Antoine de Maximy, épisode 2. La chance m'a permis de le rencontrer après la projection de son film en avant-première. Il faut dire aussi qu'il est resté fidèle à ses habitudes, parcourant la France en voiture pour une tournée promotionnelle solo, du 26 juin au 10 septembre. Voici le fruit de notre (long !) échange, au matin du 20 août dernier...
On a vu certaines de vos vidéos apparaître en ligne lors du confinement. Comment s'est-il passé pour vous, que l'on imagine intenable ?Je n'ai pas tenu deux mois à rien faire ! J'ai donc effectivement créé des pastilles intitulées
J'irai rajeunir chez vous et qui racontent tout ce que j'ai fait dans ma vie professionnelle avant
J'irai dormir chez vous. En fait, les gens ne le savent pas, mais c'est beaucoup plus spectaculaire ! J'ai fait beaucoup de documentaires scientifiques, des films animaliers et même du reportage de guerre. Sur Internet, vous trouverez trois heures d'images en accès libre pour raconter toutes ces expéditions fabuleuses: plonger dans 5000 mètres de fond dans un sous-marin à hublots, descendre chercher de la lave dans un volcan, monter dans les arbres pour filmer des singes en Amazonie, par exemple. Puisque j'ai les images de tous ces films, cela m'a permis de les montrer...
Vous êtes nostalgique de cette période ?Non. Je suis content de l'avoir vécue, mais j'aime aller de l'avant. Souvent, on est nostalgique d'une chose quand ce qui vient après est moins bien. Moi, ce que je fais maintenant est différent et j'y prends autant de plaisir. J'espère que ça va durer.
Et aujourd'hui, donc, vous faites de la fiction. Une idée farfelue...J'y ai toujours pensé un peu, en fait, comme tous les réalisateurs de documentaires qui se disent qu'un jour, ils feraient bien un grand film. Moi, ça avait un sens dans la mesure où, certes,
J'irai dormir chez vous est une émission qui me tient depuis des années, mais dans laquelle je me retrouve régulièrement dans des situations tendues. Forcément, je me demandais ce qui se passerait si ça dérapait pour de bon ! C'est comme ça que j'ai commencé à réfléchir à l'éventualité d'une histoire qui aurait pu se passer au cours d'un de mes tournages...
Pourquoi avoir choisi de situer cette histoire dans les Carpates ?Je n'en sais rien ! J'ai commencé à y réfléchir en 2005 et à prendre des notes régulièrement. Ce n'est qu'en 2011, finalement, que je me suis à écrire et à voir ce qui sortirait. Cela avait muri, pendant ces années: l'histoire, l'intrigue et les rebondissements sont finalement venus très vite. Dans ce premier jet, il y avait les Carpates ! Cela dit, en trois semaines, tu n'écris pas un scénario: tu as juste ton idée principale. J'ai ensuite travaillé de manière beaucoup plus raisonnée, viré ce qui ne fonctionnait pas, ajouté des choses pour que ça marche mieux... mais je n'ai jamais eu de problèmes avec les Carpates. C'est donc resté.
C'est un territoire que vous aviez déjà arpenté ?Oui, j'étais déjà allé en Roumanie - les Carpates vont jusqu'à la Pologne. C'était quinze ans auparavant et, à l'époque, le pays était beaucoup plus sombre qu'aujourd'hui, où il ressemble à la France. Le mystère est resté, cela dit: c'est un endroit un peu mythique. On a quand même fait des repérages avant de tourner le film, bien sûr ! Il reste des charrettes, mais il y a aujourd'hui plein de voitures modernes, les maisons sont bien refaites... ça a beaucoup changé. La Roumanie est rentrée dans l'Europe.
Vous avez été bien accueillis ?On a été perçu comme une équipe de tournage française, pour un tout petit film ! Quand de gros films américains viennent tourner sur place, où il y a de très bons techniciens, ils débarquent à beaucoup: trente, quarante ou même cinquante. Pour la première partie avec mes petites caméras, nous n'étions que quatre, et treize ou quatorze pour la seconde.
