C'est allé vite. Bien qu'elle soit en tournage au moment où je suis entré en contact avec elle, Françoise Dupertuis a accepté d'apporter une réponse à quelques questions sur son travail. Cette artiste formée aux Beaux-Arts avait notamment été nommée aux Césars pour Molière, un autre film de Laurent Tirard, sorti en 2007. Toujours avec lui pour Le petit Nicolas, elle fut une nouvelle fois son chef décorateur sur Astérix & Obélix au service de sa majesté. Je la remercie de m'avoir consacré du temps pour cette interview.
Vous dites ne pas avoir été une lectrice assidue des aventures d'Astérix. Comment en être venue à travailler sur ce film, alors ?
Je veux dire que je ne suis pas de ceux qui connaissent par coeur chaque BD et chaque gag. Après, Astérix et Obélix, c'est un peu difficile de passer à côté. Et puis, au départ du film, il y a quand même un scénario ! Sans tout lire, donc, j'ai quand même parcouru les albums dont ce scénario s'inspirait. Ne pas être trop impliqué permet justement de prendre de la distance et de créer quelque chose qui s'inspire, tout en étant autre chose.
Quand le chef décorateur rejoint-il l'équipe du film ? Dès le début ?
Au départ du film, il y a une équipe de production, un metteur en scène et un scénario. Le chef décorateur est l'un des premiers postes pourvus avec celui de directeur de production. Cela se passe vraiment très en amont.
Qui le choisit ? Le réalisateur ? La production ? Les deux ?
Il y a un peu tous les cas de figure. En l'occurrence, Laurent Tirard et moi, nous travaillons ensemble depuis Molière.
Pour un film comme Astérix, êtes-vous tenue à un cahier des charges particulier ?
Non, sincèrement, pour ce film, je n'ai pas vraiment eu de contrainte. Il y en a eu sur le scénario, mais je n'avais pas de cahier des charges artistiquement parlant. Je n'ai pas été tenue de faire certaines choses, de ne pas en faire d'autres, de faire figurer tel ou tel détail dans les décors. Bien évidemment, quand on recrée le fameux village gaulois, il y a une certaine topologie à respecter. Pour ce qui est du village breton ou de Londinium, en revanche, j'ai été totalement libre.
Comment travaillez-vous ? Sur dessins préalables ?
Oui, effectivement, au départ, on cherche à établir un vocabulaire, un langage visuel. Ensuite, sur
Astérix par exemple, j'ai chapeauté une grosse équipe de dessinateurs. On travaillait en parallèle sur plusieurs décors. Tout ça est finalement très lié: en commençant à travailler sur un décor particulier, on s'efforce ensuite de trouver une écriture, une cohérence sur l'ensemble du film. Quand la grammaire d'un décor s'impose, elle en appelle d'autres et les choses se mettent en place progressivement. En parallèle, il y a évidemment une question financière. La seule véritable contrainte.
Sur Astérix, vous avez suivi l'ordre chronologique du tournage ?
Non. Les choses se font plutôt ensemble et se mettent en place progressivement, en parallèle les unes des autres, y compris d'un point de vue budgétaire. En fait, on ne commence pas à construire quelque chose avant que l'ensemble soit décidé. La fabrication proprement dite, elle, s'effectue en fonction d'un plan de travail. Le plus difficile ne survient pas au moment du tournage, mais avant que tout s'imbrique, quand tout est encore possible. Une fois parti en construction, tout est millimétré. Il y a certes alors de grosses équipes de fabrication à superviser, mais les choses sont écrites.
Jusqu'où utilise-t-on le décor naturel pour créer un décor cinéma ?
Tout dépend du film. Il n'y a pas de règle. Pour Astérix, il n'y en a pas. Hormis les falaises et les forêts, on a tout fabriqué ! Le décor naturel reste très minoritaire dans Astérix. Quand il existe, il faut effectivement le chercher en amont, faire un repérage un peu pointu pour trouver un environnement satisfaisant. Quand on construit quelque chose dans un champ de patates, ce n'est pas ce qu'on appelle un décor naturel. C'est un décor construit en extérieur.
Avant Astérix, vous aviez travaillé sur Elle s'appelait Sarah, un film qui évoque la déportation des Juifs. C'est plus simple, de partir d'éléments réels ?
Non. En fait, ce n'est pas une question de facilité. Ce sont vraiment deux manières de travailler très différentes. Deux manières d'aborder un film.
Elle s'appelait Sarah, c'est très intéressant, dans la mesure où on est dans le cadre d'un film historique qui évoque des gens parfois encore en vie. Il faut être précis, être juste, s'être bien documenté et rendre les choses telles que la mémoire les restitue. C'est un vrai regard sur l'histoire. Le camp de Beaune-la-Rolande que nous avons reconstitué, je pense qu'il restitue assez précisément ce qu'était le vrai. Il a été organisé des projections avec d'anciennes personnes déportées: c'était important de respecter leur vécu.
