lundi 31 mai 2021

L'enfant du déluge

J'ai calculé: avec 21 films français, 19 américains et 18 d'autres pays vus et chroniqués en 2021, je colle à peu près à ma "règle" des tiers. J'aime découvrir le monde par le cinéma, mais il peut aussi arriver qu'il me surprenne à partir de lieux a priori familiers. Une impression ressentie il y a peu devant cet étonnant Les bêtes du Sud sauvage...

Caméra d'or au Festival de Cannes 2012, ce long-métrage se déroule en Louisiane et plus exactement dans le Bassin, un lieu (imaginaire ?) où de pauvres gens subsistent dans de vagues cabanes délabrées. L'héroïne du film, Hushpuppy, vit seule avec un père au caractère changeant, à la fois protecteur et violent. Elle n'a encore que 6 ans. Sa mère a disparu ! C'est dans ce contexte social et familial difficile que la gamine doit affronter une tempête que le spectateur attentif aura sûrement tôt fait de rapprocher de l'ouragan Katrina. On notera que les éléments déchaînés risquent ainsi d'avoir pour conséquence fâcheuse... de libérer de la glace des créatures préhistoriques congelées et présentées comme plus dangereuses encore: les aurochs. Entre description d'une réalité crue et saillies poétiques d'un conte pour les enfants, Les bêtes du Sud sauvage atténue les contrastes. Le scénario avance sur un fil et s'efforce de conserver son équilibre...

D'après moi, le pari est gagné, au moins sur le plan de l'originalité. Bien qu'assez tapageur parfois et discutable quant à certains choix narratifs, le long-métrage ne ressemble pas à grand-chose d'identifié au coeur du très vaste ensemble du cinéma américain contemporain. Bien sûr, pour que cela nous touche, il faut s'attacher à Hushpuppy. C'est là que je peux concéder un bémol: le film poursuit la petite fille partout où elle va, mais c'est parfois au détriment des personnages secondaires. Une légère faille dans l'écriture pour Les bêtes du Sud sauvage, pourtant adapté d'une pièce de théâtre, Juicy and Delicious, dont l'autrice - Lucy Alibar - est aussi créditée comme coscénariste. C'est en recherchant des infos sur cette matière première littéraire que j'ai appris qu'au départ, Hushpuppy s'incarnait en jeune garçon. J'ai mieux compris qu'à l'écran, son père fictif l'appelle parfois Boy. Cela dit, à tort ou à raison, je ne crois pas qu'il faille voir un message derrière ce choix: au masculin, le propos serait sans doute le même. Vous avez bien sûr le droit de penser le contraire. À vous d'en juger...

Les bêtes du Sud sauvage
Film américain de Benh Zeitlin (2012)

Le mélange ici entre le monde réel et un univers fantasmagorique emmène le film vers un horizon imprévu: je l'ai bien aimé pour cela. On n'est pas forcément loin des inspirations d'un certain Miyazaki. L'Amérique pauvre, elle, fait l'objet de nombreux films indépendants où la "vraie vie" peut parfois affleurer: The rider en est un exemple. Sur les oubliés du rêve américain, Mud et Certaines femmes brillent !

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De fait, tout le monde ne partage pas mon avis...

Vous pourrez voir que Pascale et Sentinelle sont moins enthousiastes.

samedi 29 mai 2021

Seigneurs des anneaux

La crise sanitaire actuelle aura-t-elle des répercussions sur les Jeux olympiques prévus à Paris en 2024 ? Je l'ignore, mais notre capitale était déjà la ville d'accueil choisie pour l'événement un siècle plus tôt. Les chariots de feu nous ramènent donc dans la France des années folles pour rencontrer la délégation britannique. Chauvins, s'abstenir !

Contrairement aux athlètes, n'allons pas trop vite: c'est dans la cour d'une grande université anglaise que le film "décolle". Tout en prenant quelques libertés avec les faits historiques, le scénario nous immerge d'emblée dans un univers de gentlemen en devenir, pour qui le sport est une activité régulière, indispensable et sublimée par les valeurs de la pratique amateur. Tout cela n'empêche pas ces garçons bien nés d'avoir l'ambition de briller sur les circuits internationaux naissants. D'autres en partagent l'envie: Les chariots de feu orientent leur récit sur l'un des plus illustres, un jeune Écossais transcendé par sa foi chrétienne - ce qui ne sera pas sans conséquence sur son parcours. Bref... une fois posé son décor, le film déroule un biopic à visages multiples plutôt convenu, mais pas inintéressant, deux heures durant.

Quatre Oscars - dont ceux du meilleur film et du meilleur scénario original - vinrent couronner ces efforts méritoires. Je tiens à ajouter que c'est pour sa musique, elle aussi statufiée, que le long-métrage est connu: écrite pour l'occasion, elle est l'oeuvre d'un compositeur grec, Evángelos Odysséas Papathanassíou, alias Vangelis. Une scène d'entraînement sur une plage découverte par la marée basse confirme que Les chariots de feu sera donc un film épique... ou ne sera pas. Quarante ans après, je fais ce constat: en France, il n'avait connu qu'un succès limité, n'attirant qu'un peu plus de 310.000 spectateurs pour échouer à une très anonyme 102ème place de notre box-office national. C'est cependant sans le moindre ennui que je l'ai découvert. Une preuve que son charme vintage peut encore faire son petit effet !

Les chariots de feu
Film britannique de Hugh Hudson (1981)

Un peu old school dans la forme, mais malgré tout réussi: le film porte bien son âge, pas si avancé que ça, en réalité. Quatre étoiles enthousiastes, donc, et en oubliant qu'il reste assurément fort sage. Rayon feel good movies, Eddie the Eagle l'était également. Le sport olympique est nettement moins valorisé dans le rude Foxcatcher. Dont acte: vous choisirez peut-être d'en rire avec À nous la victoire !

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Je vous ai dit que les images du film étaient belles ?

Vous en aurez un aperçu bien plus détaillé du côté de chez Ideyvonne.

mercredi 26 mai 2021

Aux frères disparus

Il n'aura jamais été le plus bavard des cinéastes. Je reparlerai un jour de Michael Cimino et de la façon dont, en deux ans à peine, il passa du statut d'enfant chéri de Hollywood à celui de grand paria du cinéma américain. Avant cela, je veux évoquer Voyage au bout de l'enfer. Son deuxième film, neuf fois nommé et cinq fois élu aux Oscars 1979.