Qu'est-ce qui change, dans votre manière de travailler ?Tout ! Quand on filme pour une fiction, tout est différent. On connaît le matériel et plein d'autres choses, mais il ne faut surtout pas croire qu'on saura faire de la fiction parce qu'on sait faire du documentaire. Cela n'a rien à voir, dans la démarche intellectuelle. Quand tu fais du documentaire, tu filmes ce qui existe et ce qui se passe. En fiction, tu rentres dans une autre écriture, qui consiste à imaginer avant ce qui va se passer et à le mettre en scène dans un deuxième temps. Ce n'est qu'ensuite que tu peux filmer quelque chose que tu as entièrement construit. Auparavant, je prenais la lumière qui était là et, cette fois, on a fait des éclairages. Et on dit aux comédiens ce qu'ils vont faire...
Pour vous aussi, comédien, c'est un rôle à apprendre...Pas besoin, quand tu as passé des années à écrire un scénario...
Il reste une part pour l'improvisation ?Pas beaucoup: le film est extrêmement précis car c'est une enquête. Dans les images ! Ce que je voulais, et je sais avoir réussi sur ce plan, c'est que tous les éléments qui vont permettre à Agnès (la monteuse du film jouée par Alice Pol) de découvrir ce qui s'est passé puissent être découverts par les spectateurs avant elle. Certains sont d'ailleurs venus à plusieurs avant-premières pour le vérifier. Et ça, je vous assure que ça fait vachement plaisir au réalisateur !
Pour ma part, je me suis laissé embarquer. Il arrive que les gens remarquent ces détails dès la première fois ?J'ai posé la question lors des avant-premières et toujours vu quelques mains se lever. Il y a probablement aussi des gens qui ont vu des choses qui n'y sont pas, mais personne ne me l'a dit, si c'est le cas...
Un mot sur vos acteurs ? Pour un premier film de fiction, avoir Alice Pol et Max Boublil, c'est pas mal...Oui, mais ça n'a pas été facile de les trouver. Il me fallait des gens assez audacieux pour tourner un film qui sorte des cases. Ces deux-là ne m'ont pas étonné, parce que ce sont des acteurs de comédie: j'ai vraiment l'impression que ceux-là sont plus gonflés que les autres. Ils n'ont pas peur de se mettre en danger et d'être, très souvent, tournés en ridicule. Ils m'apparaissent moins obsédés par leur image. Je suis très content d'avoir eu Alice et Max: ce ne sont pas des stars capricieuses - ce dont j'avais un peu peur - et ils sont vraiment pile dans le ton. Exactement ce qu'il fallait.
Sur le tournage, vous étiez toujours avec eux comme réalisateur du film, mais vous avez finalement peu de scènes communes...Deux ! Ce n'est pas frustrant, parce que je débute comme comédien et je ne suis pas sûr d'être à leur niveau. Jouer avec mon matériel, c'est autre chose: j'ai l'habitude, puisque voilà quinze ans que je le fais. J'ai énormément appris d'eux et beaucoup discuté avec Alice, justement, sur ce qu'étaient le jeu et la comédie. Je m'amuse à dire que ce film est vraiment le plus beau stage que j'ai fait de ma vie ! Je n'avais même pas fait un court-métrage avant. Je savais que je pouvais y arriver et pensais que le pas n'était pas trop grand. J'ai fait au mieux et voilà le film...
Vous n'étiez tout de même pas aussi benêt que le stagiaire représenté dans le film...Non, mais je n'ai pas le même âge que lui non plus. On peut imaginer que ce personnage, qui doit avoir 18-20 ans, sera un peu moins perché quand il en aura pris une trentaine.
Vous étiez comme lui, plus jeune ?Non: j'avais beaucoup plus les pieds sur terre. J'avais en revanche le même enthousiasme. Je croyais à mes trucs, mais je pense que j'étais plus lucide que lui, quand même...
Parlons un peu de vos techniciens sur ce film. Ce sont des gens avec qui vous travailliez déjà ?Non. J'ai fait confiance en mes producteurs qui m'ont présenté des gens en qui ils avaient confiance, eux. Ils étaient tous très motivés: c'est quand même un film à petit budget, où les gens n'étaient pas aussi bien payés que pour d'autres films. Il y a eu un peu une atmosphère de court-métrage: on n'était pas en train de compter ses heures et ses sous, mais où on avait vraiment envie de faire le film. C'était vrai pour tout le monde, des stagiaires aux différents chefs de poste. Exemple: avec le chef opérateur, on est passé des journées entières, pendant lesquelles il n'était pas payé du tout, dans mon jardin à tester toutes les caméras existantes sur le marché, à déterminer les protocoles de tests... toutes choses que lui, comme moi, adorons faire. Comme deux gamins, comme quand on avait quatorze ans !
