samedi 23 septembre 2023

Au temps du choléra

En revoyant Le hussard sur le toit l'autre jour, je me suis souvenu que Jean-Paul Rappeneau était un grand réalisateur du mouvement. Longue bien que sporadique, sa carrière nous entraîne vers des films dont toute idée d'immobilité est bannie. Dans celui que je présente aujourd'hui, c'est même la fuite qui pourra tenir lieu de sujet central !

Vous aimeriez retrouver la lumière du soleil ? Le film en regorge. Aix-en-Provence, été 1832. Angelo Pardi, un jeune Italien, s'efforce d'échapper aux espions autrichiens lâchés à ses trousses. La fortune de sa mère a fait de lui un colonel, prêt à renverser le pouvoir établi dans son pays - et venu en Provence rassembler l'argent nécessaire. Problème: au même moment, la région est ravagée par le choléra. Étranger errant de village en village, Angelo est le bouc-émissaire idéal d'une population aux abois, qui meurt ou subit un confinement sanitaire. Sa rencontre avec la belle Pauline de Théus, une femme partie seule à la recherche de son mari, pourrait changer son destin...
 
Que vous dire ? Cette adaptation d'un (superbe) roman de Jean Giono brille par la beauté de ses innombrables scènes tournées en extérieur. Des Bouches-du-Rhône à la Haute-Savoie, le film est un grand voyage qui passe aussi par le Gard, les Alpes-de-Haute-Provence ou l'Isère. Grâce à une impeccable reconstitution, on chevauche donc volontiers aux côtés de Juliette Binoche et Olivier Martinez. Mieux: on frémit comme eux des dangers auxquels ils s'exposent. Émotions garanties. Lors de sa sortie, Le hussard sur le toit avait aussi créé l'événement pour son budget: 176 millions de francs, alors la somme la plus élevée jamais consacrée à une production cinématographique française. Pauline et Angelo ont attiré un peu plus de 2,5 millions de spectateurs dans les salles obscures - d'où la dixième place du box-office national cette année-là. J'ai l'impression qu'ils sont désormais un peu oubliés. Leur histoire ne mérite pourtant pas de disparaître de nos mémoires !

Le hussard sur le toit
Film français de Jean-Paul Rappeneau (1995)

J'ai commencé avec l'idée du mouvement... et il me faut ajouter que, parmi les cinq opus chroniqués sur les Bobines, ce film de Rappeneau demeure sans aucun doute le plus posé (je n'ai pas dit "statique"). Soyons clairs: Cyrano de Bergerac, c'est évidemment plus enlevé. Dans les deux cas, j'ai des envies de balade sur les lieux du tournage. Et c'est sûr qu'on voyage tout de même plus qu'avec Madame Bovary !

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Et quitte à parler de grande littérature...

Je vous encourage à lire la chronique de Strum, qui offre une analyse comparée du film et du livre. Livre que je relirai volontiers, d'ailleurs.

vendredi 22 septembre 2023

Voir en peinture(s)

C'est la fin de l'été aujourd'hui et, demain, il restera pile cent jours pour finir l'année 2023. J'ai longtemps cherché un sujet de chronique susceptible de marquer ces "événements", mais j'ai fait chou blanc. Face à cette panne d'inspiration, j'ai cru bon de revenir sur le film d'avant-hier, qui peut orienter nos regards sur d'autres formes d'arts !

Le photogramme ci-dessus me fait ainsi presque penser à un Renoir. Ce n'est pas un scoop: dès ses origines, le cinéma est intimement lié au grand art visuel qu'est la peinture. On parle même de tableaux pour désigner les films (ou les différentes scènes qui les composent). En 1906, La Galerie du Vieux Moghul du Britannique William Sickert devient la première représentation d'une salle obscure sur une toile. D'autres suivront, bien entendu, et les oeuvres des grands maîtres classiques inspireront à leur tour celles des meilleurs réalisateurs. Désormais, un mouvement de va-et-vient paraît très naturel, au point que le Musée national d'art moderne (Centre Georges Pompidou) imagine une exposition Le Mouvement des images il y a une douzaine d'années. Et bien d'autres choses restent à dire et écrire sur ce sujet !
 
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J'y reviendrai sans doute un jour, mais...

Je n'avais aucune intention de rédiger un texte très long aujourd'hui. Cela ne vous empêche pas d'échanger avec moi en commentaires. Diriez-vous par exemple être sensibles à l'aspect pictural du cinéma ? Saviez-vous que Bouli Lanners était peintre ? Je suis à votre écoute...

mercredi 20 septembre 2023

Deux types amis amis

La panne d'inspiration... j'imagine à quel point cela doit être frustrant ou douloureux pour un artiste, habitué à s'exprimer par son travail. Dans Un coup de maître, c'est ce qui arrive à Renzo Nervi, peintre que la disparition de sa femme a soudain privé de son élan créatif. Ces quelques mots sont trompeurs: je vous parle bien d'une comédie !

Renzo Nervi, c'est Bouli Lanners, la toute première de mes raisons pour être allé voir ce film. L'acteur belge forme ici un excellent duo avec Vincent Macaigne, alias Arthur Forestier, galeriste de son état. L'idée du scénario est d'en faire deux amis "à la vie, à la mort", l'un soutenant l'autre dans sa déprime existentielle et malgré son attitude très franchement borderline, entre autres auprès de possibles clients. Sous-jacent, c'est l'autre thématique du long-métrage: est-il indigne pour un créateur de vendre le fruit de son travail à une personne qu'en temps normal, il considérerait avec dédain ? Dans une phase difficile pour lui, doit-il au contraire s'isoler et laisser alors libre cours à ses penchants égotiques profonds, au-delà de tout vernis social ? Un coup de maître choisit de s'amuser de ces questions sérieuses. Chacun jugera ensuite de la qualité et de la valeur des réponses apportées. Le cinéma, comme la peinture, s'ouvre à la subjectivité...

Un (tout) petit regret: l'importance que Renzo/Bouli et Arthur/Vincent prennent sur la toile maintient les autres personnages au second plan. Ce n'est pas très grave pour Aure Atika, dont le rôle est anecdotique. Je le regrette davantage pour Bastien Ughetto, un acteur découvert en avril et dont le potentiel comique m'a paru un peu sous-exploité. C'est que je suis convaincu que sa palette personnelle est plus riche ! Cela dit, le virage que le long-métrage prend dans son dernier tiers l'entraîne vers une composition plutôt inattendue. Il sera question d'une association humanitaire, Action contre la faim, et je dirai juste que le film a bel et bien permis de lui apporter un soutien financier. Au moins pour cela, l'équipe d'Un coup de maître mérite le respect. Même si elle verse parfois dans la caricature, j'ai également souri devant sa représentation du marché de l'art, gentiment moqueuse. Ses dérives commerciales font l'objet de quelques scènes piquantes. Tout bien considéré, il manque un petit je-ne-sais-quoi de plus incisif pour parler d'un grand film. Pas une raison pour bouder votre plaisir...