The deer hunter
(en VO - et donc Le chasseur de cerfs en français) reste encore aujourd'hui considéré comme l'un des plus grands films consacrés à la guerre du Vietnam. Autant le souligner: si le conflit constitue en effet la clé de voûte du long-métrage, il n'y est abordé qu'assez brièvement et disons "à hauteur" de quelques protagonistes. Michael Cimino nous a offert trois heures de cinéma: le bourbier vietnamien n'apparaît qu'à la fin de la première. C'est au coeur même d'une petite communauté d'immigrés lituaniens, ouvriers d'une usine sidérurgique, que le récit nous plonge d'abord. On fait connaissance avec Mike, Steve et Nick, bientôt mobilisés, mais qui ont un mariage et une partie de chasse pour occuper leur dernier week-end de liberté. Et pour nous, spectateurs, tout ce long début est un vrai régal visuel !

Au milieu de la foule rassemblée, on reconnaîtra certains des acteurs parmi les plus talentueux de l'époque: Robert de Niro, Meryl Streep, Christopher Walken, John Cazale... et vous auriez bien raison d'ajouter que la plupart sont les monstres sacrés de notre temps. "Détail" appréciable: ici, aucun(e) ne tire la couverture à lui / elle ! Voyage au bout de l'enfer est à mes yeux une grande réussite collective, la très bonne complémentarité des différents comédiens apportant au scénario une indéniable crédibilité - même si d'aucuns ont reproché au film l'absolu manichéisme de sa partie vietnamienne. Cela peut de fait se discuter: pour expliquer l'immense traumatisme vécu par les anciens GI, le récit nous les montre victimes d'exactions dont la véracité historique est à tout le moins sujette à caution. OK...

Vous voulez mon avis ? Ce n'est franchement pas le plus important. Encore une fois, et malgré quelques scènes particulièrement fortes dans le tiers médian du film, la guerre n'apparaît qu'en toile de fond d'une histoire plus complexe: celle de quelques hommes dont le destin bascule, sur le plan individuel tout aussi bien que sur le plan collectif. Michael Cimino n'en fait pas vraiment des héros: il nous montre toutefois qu'à leur retour, seuls leurs anciens compagnons d'armes parviennent encore à les comprendre et à partager leurs souffrances. La folie belliciste se prolonge: même ceux qui sortent vivants du front des hostilités n'échappent pas à l'effacement de ce qu'ils veulent être. J'aime autant ne pas évoquer comment l'un d'eux est coupé de sa vie d'avant. La photo en rappellera le souvenir à ceux qui ont vu le film...

Voyage au bout de l'enfer
est, bien évidemment, un long-métrage éprouvant. Certains y ont vu un hymne au patriotisme américain. D'après moi, ce n'est pas un contresens absolu, mais une erreur d'interprétation: l'image de l'armée américaine ne sort pas valorisée de ce qui peut se passer à l'écran, sans en être abîmée pour autant. J'insiste: Michael Cimino, qui a l'âge de ses personnages, s'intéresse avant tout à leur évolution, dans un triptyque narratif remarquable d'intelligence et d'empathie. De la part même d'un ancien militaire réserviste, c'est un résultat assez étonnant et le statut de grand film alors attribué à cette oeuvre ne me paraît assurément pas usurpé. L'analyser en détail pourrait nourrir plusieurs autres chroniques. Peut-être les écrirai-je, si je revois tout cela sur un écran de cinéma !

Voyage au bout de l'enfer
Film américain de Michael Cimino (1978)

"Ce n'est un film pas sur le Vietnam. C'est le Vietnam !": la citation de Francis Ford Coppola au sujet de l'immense Apocalypse now, sorti un an plus tard, nous inviterait presque à replacer les deux films face à face, non pour les comparer, mais bien parce qu'ils se répondent. Oui, comme le font les oeuvres majeures, en fait ! Sur cette guerre lointaine, revoir aussi Les visiteurs, Birdy, Full metal jacket, etc...

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Si vous voulez aller encore plus loin...

Voyage au bout de l'enfer trouve un écho un peu partout sur la toile. Pascale l'a notamment cité deux fois: ici et . D'autres mentions existent aussi chez Dasola, Ideyvonne, Strum, Eeguab, Vincent et Lui. Peu de chroniques détaillées, mais plusieurs références intéressantes.

lundi 24 mai 2021

Une rencontre australe

Un curieux paradoxe: alors que j'aime le cinéma quand il me permet de sortir des sentiers battus, c'est souvent avec quelques semaines d'avance que je me décide à regarder tel ou tel film. La randonnée constituera une forme d'exception à cette supposée règle. Je l'ai vu grâce à une amie, qui l'avait programmé sur une plateforme Internet !

Marie-France, mille mercis: grâce à toi, j'ai fait un très beau voyage. L'essentiel du long-métrage se passe en effet dans le bush australien. Là, une adolescente et son très jeune frère sont partis avec leur père pour faire un étonnant pique-nique. Souci: il n'y a plus assez d'essence dans la voiture pour rentrer et, soudain, Papa décide alors... de tirer sur ses chers enfants ! Il ne les atteint pas, mais a gardé une balle pour lui-même. Les gosses se retrouvent seuls au milieu de nulle part. C'est au hasard de leurs pérégrinations qu'ils vont finir par rencontrer celui qui les sauvera peut-être: un jeune Aborigène, lui aussi coupé des siens et qui parle une langue dont ils ignorent tout. Et pourtant...

La randonnée
n'est qu'un titre approximatif. Je vous préciserai donc qu'en VO, le film a pour nom Walkabout. Ce terme très spécifique désigne une sorte de rite initiatique auxquels sont soumis les jeunes issus des familles des premiers peuples australiens. Il s'agit pour eux d'abandonner provisoirement leurs proches pour montrer leur capacité à s'en sortir sans soutien extérieur. Vous mesurez dès lors le fossé culturel qui peut exister entre eux et les enfants blancs des "colons" originaires d'Europe. Le film pose la question de leur cohabitation dans un même lieu de vie, ainsi que de leur possible bonne entente. Las ! Rien n'est facile quand il s'agit de s'apprivoiser réciproquement !

