samedi 30 juin 2018

La flibuste revisitée

Roman Polanski est peut-être un sale type. Je ne souhaite pas revenir sur son comportement à l'égard des femmes et tâche donc de ne juger ses films que sur le plan cinématographique. Force est de constater que j'en aime beaucoup. Ce qui m'a donné confiance au moment d'aborder Pirates, que d'aucuns ont présenté comme un semi-échec...

Flashback: nous sommes de retour en 1986, le soir du jeudi 8 mai. Roman Polanski a l'honneur d'ouvrir le Festival de Cannes. Le cinéaste débarque donc sur la Croisette avec ce film à 40 millions de dollars. Aujourd'hui, on parlerait de blockbuster: il a fallu dix ans de patience au réalisateur franco-polonais pour voir enfin ce grand projet aboutir. J'avais souvent entendu parler de Pirates comme d'un long-métrage décevant, parce que mal ficelé et arrivé bien trop tard dans l'histoire du cinéma. Vérification faite, je trouve ce (double) jugement sévère et tiens à vous dire que je me suis bien amusé devant cette pochade. La première scène m'a paru tout à fait excellente: deux flibustiers dérivent sur un radeau, sous la menace directe d'un requin affamé. Privé de pitance, le capitaine Red, lui, mangerait bien son second. Heureusement, un galion arrive au loin, ce qui pourrait sauver la mise du pauvre Grenouille, de fait un peu jeune pour passer à la casserole. La suite ? Je vous laisse la découvrir. J'insiste: à mes yeux, le film tient la promesse de cette rocambolesque introduction. Ah, on rigole !

En fait, pour apprécier le spectacle, il vaut mieux ne pas le prendre trop au sérieux. Porté par un génial Walter Matthau, le personnage truculent du capitaine Red donne le ton: le film est un divertissement. Cela ne l'empêche pas de s'appuyer sur une troupe d'acteurs concernés et agréables à suivre dans leurs tribulations, qu'elles soient maritimes ou terrestres. La forme, elle aussi, est tout à fait soignée: les navires sont absolument crédibles et le décorum général d'une efficacité certaine. Bref, sans mauvais jeu de mot, Pirates a su m'embarquer. Une anecdote dit qu'il aurait pu être beaucoup plus long, le montage initial atteignant trois heures et demie (deux de plus qu'à ce jour). Lâché par les grands studios américains, Roman Polanski a alors fini par s'entendre avec un grand producteur tunisien, Tarak Ben Ammar. J'avoue ne pas avoir trouvé d'information particulière sur les retraits de Jack Nicholson, Isabelle Adjani et Timothy Dalton, tous trois cités comme interprètes possibles au moment des premiers tours de table. Leur absence ne nuit pas au film, qui mérite donc d'être reconsidéré !

Pirates
Film franco-tunisien de Roman Polanski (1986)

Un anachronisme ? Avant Gore Verbinski et son Pirates des Caraïbes en 2003, rares ont été les réalisateurs capables de revivifier le mythe éternel des frères de la côte. L'île aux pirates est correct, sans plus. Les Goonies ? OK, mais ce n'est quand même pas la même chose. Maintenant, si vous aimez le genre, vous trouverez plein de perles dans le passé: Capitaine Blood, Le corsaire rouge et bien d'autres...

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Oui, d'autres cinéphiles se sont laissé convaincre...
En bon défenseur des films de seconde zone, Laurent offre à Pirates l'un de ses meilleurs plaidoyers. Ideyvonne, quant à elle, fait l'éloge des techniciens "césarisés" du film: le chef décorateur Pierre Guffroy et le chef costumier Anthony Powell. Ma foi, c'est amplement mérité !

vendredi 29 juin 2018

Condamné à attendre

Une fois n'est pas coutume, je vais vous parler aujourd'hui d'un film que j'ai découvert en avant-première: Zama. Il sortira sur les écrans français le 11 juillet prochain. Mon association l'a diffusé en clôture d'un festival organisé, lui, par un groupe d'anthropologues spécialistes des Caraïbes et de l'Amérique latine - un partenaire depuis mai 2016 !

Sans vraiment nous donner de repères spatiaux et temporels, Zama nous embarque vers ce qui serait aujourd'hui une zone frontalière entre l'Argentine et l'Uruguay. Encore placé sous domination espagnole, le territoire est de ce fait administré par un gouverneur royal, assisté par divers fonctionnaires, représentant la Couronne. Diego de Zama est l'un d'eux. Voilà de très longues années qu'il attend une lettre qui le libérerait de ses obligations et lui permettrait donc d'enfin rentrer chez lui, en Europe. On comprendra alors assez vite que, dans cette fin de 18ème siècle reconstituée, l'organisation sociale repose avant tout sur la discipline et l'acceptation (forcée) d'une hiérarchie basée sur les privilèges d'une classe minoritaire. N'attendez aucune évolution: mon film du jour s'avère très statique...