Un coup de maître
Film français de Rémi Bezançon (2023)

Au terme de cette chronique, je n'ai toujours pas expliqué le titre. Simple conseil d'ami: évitez la bande-annonce et gardez la surprise ! En vous en parlant, je me suis soudain rappelé le film American bluff et ce qu'il disait au sujet des tableaux exposés dans les musées. Maintenant, si la peinture vous intéresse, je vous renvoie à d'autres comme Gauguin, Artemisia ou Moulin Rouge. L'embarras du choix...

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Une autre regard sur le film est possible...

Je vous recommande de découvrir aussi celui de notre amie Pascale.

lundi 18 septembre 2023

Égouts et couleurs

Les geeks le savent: Leonardo, Michelangelo, Donatello et Raphaël sont certes des peintres de la Renaissance, mais pas uniquement. Depuis 1984, les maîtres du classicisme italien ont donné leurs noms à d'étranges créatures vertes nées dans un comics: les Tortues Ninja ! Plusieurs fois apparues au cinéma, elles y sont revenues début août...

Je traduis le titre, si besoin: l'idée de Ninja Turtles : Teenage years est d'évoquer les années d'adolescence de Leo, Mickey, Don et Raph. Et pour tout vous dire, c'est même encore plus simple: le scénario explique comment ces drôles de bestioles ont été réunies par un rat réfugié dans les égouts de New York, qui a alors choisi de les élever comme ses enfants. Ce n'est qu'ensuite et sous l'effet d'un fluide mystérieux que chaque membre de la bande a grandi jusqu'à la taille d'humains adultes - humains dont les Tortues ont appris à se méfier. Seulement voilà... au début du film, l'envie de quitter leur cachette s'avère plus forte que jamais. Elles se disent alors qu'une action héroïque leur permettrait d'être populaires (et d'intégrer un lycée). Vous imaginez bien que cela ne se passera pas aussi facilement. Soutenues dans leur quête de normalité par une apprentie journaliste de leur âge, les Turtles ont un atout: leur maîtrise des arts martiaux !

Une précision pour les fans: le grand ennemi que je leur connaissais n'apparaît pas dans ce nouvel opus cinéma. Il est toutefois probable qu'il revienne dans une suite. Je suppose en fait que les producteurs américains (Paramount, Nickelodeon, etc.) se décideront notamment en fonction des recettes de cet épisode - sa rentabilité étant acquise. Au-delà de ces considérations, Ninja Turtles : Teenage years m'a plu de par sa proposition esthétique et les qualités d'une animation 3D moins "léchée" qu'à l'accoutumée. J'ai appris ensuite que son style s'inspirait de celui des dessins exécutés par l'un des réalisateurs quand il était lui-même adolescent (Jeff Rowe a aujourd'hui 37 ans). Autre très bonne idée du film: avoir opté pour de vrais teenagers pour doubler les personnages non-encore-adultes, d'où le léger regret personnel de n'avoir pas pu le découvrir dans sa version originale. Bref... malgré ce bémol et la conscience de ne pas être représentatif du véritable public-cible, j'ai passé un assez chouette moment. Possible qu'il me conduise très bientôt à ressortir ma vieille console...

Ninja Turtles : Teenage years
Film américain de Jeff Rowe et Kyler Spears (2023)

Je crois bien que c'est avec un (vieux) jeu vidéo et sur une borne d'arcade que j'ai découvert cet univers. Et il m'est toujours familier ! Les 14-16 ans d'aujourd'hui l'apprécieront-ils ? Ce n'est pas à exclure. Pour la bagarre, vous préférerez peut-être l'un des Kung-fu panda ou, au rayon du cinéma d'animation japonais, Le garçon et la bête. En images réelles, Karaté Kid peut être un teen movie de référence...

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Et si on chipotait un peu ?

Ce serait l'occasion d'évoquer les traductions cinéma pour la France. En version originale, le film porte un titre différent et bien plus long ! Il reprend le nom "officiel" de nos vertes amies depuis leur apparition dessinée: Teenage Mutant Ninja Turtles... et le terme Teenage rappelle qu'elles n'ont jamais été autre chose que des adolescentes. Même si ce serait dans cet épisode cinéma que c'est le plus flagrant...

samedi 16 septembre 2023

Toutes ses dimensions

Au-delà de l'univers observable, il se pourrait qu'il en existe d'autres qui lui ressembleraient: c'est peu ou prou ce que suppose le monde scientifique en parlant de multivers. La possibilité d'une intervention humaine dans un décalque de notre réalité fascine nombre d'artistes de cinéma. Exemple récent avec Everything everywhere all at once !

Tout. Partout. Tout à la fois.
La traduction (approximative ?) du titre ne dit pas grand-chose du contenu du grand gagnant des Oscars 2023. Le premier personnage du film est Evelyn, une femme américaine d'origine chinoise, gérante d'une laverie automatique. Son naturel stressé s'accommode difficilement de toute la série de problèmes qu'elle doit gérer simultanément, à commencer par un redressement fiscal doublé d'un divorce. Or, ce monde tel qu'il apparaît à Evelyn existe, certes, mais n'est en fait que celui... d'une seule de ses vies. Dans d'autres dimensions, parallèles, elle est aussi être cheffe cuistot dans un grand restaurant, actrice ou championne de kung-fu. Waouh !

L'idée du film ? Voir Evelyn passer d'une réalité à l'autre et apprendre à se battre. Objectif: sauver le monde et - dans l'élan - sa famille. Rien de franchement original pour un blockbuster US, me direz-vous. C'est vrai. Il se peut donc que les deux heures et quart du métrage vous paraissent longues comme une semaine sans sortie au cinéma. Un critique a parlé du film comme d'une "véritable déclaration d’amour au septième art, pleine de trouvailles et de bizarreries génialissimes". Un autre a évoqué "un pur chaos organisé, un bijou d’orfèvrerie". Mouais... j'avoue: je ne suis pas aussi emballé qu'eux. Cela étant, sur la forme, il y a toujours quelque chose d'original visible à l'écran. Et, de ce fait même, le récit ne connaît que très peu de temps morts - ce qui plaira à qui saura apprécier cette frénésie graphique. Les autres passeront leur chemin sans (trop de) regrets. Notez qu'en France, le film n'est que 76ème du box-office l'an passé...