Je ne vais évidemment pas vous dire comment tout cela se termine. En revanche, je tiens à souligner les très grandes qualités formelles du film. La première d'entre elles est évidemment liée à sa photo. Avez-vous déjà pu visiter l'Australie ? Moi non, mais la terre sauvage que l'on arpente ici est d'une beauté incroyable - et encore sublimée par le cinéma, j'imagine. Autre aspect assez fascinant: la bande-son fait la part belle aux bruits de la nature, tout en laissant une place importante à la musique, portée par le lyrisme d'une composition signée John Barry et enrichie par le souffle rauque des didgeridoos australiens. Croyez-moi: il n'est pas compliqué de se laisser emporter.

Un (petit) avertissement: bien qu'adapté d'un roman jeunesse, le film s'adresse plutôt à un public adulte, à mon avis. Cela dit, je note aussi que le British Film Institute en fait l'un des cinquante longs-métrages à voir absolument avant d'avoir 14 ans. Bon... ça reste "accessible". C'est vrai aussi que de jeunes oreilles peuvent se montrer sensibles au message écolo du scénario, plutôt avant-gardiste sur cet aspect. Présenté à Cannes en son temps, La randonnée en était reparti bredouille et demeure méconnu aujourd'hui, un demi-siècle plus tard. Mon seul regret sera de ne pas avoir pu le découvrir sur grand écran. C'est une évidence: il est véritablement taillé pour un format cinéma !

La randonnée

Film australo-britannique de Nicolas Roeg (1971)

Le propos du film n'a rien de joyeux, mais son incroyable beauté formelle aura bien suffi à m'émerveiller. J'ai repensé au mystère insondable d'un autre opus lumineux: Yeelen, tourné, lui, en Afrique. Si c'est le désert australien qui vous attire, Tracks - sorti en 2014 - vaut le détour. La fascination pour ce pays lointain s'entretient aussi via Peter Weir (Pique-nique à Hanging Rock ou La dernière vague).

dimanche 23 mai 2021

Les mots de Nadia

Une autre chronique matinale pour reparler de Nadia Vadori-Gauthier. Il se trouve que je l'ai rencontrée et que j'ai même pu échanger quelques minutes avec elle. Je vous propose un (petit) compte-rendu de cette discussion, menée il y a déjà un peu plus de trois mois. D'accord, nous sommes un peu loin du cinéma, mais j'y reviens vite...

C'est donc bien après les attentats de janvier 2015 à Paris que Nadia s'est lancée dans sa fameuse Minute de danse par jour. Elle appuie son projet sur une sentence de Nietzsche ("Et que l'on estime perdue toute journée où l'on n'aura pas dansé au moins une fois") et un adage chinois ("Goutte à goutte, l'eau finit par transpercer la pierre"). "Comme le Petit Poucet, je sème des cailloux pour que chaque jour vaille la peine. En dansant chaque jour, c'est comme si on arrachait au temps un cristal pour dire que ce jour-là n'est pas perdu". Sourire !

"Comment, par la danse, faire circuler la vie ? Rester ensemble ? Vivants ?". Ce sont les questions que la chorégraphe pose et se pose. Elle dit: "Pour le monde et l'avenir, ce que je fais est infinitésimal". Quand elle a démarré, elle ne soupçonnait pas que ce projet atypique l'occupe toutes les journées de sa vie pendant déjà plus de six ans ! "Pour moi, la goutte d'eau est de l'ordre de l'océan. Cela constitue une oeuvre qui devient presque une archive d'une certaine époque, vue à travers un prisme singulier, qui se tisse à la fois d'éléments d'actualité ou d'autres, personnels". Plus aucun moyen d'y échapper ! Nadia pense toutefois que sa démarche trouve des échos. Elle pense au principe du battement d'ailes du papillon et dit garder la mémoire de tout instant dansé ! Avide aussi d'entendre les souvenirs d'autrui...

"La minute de danse est un acte gratuit". Nadia s'attache à garder une forme de spontanéité et explique qu'elle consacre quatre heures par jour au tournage, au montage et à la mise en ligne des vidéos. Résultat: elle n'a plus trop de temps pour faire "des repérages insensés" des lieux qu'elle choisit pour danser. Elle indique toutefois que "plein de partenariats se sont construits au fil du temps" et cite "des institutions, des lieux ouverts ou fermés au public, des écoles, des hôpitaux, entre autres". Sa démarche lui a permis de rencontrer "des publics très variés, que je n'aurais jamais rencontrés autrement". Exemples: "Des ouvriers de travaux publics, des gens placés en maison de retraite, des enfants, des personnes en hôpital psychiatrique, des soignants, des élus... et des danseurs, bien sûr ! Des artistes. Beaucoup de gens de toutes les strates de la société". Son idée est bien d'aller à la rencontre de l'autre et de sa différence pour, ensuite, "voir ce qui se passe". Nadia se sent parfois privilégiée d'ainsi pénétrer en certains lieux. "C'est aussi ce qu'il faut montrer"...

La chorégraphe ne va pas jusqu'à dire qu'elle a redécouvert la danse. "Cela dit, je m'en suis servi non pas comme d'une simple destination esthétique, mais plutôt comme d'un médium pour un rapport sensible au monde". L'artiste parle aussi d'une certaine dimension éthique. D'engager la danse et de la dépasser pour donner libre cours à l'utopie d'un monde meilleur. Elle dit: "Si quelque chose s'ouvre entre nous quelques secondes avant de se refermer, c'est déjà ça de gagné". Pendant le premier confinement, elle raconte avoir lancé un appel pour que tout le monde danse et alors reçu plus de 5.000 vidéos, venues de France et de l'étranger, "tournées dans les salons, cuisines et salles de bain". Son conclusion: "Même enfermés, nous avons tous quelque chose à porter et à essaimer, par la danse et dans le partage des sensibilités". Elle-même assure ne présager de rien pour la suite et parle des "incroyables mutations" de notre monde. D'un "moment particulier de notre histoire", avec "forcément un avant et un après". Nadia ne peut s'arrêter de danser, "ne serait-ce que pour témoigner" !

