lundi 29 février 2016

Une jeune égarée

Samedi, je vous avais promis de revenir aujourd'hui avec un film allemand. Ce n'était pas tout à fait juste: le premier long-métrage que je souhaite évoquer cette semaine est germano-australien ! Après, une chose est sûre: il se passe bel et bien en Allemagne. Soyons précis: Lore a pour décor le Reich vaincu, au printemps 1945.

Est-ce parce qu'elle s'est convertie au judaïsme que la réalisatrice australienne Cate Shortland s'est intéressée à cette très sombre page de l'histoire européenne ? Je ne le sais pas et ne peux donc l'affirmer. Je suis toutefois en mesure de témoigner de ce que j'ai vu: un film dont l'intrigue tourne autour des cinq enfants d'un dignitaire nazi, abandonnés par leurs parents aussitôt après le suicide d'Adolf Hitler. Lore est le titre du long-métrage et le prénom de l'aînée de la fratrie. Si ce début de scénario m'a attiré, c'est que je me suis toujours senti proche des Allemands que j'ai connus et que je me demande souvent comment un peuple peut se reconstruire avec la culpabilité de crimes aussi abominables. Problème: ici, on tourne autour de la question sans jamais vraiment l'aborder et on nous montre tout autre chose...

C'est un peu dur exprimé ainsi, mais je le pense en ces termes: Lore ne tient pas vraiment ses promesses. L'adolescente qui joue le rôle principal s'en tire bien, comme d'ailleurs les autres jeunes acteurs. Pour moi, ce qui est déplorable, c'est que l'intrigue s'intéresse surtout aux premiers émois ambigus que cette femme encore toute jeune ressent quand sa route croise celle d'un garçon présenté comme juif. Franchement, parfois, ça m'a mis mal à l'aise: j'ai jugé peu crédible qu'une gamine élevée par un Nazi puisse ressentir une attraction quelconque pour un porteur d'étoile jaune. Il m'a par ailleurs semblé que le film était "encombré" de plans peu inspirés - personnages filmés au ralenti, échappées improbables sur les espaces naturels parcourus par le petit groupe, caméra tenue à l'envers pour faire joli. Tout ça a fini par entraver mon émotion. J'ai cru qu'elle revenait légèrement à la fin, mais c'est resté faiblard. J'en suis assez frustré !

Lore
Film germano-australien de Cate Shortland (2012)

Trois étoiles: une pour les jeunes acteurs, une autre pour l'idée générale du scénario et une troisième pour l'ouverture d'esprit constatée chez cette cinéaste australienne - que je ne connaissais pas jusqu'alors. Maintenant, si vous tenez absolument à voir un film consacré à l'après-Hitler en Allemagne, je conseille plutôt Phoenix. Autre piste très intéressante à mes yeux: Le labyrinthe du silence.

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Mon avis n'est pas forcément partagé...

Pascale avait donné une note honorable au film (sans en dire plus). Quant à Sentinelle, vous pourrez voir qu'elle en parle plutôt en bien.

samedi 27 février 2016

Mes préférences

Jouons franc jeu: j'aurais certes bien aimé vous proposer aujourd'hui un compte-rendu de la soirée d'hier et donner mon avis sur les César attribués. Oui mais voilà... cette envie m'est passée, finalement ! Pour compenser, j'ai songé que vous pourriez aussi être intéressés par ce qui aurait été mon choix parmi les nombreuses têtes d'affiche. C'est l'occasion aussi de revisiter quelques films de l'année écoulée...

En meilleure actrice, j'aurais retenu Sandrine Kiberlain, dans Floride. Le film n'est pas parfait, mais j'ai été assez bluffé par la manière dont la comédienne tient tête à l'ami Jean Rochefort. Le vieux cabot laisse de la place à sa partenaire pour s'exprimer, mais encore faut-il savoir saisir l'opportunité, sans trembler devant le monstre sacré. Sandrine Kiberlain y parvient très bien, sans esbroufe inutile. Le fait est que je l'apprécie de plus en plus, surtout que j'ai bien l'impression qu'elle montre plus régulièrement certaines facettes de son talent. Aurait-elle pris plus de confiance en elle-même ? Ce serait bien. J'espère en tout cas qu'elle est loin... d'avoir fini de nous surprendre.

Mon meilleur acteur ? Reda Kateb. Je n'attends pas forcément de lui qu'il me surprenne, mais je suis preneur de nouvelles propositions artistiques. Je veux répéter combien le noir et blanc de L'astragale sublime son talent et son atypique beauté. Un paradoxe: j'aime beaucoup ce comédien, mais j'ai raté nombre de ses apparitions cinéma récentes. Je le prends positivement: tôt ou tard, ça donnera lieu à autant de séances de rattrapage et de plaisirs rétroactifs. Heureusement pour vous, Reda Kateb ne m'attend pas: IMDb indique que deux de ses films sont actuellement en phase de post-production. Wim Wenders en a réalisé un: de quoi fortement titiller ma curiosité !

En 2015, il m'a plu de retrouver Agnès Jaoui dans Comme un avion. Elle a ma préférence parmi les seconds rôles féminins. Dans le film réalisé par Bruno Podalydès, elle est l'impeccable Laetitia, une femme indépendante et sensible à la fois, qui assume un corps tout en ronds. Sans doute a-t-elle changé physiquement après toutes ces années dans le cinéma français, mais son expressivité est restée la même, discrète, mais brillante aussi. La cinquantaine atteinte, Agnès Jaoui est apparue quatre fois sur grand écran entre 2013 et 2015 - soit une de plus que sur la période 2008-2014. Ce léger crescendo me laisse caresser l'espoir de la revoir plus souvent à l'avenir. Je vais y veiller.

Chez les hommes, en pensant aux seconds rôles, je  me suis souvenu de ma rencontre avec Michel Fau. Parcourir sa filmographie complète me rappelle alors que ce n'était pas la première, même si le comédien est d'abord homme de théâtre. Dans Marguerite, c'est le panache flamboyant des habitués de la scène qui fait de lui l'interprète crédible d'un maître de chant, capable de cacher à sa cliente, Catherine Frot, qu'elle a une voix de crécelle (cf. Wikipédia, Florence Foster Jenkins). Sur le papier, je m'attendais à un grand film, mais je l'ai trouvé décevant. Raison de plus pour apprécier la redécouverte Michel Fau ! Pour l'heure, on l'attend dans un film adapté de la comtesse de Ségur.