Everything everywhere all at once
Film américain de Daniel Kwan et Daniel Scheinert (2022)

Le buzz m'a induit en erreur: en fin d'exploitation dans les salles françaises, le film n'y avait en fait accumulé "que" 436.224 entrées. Même pas la moitié du dernier épisode de Matrix, pourtant malaimé ! Ma comparaison est-elle juste ? Vous pouvez me donner votre avis. Avant cela, L'imaginarium du docteur Parnassus est un bon moyen alternatif de rejoindre une "dimension parallèle". Ou alors Stargate...

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Je n'ai pas parlé des acteurs...

Un mot pour signaler que j'ai été content de revoir Michelle Yeoh. Jamie Lee Curtis et
Ke Huy Quan ? J'en avais déjà dit un mot en avril.

jeudi 14 septembre 2023

Massacre

Bon... je n'en avais pas lu beaucoup sur X avant de le regarder. Suffisamment toutefois pour me gâcher les rares "surprises" du film. L'idée première: suivre les pas d'une bande de jeunes Américains partis tourner un porno au milieu de la campagne texane, en 1979. Leur producteur a décidé de louer une grange isolée à un vieux type...

Autant dire que ça va barder ! Comment ? Je ne vais pas trop en dire. C'est assez prévisible, de toute façon. Non ? Disons que la mort s'invitera bientôt sous les projecteurs et qu'elle y fera des ravages. Avant de la voir débarquer, il faudra tout de même rester patient devant les simili-cabrioles coquines des personnages. Les plus prudes d'entre vous fermeront les yeux devant les quelques seins ou fesses visibles à l'écran: toutes scènes comprises, ça doit durer une minute. Le plus hardcore est en réalité concentré dans la dernière demi-heure du métrage et, malgré la rupture de ton, reste ultra-convenu. L'idée de rendre ainsi un hommage à certains films de genre des seventies était plutôt sympathique, mais X n'y apporte rien de très nouveau. Las ! Derrière ce titre minimaliste, j'attendais davantage... de chair !

X
Film américain de Ti West (2022)

Pas très original + pas complètement nul non plus = note généreuse. Un point qui m'a surpris: les critiques pro ont bien accueilli le film. Son box-office français, lui, n'a pas décollé: moins de 50.000 entrées. Je spoile un peu pour vous dire qu'il vaut mieux tourner votre regard vers d'autres opus comme Massacre à la tronçonneuse ou Evil dead. Pour ma part, je privilégie plutôt les gialli italiens (du type Suspiria).

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Attendez ! J'ai un truc à ajouter...

X est le premier volet d'une trilogie. L'épisode 2 est sorti en France dans le courant de juillet, mais seulement en vidéo. Il s'appelle Pearl et nous ramène en 1918: le réalisateur dit qu'il s'agit d'un mélodrame. La conclusion arrivera avec MaXXXine, annoncé en post-production...

lundi 11 septembre 2023

Une attente

Certains parleront de destin. D'autres du karma. John est convaincu que quelque chose va lui arriver et que sa vie en sera bouleversée. Adolescent, il s'en est ouvert à May, qui le retrouve dix ans plus tard dans une boîte de nuit parisienne. Nous sommes en 1984 et le duo reconstitué va traverser un quart de siècle à attendre LA révélation...

Sortie de l'été, La bête dans la jungle adapte une nouvelle éponyme du romancier américano-britannique Henry James, parue en 1903. Transposée en France à une autre époque, elle garde sa puissance évocatrice, à condition d'adhérer à ce huis-clos quasi-permanent. C'est avec l'idée que le mystère me fascinerait que je me suis décidé à rejoindre May et John dans leur quête de vérité. Je dois admettre que l'idée de retrouver Anaïs Demoustier m'était plutôt sympathique. Si ce n'est elle, dans la troupe, je ne connaissais que Béatrice Dalle qui joue ici la physionomiste (et tient lieu de narratrice, en voix off). C'était ma première rencontre avec Tom Mercier, qui incarne John. L'Israélien convainc en garçon un peu perdu, d'autant que son accent très prononcé ajoute à l'impression qu'il laisse d'un décalage constant avec les autres. Il me semble d'ailleurs préférable de se perdre un peu dans son étrangeté pour apprécier le récit - et l'écran géant s'impose !
 
Formé au stylisme à Paris, puis au montage à Bruxelles, le réalisateur vit toujours en France et est autrichien. Il a des origines hongroises et libanaises, d'après Wikipédia. Pourquoi le signaler ? Ce métissage culturel m'intéresse et nous pourrons en rediscuter, mais je laisserai à d'autres le soin d'analyser son travail au travers de ce prisme. Personnellement, je me suis très vite laissé embarquer par les images et la musique, sans me préoccuper de l'endroit où elles mèneraient. C'est une évidence: oeuvre de Céline Bozon, la superbe photographie de La bête dans la jungle aura largement favorisé cette immersion profonde dans un cadre - la discothèque - que j'ai très peu fréquenté. Sur une bande-son fort réussie, les (nombreuses) scènes de danse s'avèrent hypnotiques et, dès lors, plutôt convaincantes à mes yeux. Je suis presque le premier surpris, mais mon appétit pour un cinéma de l'étonnement et disons "différent" s'en trouve pleinement satisfait. Ces bonnes sensations me renverront sûrement à la source littéraire. Il est certain que je passe beaucoup plus de temps devant des films...

La bête dans la jungle
Film (austro-belgo-)français de Patric Chiha (2023)

J'hésitais entre deux films... et j'ai choisi ce troisième, sans volonté particulière d'enchaîner deux adaptations littéraires. L'absence totale de repères préétablis ne m'a pas posé de problèmes, au contraire. Vous aimez le suspense basé sur l'attente ? Melancholia est un film qui pourrait vous plaire, même s'il est dur et beaucoup plus explicite. Je vous recommanderais aussi Donnie Darko et L'heure de la sortie !

samedi 9 septembre 2023

Mise à l'écart

Ado, je n'appréciais que peu la littérature française du XIXème siècle. Je n'ai lu qu'un Jules Verne ou deux. L'amour de la langue m'est venu assez tardivement, peut-être bien à partir du jour où une enseignante m'a dit comprendre qu'à 16 ou 17 ans, le roman Fort comme la mort de Maupassant puisse me rebuter. Et tout a bien changé depuis lors...