Petite précision: ce long-métrage est aussi l'adaptation d'un classique de la littérature argentine, oeuvre du romancier Antonio Di Benedetto parue en 1956. D'une indéniable beauté plastique, il m'a un peu déçu pourtant, dans la mesure où il est parfois un peu abscons. Il se peut qu'une meilleure connaissance de l'Argentine et de l'Amérique latine en général permette toutefois de mieux l'appréhender - le riche débat qui a suivi la projection me laisse en tout cas l'imaginer. Je regrette d'être un peu passé à côté, mais c'est ainsi: rien de catastrophique. Diffusé dans pas mal de festivals, Zama reçoit un accueil chaleureux dans son pays, avec onze nominations aux Prix Sud, l'équivalent argentin des César (entre autres). Je souhaite que mon opinion mitigée ne vous décourage pas de le voir si le sujet vous intéresse. Difficile à appréhender, le film m'a quand même offert un voyage comme on n'en fait pas souvent. Y retournerai-je, alors ? Peut-être...

Zama
Film argentin de Lucrecia Martel (2017)

C'est le dixième long-métrage d'Argentine présenté sur ce blog. Parfois, il m'a rappelé Jauja, qui conduisait aussi en terra incognita. Vu qu'il est ici question d'attente (et de source littéraire), Le désert des Tartares m'est venu à l'esprit, mais je précise que je n'ai pas vu le film que Valerio Zurlini a tiré du roman éponyme de Dino Buzzati. Face à un fleuve, j'ai aussi songé à Dead man et... Apocalypse now !

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Avec nos amis anthropologues, j'ai vu...

- Voix off / Christian Jimenez / 2015 / Chili,
- Los nadie / Juan Sebastien Mesa / 2016 / Colombie,
- Siembra / Angela Osorio et Santiago Lozano / 2016 / Colombie.

mercredi 27 juin 2018

La bataille du rail

J'ai beaucoup hésité avant de me décider à regarder Pacific Express. Ce western avait été sélectionné pour le Festival de Cannes 1939. L'événement devait débuter en septembre, mais l'entrée en Pologne des troupes allemandes avait entraîné l'annulation des réjouissances. Ce n'est qu'en mai 2002 que le film fut, lui aussi, honoré d'une Palme !

Certain(e)s d'entre vous le savent sûrement: le western n'est pas né dans les années 30. Si j'en crois Wikipédia, sauf exception, les films du genre étaient alors des séries B, populaires, mais d'une valeur artistique à tout le moins discutable. Un vent de renouveau a soufflé sur les studios, soucieux en fait d'exalter les valeurs de l'Amérique éternelle, par opposition aux nationalismes dominants en Europe. Pacific Express, à vrai dire, s'inscrit pour partie dans cette veine patriotique: il évoque la construction des immenses lignes de chemin de fer parcourant les États-Unis d'Est en Ouest et le combat à mort des compagnies en charge de ce gigantesque chantier. Coups bas entre sociétés rivales et ambigüité des élites politiques sont au coeur du récit, dont l'aspect hollywoodien se renforce par la place accordée aux personnages: les trois principaux sont pris au piège d'un triangle amoureux. Les amateurs apprécieront cette dimension romanesque...

Énorme succès en son temps, le film peut apparaître un peu dépassé aujourd'hui. Les Indiens y sont par exemple stupides et sanguinaires. Pourtant, une certaine "modernité" affleure dans le propos, portée par cette femme en réalité incapable de choisir entre deux hommes et qui semble finalement céder à l'un... pour mieux protéger l'autre. L'occasion est belle de (re)découvrir Barbara Stanwyck, une actrice réputée pour sa force de caractère et qui fut également remarquée pour sa gentillesse au cours du tournage. On imagine mal désormais ce que pouvait être la promo d'un projet de cette ampleur, à l'époque. L'histoire retient ainsi que les festivités autour de la première attirèrent quelque 250 000 personnes, avant que la vedette féminine et son partenaire Joel McCrea ne traversent le pays... et ne passent le relais à un convoi sur rails, pour trente étapes en quinze jours ! Cette envie de spectaculaire reste toujours pour partie perceptible dans Pacific Express, grâce aussi aux centaines de figurants présents à l'écran. J'ai vu de meilleurs westerns, mais celui-là mérite le détour.