J'en viens maintenant à mon meilleur espoir féminin, dont j'ignorais tout il y encore quelques mois. Ce n'est pas illogique: Georgia Scalliet est surtout connue en sa qualité de pensionnaire de la Comédie française et n'a fait ses premiers pas au cinéma que l'année dernière. L'odeur de la mandarine est un film qui m'a plu et dont elle est l'âme forte, aux côtés d'un Olivier Gourmet qui la traite visiblement d'égale à égal. Le scénario, lui, était un peu bancal, mais la jolie "théâtreuse" aura presque suffi à mon bonheur, surtout devant un arrière-plan historique qui me passionne: l'immédiate après-Première guerre mondiale. Georgia Scalliet va avoir 30 ans: j'aimerais bien la revoir...

Pour boucler ce petit palmarès personnel, j'ai choisi Thomas Salvador comme meilleur espoir masculin. Le jeune quadra nous a offert l'an dernier un premier long fort réjouissant: Vincent n'a pas d'écailles. Gentille petite pierre dans le jardin de ceux qui jugent que le cinéma français n'invente rien, ce film de superhéros sans effets spéciaux surprend par son originalité burlesque. Sur un ton minimaliste, il ose ce pari un peu fou de croire que le spectateur n'a pas toujours besoin d'en prendre plein la vue pour daigner admettre... l'impossible. J'apprécierais que l'audace de Vincent Salvador fasse des émules. Secouer le cocotier de la routine artistique, c'est assez bien vu, non ? 
   
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Et maintenant, les choix de l'Académie...
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Meilleur film: Fatima / Philippe Faucon
- Meilleure actrice: Catherine Frot / Marguerite
- Meilleur acteur: Vincent Lindon / La loi du marché
- Second rôle féminin: Sidse Babett Knudsen / L'hermine
- Second rôle masculin: Benoît Magimel / La tête haute
- Espoir féminin: Zita Hanrot / Fatima
- Espoir masculin: Rob Paradot / La tête haute

Le constat s'impose: à part Marguerite, tous les films que j'ai cités sont bredouilles - seuls Agnès Jaoui et Michel Fau étaient en lice. Mon coup de coeur: les quatre César obtenus par Mustang - dont ceux du meilleur film et du meilleur scénario original. Je les crois mérités.


Pour conclure, j'aime autant vous prévenir...
La crainte d'un état de fatigue nuisible à mon activité professionnelle m'a fait renoncer aussi à mon habituel bilan des Oscars - la cérémonie se déroule dans la nuit de demain dimanche à lundi, heure française. En début de semaine prochaine, j'évoquerai donc... un film allemand !

jeudi 25 février 2016

En voie d'extinction

Certains fuient les films d'auteur comme la peste. Moi, il faudrait quand même que je me méfie de certains blockbusters. Avec l'espoir d'un bon divertissement, je suis allé voir La 5ème vague, sur la foi naïve des images très spectaculaires vues dans la bande-annonce. Sans dire que j'ai perdu mon temps, je dois admettre ma déception...

C'est vrai aussi que le point de départ du scénario est assez basique. Notre bonne vieille Terre est une fois encore attaquée par une force extraterrestre inconnue. Ce que je trouvais prometteur, c'est l'idée d'assauts successifs et variés. Un, depuis leur vaisseau, nos ennemis venus de l'espace coupent l'ensemble des réseaux électriques terrestres. Deux, toujours à distance, ils déclenchent des séismes ultra-puissants, en général suivis de tsunamis. Trois, ils se servent des oiseaux pour répandre un bon gros virus, aussi fatal qu'incurable. Quatre et cinq... bon, ça suffit comme ça, allez donc voir le film ! Vous apprendrez au moins pourquoi il s'appelle donc La 5ème vague...

L'une des spécificités du film, c'est que son héroïne est adolescente. Vérification faite, l'actrice, Chloë Grace Moretz, n'a que 18 ans. Bon. Maintenant, ce qui m'a déplu, là-dedans, c'est surtout le côté sirupeux de l'aventure de cette gamine, qui s'est fixée pour objectif premier de... retrouver son p'tit frère, perdu au beau milieu du chaos. Parallèlement, c'est vrai, le film montre d'autres gamins, engagés pas-vraiment-volontaires dans l'armée et prétendus ultimes espoirs de l'humanité. Mouais. Un rebondissement plus tard, La 5ème vague m'a paru si simpliste que je suis désormais convaincu de ne pas faire partie de son public-cible. Tout ça manque vraiment de noirceur. Pourtant, il me semble qu'il y avait de la matière pour interroger intelligemment la façon dont l'homme se défend des agressions extérieures - là, ce n'est pas compliqué: c'est avec des armes lourdes. Un très et trop court instant, j'ai aussi rêvé que le film nous place également face à une contradiction: "L'homme défend un espace vital qu'il est aussi le premier à dévaster". Mais non... d'où ma déception.

La 5ème vague
Film américain de Jonathan Blakeson (2016)

Bon... puisque vous êtes encore là, je peux vous dire ce que j'ignorais quelques heures à peine avant d'entrer dans la salle: le long-métrage adapte une série de bouquins et ne devrait donc être que le volet inaugural d'une trilogie. Ceux qui en savent plus long que moi ajoutent qu'on se rapproche de Hunger Games ou de Divergente. Deux étoiles et demie, c'est au bénéfice du petit doute sur la suite...

mercredi 24 février 2016

Madame Shaughnessy

Mon index des réalisateurs devrait suffire à le prouver: David Lean est bel et bien l'un des réalisateurs-phares de ma cinéphilie ancienne. Aujourd'hui, on dirait qu'il est pour moi bankable: son seul nom suffit à m'attirer vers un film. Sa diffusion sur l'une de mes chaînes Internet m'a ainsi permis de voir (enfin !) La fille de Ryan, son avant-dernier.

Avis aux amateurs de fresques "très grand format": cette production MGM dure trois heures - et six minutes ! Avec la complicité d'amis américains, le cinéaste anglais nous conduit en Irlande, il y a de cela pile un siècle. Nous nous trouvons dans un petit village isolé au bord de la mer, à l'abri des ravages de la Première guerre mondiale. Incontournable pourtant, le conflit conserve une importance majeure dans le récit: presque considéré comme un occupant, le commandant de la garnison anglaise installée à proximité du hameau revient juste du front. Mais au départ, La fille de Ryan nous parle essentiellement du personnage éponyme, une jeune femme en âge de se marier. Bientôt, c'est précisément ce que Rose fera, en épousant un homme plus âgé qu'elle et qui exerce sur elle de la fascination: l'instituteur. Vous vous doutez bien que les choses n'en resteront pas là ! Je refuse toutefois d'en dire plus à celles et ceux qui n'auraient pas vu le film...