Je ne connais toujours pas beaucoup de "classiques", mais leurs récits ancrés dans la France d'autrefois m'intéressent davantage. Le cinéma permet aussi d'aborder ce patrimoine et je l'ai encore fait récemment devant une belle adaptation d'un roman de Balzac: Eugénie Grandet. L'héroïne est une jeune femme de Saumur, petite ville de l'Anjou. Loin, très loin de tout, et vivant toujours aux côtés de ses parents. C'est le noeud de l'histoire: Félix, le père d'Eugénie, mène ses affaires seul et, tonnelier, laisse croire à sa femme qu'il n'a que peu d'argent. Un mensonge éhonté qui cache en réalité sa cupidité et son avarice. En un mot: le bonhomme prive même sa fille d'un possible bonheur conjugal, car il n'a aucune intention de payer une quelconque dot ! L'atout numéro 1 du film ? La comédienne Joséphine Japy dans le rôle ingrat de la demoiselle brimée - je vous laisserai voir à quel point. Certains critiques ont estimé que le scénario prenait trop de libertés vis-à-vis de la source balzacienne. Il est vrai que son féminisme assumé n'est pas toujours éloigné d'une forme d'anachronisme. Bon...

J'ai envie de vous dire que tout cela permet aux actrices (et acteurs) d'exprimer leur talent dans toutes ses nuances. Une mention spéciale pour Olivier Gourmet, qui compose avec grande justesse le monstre d'égoïsme et de duplicité qu'est son personnage. Certes, l'acteur belge n'est plus une révélation pour moi, mais bigre: ici, il est immense ! Tout le casting est admirable, en fait, et j'attirerai votre attention sur Valérie Bonetton: elle qui a tourné de nombreuses comédies franchouillardes dévoile cette fois une grande force de conviction dramatique, en incarnant la mère. Ma foi, je l'ai trouvée parfaite ! Eugénie Grandet est vraiment un très beau film, avec des images superbes, bien sûr, mais aussi un soin particulier accordé aux sons. Résultat: je n'ai vu aucun défaut (ou en tout cas rien de rédhibitoire). Malgré l'intérêt que je peux porter aux lauréats, je suis même surpris que les César 2022 soient passés totalement à côté de cet opus. Côté box-office, avec 202.421 entrées en salles, c'est plutôt faible aussi. Peut-être le long-métrage a-t-il été mal promu. Je n'ai pas de recul...

Eugénie Grandet
Film franco-belge de Marc Dugain (2021)

Ironie du sort: le film est sorti un petit mois avant le beau succès public et critique d'Illusions perdues, une autre adaptation de Balzac. Sans doute est-il moins flamboyant, mais cette sobriété m'a plu ! J'entreprends donc une très modeste entreprise de réhabilitation cinématographique, ainsi que je l'avais fait pour Madame Bovary revisitée par Sophie Barthes (2014). Et je poursuis mon exploration...

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D'autres avis pourraient vous intéresser ?

Très bien ! J'en ai trouvé trois, à (re)lire chez Pascale, Dasola et Lui.

mercredi 6 septembre 2023

Seize !

Mille et une bobines a 16 ans... oui, et alors ? J'ai longtemps hésité avant de marquer le coup. Je me réjouis de cette longévité numérique, mais je n'en tire aucune fierté particulière, le principe étant toujours de partager plutôt que garder mon plaisir pour moi. Qu'écrire ce mercredi, dans ces conditions ? Une p'tite "rétro" ? Bof...

J'ai tout de même regardé en arrière et me suis souvenu des films annoncés comme mes préférés chacune de ces dernières années. J'attendrai encore un peu pour réévaluer mes amours de jeunesse ! Cela dit, voici, à nouveau, la liste complète des millésimes écoulés...

2022 - L'ombre d'un mensonge / Bouli Lanners
2021 - Sous les étoiles de Paris / Claus Drexel
2020 - 1917 / Sam Mendes
2019 - Une affaire de famille / Hirokazu Kore-eda
2018 - Burning / Lee Chang-dong
2017 - The lost city of Z / James Gray
2016 - Midnight special / Jeff Nichols
2015 - Mustang / Deniz Gamze Ergüven
2014 - Le conte de la princesse Kaguya / Isao Takahata
2013 - Michael Kohlhaas / Arnaud des Pallières
2012 - Le grand soir / Benoît Delépine et Gustave Kervern
2011 - The tree of life / Terrence Malick
2010 - Des hommes et des dieux / Xavier Beauvois
2009 - L'étrange histoire de Benjamin Button / David Fincher
2008 - Into the wild / Sean Penn

Non, il n'en manque pas ! N'ayant pas listé l'entièreté de mes films découverts en 2007, l'idée d'un top m'apparaissait encore incongrue. Celle du blog, en revanche, perdure et je prolongerai donc l'aventure dès samedi - et avec une toute nouvelle chronique de film, cette fois. Merci à mes lectrices et lecteurs que j'ai rencontrés... et aux autres !

Merci aussi à celles et ceux qui écrivent sur le cinéma, en parlent ici ou "chez eux" et contribuent ainsi à alimenter une flamme commune. Par ordre d'apparition à mon écran: Elle et Lui, Pascale, Dasola, Princécranoir, Ideyvonne, Strum, Eeguab, Vincent et Benjamin. D'autres comme Laurent et Sentinelle ont arrêté, mais il m'arrive d'encore lire leurs écrits, restés en ligne. Et je vous les recommande !

lundi 4 septembre 2023

Un certain mystère

Je ne sais plus ce qui a créé le déclic pour m'intéresser à Animalia. Que le film soit le premier d'une femme franco-marocaine a dû jouer. Et l'impression qu'il est moins "vendeur" que d'autres ? Aussi, oui. Bref... je l'ai découvert en salles le 15 août et je ne le regrette pas. J'oserai vous dire que l'on ne peut pas voir un tel film tous les jours...

Jeune femme d'origine modeste, Itto est mariée au fils d'une famille riche et attend un enfant. Le couple devrait bientôt pouvoir s'installer dans sa propre maison, mais vit encore chez les parents d'Amine. Réservée, Itto n'attire qu'assez peu la sympathie de sa belle-mère. Elle saisit donc une occasion de rester seule une journée entière quand Amine et ses parents vont rendre une visite à des amis. Problème: un phénomène inexplicable nécessite alors une intervention de l'armée et, de facto, Itto se retrouve aussitôt coupée de tous ! Après dix minutes de projection, la tension monte déjà d'un cran. Inquiète, la future maman décide de partir rejoindre son conjoint. Animalia nous invite alors à essayer de comprendre ce qui se passe en suivant ses pas et, donc, à travers son regard. Le film insiste régulièrement sur la présence d'animaux - chiens, oiseaux, fourmis - au comportement étrange, comme pour prévenir de quelque chose. J'ajoute qu'il est plutôt ésotérique et ne donne que peu de réponses...