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Un petit mot de conclusion...

Je vous encourage à (re)découvrir le travail de Nadia Vadori-Gauthier sur son site, Une minute de danse par jour, enrichi quotidiennement depuis le 14 janvier 2015 ! L'entreprise étonne et séduit justement par cet aspect démesuré, ainsi bien entendu que par sa spontanéité. Vous aurez ainsi l'opportunité d'en apprendre plus sur la chorégraphe et son idée (je cite) "d’investir un corps qui n’a pas d’image a priori".

samedi 22 mai 2021

Danses à l'infini

Je n'avais pas spécialement prévu cette chronique, mais je crois bien de la publier plus tôt que les autres: ce week-end, je vous propose une "rencontre" avec une artiste étonnante, Nadia Vadori-Gauthier. Aujourd'hui, je vais parler du film qui lui est consacré: Une joie secrète. Sorti à l'automne 2019, il n'a attiré que... 3.116 spectateurs.

7 janvier 2015: la France est sous le choc. Deux hommes cagoulés sont parvenus à s'introduire dans les locaux du journal Charlie Hebdo et, sur place ou dans leur fuite, ont laissé douze morts derrière eux. D'autres attentats suivent. En réaction, Nadia Vadori-Gauthier décide d'utiliser son art pour répondre à la barbarie et lance alors un projet artistique toujours vivant aujourd'hui: Une minute de danse par jour. Oui, où qu'elle soit, quoi qu'elle fasse et dans tous les états de santé possibles, Nadia danse, au moins une minute par jour, face caméra. Le site Internet qu'elle a créé compte désormais plus de 2.300 vidéos. On l'y voit seule ou accompagnée, d'autres danseurs ou d'anonymes. Une joie secrète nous raconte cette histoire, folle et belle à la fois. Porteuse de poésie sans aucun doute et, par dessus tout, d'humanité !

Le documentaire s'appuie sur de nombreux témoignages, de l'artiste elle-même et de ses complices en chorégraphie. On pourra regretter que ceux qu'ils embarquent avec eux au gré des rencontres fortuites n'aient pas, en revanche, eu la possibilité d'exprimer leur ressenti. Mais qu'importe, à vrai dire: si Nadia Vadori-Gauthier danse parfois dans un contexte tendu, elle agit toujours avec douceur et empathie. Un drôle de rapport de proximité se crée alors parfois avec un public qui n'en est pas vraiment un. De quoi théoriser sur l'art, en réalité. Chercheuse par ailleurs, la danseuse évoque ainsi plusieurs références philosophiques: Spinoza, Nietzsche, Guatarri ou encore Deleuze. Inutile cependant de les maîtriser pour goûter à Une joie secrète ! Viscérales et instinctives, toutes les envies de danse qui se déploient à l'écran parlent véritablement autant au coeur (et au corps, bien sûr) qu'à l'esprit. La sobriété du documentaire permet d'aborder le sujet sans trop questionner sa pertinence, dont j'ai très vite été convaincu. Il paraît important de conserver une trace de ces gestes éphémères...

Une joie secrète
Documentaire français de Jérôme Cassou (2019)

Je sais que le grand documentariste - américain - Frederick Wiseman est l'auteur d'un film sur les coulisses du Ballet de l'Opéra de Paris. L'approche est sensiblement différente ici et pas moins intéressante. C'est indéniable: Une joie secrète témoigne aussi de notre époque. Vous avez bien sûr le droit de préférer les fictions: Les chaussons rouges, Tous en scène, French Cancan, Rumba, Black swan, Yuli !

jeudi 20 mai 2021

New York avec eux ?

Deux potes descendent d'un cargo arrivé dans le port de Marseille. D'où viennent-ils ? Peu importe. Où vont-ils ? À Paris, si possible. François voudrait y rencontrer celui qui pourrait l'aider à enfin percer dans la musique, mais Denis refuse d'aller plus loin sans la certitude que les choses se passeront bien ainsi ! Début de Marche à l'ombre...

Extrait: "Quand l'baba cool cradoque est sorti d'son bus Volkswagen. Qu'il avait garé comme une loque devant mon rade...": je suis sûr que, parmi vous, certains se souviennent de la chanson de Renaud. Pourtant, même s'il porte le même titre, le film démarre avec un tube de Téléphone, New York avec toi, qui annonce... vous verrez bien ! On colle d'abord aux basques du tandem François / Denis, désaccordé autant qu'il est possible que deux amis le soient, mais solidaire jusqu'au bout de toutes les galères. Arrivé numéro 1 au box-office français l'année de sa sortie, Marche à l'ombre est une comédie étonnante, portée par le sens de la débrouille de ses personnages principaux. Il y avait de l'audace dans le choix d'utiliser le Paris pauvre comme décor d'un vrai (et bon) film de copains. Je me suis dit que rares seraient les réalisateurs qui oseraient le faire aujourd'hui. Ai-je tort ou raison ? C'est avec plaisir que j'en reparlerai avec vous...

Avant cela, je veux souligner que le duo Gérard Lanvin / Michel Blanc fonctionne parfaitement dans ce film attachant et bien plus solaire que la grisaille des bas quartiers parisiens le laisserait supposer. J'ajoute qu'en réalité, le scénario nous parle finalement d'une course effrénée vers le bonheur et la beauté, deux vertus qui s'incarnent rapidement dans le doux visage de Sophie Duez, alors âgée de 22 ans. On pourrait craindre que cette Mathilde littéralement tombée du ciel vienne casser la belle harmonie entre les garçons, mais en fait non ! Au contraire, elle aurait plutôt tendance à leur ouvrir un horizon nouveau, mais je préfère ne pas être trop explicite sur ce point précis. J'aime autant dire que Marche à l'ombre parle du temps passé où, pour parler avec quelqu'un à l'autre bout du pays, on abandonnait quelques pièces dans une cabine téléphonique. Je n'ai pas la nostalgie de l'époque, mais trouve que le film met joliment en scène la France périphérique du temps de Mitterrand. D'où ses presque 6,2 millions d'entrées, je suppose. Mes "chers compatriotes" s'y seront reconnus...