Les compétences artistiques de David Lean ne sont plus à prouver. Encore une fois, le maître nous offre un tableau tout à fait soigné pour magnifier son scénario, lui, tout à fait classique. Je parlerais volontiers de cinéma "vieille école", sans que ce soit péjoratif. Incontestablement, ces plans appellent le grand écran: ils sont superbes. L'univers est si familier qu'avec la musique, on retrouve l'habituel complice du maître photographe: le Français Maurice Jarre. C'est l'ensemble des techniciens de La fille de Ryan qu'il faudrait récompenser: sur la forme, le long-métrage me semble irréprochable. Quid des artistes ? Les acteurs sont bons: Sarah Miles s'en sort honorablement avec un rôle ambivalent, mais mon vrai coup de coeur ira à Robert Mitchum, tout de grandeur d'âme face aux destins contraires. Plutôt que de citer Christopher Jones, qui joue mollement - et avec un dialogue très limité ! - l'officier anglais, je préfère retenir Trevor Howard, le curé, et John Mills, le simplet. Ils ajoutent tous deux de l'émotion à ce long récit qui, parfois, en manque un peu.

La fille de Ryan
Film britannique de David Lean (1970)

Si vous m'avez lu jusqu'ici, bravo ! Vous méritez que je vous dise aussi que le film s'inspire de Madame Bovary, de Gustave Flaubert. Attention: il est diffèrent, tant dans le déroulé que par la conclusion. Je vous avoue ici que j'ai préféré d'autres David Lean: les films hollywoodiens que sont Le docteur Jivago et Lawrence d'Arabie. J'espère bien vous parler aussi un jour de ses oeuvres de jeunesse...

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Si vous voulez en savoir plus...
Vous lirez "L'oeil sur l'écran" et/ou "Mon cinéma, jour après jour".

mardi 23 février 2016

Conte de fées

Quel âge a-t-il désormais ? 52 ans. Échaudé par une série de critiques toutes plus mauvaises les unes que les autres, je me suis tenu complètement à l'écart des rôles récents de Nicolas Cage. Je garde toutefois quelques bons souvenirs, au point de ne pas laisser passer l'occasion d'apprécier ses vieux films. Exemple ce jour: Sailor & Lula.

Maintenant, la question est de savoir si le succès du film, Palme d'or cannoise de 1990, est celui de Nicolas Cage ou celui de David Lynch derrière la caméra. Les deux, peut-être - je laisse d'éventuels experts donner leur avis en commentaires, merci d'avance. Il me semble possible de dire que Sailor & Lula propose une intrigue ordinaire. Sailor aime Lula, Lula aime Sailor en retour et nos deux tourtereaux pourraient s'en contenter si la mère de la miss admettait la situation. Las ! C'est tout le contraire qui se produit: l'irascible Marietta désapprouve totalement les choix sentimentaux de sa fifille, au point tout de même de vouloir trucider son boyfriend ! Vont s'ensuivre inévitablement mille et une péripéties, assez pour douter d'une fin heureuse à toute cette histoire. Enfin, ça dépend pour qui, bien sûr...

Sur une trame très basique, donc, Sailor & Lula offre un spectacle étrange, pour ne pas dire barré. Je ne crois pas que ce soit un film susceptible de faire l'unanimité - même s'il a donc convaincu un jury d'artistes présidé par Bernardo Bertolucci, il y aura bientôt 26 ans. Vous aurez donc remarqué que ses acteurs n'ont pas eu de Prix d'interprétation. Rien à leur reprocher: Laura Dern est mignonne comme tout et joue parfaitement les fausses ingénues, Nicolas Cage interprétant avec classe un irrésistible loulou en manteau de serpent. Le neveu de Francis Ford Coppola fait même mieux: il nous embarque en chantant (brillamment) deux standards d'Elvis Presley soi-même ! Parmi les personnages secondaires, j'ai trouvé sympa de retrouver Isabella Rossellini, Harry Dean Stanton et Willem Dafoe. Le mélange étonne et détonne: oui, c'est du cinéma original, soyez-en assurés. Maintenant, est-ce que ça vous plaira ? Ça, c'est à vous de le (sa)voir.

Sailor & Lula
Film américain de David Lynch (1990)

Vous pensez avoir reconnu la fée sur ma deuxième photo ? Normal. Plusieurs fois, le film cite un immense classique: Le magicien d'Oz ! J'en viendrais même à parler de relecture moderne, pour un peu. Objectivement, la narration est bien moins linéaire: si vous aimez que le cinéma parte en vrille, vous devriez y trouver votre compte. Parfois, un peu égaré, je me suis cru revenu devant Inherent vice...

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D'autres avis vous attendent sur le Net...

Vous pourrez en lire un, en nuances, du côté de "L'oeil sur l'écran". Pascale, elle, n'en dit pas long, mais aurait aussi donné la Palme d'or.

lundi 22 février 2016

Un usurpateur ?

J'étais encore un enfant quand Le retour de Martin Guerre est sorti au cinéma. Je ne sais pas pourquoi, mais le nom de ce drôle d'homonyme m'était resté en tête et j'ai eu envie de voir le film. Aujourd'hui, s'il fallait refaire la bande-annonce, je crois qu'on dirait qu'il s'inspire de faits réels. Et quelle histoire romanesque, en vérité !

Martin Guerre est un jeune Pyrénéen, né en 1524 ou dans une année voisine. Tandis qu'il est encore adolescent, sa famille le fait épouser une jeune fille plus fortunée que lui, Bertrande des Rols. Les mariés demeurent longtemps sans enfant, ce qui, semble-t-il, était contraire aux usages de leur temps - le film montre qu'ils s'attirent la moquerie. Quand, enfin, un bébé arrive, Martin est accusé de vol: il chosit alors... de disparaître ! Huit ans plus tard, c'est un homme vigoureux qui revient au village, après avoir, selon ses dires, fait la guerre. Parents, amis et épouse, tous croient le reconnaitre et l'accueillent avec bienveillance. Ne connaît-il pas par coeur les plus petits détails de son ancienne vie ? N'a-t-il pas aussi mille choses à raconter ? Quelques années heureuses passent avant que le poison du doute s'installe au coeur de la communauté. Le retour de Martin Guerre n'est-il qu'illusion ? Tromperie ? Je vais vous laisser découvrir la suite.