Autant dire que, pour l'apprécier, il faut aussi accepter de se perdre au coeur d'un Maroc mystérieux, avec très peu de repères tangibles. Direction le sud du pays et les montagnes du Haut Atlas ! Ce territoire m'étant inconnu, je crois m'y être égaré d'autant plus facilement. J'insiste: Animalia ne donne pas de réponses précises aux questions qu'il soulève. Il fait appel à notre imagination et à notre ressenti. Comme divers autres films avant lui, il laissera ainsi chacun(e) interpréter les choses à sa manière, selon sa propre sensibilité. J'aime autant ne pas vous livrer mes propres pistes et conclusions. Franchement, c'est cette relative originalité qui pousse ma notation vers le haut: il existe plein de longs-métrages bien plus "accessibles". J'ai su après ma séance que celui-là reprenait les motifs d'un court. D'aucuns diront qu'il est un peu trop étiré: ce n'est pas mon avis. Pouvoir encore sortir de ma zone de confort cinéma, c'est chouette. Je suis heureux de l'avoir fait devant des images du nord du continent africain - à la beauté envoûtante. Cela m'a aussi permis de voyager...

Animalia
Film franco-marocain de Sofia Alaoui (2023)

Né en 1990 d'une mère française et d'un père marocain, la réalisatrice porte en elle plusieurs cultures, d'autant qu'elle a aussi vécu en Chine. Son film a reçu un Prix spécial du jury au Festival de Sundance 2023. Ses mystères m'ont tout d'abord rappelé ceux de Signes (de loin). Quelque chose ici pourrait également venir s'inscrire dans le sillage d'un Tree of life - mais avec sa personnalité propre. Artiste à suivre !

samedi 2 septembre 2023

Se méfier... ou pas

Allez ! Je vous propose de terminer la semaine et commencer le mois avec un film hollywoodien: le Soupçons d'Alfred Hitchcock. L'histoire enseigne qu'il s'agit du quatrième opus du maître du suspense tourné aux États-Unis, entrés en guerre peu de temps après son lancement. Hitch' retrouve la première de ses égéries US: la belle Joan Fontaine !

L'actrice - visible au cinéma de 1935 à 1966 - reçut son unique Oscar pour ce rôle. Lina McLaidlaw est une jeune femme de la bonne société britannique, fille d'un général respecté. C'est lors d'un voyage en train qu'elle fait la connaissance d'un certain Johnnie Aysgarth, un homme volubile, à la réputation floue et dont on lui suggère de se méfier. Seulement voilà... malgré les convenances, Lina tombe amoureuse. L'occasion, croit-elle, de faire voler en éclat les codes sociaux rigides des siens, qui préféraient la savoir "vieille fille" que "mal mariée". J'imagine que vous l'aurez compris: Soupçons interroge sur le choix de Lina d'épouser un homme qui, au départ, déplaisait à son père. C'est à vous de voir si les réponses aux questions sont dans le film. Pour ma part, j'ai apprécié cette énigme... et retrouvé un Cary Grant convaincant pour porter l'ambiguïté du premier personnage masculin. Sans être flamboyante, la mise en scène, elle, m'a paru très habile pour instiller le doute et le faire grandir. Et, même si elle fut orientée par la production, la fin ne vient pas totalement dissiper le mystère...

Soupçons
Film américain d'Alfred Hitchcock (1941)

Après une quinzaine de découvertes, il faudra bien que je me penche sur les films anglais de Hitch' (en me frottant à sa période muette). En attendant, j'ai pris plaisir à voir ce long-métrage, dans la lignée historique de Rebecca - mais néanmoins assez différent, à mes yeux. Proche dans le temps et le style, je recommande L'ombre d'un doute. Et continue d'admirer Psychose, sommet atteint vingt ans plus tard...

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Il reste des traces du film sur la grande toile...

Attention aux spoilers: ils volent relativement bas, en cette saison. Ideyvonne le cite rapidement, tandis que Lui livre son avis critique. Benjamin, pour sa part, nous offre même une petite analyse filmique.

mercredi 30 août 2023

Créatures féroces

J'emprunte à un film le titre de cette chronique (cf. index général) pour vous proposer d'en découvrir non pas un, mais deux autres aujourd'hui - deux popcorn movies avec un animal dangereux dedans ! Une bonne façon d'explorer le cinéma de genre, même si ces opus n'apportent rien de très original à ma connaissance du septième art...

The pool
Film thaïlandais de Bing Lumpraloeng (2018)

Jusqu'à présent, mon rapport avec le cinéma de ce lointain pays d'Asie reste très limité. Deux autres longs-métrages de cette nationalité figurent simplement sur ma liste: des films d'auteur, assez "pointus". Cette fois, je me suis retrouvé devant un vrai film d'exploitation. Problème: il aurait tout aussi bien pu être produit aux États-Unis. L'histoire ? Day, un jeune type qui bosse dans la pub, a pour mission de veiller au nettoyage d'une piscine utilisée au cours d'un tournage. Resté seul au bord de l'eau et fatigué, il s'octroie d'abord une sieste sur un matelas gonflable. Oui, mais... quand il se réveille, le niveau du bassin est plus faible et, bientôt au fond, il ne peut plus en sortir. Tout se compliquera encore avec l'apparition soudaine d'un crocodile ! Résultat: un récit tout à fait rocambolesque, avec quelques apartés fleur bleue portés par un personnage féminin exagérément sensible. Autant voir Enzo le croco et son histoire certes naïve, mais sympa...


Les dents de la mer, 2e partie
Film américain de Jeannot Swarc (1978)

Avec ce film, me voilà dans des eaux que je connais bien mieux. Franchement, je ne l'avais pas prévu ! J'imagine qu'un algorithme malicieux aura bien analysé mes intérêts geek pour ensuite venir poser sous mon nez une chronique relativement modérée sur ce bout de cinéma. Jusqu'alors, j'avais souvent vu cette suite du classique spielbergien - présent sur ce blog - présentée sous un mauvais jour. Je me suis donc dit: allez, pourquoi ne pas m'y frotter quand même ? J'ai donc retrouvé le regretté Roy Scheider dans la peau du shérif d'Amity, petite station balnéaire à nouveau confrontée à une attaque de requin. Je vous passe les détails: ils sont peu surprenants. Inutile également que je parle de la production (compliquée) de cet opus malaimé: je n'ai nullement l'intention de lui chercher des excuses. Honnêtement, le premier se suffit à lui-même, mais cet épisode 2 reste un divertissement honorable. Et mis en scène par un Frenchie. Avec en prime la musique de John Williams, on s'y retrouve, en fait. Et les volets 3 et 4 de la saga ? Eux, je n'ai pas prévu de les regarder !

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Une mini-conclusion, maintenant...

J'ai failli enchaîner avec le Piranhas d'Alexandre Aja, sorti en 2010. Finalement, je ne trouve pas indispensable de le voir rapidement. J'imagine un tout autre film pour commencer le mois de septembre. Mais on peut bien reparler de sales bêtes en section commentaires...

lundi 28 août 2023

Les cabossés

J'ai tenu à compter: au total, j'ai vu une bonne trentaine des films avec Benoît Poelvoorde. Bon... j'ai désormais un autre acteur belge préféré, mais le natif de Namur fait partie de ceux qui me font dire que nos voisins francophones ont "un truc en plus". Mon admiration demeure pour son double talent, comique ET dramatique. Respect(s) !