Cela doit être touchant d'avoir leur avis...
Oui, bien sûr. Cela dit, sans qu'ils viennent valider les choses, nous avions consulté des historiens en amont. On ne parle pas de documentaire, mais c'est vrai qu'il y a un droit de mémoire. On essaye donc d'être au plus proche de la réalité, que la sensation que nous apportons soit juste.
Astérix, c'est autre chose. Dans un film comme celui-là, on peut donner carte blanche à son imagination.
Pour revenir à Astérix, on sait que Gosciny et Uderzo s'autorisaient nombre de clins d'oeil. C'est votre cas aussi ?
Il y en a plein dans le film ! Au niveau du scénario ou pour les décors, on part toujours du présent. On amène ce présent vers un imaginaire, mais il y a un point de départ: Londres aujourd'hui, une maison de campagne... il y a toujours un point de vue contemporain, quelque part. Dans
Astérix, certains carrefours de Londinium renvoient à Abbey Road, il y a aussi du Notting Hill, du Trafalgar, d'autres endroits du Londres actuel... et puis les Beatles, forcément !
Le film a été projeté en 3D. Est-ce que ça change quelque chose pour le décor ?
Un peu, quand même. On s'est rendu compte que ce qui fonctionnait bien en 3D, c'était les plans larges. Il faut donc soigner le moindre détail. On ne corrige pas les lointains en 3D comme en 2D. Tout est tellement visible qu'il faut vraiment faire attention à tout. Les focales utilisées pour la 3D font que l'image est très nette, très loin.
Comment percevez-vous la renaissance de cette 3D au cinéma ?
Je dirais qu'elle est intéressante pour certains films et pas vraiment utile pour d'autres. Ce qui serait bien également, c'est de pouvoir passer à un autre système que les lunettes sur le nez. Je reconnais toutefois qu'à mon poste, la 3D est extrêmement intéressante. Notre travail est vraiment mis en valeur. Après, pour les films intimistes tournés en huis-clos, je ne suis pas certaine que cette contrainte, 3D et grosse équipe, ne soit pas finalement une entrave.
Dans une interview, Laurent Tirard expliquait qu'il était un peu réticent à l'utilisation de la 3D, avant donc de se laisser convaincre pour Astérix et d'y trouver un intérêt artistique...
Oui, c'est vrai qu'elle suppose aussi des contraintes techniques un peu lourdes pour un metteur en scène. Il n'y a plus du tout la flexibilité et la légèreté d'un tournage classique. Il faut une équipe conséquente et le metteur en scène verra davantage d'intervenants lui demander des choses. Pour des petits films tournés un peu à l'arraché, on n'a pas forcément envie de s'imposer tout ça.
J'aimerais maintenant en venir à votre carrière, en vous demandant d'abord comment vous avez découvert ce métier. Vous étiez issue d'une famille de cinéma ?
Non, pas du tout. J'ai fait les Beaux-Arts, tout en étant évidemment très intéressée par le cinéma. D'origine suisse, quand je suis arrivée en France, j'ai réfléchi à ce que je pouvais faire. Je travaillais alors comme artiste plasticienne pour gagner ma vie. Pour la même raison, je suis allée voir du côté du cinéma pour trouver des jobs ponctuels. C'est comme ça que je suis tombée dans le décor, en continuant mon travail personnel dans un premier temps. Un heureux hasard.
Aviez-vous déjà une prédisposition pour le cinéma ? Peut-on dire que vous étiez cinéphile ?
Oui, très. Habitant Lausanne, la cinémathèque Freddy Buache était quand même l'un de mes hauts lieux de fréquentation !
Et maintenant ? Votre regard technique ne vous prive-t-il pas d'une partie du plaisir ressenti au cinéma ?
Pas vraiment. Sur les films que je fais, oui, mais sur les autres, non. Effectivement, si les décors sont moches ou qu'ils me dérangent par leur présence, ça peut me gâcher le film. Mais sinon, j'arrive encore à regarder un film comme un spectateur.
Vous avez le temps d'y aller souvent, au cinéma ?
Non ! C'est davantage ça, le problème ! Travaillant beaucoup, j'ai quand même des difficultés à aller voir les films en salles. Dernièrement, par exemple, je n'ai rien eu le temps de voir: je viens de faire un film sur l'île de Ré, sur laquelle il n'y a pratiquement pas de cinéma, ensuite un autre à Paris qui m'a pas mal occupée et s'est avéré assez compliqué et, maintenant, je suis en Rhône-Alpes, dans les montagnes, où il n'y a pas trop de salles non plus...
Au moins, on voyage !