Un "détail" technique: il semble que deux versions de ce même film soient en circulation. Celle dont je parle dure une heure 47 minutes. J'ai cru voir qu'il en existait une autre, d'un peu plus de deux heures. Bref... j'ai aimé ce que j'ai vu et c'est tout ce qui compte. Je laisse volontiers de côté les frasques de l'homme Gérard Depardieu: l'acteur continue de me plaire beaucoup et, ici, compose un personnage frustre et délicat à la fois, pour l'un de ses très beaux rôles. Le reste de la distribution joue avec finesse une jolie partition: il me semble plutôt difficile de ne pas être touché par Nathalie Baye, notamment. Cela dit, Le retour de Martin Guerre demeure assurément un modèle de scénario, c'est-à-dire une oeuvre qui vaut avant tout pour l'histoire qu'elle raconte. Je l'affirme en précisant que j'ai pris un pur plaisir devant le grand soin apporté à la reconstitution. Je vous recommande de ne pas chercher à connaître le fin mot de l'énigme trop à l'avance.

Le retour de Martin Guerre
Film français de Daniel Vigne (1982)

Sur le plan historique, il me paraît intéressant de noter également que cette histoire se noue au début de la Renaissance, bien qu'ayant quelques relents moyenâgeux. Autre époque encore: la description faite ici d'un certain monde paysan m'a rappelé Le cheval d'orgueil ou Tess (dans d'autres genres). Ceux qui préférent les remakes privilégieront Sommersby, avec un duo Jodie Foster / Richard Gere.

vendredi 19 février 2016

Les vérités de Vecchiali

Paul Vecchiali, suite et "fin". Pour clôturer (déjà) cette semaine blog consacrée au cinéaste, il est temps de vous expliquer que l'occasion de voir consécutivement deux de ses films est venue d'une initiative de mon association. Mieux qu'une mini-rétrospective, nous avons pu accueillir le réalisateur et, pendant trois soirées, échanger avec lui sur son travail. Un vrai privilège quand on se souvient qu'il a 85 ans...

Paul Vecchiali a tourné quatre (!) films l'année dernière et nous a dit que deux d'entre eux devraient être visibles avant 2017. Il a débuté comme réalisateur à l'aube des sixties, soit six ans après être sorti diplômé... de l'école Polytechnique. À l'instar de François Truffaut notamment, il a été critique aux Cahiers du cinéma - entre autres. Cinéphile avisé, il est aussi connu comme auteur d'un ouvrage-phare sur les cinéastes français (et inspirés par la France) des années 30. Publiée fin 2010, cette Encinéclopédie est le fruit d'une dizaine d'années de travail collectif, en deux tomes de 738 et 880 pages. L'idée même d'être autre chose qu'exhaustif lui paraissait incongrue ! Derrière la caméra, Paul Vecchiali n'a pas été moins gourmand: il a tourné une trentaine de longs-métrages pour le cinéma, une vingtaine pour la télé et un bon paquet de courts. Sans oublier qu'il est auteur de romans et metteur en scène de théâtre, si l'occasion se présente...

Pour ne pas faire trop long, et parler surtout de ce que j'ai entendu lors de la rencontre avec mon association, je vais rester sur les films que j'ai découverts. À propos de L'étrangleur, Paul Vecchiali explique d'abord qu'il a écrit son scénario en mode automatique, en revenant de longues promenades dans la nuit parisienne. Il s'amuse d'ailleurs d'une anecdote: "Bien des années plus tard, quand il est enfin passé sur Canal+, j'ai appris que j'avais fait le premier film de serial killer français, ainsi que le premier film gore". Un qualificatif discutable...

Paul Vecchiali souligne avoir écrit le rôle principal de L'étrangleur pour Jacques Perrin. Il l'avait découvert dans un plus vieux film italien, signé Valerio Zurlini. Après de longs mois, c'est Éva Simonet qui aurait convaincu son frère. Laurent Terzieff et Claude Rich avaient été envisagés, ainsi que Terence Stamp, une proposition émise par Paul-Loup Sulitzer, éphémère producteur du projet de film.

De l'aveu du réalisateur, L'étrangleur est "fait de faux raccords". C'est tout sauf une erreur: Paul Vecchiali souhaitait "mettre un doute constant dans cette aventure. Ce n'est pas mon cas, mais on peut aller jusqu'à se demander si l'enfant du début n'a pas tout rêvé". Subtil, le réalisateur installe une dialectique entre le vrai et le faux. "Le film est maîtrisé, photogramme par photogramme", assure-t-il.

À ce stade de mes explications, je n'ai pas encore parlé du Chacal. Personnage secondaire de L'étrangleur, il détrousse les femmes assassinées et suscite la colère du tueur. Au cours du débat qui a suivi la projection, un spectateur a dit y voir une métaphore de ceux qui, sans se mouiller, dans l'ombre, profitent du travail des autres. Paul Vecchiali souhaitait en tout cas opposer deux visions de la nuit.

Le cinéaste avait une anecdote amusante à propos d'une des actrices qu'il apprécie tout particulièrement: Nicole Courcel. Très heureux visiblement d'avoir pu tourner L'étrangleur avec elle, il raconte tout de ses inquiétudes quand la comédienne lui a dit ne pas pouvoir jouer une scène, faute de pouvoir d'abord partir du pied droit. Une boutade plus loin, elle aura finalement et complètement répondu aux attentes.

Sous les faux airs de films d'auteur, Paul Vecchiali se dit persuadé qu'il réalise du cinéma populaire. L'étrangleur n'aurait fonctionné qu'après avoir quitté les salles d'art et d'essai. La manière dont il fut exploité initialement était mauvaise: "En une journée, il faisait 8, 7 ou 12 entrées. Quand on m'a dit 95, c'était en francs... la recette quotidienne". Son retour en grâce tardif surprend encore le cinéaste.

J'en viens maintenant à ses diverses explications sur Corps à coeur. Avant la projection, c'est d'abord de ses comédiens, Hélène Surgère et Nicolas Silberg, que Paul Vecchiali a parlé. "Je n'aurais pas pu faire le film sans eux". Le tournage a eu lieu par petits bouts, au rythme de l'argent disponible et pendant neuf mois en tout. "C'est une oeuvre capitale dans ma vie et, peut-être plus encore, dans ma carrière. J'aurais sans doute arrêté si je n'avais pas pu la réaliser". Il a fallu quelques instants au cinéaste pour nous en reparler après la séance...

Même si leurs relations se sont réchauffées ensuite, Paul Vecchiali assure qu'Hélène Surgère et Nicolas Silberg n'avaient pas sympathisé lors du tournage. Corps à coeur, deux rôles de pure composition ! Sachant cela, on ne peut qu'admirer un peu plus l'engagement total des comédiens dans la peau de leurs personnages. L'un et l'autre osent se mettre à nu... à tous les sens du mot. Solides performances.