Je ne peux pas vous affirmer que je serais allé voir Sur la branche sans Benoît Poelvoorde au générique. Il me faut confier cependant que j'y ai d'abord croisé une actrice belgo-grecque: Daphné Patakia. Placée au centre du récit, elle interprète Mimi, une trentenaire fragile parce qu'assez isolée et tout juste sortie d'un hôpital psychiatrique. Cette héroïne très improbable ne se rend pas au stage d'insertion professionnelle que sa thérapeute a trouvé pour elle: elle entend voler de ses propres ailes et postule pour devenir l'assistante d'une avocate en mal d'argent (incarnée, elle, par la toujours juste Agnès Jaoui). C'est dans ces circonstances qu'elle rencontrera bientôt un juriste encore plus paumé et un drôle de type placé en détention provisoire. Je vous passe les détails: tous les personnages sont un peu cabossés. Évidemment, c'est justement cette fragilité qui les rend touchants. Annoncé comme une comédie, le film s'avère un rien plus complexe...

Aux amoureux des acteurs, je signale au passage la courte présence de Raphaël Quenard - celui que le landerneau du cinéma français semble s'arracher depuis l'an passé (il a joué dans douze films !). Maintenant, mon verdict: Sur la branche m'a légèrement déçu. J'attendais davantage de fantaisie dans le récit, mais mon impression générale reste mitigée, malgré la découverte de beaux personnages. Un point franchement positif: j'ai senti une liberté dans l'écriture. "J’aime ces films qui fabriquent de la comédie avec la petite cruauté de la vie et des autres, qui magnifient des personnages aux destins pâles, tout ça dans un écrin hyper simple mais finalement théâtral, car irréel", a souligné la réalisatrice-coscénariste dans une interview. Certain(e)s d'entre vous trouveront sans aucun doute son film réussi. J'ai bien aimé sa conclusion, qui me semble en fait porteuse d'espoirs pour celles et ceux qui se sentent abîmés sans trop savoir pourquoi. D'où ma note moins sévère que mes mots, afin de vous donner envie de vous faire votre propre opinion. C'est la bonne attitude à adopter !

Sur la branche
Film franco-belge de Marie Garel-Weiss (2023)

Trois étoiles pour le film et un petit bonus lumineux pour la troupe. Car, oui, l'ensemble a pour lui une certaine originalité: un bon point. J'en espérais peut-être trop et par exemple un ton à la Salvadori comme j'ai aimé autrefois (Cible émouvante, Dans la cour, etc.). J'imagine qu'en visant moins haut, on passera un moment agréable. Comme dans les sillages d'Eldorado, Mobile home ou En roue libre...

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Serais-je passé à côté de quelque chose ?

Hum... j'ai l'impression en tout cas que Pascale a mieux aimé le film.

samedi 26 août 2023

Doubles visages

Corbucci, Leone et... Sollima: né avant les deux autres, mais lancé dans sa carrière de réalisateur un peu après eux, le troisième Sergio du western italien n'a pas nécessairement acquis la même notoriété. C'est toutefois en confiance - et sur la foi de critiques élogieuses - que j'ai regardé Le dernier face à face. Et c'était un choix judicieux !
 
La Nouvelle-Angleterre est une région du nord-est des États-Unis. Grande comme un tiers de la France métropolitaine, elle a Boston pour ville principale - NB: c'est aussi la capitale du Massachusetts. Quand le film commence, Brett Fletcher, un professeur d'université respecté, quitte son poste pour partir soigner sa maladie respiratoire au Texas, sous des températures supposément plus favorables. Problème: au Sud, les moeurs de la population sont bien différentes. Fletcher s'en apercevra vite quand il délivrera une leçon d'humanisme à un shérif des environs, avant d'être... pris en otage par le bandit que ce dernier rudoyait. Désormais, attention: Le dernier face à face du titre n'est pas forcément celui que vous avez pu vous imaginer. Rapidement, victime et bourreau se moquent de leurs différences supposées, au point même de fraterniser. La suite vaut le détour ! Vraiment, il serait dommage de limiter cet opus au côté "spaghetti"...

Souvent lié à des producteurs espagnols, les trois cinéastes italiens que j'évoquais en tout début de chronique ont su revisiter un genre des plus codifiés et livrer de l'Ouest leur propre vision, plus mordante. Inutile d'attendre que les personnages soient des modèles de vertu ! Dans Le dernier face à face comme dans plusieurs autres westerns nés en Europe, les considérations morales sont de fait mises de côté. Les rôles peuvent alors s'inverser: le bon devient une brute et la brute fait le chemin inverse, sans renier pour autant ses valeurs de truand. Tout cela exige peut-être de ne réserver le film qu'à un public averti. Pour autant, je trouve le propos intéressant et propice aux débats. "La violence individuelle, c'est un crime. La violence de masse, c’est l’Histoire", juge un personnage, comme pour justifier son attitude ambigüe, à rebours de l'héroïsme classique des cow-boys américains. Évidemment, à l'époque de la sortie du film, ce type de discours devait en décoiffer plus d'un - alors même qu'il fait sens de nos jours. Je vous laisse y réfléchir tout en savourant la B.O. d'Ennio Morricone !

Le dernier face à face
Film hispano-italien de Sergio Sollima (1967)

Un beau voyage avec deux des grandes têtes d'affiche de ce cinéma transalpin: les charismatiques Tomás Milián et Gian Maria Volontè. Vous avez aimé le premier ? Il régale dans Colorado (sorti en 1966). Le second, lui, était le bad guy de Et pour quelques dollars de plus. El mercenario et Le grand silence pourraient vous plaire également. Ainsi que Mon nom est personne, à la fois hommage et conclusion...

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Deux choses à savoir encore...
Aïe ! Le film circule parfois sous un titre Il était une fois en Arizona. Jadis charcuté lors du montage, il a récemment retrouvé un format plus complet (1h50 environ) et jugé proche des intentions de Sollima. 

Une autre chronique ?
Oui: j'en ai repéré une, encore récente, du côté de "L'oeil sur l'écran".

Et enfin, pour marquer le coup...
Salutations à l'ami Vincent, grand défenseur des westerns européens !

jeudi 24 août 2023

En guerre

Les deux dernières semaines du mois de juillet ont été les plus fastes en ventes pour les cinémas en France depuis le début de l'année 2023. C'est le 1er août que je suis allé voir Oppenheimer, l'un des films capables, d'après certains commentateurs, de fédérer un large public. Avec 2,1 millions d'entrées sur la période, il a connu de bons débuts...