Effectivement, on voit du pays, nous aussi. Et pendant un an et demi en Hongrie, sur
Astérix, le cinéma, ce n'était pas terrible ! Je vois quand même pas mal de films à la télé ou plutôt en DVD.
Certains autres artistes vous paraissent-ils de bonnes références dans votre métier ? En existe-t-il dont vous admirez le travail ?
Oui. Je trouve que le décor d'un film comme
Hugo Cabret est absolument magnifique. Les films de Scorsese ont souvent un décor absolument extraordinaire. Kubrick avait des décors formidables aussi. Lynch fait toujours un très beau travail artistique...
Je constate que vous parlez uniquement de réalisateurs. Un chef décorateur ne traque donc pas la ligne du générique qui dit "Chef décorateur: Untel"...
Non. C'est un ensemble, vous savez: un décor existe par l'intermédiaire d'une mise en scène et de l'image d'un chef opérateur. J'ai de la peine à regarder un décor pour un décor. Mal filmé, il existe très peu, de toute façon. Si un chef décorateur réussit bien un film, c'est aussi parce qu'il y a du répondant par ailleurs. Nos métiers sont vraiment complémentaires. C'est d'ailleurs justement ce qui m'intéresse dans le cinéma: c'est un travail d'équipe.
Vous avez été nommée aux Césars en 2008. Est-ce que ça compte pour vous, "malgré tout" ?
Ce qui est fantastique, c'est que c'est très festif. On passe des moments très agréables. Nos métiers nous prennent quand même une bonne partie de notre emploi du temps et de notre vie privée. Que ce soit reconnu, ça fait plaisir, oui.
Et au niveau des festivals ? Vous pouvez vous y déplacer ?
Cela me fait envie, oui. Avant, j'allais régulièrement à Locarno, que j'aimais bien. Je suis allée à Telluride: c'était sympa aussi. Cannes, j'y vais quand j'ai un film en compétition: on a alors des accréditations, sans avoir à faire des démarches difficiles pour avoir simplement accès à une projection. Voilà... je vais voir les films sur lesquels j'ai travaillé. Quand j'ai le temps !
Cela vous est-il arrivé d'avoir envie d'aller au-delà du décor ? Pour réaliser, par exemple ?
Non, ça ne m'a jamais trop tenté. Si j'avais dû faire un autre métier dans le cinéma, je pense que ce serait autour de l'image. Un travail sur la lumière. Je suis ravie de ce que je fais, cela dit. Si je devais changer, ce ne serait certainement pas pour de la réalisation. Metteur en scène avec les acteurs, je crois que ce n'est pas pour moi.
Comment les considérez-vous, ces acteurs, justement ?
Je suis intéressée par voir la manière dont un metteur en scène travaille avec eux, mais je n'ai pas le caractère pour les diriger.
Revenons aux décors. Que deviennent-ils après les tournages ?
Ça dépend. Pour certains films, certains éléments sont stockés, dans l'idée par exemple de les ressortir pour des événements liés à la sortie en salles. Pour certains autres films contemporains, il arrive que les choses soient revendues, en priorité aux équipes ou auprès de gros vendeurs. Dans d'autres cas, ils sont cassés et partent à la benne. Dans la mesure du possible, j'essaye de donner la Cinémathèque française les dessins, maquettes, plans, etc...
Pas trop dur, ça, pour l'artiste qui a travaillé sur le projet ?
Non. De toute façon, une fois qu'un décor est construit et même s'il a l'air vrai, il n'est pas fait pour durer. C'est la vie d'un décor. Quand j'avais fait
Arsène Lupin, sur la grande quantité de décors que nous avions construit, trois étaient partis en fumée. J'aime l'idée d'une démolition à l'image. Je trouve que c'est une assez jolie fin. Récupérer quelque chose, le recycler, le remettre aux bonnes cotes, ranger, stocker, manipuler... c'est un peu compliqué.
Que reste-t-il donc de vos décors, hormis les souvenirs ?
Des films, c'est déjà pas mal ! Il peut aussi y avoir des photos, des maquettes, des plans, des dessins parfois. Mais j'aime cette idée de construire quelque chose pour un film qui, ensuite, part à la benne. Cette idée d'éphémère me plait bien. Je trouve vraiment formidable de voir un décor se monter et j'aime assez le voir se casser.
Un mot sur vos projets d'avenir ?
J'ai travaillé sur un film de Philippe Le Guay,
Alceste à bicyclette, pas encore sorti. Et celui de Valérie Lemercier,
100% cachemire.
Que peut-on vous souhaiter pour la suite ?
Plein de beaux films ! Et que l'on continue à en faire en France.
Un doute à ce sujet ?
Non. Je constate juste que beaucoup de films français se tournent aujourd'hui à l'étranger. Ce serait bien de continuer à faire des films français en France. Histoire que les techniciens français puissent continuer à travailler et les jeunes à se former.