemi, Albert Finney, Jon Polito et J.E. Freeman. C'est vrai que cela fait beaucoup d'hommes, mais je ne peux oublier le rôle important, voire décisif, de la belle et étonnante Marcia Gay Harden. Détail qui n'en est peut-être pas un: les Coen auraient un peu peiné pour boucler leur scénario, eux qui sont, en règle générale, réputés pour l'agilité de leur plume. J'y vois le signe que Miller's Crossing était pour eux aussi un film atypique... et cette pensée me comble. Au final, la réussite est là ! J'en ferais volontiers mon pain quotidien !

Miller's Crossing
Film américain d'Ethan et Joel Coen (1990)

C'est dit: la reprise de ce thème classique du cinéma américain n'empêche pas les frères de nous servir une oeuvre des plus soignées. J'ai sans doute loupé certaines clins d'oeil, d'ailleurs, mais je fais pas de rapprochement avec Le parrain, comme j'ai pu en lire ailleurs. Allez, je cite juste Les incorruptibles, Les sentiers de la perdition et Des hommes sans loi: dans ce lot, à coup sûr, je préfère les Coen !

----------
Allez, pour conclure, un petit contrepoint...
Vous verrez: nos amis de "L'oeil sur l'écran" sont moins enthousiastes.

dimanche 8 avril 2018

Flandre poisseuse

D'un film à l'autre, c'est une évidence: je fais parfois le grand écart. Deux jours après la comédie légère dont j'ai parlé vendredi, j'ai choisi d'enchaîner avec ce qui s'est avéré être l'un des thrillers les plus noirs que j'ai vus depuis longtemps: Les Ardennes. Bienvenue en Belgique ! Soyez donc prévenus: cet opus flamand ne fait pas dans la dentelle...

Le film nous plonge direct dans le vif du sujet. On y voit un corps habillé plonger dans une piscine, en sortir précipitamment et fuir aussi vite que possible. Ce corps est celui de Dave, un jeune type ordinaire, qui vient de se compromettre dans un cambriolage raté avec son frère, Kenny. Moins rapide, ledit frangin, lui, est tombé entre les mains de la police et a été condamné à une peine de prison ferme. Quatre ans plus tard, en libération conditionnelle, il retrouve ce qui lui reste de famille et peine à se réinsérer durablement. Quelque chose nous suggère alors que tout cela va mal se terminer. J'aime autant ne pas vous en dire davantage sur l'intrigue elle-même. Ce que je peux - et veux - souligner, c'est que Les Ardennes dépasse le cadre du polar classique et a parfois l'allure d'une chronique sociale.

En fait, tout concourt à créer autour des personnages une atmosphère poisseuse. L'image paraît presque délavée tant elle est sombre. Personne ne semble devoir être épargné et, si un peu d'humour noir vient très légèrement atténuer la tension, celle-ci opère malgré tout de façon quasi-continue. J'insiste: c'est l'une des qualités du film. Évidemment, pour apprécier ce "spectacle", il vaut mieux être prêt. Les habitués du genre ne cilleront pas, mais les âmes sensibles devraient réfléchir à deux fois... sans forcément renoncer, cela dit. Les Ardennes ne souhaite pas nous parler avec complaisance du mal absolu: il évoque plutôt ce qui ressemble à l'inexorabilité du destin. L'originalité n'est pas toujours au rendez-vous, mais c'est efficace. Ultime conseil: choisissez la VO pour... une immersion en profondeur.

Les Ardennes
Film belge de Robin Pront (2015)
Aujourd'hui, plusieurs films me viennent à l'esprit comme références. Côté flamand, je citerais prioritairement Bullhead, avant Le fidèle. Précision: dans les deux cas, l'histoire est (un peu) moins glauque. Côté américain, Dave et Kenny peuvent aussi rappeler le duo fraternel de Good time. Une scène de "découpage" m'a fait penser à Fargo ! Maintenant, pour plus de noirceur encore, il y a toujours Prisoners...

----------
N'oublions pas le Movie Challenge...
Je coche (assez facilement) la case n°23: "C'est un premier film".

Le film n'est pas très connu, mais...

Je termine en relevant que Pascale et Dasola en ont parlé également.