J'admets que je me méfiais un peu à l'idée de passer trois heures enfermé devant un film de Christopher Nolan. Il est certes indéniable que le cinéaste américain a du talent, mais je trouve son travail beaucoup trop pompeux, parfois, pour me convaincre pleinement. Bon... en l'espèce, je peux admettre que le sujet l'imposait (presque). Il me semble en effet particulièrement difficile d'être sur la retenue pour dresser le portrait de Robert Oppenheimer, physicien de génie que les historiens présentent comme le "père de la bombe atomique". Avis aux éventuels connaisseurs: c'est dans Russians, une chanson engagée de Sting, que j'ai entendu son nom pour la première fois. Une bonne trentaine d'années plus tard, c'est avec un plaisir sincère que j'ai appris énormément de choses sur cet éminent scientifique. Sans suivre strictement le fil chronologique, le scénario nous rappelle qu'il fut d'abord choisi pour fabriquer une arme surpuissante capable de prendre de vitesse les ingénieurs nazis. Après la défaite du Reich allemand, c'est le Japon qui fut finalement ciblé, les 6 et 9 août 1945.

Hiroshima et Nagasaki: aujourd'hui, le nom des deux villes martyres reste gravé dans les mémoires comme le symbole de ce que la guerre a de pire. Je ne suis pas cependant convaincu que l'objectif du film soit d'affirmer un propos pacifiste. Reste que je suis resté atterré devant le destin d'un homme missionné pour mettre ses compétences au service de son pays, engagé dans une bataille bien plus "coûteuse" que prévu... et qui sera ensuite cloué au pilori, sitôt la paix revenue. En cela et malgré son manichéisme, Oppenheimer est un grand film politique. Sa distribution est impeccable de talent: Cillian Murphy brille dans le rôle-titre et, quand c'est nécessaire, il est bien secondé par de très bons partenaires - je cite Robert Downey Jr., Emily Blunt et Matt Damon, mais il y en a (beaucoup) d'autres plutôt intéressants. Grâce à ce casting, les dialogues sont riches et exigent une attention soutenue, a fortiori si, comme je l'ai fait, vous avez opté pour la VO. Sur le plan visuel, je retiens également quelques scènes remarquables d'intensité. Elles ont bien entendu été taillées pour les écrans géants !

Oppenheimer
Film américain de Christopher Nolan (2023)

Septième film du cinéaste sur le blog et peut-être... mon préféré. D'aucuns s'emballent déjà et prévoient une moisson d'Oscars en fin d'hiver prochain - les films de Nolan en ont déjà obtenu onze ! Maintenant, je vous rappelle que la bombe atomique est un sujet fort que le cinéma japonais a aussi abordé (cf. entre autres Pluie noire). Et, avec Lumières d'été, un aparté français reste tout à fait possible.

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Une petite précision...
Certains critiques ont cru bon de souligner que le film restait muet sur la souffrance du peuple japonais. Ce n'est pas son sujet, dirais-je. Il se montre aussi évasif quant aux conséquences de la phase de tests sur la population riveraine des sites concernés (au Nouveau-Mexique).

D'autres avis sur le film ?
Je vous en soumets trois: ceux de Pascale, Princécranoir et Benjamin.

mardi 22 août 2023

Hors-service

Nous sommes dans un futur (proche ?). Jake et Kyra sont les parents adoptifs de Mika, une fillette d'origine chinoise. Le fonctionnement de la famille repose aussi sur Yang, un robot si parfaitement dessiné qu'il passerait aisément pour un véritable être de chair et de sang. Jusqu'au jour où, soudainement, il tombe en panne et ne parle plus...

Je vois peu de films de science-fiction, mais After Yang m'a paru intéressant pour son casting, avec notamment Colin Farrell en tête d'affiche. J'ignorais tout du réalisateur, un Américain né à Séoul connu principalement pour les nombreux essais vidéo qu'il a consacrés à d'autres cinéastes (Kubrick, Ozu, Hitchcock, Bergman, Godard...). Assez singulier, son travail fait appel à notre capacité d'imagination. Aucune date précise, ni aucun lieu déterminé ne nous permet d'établir que son film se déroule dans tel ou tel contexte. Tiré d'une nouvelle d'Alexander Weinstein (sans lien connu avec Harvey), le scénario pose d'excellentes questions sur l'éducation et notre - relative - dépendance à la technologie. Or, vous n'aurez droit qu'à des réponses partielles ! Et pour cela, il vous faudra à la fois réfléchir et accepter le rythme langoureux d'un long-métrage où il ne se passe que peu de choses ! Pour ma part, c'est passé - de justesse. Une fois n'est pas coutume...

After Yang
Film américain de Kogonoda (2021)

Avis aux curieux: le vrai nom du réalisateur est E. Joong-eun Park. Cela précisé, je vous garantis que les histoires de robots continueront de susciter ma vive curiosité, si ce n'est mon adhésion systématique. Blade runner reste l'exemple parfait du trouble que les androïdes peuvent causer - théorisé en son temps par l'écrivain Isaac Asimov. Pour ma part, je vous renvoie allégrement vers I'm your man (2022) !

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Il me reste un avis à vous proposer...
Vous noterez alors que Pascale n'est guère plus enthousiaste que moi.

lundi 21 août 2023

Skyblog, Google et moi

Je ne l'ai jamais utilisée, mais je me souviens bien de la messagerie instantanée CaraMail. Les outils dont je me sers pour communiquer sur Internet sont assez peu nombreux. J'imagine toutefois le désarroi possible de la communauté Skyblog - sans en avoir jamais fait partie. Le service prend fin aujourd'hui. Cela vous dit quelque chose, à vous ?

Skyblog, c'est le nom que la radio Skyrock avait donné à sa plateforme de blogging, lancée en 2002. Un temps, elle était parvenue à entrer dans le top 20 des sites Internet les plus visités dans le monde ! Aujourd'hui, ses créateurs jugent nécessaire de la mettre hors-ligne pour garantir leur conformité avec la législation sur les données personnelles. Ils ont laissé deux mois à leurs dizaines de milliers d'utilisateurs pour sauvegarder ce qui ne pourra plus être consulté qu'aux Archives nationales, dans un format préalablement anonymisé.