Au-delà du plaisir évident que vous avez dû prendre à tourner, j'imagine tout de même que cela a dû être tendu, par moments...Ce qui pouvait l'être, c'était la gestion du temps: il fallait aller vite. Mais ça va. Mes producteurs ont vraiment mis tout l'argent sur le film: ils ne se sont pas payés et moi, je l'ai été moins que prévu. Mais le plus important, c'est que le film soit là. Je suis vraiment content...
Et dans le film, vous avez toujours le sourire...Pas tout à fait, non. Mais il y a des moments tendus... que vous ne raconterez pas dans votre article. Il y a même des adultes qui me disent avoir eu peur, tellement ils ont été pris dans le film. C'est que les choses sont réussies, de ce point de vue...
Vous vous offrez même un moment un peu olé-olé !Si on veut. C'était rigolo. Ça ne m'est jamais arrivé dans la réalité.
Déçu ? Non. Il m'arrive d'autres choses, ailleurs. Cela dit, pendant les tournages de
J'irai dormir chez vous, je travaille. On ne s'en rend pas compte, mais c'est énormément de boulot, malgré l'apparence légère et fantaisiste. Le film aussi, d'ailleurs, c'était un gros travail. Après, dans ma vie, ça va !
Vous avez des rushs inexploités, sur ce film ?Assez peu. Il y a des choses auxquelles j'ai renoncé. Le personnage d'Alice avait un copain, au départ, mais ça ralentissait l'histoire, sans lui donner davantage de profondeur. Le rôle a donc été entièrement coupé.
C'est aussi un film sur le montage, finalement...Oui: il y a plein de niveaux de lecture. Le montage, ce métier pas très connu. Les bouleversements d'un pays qui entre dans l'Europe et l'apparition du tourisme à plus grande échelle. L'enquête dans les images qui est quand même le fil conducteur du truc. Un petit côté making of de la série
J'irai dormir chez vous...
Making of que vous n'aviez jamais réalisé, d'ailleurs...À ce niveau de précision, non, en effet. Et j'ai tellement d'autres idées aujourd'hui...
Un prochain voyage en vue ?Pas tout de suite, du fait du confinement. Les gens ne sont pas très enclins à ouvrir leur porte. Je pense évidemment faire un autre film, mais on va déjà voir comment celui-là marche. J'ai d'autres idées: un bouquin, un truc sur scène... et je ne suis pas inquiet !
Pour ce film-là, vous aviez lancé une souscription sur Internet...C'est en effet le financement participatif qui a lancé ce film que personne ne suivait. Les partenaires financiers n'osaient pas investir, mais ils sont venus quand ils se sont rendu compte que les gens étaient prêts à mettre de l'argent sur un film qui n'existait pas encore. On a pu récupérer 256.000 euros en cinq semaines ! Merci aux Kissbankers: sans eux, tout cela n'existerait pas. Le 16 mai 2019, on n'avait pas un centime, et le 16 mai 2020, avec un peu de retard lié au confinement, le film était complètement terminé ! Aller si vite, ce n'est pas donné à tout le monde...
C'est tout de même étonnant, ces problèmes de financement. Avec un nom comme Antoine de Maximy, on pouvait imaginer que ce serait facile...Oui, mais un nom, ça ne vous permet jamais de faire autre chose que ce que vous faites d'habitude. Je l'ai vérifié à chaque fois que j'ai voulu changer, moi qui ai commencé comme ingénieur du son, avant de tenir la caméra, d'être réalisateur ou présentateur... on ne m'a jamais suivi, mais ça allait toujours mieux une fois que cela avait démarré. Les aventuriers, on les voit un peu comme des cinglés. J'aime bien ce mot: cingler, c'est aussi ce que fait le bateau qui navigue. Et moi aussi, donc...
Vous n'êtes jamais fatigué ?Un jour, je mourrai, mais en attendant, j'y vais...