Marche à l'ombre
Film français de Michel Blanc (1984)

L'acteur-réalisateur avait déjà, à cette époque, dix ans de cinéma derrière lui ! J'aimerais revoir ses autres losers magnifiques joués pour l'ami Patrice Leconte (cf. Les bronzés font du ski et/ou Viens chez moi, j'habite chez une copine, sortis en 1979 et 80). Mention pour le regard porté sur les sans-abri dans Une époque formidable de Gérard Jugnot (91), plus dur. Et je repense à Macadam cowboy...

mercredi 19 mai 2021

On y retourne ?

Bon ! Après mûre réflexion, je vais publier cette chronique matinale pour vous rappeler - est-ce vraiment nécessaire ? - que les cinémas sont censés rouvrir ce mercredi. Je ne sais pas si le public du jour sera aussi béat qu'Amélie Poulain / Audrey Tautou. J'utilise sa photo comme un symbole, dans l'espoir qu'elle porte chance aux cinéphiles. Par superstition, pourrai-je dire, et aussi pour laisser passer le temps car, de mon côté, il se peut que je doive attendre la fin de la semaine pour l'imiter. Ma foi, c'est que je ne suis pas en congés, voyez-vous...
 
Sauf rare exception, mes textes suivent l'ordre de mes découvertes filmiques. J'en ai encore en stock, écrits après une séance télé / DVD. Le suivant (un "classique" français de 1984) arrive dès demain midi. Celui que je verrai pour ma prochaine virée en salle reste incertain. Allez savoir... il se pourrait que ce soit Mandibules, la nouvelle folie de Quentin Dupieux, ou Sous les étoiles de Paris, un conte urbain sensible avec l'admirable Catherine Frot dans le rôle d'une sans-abri. J'ai également pointé Slalom afin de retrouver la jeune Noée Abita sur un terrain glissant, Gagarine, supposé donner une image poétique des banlieues, et le dessin animé Calamity, déjà sorti, si une séance de rattrapage est possible. NB: je ne cite que mes envies françaises et évite de faire des plans sur la comète, échaudé par la longue suite de restrictions sanitaires édictées au cours de tous ces derniers mois. On s'en reparle vite, d'accord ? Je reste à l'écoute de vos suggestions !

lundi 17 mai 2021

Des combattants

Autant l'admettre: Monos n'est pas vraiment un film facile à analyser. Son titre, d'abord, signifie Singes en espagnol. Désigne-t-il l'habileté supposée et/ou la sauvagerie de ses jeunes "héros" ? C'est possible. Les mots, ici, ont peut-être bien moins d'importance que les images. Tout vient concourir à nous plonger dans une atmosphère incertaine !

Ils s'appellent Wolf, Lady, Big Foot, Rambo, Dog, Smurf, Boom Boom. Filles et garçons, adolescents, jeunes soldats d'une armée clandestine dont ils ne connaissent guère qu'un sergent-instructeur, Le Messager. C'est lui qui leur a confié la garde de La Doctora, otage de la cause mystérieuse défendue par la très secrète Organisation. Il se peut que, parmi vous, certains connaissent assez l'histoire de l'Amérique du Sud pour faire un parallèle entre ce que montre le film et ce qui se passe dans son pays d'origine, la Colombie. Un léger flou subsiste toutefois. Monos dissimule sa nature ou, plus exactement, invente un monde parallèle au nôtre, dans lequel il semble alors s'amuser à nous perdre. Sans repère établi, l'expérience peut s'avérer des plus déstabilisantes. Je suppose que c'est aussi en cela que l'on peut la trouver... agréable.

Vous l'aurez compris à ma phrase précédente: je reste assez réservé. Un point positif: porté par une bande-son inconfortable, le métrage s'illustre néanmoins par de splendides images et un montage épatant. On est aussitôt lancé au coeur de l'action, au plus près de la dizaine de jeunes protagonistes. Plus tard, quand le champ s'élargira, le film nous permettra d'adopter un point de vue différent sur la situation. Ce ne sera pas réellement moins oppressant, cela dit, en dépit même d'un changement de décor (on quittera la montagne pour la jungle). Monos n'accorde finalement de répit à personne: le retour à une vie normale que l'on pouvait imaginer possible pour certains personnages s'avère finalement n'être qu'une chimère de plus. Je crois préférable de souligner que le propos m'a paru, en ce sens, violent et désespéré. Cela n'a pas empêché le long-métrage de remporter plusieurs Prix dans des festivals - dont, à Sundance, celui du meilleur film étranger.

Monos
Film colombien d'Alejandro Landes (2019)

Pas facile de réaliser un tel film ? Je le crois, vu qu'il a dû s'appuyer sur des producteurs colombiens, mais aussi allemands, argentins, danois, américains, néerlandais, suisses, suédois et uruguayens ! Moyenne, ma note traduit ma part d'incompréhension sur le sujet. Oui, Rebelle m'avait davantage convaincu sur le thème des enfants soldats, en Afrique cette fois. Côté bad trip, je repense à Mosquito...

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Vous aimeriez un autre avis ?

Il y en a plein ! Je vous propose, par exemple, de lire celui de Pascale.

samedi 15 mai 2021

Le (gros) chiffre du jour

Curieuse coïncidence ! Je pensais aujourd'hui citer cinq films français que j'espère voir au cinéma, la mi-mai devant permettre le retour progressif (et tant attendu) de la vie culturelle dans notre cher pays. J'ai renoncé, mais un site Internet pour geeks du temps qui s'écoule m'a alors appris que Mille et une bobines célébrait... ses 5.000 jours !

Je n'ai pas poussé le vice jusqu'à recalculer en faisant bien attention aux années bissextiles. J'ai le vertige du cinéma, mais je me soigne. J'essaye de prendre du recul, ce qui, de fait, est toujours plus facile dans une salle (de cinéma, oui !) que dans son canapé devant la télé. Mais blague à part, c'est sûr: les séances entre ami(e)s me manquent.

Comment ne pas avoir cédé à la sinistrose ? Lire des blogs m'a aidé. Parler, même à distance, avec d'autres personnes de leurs films préférés et de mille autres choses, aussi. Se contenter de cela ? Non. S'en réjouir ? Oui, au moins. C'est la posture que j'essaye d'adopter. Bien sûr, ce n'est pas toujours aussi facile. Faute de cinéma-refuge...