Tout cela me conduit à m'interroger sur la réelle pérennité du contenu que je produis et diffuse en ligne. À vrai dire, ma relative conscience de sa fragilité m'incite à en conserver une copie, mais je me dis aussi que ce serait insuffisant si mon cher ordi décidait de me planter. Après bientôt 3.000 chroniques, un crash serait difficile à encaisser. C'est la raison pour laquelle je reste à l'écoute de vos conseils avisés sur ces problématiques techniques (que je néglige bien trop souvent). L'idéal ? Une solution simple et pas trop chronophage. Grands mercis !

samedi 19 août 2023

Un coeur simple

Ah, le grand cinéma classique italien ! Je suis tout à fait convaincu d'avoir encore quelques-unes de ses plus belles facettes à découvrir. C'est avec bonheur qu'en juillet, j'ai enfin vu Les nuits de Cabiria ! Federico Fellini derrière la caméra filme son épouse Giulietta Masina dans le rôle principal: en soi, ce pas de deux est déjà une promesse...

Contrairement à ce que j'ai longtemps cru, Cabiria n'est pas un lieu ! C'est un personnage: celui de cette jeune prostituée indépendante installée dans un faubourg de Rome, qui se berce d'illusions sur la vie et les hommes. Sa très modeste situation la laisse croire au bonheur conjugal. Or, au début du film, l'un de ses amants lui vole son argent et manque même de la tuer. Et pourtant, même après cet épisode scabreux, elle relève la tête et continue de s'accrocher à ses idéaux. Cèdera-t-elle à d'autres chimères ? Je vais vous laisser le découvrir. L'incroyable génie du tandem Fellini / Masina est de nous embarquer avec l'héroïne et de ne jamais la présenter comme une personne naïve. Déterminée et même pleine d'aplomb, elle mène sa barque comme une femme libre, mais paye le prix d'une condition sociale qui, de fait, l'expose à de grandes difficultés, voire à des dangers. Subtil, ce beau récit le démontre, sans moralisme ou misérabilisme...

Ce cinéma-là est, à mes yeux, tout à fait incarné - presque palpable. C'est-à-dire que, pour moi, il s'inscrit assez clairement dans un cadre territorial donné et à une époque déterminée: l'Italie pauvre de la fin des années 50, donc. Je laisse volontiers à d'autres le soin d'apporter quelques précisions et/ou informations sur ce sujet, quitte à aller jusqu'à me donner tort, mais je trouve que Les nuits de Cabiria prolonge encore (un peu) l'inspiration néoréaliste du cinéma transalpin d'après-guerre, résolument affranchie de la chape de plomb fasciste. J'ai lu - et déjà en partie pu vérifier - que Fellini s'orienterait ensuite vers un style plus onirique, lâchant la bride à ses formidables facultés d'imagination. Il me semble que la fin de ce film présenté aujourd'hui amorce le virage: j'ai en effet l'impression qu'elle peut être analysée comme les premières minutes qui suivent un sommeil ou... le retour d'un rêve apaisant. Et, pour tout dire, je n'ai pas envie de trancher ! D'autres films italiens me permettront sûrement d'affiner mon propos. C'est "seulement" la quatrième fois que j'en défends un cette année...

Les nuits de Cabiria
Film italien de Federico Fellini (1957)

Comparaison n'est pas raison, mais j'insiste: le cinéma italien d'alors regorge de trésors anciens qu'il serait tout à fait désolant de négliger. Avec le divin maestro Fellini, s'inscrire dans une simple démarche chronologique vous conduira vers La strada d'abord et La dolce vita ensuite (non sans intercaler la merveille du jour, qui le mérite bien). Mon index "Cinéma du monde" regroupe bien sûr d'autres références !

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Des liens intéressants sur le Net ?

Il y en a beaucoup ! Je veux avant tout citer Eeguab et le remercier de nous avoir rappelé que le personnage de Cabiria apparaissait déjà dans Le cheik blanc. Pour un regard critique, voir "L'oeil sur l'écran" !

jeudi 17 août 2023

Le sens du devoir

Je parlais récemment avec une amie des premières heures du Festival de Cannes et de ce qu'il devait être en 1939: une réponse de la France républicaine à la Mostra de Venise, alors promue par les fascistes. Cela pourrait valoir une chronique, mais aujourd'hui, je vais revenir sur un film, découvert juste après cet échange: Deux sous d'espoir...

Ce long-métrage italien est sorti du lot au Festival de Cannes 1952. Impossible d'obtenir la Palme d'or: ce trophée n'existait pas encore. Comme à l'épatant Othello d'Orson Welles, c'est donc un Grand Prix qui lui a été décerné. Et il me semble que cela dit quelque chose d'important au sujet de l'époque ! Le film raconte en effet l'histoire d'un jeune de Cusano, un petit village situé à proximité de Naples. Dès le début, un carton remercie d'ailleurs les habitants de la région. Le sujet ? Revenu du service militaire, Antonio veut entrer dans la vie active afin de subvenir à ses besoins, ainsi qu'à ceux de sa mère. Volubile, cette dernière a d'ailleurs tôt fait de lui rappeler son devoir fraternel: son vieux père n'étant plus de ce monde, le brave garçon devra aussi travailler pour alimenter la dot de mariage de ses soeurs !

Autre point: Carmela, une jeune voisine, est folle amoureuse de lui. C'est tout à fait concret: on peut ainsi dire qu'elle lui "court après". Pour rire comme pour pleurer, elle sera la vraie étincelle du scénario. Deux sous d'espoir est d'une justesse rare. Il s'inscrit dans la veine néoréaliste du cinéma alors en vogue en Italie et s'intéresse à la vie ordinaire des gens, la représentant telle qu'elle est, en extérieur. D'après moi, ce n'est pas un hasard si les rares personnages négatifs de ce long-métrage se trouvent presque toujours derrière des portes closes. Autre fait très remarquable: l'humour du film et sa tendresse pour ses personnages - ce qui fait son sel et lui donne son souffle. J'oserai parler de modernité, au moins dans la gestion du rythme. Parfois, après que les dialogues se sont emballés, c'est par l'image seule que la réalisation nous donnera la mesure du temps qui passe. Un plaisir, ce mélange de bouffonnerie et de sensibilité ! C'est à voir !

Deux sous d'espoir
Film italien de Renato Castellani (1952)

Les historiens du cinéma disent que le réalisateur a puisé des idées scénaristiques dans des anecdotes vécues et racontées par son acteur principal, Vincenzo Musolino (1930-1969). Un gage d'authenticité ! Grâce à son autre regard sur la ruralité italienne, I Basilischi (1963) mérite le détour, même si, c'est vrai, je l'ai un peu moins apprécié. Je préfère le rire "de couple" comme Le veuf ou Divorce à l'italienne.

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Pour finir, une précision...

Il ne faut pas confondre Renato Castellani et... Enzo G. Castellari. Personnellement, je n'ai pas encore vu de film du second nommé. Avec un western en point de mire, j'écouterai volontiers vos conseils !

... et aussi des salutations !
Elles iront cette fois à l'ami Eeguab, mon maître ès-cinéma d'Italie. Mention aussi pour ce cher Vincent: lui aussi peut me servir de guide.