L'homme derrière la caméra insiste: "L'opposition des comédiens allait encore plus loin que celle de leurs personnages". Il décrit alors des comportements inverses sur le plateau, Nicolas Silberg courant partout et capable d'improviser des dialogues, Hélène Surgère adossée aux murs, presque endormie. À l'image, l'un se vide soudain de ses émotions, quand l'autre les accepte enfin. Bref, ça fonctionne. 

Paul Vecchiali travaille avec une famille artistique, des techniciens fidèles et des comédiens qui ne le sont pas moins. Il nous a parlé longuement de Corps à coeur, mais n'a pas pu le revoir avec nous, noué qu'il était par l'émotion devant tant d'amis disparus. "Il n'y a pratiquement que Nicolas Silberg qui soit encore vivant". Le cinéaste aurait tourné huit fois avec l'acteur. Et avec Hélène Surgère, treize...

Au départ, Corps à coeur est conçu comme la rencontre d'une "femme qui entend bien préserver son territoire sexuel et d'un homme qui sait ce qu'il veut". L'auteur rejette le terme de mélodrame, qu'il réserve aux films dont les personnages subissent l'action. Il y a effectivement une détermination en Jeanne-Michèle et Pierre, la tragédie naissant du fait qu'elle n'est pas toujours partagée. Une idée de l'amour fou...

Paul Vecchiali n'impose aucune réponse claire. Pour expliquer les choix comportementaux de son personnage féminin, il évoque la différence d'âge avec l'homme qu'elle aime, une peur de ne pas être à la hauteur et la maladie comme justifications possibles à ses renoncements. Volontairement flou sur ce point, le cinéaste a souhaité caractériser ses personnages secondaires - le "choeur antique" de Corps à coeur.

Parce que nous devions libérer la salle pour la projection programmée d'un autre film, il nous a fallu terminer le débat avec Paul Vecchiali. Le cinéaste est toutefois resté bavarder avec quelques personnes dans l'entrée du cinéma, puis au restaurant - j'étais alors reparti. Avant de nous quitter, il a spontanément exposé sa vision du public. "On ne fait pas un film pour soi, mais pour les spectateurs. On peut aussi faire un film pour quelqu'un, comme un cadeau, un bouquin qu'on offre. Le public... c'est un terme inventé par les distributeurs. Ça n'existe pas ! Y penser conduit à se crasher... à s'émasculer ! Chacun de vous existe, en revanche, et j'essaye de vous respecter". Serez-vous surpris si j'indique que ces propos ont été très applaudis ? Ils s'inscrivent comme un temps fort de mon début d'année cinéphile.

mercredi 17 février 2016

Amoureux fou

Paul Vecchiali, suite. Comme annoncé lundi, je souhaite présenter aujourd'hui un autre film du cinéaste: Corps à coeur. J'y ai plongé sans le moindre repère préalable autre que le nom du réalisateur. J'avais envie de me laisser surprendre et je me suis laissé émouvoir. Ce qui confirmera, au moins, que le cinéma "à l'aveuglette" a du bon.

Pierre (Nicolas Silberg) travaille dans un garage parisien. Apprécié tant de son patron que de ses collègues, il mène une vie heureuse portée par une certaine insouciance. Un beau jour, alors qu'il est allé écouter de la musique classique dans une église, il tombe en extase devant une spectatrice plus âgée que lui et visiblement d'un milieu social plus élevé: Jeanne-Michèle (Hélène Surgère). Dès lors, le coeur du mécano ne battra plus que pour l'inconnue, une pharmacienne. Corps à coeur raconte bien l'histoire d'un coup de foudre, sans espoir de réciprocité. Le film dit toutefois que toute chose peut changer. Comment le fait-il ? J'espère que vous pourrez le voir pour le savoir. Dans une bouleversante suite d'événements, Jeanne-Michèle et Pierre nous embarquent à leurs côtés: on rit, on rêve qu'ils conservent chacun leur indépendance ou au contraire qu'ils s'attachent, on pleure aussi, parfois, devant leurs doutes et les difficultés qu'ils rencontrent.

L'une des grandes forces du film, au-delà de celle de ces sentiments qu'il expose, c'est de parvenir également à laisser une place importante au cadre et aux personnages secondaires. Le Paris populaire est ici filmé avec respect et générosité: on a l'impression parfois de connaître ces gens, d'être venu boire un café avec la mère de Pierre ou d'avoir déjà entendu les histoires des vieux du quartier. Quand, à deux reprises, la caméra prend le large, nous conduisant vers la Normandie d'abord, dans le Midi ensuite, on se sent ému qu'elle nous raccompagne aussi, une dernière fois, sur le gris trottoir de la capitale. Deux boutiques et trois rues, c'est tout un univers. Dans ses derniers instants, Corps à coeur nous parle d'un monde voué à l'effacement progressif, jusqu'à la disparition. La mélancolie frappe à la porte et il semble bien impossible de ne pas lui ouvrir. Jeanne-Michèle et Pierre paraissent loin, alors, mais on les retrouve pour une ultime explication. Et quelle explication ! Je n'ai pas vu beaucoup d'autres films qui sachent aussi bien parler de l'amour fou...

Corps à coeur
Film français de Paul Vecchiali (1979)

Difficile de trouver un autre long-métrage comparable à celui-là ! Puisque Paul Vecchiali était l'ami de Jacques Demy, pour l'intensité des sentiments, j'oserais peut-être Les parapluies de Cherbourg. C'est très discutable, cependant, puisque la construction du film reste vraiment différente: aucune guerre, ici, ne vient séparer les amants. Sur l'amour impossible, j'avais aussi aimé Mademoiselle Chambon...

lundi 15 février 2016

Un rêve, des crimes

Sachez-le d'entrée de jeu: je pense que toute cette semaine, le blog sera consacré au cinéma de Paul Vecchiali. Vous comprendrez mieux vendredi, mais, d'ici là, j'ai deux films à vous présenter. Le premier s'appelle L'étrangleur et débute pendant la seconde guerre mondiale. Un enfant fugueur s'enfonce dans la nuit et est témoin d'un meurtre...

Une vingtaine d'années passe et, au même endroit, plusieurs femmes sont assassinées, par strangulation. Sur les lieux des crimes, la police retrouve systématiquement une écharpe blanche, tricotée au crochet. L'un des enquêteurs, Simon Dancrey, cherche alors à se faire passer pour un journaliste et, à la télévision, lance un appel au tueur. Parallèlement, on découvre que ce dernier s'appelle Émile et qu'il est peut-être bien l'enfant vu avant le générique. Anna, une jeune femme célibataire, s'est également mise sur sa piste, sans raison évidente. Hitchcockien et onirique à la fois, L'étrangleur est un drôle de film dans le Paris des années 70. Quelques faux semblants et images trompeuses égarent le spectateur, témoin de la plupart des meurtres et de leurs suites - l'acte lui-même restant toujours hors-champ. Derrière la façade d'un polar ordinaire se cache ici une chronique rêveuse d'une ville la nuit, où la réalité n'est pas toujours perceptible.