En revanche, et je crois que c'est une chance, je n'ai jamais eu envie d'arrêter définitivement ce blog par lassitude. De le faire évoluer, si. Mais j'aime aussi l'idée de ne pas lui consacrer trop de mon temps libre pour pouvoir garder un oeil ouvert sur d'autres gens et choses. Depuis peu, par exemple, je refais des photos. En simple dilettante...

Lundi, ce sera à nouveau d'un film dont je vous parlerai. Cours normal des choses ordinaires auxquelles je tiens, malgré tout. Un réseau informatique me sépare de la plupart de celles et ceux qui me lisent ici, mais je vous dis merci à toutes et tous de votre "présence" ! Serais-je partant pour 5.000 jours supplémentaires ? On verra bien...

jeudi 13 mai 2021

Avant la révolution...

Vous vous souvenez ? En avril, je vous avais fait part de mon envie d'évoquer le parcours des plus atypiques du cinéaste José Giovanni. Cette chronique biographique... attendra ! Cela dit, j'ai un autre film dudit réalisateur à vous présenter aujourd'hui: Le rapace, adaptation d'un roman de l'Écossais John Carrick paru dans la Série Noire (1966) !

Le rapace, c'est d'abord l'histoire d'un type qui descend d'un train. Origine et nom inconnus. Lieu: quelque part en Amérique du Sud. Vera Cruz, 1938, selon ce que précise un carton, mais qu'importe. Lino Ventura attrape la caméra et ne lâche plus guère jusqu'au terme d'un voyage étonnant: celui d'un tueur à gages arrivé dans un pays lointain pour liquider un président-dictateur sorti, lui, de son palais pour rendre une visite de courtoisie à sa maîtresse presque officielle. Un groupuscule révolutionnaire - aux intentions discutables - imagine que le tyran sera bientôt remplacé par un très jeune homme, petit-fils d'un ancien dirigeant désormais déchu. Jeune homme qui sera amené à seconder le tueur avant donc de faire triompher la cause du peuple. Un sujet qui rappelle celui de nombre de westerns hispano-italiens ! Étant plutôt amateur de ces productions européennes, je me suis pris au jeu. Et, autant vous le dire à ce stade, le film m'a bel et bien plu...

Avec la complicité de son ami acteur, José Giovanni signe un opus efficace autour d'un assassin doté d'un solide code d'honneur, proche finalement de ces truands "à l'ancienne" d'un certain cinéma policier. Le regard porté sur le monde est désillusionné, mais je n'ai pas senti d'amertume. Est-ce celui de l'homme derrière la caméra ? Peut-être. Celui-ci cherchait-il à justifier ou au moins à faire oublier son passé criminel ? C'est possible, mais ce n'est pas mon sujet aujourd'hui. Simplement, je dirais que Le rapace correspond bien à mes goûts pour un certain cinéma viril, mais correct. Oui, j'ai écrit "viril": le fait est que les femmes, ici, jouent les utilités, sur la base de modèles caricaturaux. N'empêche: à mon avis, une femme peut aimer le film. Les hommes, eux, n'y ont d'ailleurs pas toujours le beau rôle. D'aspect un peu rugueux de prime abord, le scénario est en fait capable d'intéressantes nuances: c'est même très précisément son intérêt. Certains esthètes ont souligné l'apport de l'impeccable bande originale de François de Roubaix. À (re)voir, donc, les oreilles grand ouvertes !

Le rapace

Film français de José Giovanni (1968)
Vous ne serez peut-être pas surpris d'apprendre que ce long-métrage aura aussi pu compter sur des producteurs italiens... et mexicains. J'ai plein de choses à découvrir dans ce registre, mais dresse un pont avec un western de Corbucci: El mercenario, sorti la même année. José Giovanni scénariste et ses truands peuvent aussi sublimer le film noir (cf. Le deuxième souffle et/ou Symphonie pour un massacre) !

lundi 10 mai 2021

Le prix à payer

L'édition 2021 du Festival de Cannes aurait dû démarrer... demain ! Qu'elle ait finalement lieu à partir du 6 juillet ne m'empêchera pas d'évoquer dès à présent l'un des lauréats de la compétition: Le salaire de la peur. 29 avril 1953: les jurés réunis autour de Jean Cocteau décernent un Grand Prix. Rappel: la Palme d'or n'existait pas encore...

Bien qu'entièrement tourné dans le sud de la France, le long-métrage est censé se dérouler au Guatemala. On y découvre, oisifs et perdus dans un village, accablés de chaleur, tout un ensemble d'aventuriers européens sans le sou - et dès lors incapables de rentrer chez eux. Constat d'évidence: cette troupe se croit supérieure à la population locale, mais, comme elle, (sur)vit d'expédients. Un incendie soudain dans une exploitation pétrolière voisine offre alors une solution possible à quatre types soucieux de s'offrir un ticket pour ailleurs. Mais le risque existe: pour toucher 2.000 dollars et tenter d'échapper enfin à leur misérable routine, il leur faut d'abord effectuer un job dangereux - le convoyage d'une grosse quantité de nitroglycérine ! Maintenant, je vous épargne le descriptif de la suite: le titre du film suffit sans doute à se faire une idée. C'est surtout en première partie que j'ai trouvé Le salaire de la peur intéressant. Le reste ? Mouais...

Je n'aime pas spécialement "dézinguer" les classiques, mais je veux être honnête: celui-là n'est pas tout à fait parvenu à m'embarquer. J'imagine toutefois que, sur grand écran, il a une toute autre allure. Même sur ma télé, certaines images sont franchement saisissantes. Je reviens sur ce début, placé au coeur d'une petite communauté d'Amérique centrale: on s'y croirait ! Et, par ailleurs, la complexité des plans et l'intelligence du montage font que, dans le même temps d'observation, on sent aussi une forme de décalage avec la réalité. Aucun doute: sur ce point, Le salaire de la peur est un (grand) film de cinéma. Malheureusement, après la très belle première heure d'exposition, je n'ai pas ressenti la tension attendue pour la suite. J'aurais voulu voir davantage d'images comme celle du photogramme ci-dessus: une illustration de l'incompréhension entre hommes blancs dits civilisés et populations autochtones privés de leur cadre naturel. Bref... c'est subjectif, bien sûr, mais ce film a pour moi un petit goût d'inachevé. Ai-je fait fausse route ? J'avais espéré l'aimer davantage !