Pacific Express
Film américain de Cecil B. DeMille (1939)

Le train a évidemment une place de premier rang dans l'imagerie liée au western, mais sans avoir toujours une place aussi centrale qu'ici. Simple constat: Pacific Express est vraiment un film en mouvement. Si vous préférez le cheval, La rivière rouge reste un grand archétype du périple transaméricain, au rayon des aventures en noir et blanc. Côté couleurs, La dernière piste serait plutôt un bon choix... récent !

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Et maintenant, pour terminer...
Je vous incite à lire une autre chronique: celle de "L'oeil sur l'écran".

Ah ! Je vous dois une explication...
Si j'ai (longuement) tergiversé avant de voir le film, cela s'explique par le fait que je voulais marquer le coup: mine de rien, vous venez de lire ma 2.000ème chronique ! Mon papa m'avait suggéré d'écrire sur le cinéma des origines et L'entrée du train en gare de la Ciotat. J'ai gardé l'idée ferroviaire... et percuté ensuite sur Cecil B. DeMille. Un clin d'oeil patronymique dont je ne me suis aperçu qu'après coup...

lundi 25 juin 2018

Un couple ?

À quoi tient le plaisir d'un cinéphile ? Sans doute à la découverte parfois de ce que l'on appelle une "pépite oubliée". C'est vrai: il arrive que nos tribulations filmiques nous entraînent vers une oeuvre méconnue (ou tombée dans l'oubli). J'ai vécu une telle expérience récemment avec Une certaine rencontre. Un très chouette moment !

Je l'avoue: je n'arrive pas à comprendre qu'un film avec Natalie Wood et Steve McQueen puisse ainsi être sorti des radars. Il nous ramène dans le New York (magnifiquement filmé !) du début des années 60. Le film commence dans une salle où de très nombreux musiciens viennent proposer leurs services pour une prestation quelconque. Rocky Papasano en fait partie et, plutôt qu'avec un contrat, il ressort des lieux avec une jolie jeune femme, Angelica Rossini, une conquête éphémère qui vient de lui apprendre qu'elle était enceinte de lui. Plutôt qu'une pension alimentaire, la belle espère obtenir... l'adresse d'un médecin qui accepterait de pratiquer un avortement clandestin. Une certaine rencontre serait-il un drame ? En fait, pas vraiment. De manière aussi étonnante que remarquable, le scénario navigue entre diverses tonalités et, assez souvent, prête plutôt à sourire. Autant vous le signaler: les acteurs, excellents, y sont pour beaucoup.

Bien évidemment, la caméra tourne le plus souvent son (beau) regard vers le duo Natalie Wood / Steve McQueen. Elle capte ainsi l'essence même de leur jeu: souvent saisies en gros plans, les deux stars témoignent d'une formidable expressivité, y compris... sans paroles ! D'autres comédiens tirent également leur épingle du jeu. Je pense notamment à Tom Bosley, qui fut ensuite - à partir de 1974 - le papa de la série Happy Days: oui, je l'ai trouvé très bon, dans le rôle ingrat de l'amoureux transi. Vous n'aviez jamais entendu parler du film ? Sachez alors qu'il fut nommé pour deux Golden Globes et cinq Oscars ! Mieux encore, la Writers Guild of America, l'incontournable syndicat des scénaristes américains, avait également envisagé de l'honorer ! Finalement bredouille, Une certaine rencontre s'est fait oublier. Clairement, il mérite aujourd'hui d'être reconsidéré: j'ai été séduit dès le tout début, grâce aussi à la superbe musique d'Elmer Bernstein.

Une certaine rencontre
Film américain de Robert Mulligan (1963)

Riche d'un noir et blanc somptueux, cette plongée dans le New York populaire vient bien s'inscrire parmi mes coups de coeur du semestre. La mélancolie y affleure, un peu comme dans La garçonnière, déjà. Quelque part, le caractère à la fois affirmé et fragile du personnage joué par Natalie Wood m'a rappelé la Holly de Diamants sur canapé. Avec les costumes d'Edith Head, le plaisir ne tient donc... qu'à un fil ! 

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Je ne suis pas le seul à parler du film...

Dasola et Strum l'ont fait avant moi. Ils révèlent des avis divergents.

samedi 23 juin 2018

Un idéal de chevalier

Cela a beaucoup nourri le buzz autour du film: Terry Gilliam est passé par mille péripéties pour nous offrir L'homme qui tua Don Quichotte. Son acharnement aura fini par payer en 2018, après un quart de siècle d'incertitude: sur les bases d'un script remanié et avec une troupe hétéroclite, l'ex-Monty Python, 77 ans, a ENFIN donné vie à son rêve !