Pour interpréter les personnages principaux, j'ai été ravi de pouvoir m'appuyer sur deux visages connus: ceux des très bons Jacques Perrin et Julien Guiomar (ils avaient 29 et 42 ans). Les motivations du flic et du voyou restent longtemps mystérieuses et, en s'éclairant, peuvent paraître concordantes: le chasseur semble avoir une forme d'estime pour sa proie, tandis que cette dernière s'est persuadée qu'elle faisait preuve d'empathie en ne tuant que des femmes seules et tristes. Le casting féminin ne m'a pas permis de retrouver d'anciennes connaissances, mais j'ai découvert avec joie un aréopage d'actrices talentueuses, dont Éva Simonet, la soeur de Jacques Perrin. Même s'il y a un fin mot de l'histoire, L'étrangleur est un film étrange et assez fascinant, dont on sort avec des questions, même si on y est entré facilement. J'ai aimé sa "bizarrerie", renforcée par la musique de Roland Vincent, digne d'un manège détraqué. Mon bilan est positif.

L'étrangleur
Film français de Paul Vecchiali (1972)

Ami de Truffaut, Demy et Eustache, le réalisateur m'a ici rappelé l'ambiance imprécise d'un vieux Chabrol: Les fantômes du chapelier. Notons tout de même qu'il était là dix ans avant lui ! Il est surprenant de constater que, d'un pitch de film noir, son curieux long-métrage s'ouvre aussi à une forme d'humour et - effet miroir - à la mélancolie. C'est cette complexité qui, selon toute probabilité, a su m'intéresser.

samedi 13 février 2016

Au premier regard

De Patricia Highsmith, je connaissais jusqu'alors les romans policiers. Carol m'a invité à aller un peu plus loin: ce beau film adapte un livre sorti en 1952, Le prix du sel, deuxième oeuvre de l'auteure et signée sous un pseudonyme (Claire Morgan). L'histoire de la rencontre amoureuse de deux femmes, dans le New York d'un hiver des fifties...

Noël approche quand soudain, Therese Belivet, vendeuse de jouets dans un grand magasin, "découvre" Carole Aird, femme du monde venue acheter une poupée pour sa fille - et qui repartira finalement avec un train électrique. Très justes, les premières images de Carol ne parlent pas d'un coup de foudre: elles font état d'une fascination. Est-ce parce que ces deux femmes n'auraient jamais dû se rencontrer qu'elles vivront quelque chose d'aussi intense ? Le récit le suggère. Bien au-delà, il dit aussi ce qu'il faut de courage pour être à l'écoute de ses sentiments quand on est déjà engagé et quand la morale publique les réprouve. Patricia Highsmith elle-même avait, dit-on, connu un amour lesbien. S'est-elle inspirée de son vécu ? Peut-être. En tout cas, rien ne m'aura heurté dans la manière d'aborder le sujet. 

J'ai cru comprendre toutefois que Todd Haynes, le réalisateur, s'était permis de prendre quelques petites libertés avec le texte originel. Homosexuel lui aussi, il a en réalité composé un film d'une beauté incroyable: outre la reconstitution d'époque, il est quasi-impossible d'oublier la photo parmi les aspects les plus réussis du long-métrage. D'aucuns jugeront d'ailleurs que tout est trop beau et que la passion censée s'emparer des deux héroïnes étouffe un peu sous ces images presque parfaites. Fort heureusement, les comédiennes, elles, livrent une prestation mémorable. De Cate Blanchett, j'attendais assurément une performance de ce niveau: l'Australienne est toujours impeccable pour dissimuler de la fragilité derrière son port altier. Ma révélation s'appelle Rooney Mara: la façon dont elle interprète Therese mérite sans aucun doute le Prix d'interprétation que Cannes lui a décerné l'année dernière. Malgré le titre, l'âme vibrante de Carol, c'est elle. Quelque chose me dit que, surtout à la fin du film, la détermination et la force de caractère qu'elle exprime pourraient bien vous étonner.

Carol
Film américain de Todd Haynes (2015)

Venir à bout des tabous: cela pourrait bien être l'une des raisons d'être de ce type de longs-métrages. Pour autant, je n'ai pas ressenti de volonté militante dans ce que le réalisateur a choisi d'exposer. Sans cacher la crudité et/ou la violence des situations, Todd Haynes signe une oeuvre digne et respectueuse de ses personnages, hommes compris. Un peu comme le faisait Le secret de Brokeback Mountain.

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D'autres regards sur le film ?

Vous en trouverez chez Pascale, Dasola, Tina, Strum et Alain Souché.

jeudi 11 février 2016

Coeurs et blessures

Le deuil rend-il con ? Ma question peut surprendre, mais elle se pose au début d'Et ta soeur, le nouveau long-métrage de Marion Vernoux. Pierrick a perdu son frère et, un soir où il a trop picolé, il dresse l'inventaire des défauts du défunt. Sa meilleure amie lui intime l'ordre de prendre sa vie en mains et... du recul dans la maison de son père.

En obéissant à Tessa, Pierrick rencontre donc Marie, sa demie-soeur. Elle aussi a forcé sur la boisson, pour essayer d'oublier une histoire d'amour homosexuelle et mal terminée. Mais alors que le garçon finit par cohabiter avec les deux filles, je vais vous laisser découvrir seuls les interactions du trio et ce qui les attend dans cette bicoque posée au milieu de l'océan (sur Ouessant, semble-t-il). Sans être le scénario du siècle, Et ta soeur fait entendre sa petite musique, contemporaine et plutôt agréable. Elle parle de la vie qui est la nôtre et de celle que, parfois, on préférerait avoir. Le tout est drôle, mais pas seulement. L'intime n'est pas tout à fait absent du portrait des trois trentenaires.

Il faut dire que le trio d'acteurs joue bien le coup. J'ai pu découvrir pour l'occasion le dénommé Grégoire Ludig, un comique d'abord passé par la case Internet et les blagues du Palmashow. Je l'ai trouvé juste à sa place dans le rôle du nounours mal léché, mais qui révèle finalement un coeur tendre insoupçonné. Les personnages féminins sont bons, eux aussi, les jolies Géraldine Nakache et Virginie Efira démontrant leur savoir-faire sans fausse note. Je dirais cependant que la brune n'a pas encore prouvé sa capacité à incarner autre chose que la mignonne de service, tandis que la blonde - un peu plus âgée - acquiert, doucement mais sûrement, une certaine maturité de jeu. Bilan personnel: Et ta soeur n'est pas un chef d'oeuvre, mais j'ai pris du plaisir à le regarder. Et pourtant, je n'avais pas anticipé sa sortie !