Le salaire de la peur
Film français d'Henri-Georges Clouzot (1953)

Et les acteurs, là-dedans ? Yves Montand, Charles Vanel, Véra Clouzot et consorts ne sont nullement responsables de ma relative déception. C'est même pour eux que ma note spontanée a gagné une demi-étoile supplémentaire. Bon... je reste assez loin toutefois du plaisir pris devant Le corbeau et (surtout) Les diaboliques, du même Clouzot. Mais soyez rassurés: je ne compte pas renier ce cinéaste pour si peu !

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La parole est désormais à la défense...

Je vous donne à lire une critique positive: celle de "L'oeil sur l'écran". Tout autre avis favorable au film reste le bienvenu en commentaires !

vendredi 7 mai 2021

La fin de l'insouciance

Seuls quelques films (marquants) ont osé représenter la vie et la mort dans les camps nazis de la Seconde guerre mondiale. L'extermination systématique des Juifs, notamment, reste sans nul doute un fait historique sensible, de nature à freiner les ardeurs des cinéastes. C'est pourquoi, j'imagine, certains l'ont abordé par "simple" allusion...

Je ne pensais pas à la Shoah quand j'ai décidé de voir l'un des films les plus connus de Vittorio de Sica: Le jardin des Finzi Contini, tiré du roman éponyme de Giorgio Bassani. Son titre et l'image ci-dessus vous donnent une petite idée du début: une - relative - insouciance règne parmi les jeunes de Ferrare, une petite ville d'Émilie-Romagne. Qu'importe si les Hebraïques ont été chassés des courts de tennis qu'ils fréquentaient alors: une famille fortunée les accueille sur ceux de sa propriété. C'est là que la fille de la maisonnée, Micól, s'isole parfois avec Giorgio, un garçon épris d'elle depuis leur enfance commune. Cela dit, les deux étudiants commencent juste à se voir ! Autrefois, en dépit de toutes leurs astuces, les hauts murs de la villa de ses parents cachaient le plus souvent Micól aux yeux de Giorgio. Le destin sourira-t-il enfin à l'amoureux transi, en ce début d'été ensoleillé ? Nous sommes en 1938 et en réalité, rien n'est moins sûr...
 
Dans l'Italie de Mussolini, il apparaît en fait qu'une relative prospérité économique conduit certains à ne pas comprendre, voire à refuser d'admettre, que le succès de l'idéologie fasciste peut mener au chaos. En ce sens, le Giorgio du film (double de l'auteur du roman ?) apparaîtra vite comme le personnage moderne, lucide sur la situation de son pays et les risques qu'elle fait endurer à ceux qui l'entourent. Je n'ai pas lu le livre, mais je dirais qu'une bonne partie de la richesse du film repose sur sa capacité à adopter des points de vue multiples. Bien au-delà du duo Micól / Giorgio, Le jardin des Finzi Contini présente avec éclat le destin de nombreux personnages secondaires. C'est d'abord un film à huis clos, mais la guerre fait tomber les murs ! Dans les rues de Ferrare, refuge trompeur, on éprouve un sentiment d'étouffement croissant, à mesure que la menace grandit. Un voyage du héros à Grenoble, auprès de son frère, n'apporte qu'un bref répit...

J'ai vu beaucoup de belles choses dans ce long-métrage, son attention aux personnages étant donc sûrement la première qu'il me faut citer. Souvent, la photo est absolument splendide et l'architecture italienne donne aussitôt l'impression d'être de retour plus de 80 ans en arrière. Inutile d'être historien pour voir le film: il suffit de se laisser guider par les images. Les quelques flashbacks sont aussi très "lisibles". Comme son sujet l'exige, voilà bien une oeuvre pudique: une place importante est laissée au silence, les mots étant de fait inutiles devant certaines situations ! Et surprise: Le jardin des Finzi Contini ne dure qu'une heure et demie et se passe même de générique final. Sa construction en crescendo dramatique est d'une force émotionnelle indéniable, sans jamais céder aux facilités d'un tire-larmes lambda. Vittorio de Sica y a gagné un quatrième Oscar du meilleur film étranger. On a pu dire que c'était son dernier grand film. Peut-être...

La caméra révèle en tout cas une jeune actrice: Dominique Sanda. Par la grâce de ses 20 ans, son charme étonnant aimante le regard des hommes, sans effacer celui de ses partenaires, au premier rang desquels vous pourrez donc admirer Lino Capolicchio (né en 1943). Bilan: Le jardin des Finzi Contini confirme mon attrait croissant pour le cinéma italien classique et, du coup, inscrit un peu plus le nom de son réalisateur parmi ceux de mon propre Panthéon artistique. Tout à fait logiquement, j'ai aussi envie de lire le livre, désormais ! D'après ce que j'ai cru comprendre, il adopte une structure narrative différente, ce qui a fait que l'auteur ne s'est pas franchement reconnu dans ce qu'il a vu à l'écran. Sacrilège ? Je n'entre pas dans ce débat. Mon idée serait plutôt de rester sur ma première impression positive sur le film, dont la copie restaurée circule depuis déjà une quinzaine d'années. Je me méfie des mots référence et chef d'oeuvre, mais là...

Le jardin des Finzi Contini
Film italien de Vittorio de Sica (1970)

Un espoir: le revoir un jour sur le grand écran d'une salle de cinéma. C'est évident que cette merveille a été conçue pour cela. Si le sujet vous intéresse, je vous suggère sans délai Une journée particulière. 1900 offre une immense fresque pour appréhender l'histoire italienne de toute la première moitié du 20ème siècle. Et, plus récent, Vincere illustre avec force le pré-fascisme. (Re)voyez aussi La vie est belle...

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D'autres chroniques à vous proposer ?

