vendredi 19 mai 2023

Sous pression

Nous l'avons sans doute oublié: en 2016, d'importantes manifestations agitèrent la Corée du Sud jusqu'au vote d'une motion de destitution contre Park Geun-hye, la présidente, vivement accusée de corruption. Mais que savons-nous au fond de ce pays ? Ce n'est que par le cinéma que j'en ai une vague représentation. Bon. Après tout, c'est déjà ça...

About Kim Sohee
est le dernier film sud-coréen à avoir fait le buzz. C'est à Cannes, l'an passé et en clôture de la Semaine de la critique, qu'il a été projeté en France pour la première fois. Je dois admettre qu'avant de le découvrir, j'ignorais tout de July Jung (Jeong Joon-ri). Scénariste et réalisatrice, elle signe ici son premier long-métrage depuis huit ans. Au départ, il y a un fait divers - je n'en dirai rien. Nous faisons la connaissance de Sohee, une adolescente embauchée pour un stage, officiellement très convoité, dans un centre d'appels. Accueillie sans chaleur, la jeune femme déchante vite en s'apercevant qu'au-delà des discours rassurants de son chef, un système pyramidal fait d'elle un simple pion sur l'échiquier, constamment sous pression. Pas le droit de flancher: si la base tremble, c'est toute la construction qui risque de s'effondrer, ce que les responsables de l'entreprise veulent à tout prix éviter, quitte à accuser leurs salariés des fautes qu'ils ont commises. Se prévaloir de la justice sociale dans ce cadre ultra-capitaliste ? C'est perçu comme un acte de sédition. Dangereux !

Tout cela nous est expliqué en détail dans la première partie du film. La seconde, d'une durée quasi-équivalente, dévoile les conséquences funestes que cette logique a pu avoir dans la réalité. On suit l'affaire dans le sillage d'une enquête policière - dont je ne dirai rien non plus. About Kim Sohee s'appuie alors sur un second personnage féminin important, qui vient progressivement révéler la profonde inhumanité d'un système économico-politique basé sur la recherche du seul profit. Je ne suis pas dupe de ce qui se passe chez nous, mais il est certain que le film ne m'a pas donné envie d'aller voir ce qu'il en est en Corée. Cette vision cinématographie est-elle lucide ? Oui, c'est fort possible. J'ose imaginer que le Pays du matin calme ne l'est pas tous les jours. Quoi qu'il en soit, que le récit prenne ou non des libertés importantes avec les sacro-saints faits "réels" m'importe peu, pour tout vous dire. Il vaut surtout pour son aspect universel (et peut-être intemporel). Quelque chose me dit que tout cela pourrait s'être passé en France. Sauf qu'aucune de nos casseroles n'a conduit au départ du président...

About Kim Sohee
Film sud-coréen de July Jung (2022)

Je crois que c'est la première fois que je vois un film de ce pays réalisé par une femme... et, ma foi, il vaut vraiment le détour ! Difficile, cependant, de le comparer avec un autre opus équivalent. Pour le regard porté sur la jeunesse, Burning est je crois une option intéressante. Memories of murder ? Pour les méthodes discutables d'une partie de la police ? À la limite. Mais c'est un peu capillotracté...

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Autant aller voir ce qu'on en pense ailleurs...

D'autres avis positifs sont à lire chez Pascale, Dasola et Princécranoir.

4 commentaires:

Pascale a dit…

J'étais sidérée de voir l'intrication entre l'école, l'Etat et la police. Lorsque l'enquêtrice est envoyée d'un service à l'autre c'est absolument sidérant.
Désolée et interloquée aussi de voir la jeunesse autant alcoolisée.
Et affolée par ce phénomène délirant du mukbang.

dasola a dit…

Bonsoir Martin, j'ose espérer que les stages en France se passe mieux. Dans le film, les stagiaires sont rémunérés comme des employés en CDI et on leur demande d'être aussi performants. C'est effrayant. Bonne soirée.

Martin a dit…

@Pascale:

C'est fou ! Je ne me souviens pas du tout des aspects "alcool" et "mukbang" !

En revanche, mes souvenirs sont intacts sur le renvoi de balles entre écoles, entreprises et forces de l'ordre. Au fond, personne n'assume la responsabilité des conséquences de cette politique sociale désastreuse.

Martin a dit…

@Dasola:

Je ne voudrais pas faire de généralité, mais j'ai vu que, parfois, on donnait de grosses responsabilités à des stagiaires sans prendre le temps de contribuer à leur formation. Et sans les rémunérer comme des employés en CDI. En France, il me semble que ce n'est que très récemment que la loi a rendu obligatoire de verser au moins quelques centaines d'euros aux stagiaires.

Quelque chose me dit qu'en Corée, la société doit être encore plus ancrée dans une logique de compétition. Mais c'est un pays que je connais mal: il me faut donc être prudent avec de telles affirmations.