Et ta soeur
Film français de Marion Vernoux (2016)

Un garçon, deux filles, combien de possibilités ? À vous de voir. Présentée ainsi, l'histoire paraîtrait salace, mais il n'en est rien. Sincèrement, le film dont j'ai parlé aujourd'hui est tendre, avant tout. Libre à vous de préférer les triangles amoureux vus dans Jules et Jim ou Les valseuses, mais le cinéma, ça n'est pas que des classiques ! Maintenant, si vous préférez le drame, il y a toujours Trois coeurs...

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Une anecdote insolite...

Il existe de très nombreux remakes américains de films européens. Dans le sens inverse, Et ta soeur est en fait une adaptation française de Ma meilleure amie, ma soeur et moi  (Lynn Shelton - juin 2012).

Peu d'autres avis sur le film, on dirait...

J'en ai quand même trouvé un petit, assez frais, chez Alain Souché.

mercredi 10 février 2016

L'héritière

Avez-vous entendu parler de l'affaire du Palais de la Méditerranée ? De mon point de vue, c'est l'un des plus intéressants dossiers judiciaires français. Ouvert dès l'automne 1977, il n'était pas clos quand André Téchiné en a tiré un film: L'homme qu'on aimait trop. Nombreux sont ceux qui se sont passionnés pour cette folle histoire...

Je ne veux pas trop en révéler à celles et ceux qui en ignorent encore les contours - le tout est très facile à trouver sur Internet. J'indiquerai simplement qu'au départ, ces événements historiques ont concerné trois protagonistes: Renée Le Roux, la propriétaire d'un grand casino niçois, sa fille, Agnès, et son avocat, Me Maurice Agnelet. L'histoire repose d'abord sur un conflit mère-fille. Renée s'efforce de maintenir son établissement de jeu à flot, alors même qu'il suscite la convoitise d'un concurrent. Agnès, elle, voudrait toucher au plus vite la part d'héritage qui lui revient après la mort de son père et échapper alors à une vie déjà toute tracée. Entre les deux femmes, il y a donc également un homme, un juriste, qui commencera par veiller de près aux intérêts de la première, avant de devenir l'amant de la seconde. L'homme qu'on aimait trop est en somme le récit d'une trahison. C'est en réalité plus que cela, mais je vous laisse le découvrir seuls...

Moi qui connais bien le dossier, j'ai voulu voir le film pour une raison essentielle: la présence d'Adèle Haenel dans le rôle d'Agnès Le Roux. Une fois de plus, j'ai trouvé la comédienne tout à fait impeccable. Catherine Deneuve, elle, fait le job, quand Guillaume Canet s'en sort correctement pour camper le personnage le plus ambigu qui soit. Maintenant, ce que j'ai trouvé dommage avec L'homme qu'on aimait trop, c'est que le scénario ne s'écarte guère d'une ligne droite destinée à nous exposer les tenants et aboutissants d'une affaire pourtant déjà largement médiatisée. Il me semble qu'il y avait là matière à aller plus loin, notamment dans l'exploration de la relation toxique entre une jeune femme et le conseiller de sa mère. Je n'ai vu qu'au moment du générique final que les dialogues du film avaient été coécrits par Jean-Charles Le Roux, le fils de Renée et le frère cadet d'Agnès. Pas de quoi crier à la manipulation, mais je ne pense pas que ce soit tout à fait anodin, malgré tout. On peut regretter une fin en flashforward, assez convenue. Il aurait mieux valu couper plus tôt.

L'homme qu'on aimait trop
Film français d'André Téchiné (2014)

Avec ce cinéaste comme avec d'autres, j'aurais sûrement mieux fait d'éviter de commencer... par la fin. Nul doute que je trouverai d'autres occasions d'apprécier ce grand nom du cinéma français ! Cette fois, le film que je décrypte ne m'a pas paru décoller plus haut qu'un Possessions. Honnêtement, il est possible toutefois que tout ça vous "embarque" si vous ne connaissiez rien de l'histoire auparavant.

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Le titre du film vous étonne ?
Il reprend et détourne le titre d'un livre de Michel Henry, journaliste de Libération: Agnelet, l'homme que l'on aimait pas, sorti en 2008. Autour d'un énième rebondissement de l'affaire, un autre ouvrage vient de sortir, signé Pascale Robert-Diard (Le Monde): La déposition.

D'autres blogs font état du dossier...
J'appelle désormais à la barre les dames Pascale, Dasola et Sentinelle.

mardi 9 février 2016

Walt avant Harry

L'ami Clint Eastwood n'a pas quarante ans quand il rencontre et tourne pour la première fois sous la direction de son mentor, Don Siegel. Définitivement revenu d'Europe, il a conservé le Stetson qui l'a rendu célèbre pour s'offrir alors la tête d'affiche d'Un shérif à New York. L'occasion d'incarner un flic aux méthodes quelque peu particulières...

Au début du film, Walt Coogan traque un fugitif dans un désert d'Arizona. Un peu plus tard, son chef l'expédie dans la Grosse Pomme pour ramener un bad boy arrêté par la police locale et qui a également des comptes à rendre à l'autre bout du pays. Le brave justicier solitaire tombe alors, évidemment, sur des collègues très pointilleux quant au respect des règles d'extradition. Un shérif à New York joue beaucoup sur cette opposition classique entre partisans obsessionnels de l'ordre établi et franc-tireur bien déterminé à accomplir sa mission au plus vite. Clintounet est un habitué du genre - il l'a peut-être créé ! Si ça vous fatigue rien que de l'imaginer, autant passer votre chemin.

Pour ma part, j'éprouve encore du plaisir à suivre les pérégrinations de ce personnage taiseux, d'autant qu'ici, il lui arrive d'en baver. Même si les situations et dialogues sont un peu datés, j'ai trouvé amusante la place que le film accordait aux personnages féminins. Voir la psychologue de la police résister au bellâtre et constater ensuite combien l'intéressé peut se laisser embobiner par la girlfriend du méchant, ainsi que sa maman, c'était ma foi assez savoureux. Objectivement, ça ne vole pas toujours très haut, mais il y a aussi quelques belles scènes d'action pour relever la sauce - avec, en points d'orgue, une bagarre dans une salle de billard et une course-poursuite à moto. Un shérif à New York tient ses promesses, ni plus, ni moins. Cela aura suffi pour répondre à mes modestes attentes à son endroit.