Vous avez des héritiers, aujourd'hui. Nans et Mouts, de Nus et culottés, sur France 5...Je les connais bien et j'ai de l'affection pour eux. Ils ont eu l'intelligence de reprendre mon dispositif de petites caméras fixées et de partir au hasard. C'est très important, même si, au départ, ça n'était pas très rassurant pour les chaînes télé. Quand j'ai commencé, moi, personne ne m'a suivi, sauf au départ la petite chaîne Voyage. Avant que je travaille avec France 5, moi aussi,
J'irai dormir chez vous restait très confidentiel. Les chaînes ont fini par se rendre compte qu'on pouvait en faire quelque chose. Les émissions de Nans et Mouts sont très bien, parce qu'elles vont plus loin et proposent encore autre chose. Ils se donnent un défi à relever, plus défini que le mien, d'ailleurs. On est en très bons termes.
Il y a aussi Au bout c'est la mer, toujours sur France 5...Je ne connais pas...
Malgré tout, vous ne trouvez pas que ça manque un peu d'esprit d'aventure, à la télé, aujourd'hui ?Je n'en sais rien, en fait, parce que je ne suis pas vraiment les programmes. Mais je suis sûr qu'il y a encore des choses...
Quand vous étiez reporter de guerre, vous avez connu le Liban. Vous y avez gardé des attaches ?Pas vraiment: je n'y suis pas retourné depuis 1984. Je connais des Libanais et je sais ce qu'ils pensent de la situation actuelle, mais ça s'arrête là. J'y retournerai un jour. Je n'ai renoncé à rien...
Comment choisissez-vous vos destinations ? Comment prépare-t-on une émission comme la vôtre ?De manière très simple: ça ne se prépare pas ! Plus tu arrives préparé, plus tu fais des erreurs. Plus tu as des idées préconçues, plus tu vas rater des choses, parce que tu cherches ce que tu crois devoir trouver ou que tu as décidé de trouver. Quand tu prépares, tu te bases sur ce que les autres ont fait avant toi. Eux-mêmes se sont préparés avec ce que les autres ont fait encore avant eux. Et, quand tu commences à filmer, tu vas inconsciemment vouloir le montrer et entretenir de vieilles idées ! Il n'y a pas pire pour ne pas suivre l'évolution ! Tu continues à arriver avec des idées auxquelles croyait ton prédécesseur. Si tu n'as rien préparé, tu vois réellement le pays tel qu'il est, au moment où tu y arrives.
Il y a des pays qui vous ont plus marqué que d'autres ?Euh... c'est plutôt l'ensemble, qui me marque. Bon... il y a eu la traversée de l'Inde, pendant trois mois, tout seul. Ce qu'on a appelé ensuite
J'irai dormir à Bollywood. On parle cette fois d'un pays fondamentalement différent de la France: le fait de s'immerger, d'être tout seul et d'aller dans des coins reculés, c'est quand même exceptionnel ! C'est sans doute l'un des plus beaux voyages que j'ai faits. Le plus beau ? Je ne sais pas...
Ce sera le prochain, peut-être ?
En ce moment, c'est un peu difficile à imaginer...
Vous avez une limite ? L'espace ?Non, puisqu'on y va ! Si on me donne une place, je vais faire un tour. Peut-être pas sur Mars: le trajet est un peu long. Et je ne suis pas sûr qu'on me propose ça tout de suite...
La tournée, ça se passe comment ? C'est épuisant, mais j'ai un grand sentiment de liberté, puisque je la fais tout seul avec ma voiture. Je ne tourne pas, mais j'ai pris ma caméra, au cas où. On ne sait jamais...
Et vous dormirez où, ce soir ?Question récurrente. Ce soir, ce sera dans un hôtel... dont je ne donne pas l'adresse ! En tournée, je n'ai pas très envie de discuter avec des gens qui m'hébergent, y compris mes amis. Eux, je ne veux pas les voir et préfère me reposer. Trois ou quatre étapes par jour, c'est épuisant ! Il n'y a pas plus impersonnel que la plupart des hôtels et, en ce moment, c'est exactement ce qu'il me faut...
Elle embellit mon souvenir du film qui, je le rappelle, sort aujourd'hui.