Oui ! Le film a semble-t-il été très apprécié. D'autres détails et avis sont - par exemple - donnés sur les blogs de Dasola, Strum et Lui. Amoureux du cinéma italien, Eeguab, lui, nous parle aussi... du livre !

mercredi 5 mai 2021

Un homme en hiver

Aki Kaurismäki est sans doute le plus connu (et/ou le plus apprécié ?) en France des réalisateurs finlandais. J'ai vu récemment un septième de ses films: Les lumières du faubourg - traduction fidèle du titre original finnois. J'y ai retrouvé son style caractéristique. Son intérêt aussi et sa réelle empathie pour les classes sociales dites modestes...

Concrètement, le récit tourne ici autour de Koistinen, un trentenaire employé comme vigile par une société de gardiennage. On découvre qu'il vit très seul, méprisé ou ignoré par ses quelques collègues. Ambitieux malgré tout, il ne se rend pas compte de l'affection sincère que lui porte l'unique femme de son entourage, patronne du snack ambulant qu'il fréquente parfois pour manger un morceau ou boire quelque chose avant de rentrer chez lui. Soudain, une autre femme entre ouvertement dans sa vie et Koistinen croit en un avenir coloré. Pourtant, la demoiselle est glaciale ! Je vous laisse découvrir seuls tout ce que cette étrange idylle supposée va véritablement changer...

Face à d'autres oeuvres du même auteur, Les lumières du faubourg semble dépourvu d'humour: c'est un film assez amer. Je suis sensible à sa façon très kaurismäkienne d'imbriquer des éléments d'intrigue "réalistes" à un regard poétique (et cette fois désabusé) sur la vie. Koistinen a l'air d'un héros tragique, mais n'en est pas tout à fait un. La caméra le sublime: au-delà du fond, les choix de forme adoptés pour ce long-métrage créent un léger décalage avec la réalité sordide de ce que pourrait être l'existence dans les quartiers populaires d'Helsinki. Je ne vois pas le film comme un pamphlet politique déguisé, mais on peut m'affirmer le contraire sans que je m'offusque. D'aucuns ont dit regretter que notre ami Aki tourne un peu en rond autour des mêmes idées et manières de les présenter. C'est possible. Pour moi, c'est la caractéristique de sa ligne d'auteur, simplement. Autant l'admettre: ma curiosité pour ce réalisateur n'est pas assouvie.

Les lumières du faubourg
Film finlandais d'Aki Kaurismäki (2006)

Un mélange de noirceur et de profonde humanité: détonnant cocktail ! Difficile de comparer le Finlandais à un autre réalisateur: lui-même dit de ce film qu'il s'inscrit dans une "Trilogie des perdants". Les opus précédents ? Au loin s'en vont les nuages et L'homme sans passé. Parmi ses références: Godard et Fassbinder. On est loin des films sociaux britanniques à la Ken Loach ! J'y vois un peu de poésie, oui...

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Pour conclure, je vous suggère d'aller lire d'autres avis...

En remontant le fil du Web, vous trouverez ceux de Strum et de Lui.

lundi 3 mai 2021

En quête de vérité

Sur Mille et une bobines, un serial killer peut en cacher un autre. Souvenez-vous: mercredi dernier, j'ai évoqué un assassin de fiction. Celui d'aujourd'hui est plus terrifiant encore, car il existe réellement. Je vous laisse lire Wikipédia pour retrouver les détails du parcours criminel de Guy Georges, violeur et tueur pulsionnel des années 90s...

J'ai hésité avant de regarder L'affaire SK1, le film qui fait du monstre un personnage de cinéma. Coïncidence: je l'ai regardé vingt ans jour pour jour après que Georges a été condamné à la prison à perpétuité. De mon point de vue, j'ai alors trouvé que ce très fin long-métrage parvenait à se tenir à distance de la posture racoleuse ou voyeuriste que certains médias s'autorisent à adopter face à de tels dossiers. Cela veut dire qu'avant tout, j'ai d'abord vu un film... sur la police. Nous suivons le parcours (de huit longues années) d'un jeune flic chargé d'enquêter sur un crime non résolu et qui, petit à petit, découvre des points communs entre ce cas et d'autres survenus pendant ses investigations. Une partie des moyens mis à disposition des forces de l'ordre n'existait pas à l'époque: c'était plus compliqué. Le scénario est très riche: il nous montre aussi les loupés des services et, plus inquiétant, la concurrence des équipes policières entre elles. L'humanité dans ce qu'elle a de noble, d'ordinaire et de calamiteux. Une bonne surprise, vu que je m'attendais à un propos plus univoque !

Même le montage est une belle réussite: on retrouve une imagerie familière autour des locaux du 36, quai des Orfèvres, et on accède également au prétoire d'une cour d'assises et au cabinet des avocats chargés de la défense de Georges. L'extrême sauvagerie des faits n'est pas occultée, mais le regard du réalisateur diffère sensiblement de celui du procureur: j'ai trouvé tout à fait intéressant et intelligent d'évoquer ce que peut représenter le fait de plaider pour un criminel de cette nature - et ce d'autant qu'il a longtemps nié sa culpabilité. Bref... L'affaire SK1 est donc une oeuvre complexe et plus équilibrée qu'on ne pourrait le craindre. Elle est de plus portée par des acteurs talentueux et investis, à l'image de Raphaël Personnaz dans le rôle principal. Avec lui: Nathalie Baye, Olivier Gourmet, Michel Vuillermoz, Thierry Neuvic, Marianne Denicourt, Christa Theret... et j'en passe. N'oublions pas Adama Niane, remarquable meurtrier de composition. Le film est passé un peu inaperçu: il est sorti le 7 janvier 2015, jour de l'attentat contre Charlie Hebdo. Il mériterait une seconde chance...

L'affaire SK1
Film français de Frédéric Tellier (2015)

Le premier long-métrage du réalisateur ! Bon... il avait déjà bossé pour la télé - du côté des téléfilms et des séries. Une expérience profitable, donc, pour une arrivée convaincante sur les grands écrans. On a comparé cet opus avec le L. 627 de Bertrand Tavernier (1992). Moi, j'ai repensé à l'aspect jugé réaliste de Scènes de crimes (2000). En comparaison, l'histoire "vraie" Possessions paraît plutôt faiblarde !

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Vous voulez lire d'autres avis ?

Il suffit de cliquer: vous en trouverez chez Pascale, Dasola et Laurent.