Un shérif à New York
Film américain de Don Siegel (1968)

Je suppose que cette première collaboration Eastwood / Siegel reste moins connue que celle sortie trois ans plus tard: L'inspecteur Harry. Avant de revoir cet autre classique du polar à gros bras, je suis ravi d'avoir eu l'opportunité de découvrir un film encore inédit pour moi. Info-bonus: il inspira une série, sortie en France sous le même nom. NBC diffusa au total 46 épisodes, entre septembre 1970 et avril 1977.

lundi 8 février 2016

Des comptes à régler

D'abord, une petite leçon de japonais: les Nippons appellent chambara un genre artistique, de cinéma comme de théâtre, qui met en scène des combats au sabre. Le terme viendrait d'une onomatopée, censée reproduire le doux son de la chair tranchée par la lame. S'il vous reste assez de cran pour lire, j'aimerais vous présenter Lady Snowblood...

Au commencement était un manga: l'histoire d'une femme assoiffée de vengeance. Au début de l'ère Meiji, soit à peu près en l'année 1870 de notre calendrier chrétien, Sayo voit son mari et son fils assassinés sous ses yeux. Elle est ensuite violée. Quand elle retrouve finalement l'un des agresseurs, elle le tue, ce qui lui vaut d'être jetée en prison. C'est entre les barreaux qu'elle accouche d'une fille, Yuki, qui prendra sa relève pour éliminer - à l'arme blanche, bien sûr - les bourreaux rescapés. Vous l'aurez compris, bien sûr: Lady Snowblood, c'est elle. Âmes sensibles, s'abstenir: dans le neige du décor, elle n'hésitera pas une seconde à faire couler le sang. Dites, ça vous rappelle quelqu'un ?

Avant de répondre sur ce point, je crois utile de dire que je n'ai pas lu le manga. De ce fait, je ne peux donner mon avis que sur le film. Mouais... sorti il y a plus de quarante ans, il a plutôt mal vieilli. Disons en tout cas qu'en dehors de quelques scènes, en bord de mer notamment, son esthétique paraît franchement "toc", désormais. L'habitude prise de faire jaillir des geysers d'hémoglobine en combat singulier n'arrange rien. Cela dit, j'accepte l'idée que cela corresponde aux attentes du public japonais de l'époque. Que Lady Snowblood puisse être jugé comme un film-culte ne me choque absolument pas. Certains critiques soulignent que le long-métrage fait des parallèles évidents avec une réalité historique du Japon et des mouvements contestataires des années 60. Je note qu'il a connu une suite. Personnellement, je n'ai pas vraiment accroché, mais il est possible que vous y parveniez. Sauf si ce petit laïus vous a déjà découragés...

Lady Snowblood
Film japonais de Toshiya Fujita (1973)

Bon, alors ? Ça vous rappelle quelqu'un ou pas ? Je pose la question parce que ça devrait pouvoir faire tilt rapidement, pour peu toutefois que vous soyez un tantinet attentifs ! Bon... c'est Quentin Tarantino qu'il fallait répondre. L'Américain s'est inspiré de ce long-métrage nippon pour créer Beatrix Kiddo, l'héroïne vengeresse de Kill Bill. Demain, on passe à autre chose: j'ai encore une légende en attente...

samedi 6 février 2016

Aux armes, etc...

Personne d'autre que moi n'a décidé que j'irai voir Les 8 salopards malgré le scepticisme qui est le mien devant chaque nouveau projet de Quentin Tarantino. L'écran géant de la salle de cinéma a favorisé mon immersion dans ce second western consécutif de notre bon ami. Bref, d'un certain point de vue, je me suis sincèrement pris au jeu...

Pour résumer un film qui dure presque trois heures, il convient probablement d'être peu bavard. Ici, il est question d'une diligence lancée à toute vitesse sur une piste que le blizzard recouvrira bientôt. À bord, un dénommé John Ruth convoie une prisonnière, que la loi condamne à être pendue dans le prochain village: Daisy Domergue. Sitôt passé le générique, le pseudo-couple embarque un ex-soldat devenu chasseur de primes et, un peu plus loin, un prétendu shérif. Alors que la neige redouble d'intensité, l'attelage s'arrête finalement en chemin et, dans une mercerie désertée par ses propriétaires, attend que le temps s'améliore en compagnie d'autres desperados arrivés plus tôt dans la journée. Je me suis surpris à recompter plusieurs fois pour être sûr que Les 8 salopards était bien un titre justifié. J'ai eu tout mon temps, car QT, c'est certain, prend le sien. Une manière de faire monter la tension qu'il n'a certes pas inventée...

Dès lors, le monde se divise en deux catégories: ceux qui sont dingues de ce style particulier et ceux qui trouvent que ça commence à bien faire. Moi, désolé pour les fans, je prends le deuxième wagon. Pour être équitable, je reconnais bien volontiers à Quentin Tarantino ses talents d'écriture et de mise en scène: situations et répliques claquent comme des coups de fouet et, avant le feu des armes attendu comme un exutoire, les joutes verbales ont belle allure. L'ennui, tu vois, c'est que je ne marche pas tout à fait. Il reste toujours une réticence au fond de moi qui dit que tout ça est gratuit. Que le plaisir pris par le réalisateur n'est pas toujours un plaisir partagé. Je ne dis pas que Les 8 salopards est un mauvais film ! L'esbroufe qu'il déploie a un côté séduisant auquel je suis sensible. Simplement, au bout du compte, j'y vois du déjà-vu et je ressors assez frustré de cette poignée de dollars lâchée pour pareil résultat...

Les 8 salopards
Film américain de Quentin Tarantino (2015)

Je suppose qu'après tout ça, vous vous attendiez à une note inférieure. Malgré son titre français très plan-plan, le long-métrage est sans doute celui que j'ai le plus apprécié parmi les QT récents. Maintenant, je reste loin du plaisir pris devant un bon Sergio Leone (Il était une fois dans l'Ouest ou Le bon, la brute et le truand). Vous voulez de la neige ? D'accord: je recommande Le grand silence !

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Bon, un peu d'ouverture d'esprit, maintenant...

Je ne détiens pas la vérité absolue: c'est pourquoi, pour vous forger une opinion plus juste du film, je vous conseille de lire d'autres avis. Vous en dénicherez chez Pascale, Tina, 2flics, Princécranoir et Alain. Enfin, arrivé après les autres, mais avant le mien: le billet de Dasola