Faut-il s'en réjouir avec lui ? Je le crois. Même s'il semble manifeste que le public "boude" le film, cette adaptation de Cervantès a déboulé sur les écrans comme un projet on ne peut plus atypique. Je me dois d'indiquer que je n'ai pas lu le livre, ce qui m'a probablement permis d'accepter les très régulières outrances d'un long-métrage foutraque, grandiloquent et fantasque - à l'image de son inventeur, sans doute. L'homme qui tua Don Quichotte est peut-être bien un auto-portrait sous acide: son personnage principal, Toby, est un jeune réalisateur américain venu bosser en Espagne, le pays où il tourna jadis son film de fin d'études, et qui peine à produire quelque chose de convenable. Vendu à la pub, entouré de bras cassés, il est en panne d'inspiration. Pour s'en sortir, il s'autorise une escapade à moto dans le petit village de sa gloire passée, où vit encore un vieux cordonnier qui avait été son acteur. Le pauvre bougre est devenu à moitié fou et se prend pour un célèbre héros chasseur de moulins. Nous voilà partis avec lui pour plus de deux heures d'aventures picaresques. Et c'est dingo, oui !

Si vous avez déjà vu un film de Terry Gilliam, je n'ai pas de surprise particulière à vous annoncer: vous savez déjà combien l'imagination du bonhomme peut être débridée. C'est sa force et sa limite, en fait. Je l'ai déjà vérifié par ailleurs: certains n'accrochent pas à l'histoire racontée et trouvent même qu'un scénario mal écrit (ou mal maîtrisé) se cache derrière la frénésie des images. Je ne suis pas d'accord ! C'est entendu: L'homme qui tua Don Quichotte part littéralement dans tous les sens, si bien que je ne suis pas parvenu à déterminer précisément s'il s'agissait d'une comédie bouffonne, d'un drame caché sous des oripeaux ultra-colorés ou encore d'autre chose (les deux ?). Après, sincèrement, c'est très simple: je m'en suis très vite fichu comme de ma première soirée sans popcorn. J'ai laissé les acteurs m'embarquer avec eux dans ce grand délire et ouf ! J'ai vite trouvé que Jonathan Pryce et Adam Driver s'en sortaient très correctement. Ce n'est pas le cas de tous leurs petits camarades, mais tant pis ! Mon bilan reste largement positif: je me suis évadé comme rarement.

L'homme qui tua Don Quichotte
Film britannique de Terry Gilliam (2018)

J'ai octroyé au film la nationalité de son créateur, mais je préciserai qu'il a aussi bénéficié de financements espagnols, portugais, français et belges. Un conseil (amical) pour le savourer: oubliez un peu Brazil du même Terry Gilliam ! L'auto-référence a quelque chose d'écrasant. Maintenant, un aveu: à mes yeux, notre ami n'a rien fait de mieux que The fisher king. Cela ne justifie pas de snober son dernier opus !

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Si vous hésitez encore à vous lancer...

Vous pourrez lire d'autres avis (nuancés) chez Pascale, Tina et Strum.

vendredi 22 juin 2018

Pi-ratage !

Ce n'était pas prémédité, mais j'ai vu six films des années 80 au mois de mai dernier ! Le dernier s'appelle Wargames et je ne suis plus sûr de l'avoir découvert quand j'étais ado. Ce qui est clair, c'est qu'il est en phase avec son époque, marquée notamment par le lancement réussi des premiers micro-ordinateurs. Il y a juste quelques années...

Plutôt destiné au jeune public, Wargames a pour personnage principal un certain David Lightman, teenager américain féru d'informatique. Son réel talent pour la bidouille transforme cet élève moyen en pirate efficace et lui permet de faire grimper ses notes à l'insu de ses profs. Grisé par cette réussite, le jeune hacker s'attaque alors à un système mieux protégé, croyant pouvoir découvrir de nouveaux jeux vidéo sympa, avant leur commercialisation par leur éditeur. Grosse erreur ! Sans le savoir, il a en fait pris les commandes d'une technologie militaire susceptible de déclencher une guerre nucléaire mondiale. Bon... je vous épargnerai les détails: tout cela est in-vrai-sem-blable.

Et alors ? On s'en fiche ! Même si les relations américano-soviétiques étaient fraîches au moment de la diffusion en salles, je vous assure qu'il est préférable de prendre Wargames au tout premier degré plutôt que d'y chercher la moindre parcelle de réalisme. A priori conçu comme un divertissement sans grande conséquence, le long-métrage tient la route et pourrait vous plaire, si vous n'en attendez pas trop. Ce n'est que le deuxième rôle d'un Matthew Broderick assez populaire en son temps et, je le précise, toujours actif aujourd'hui, à 56 ans. On ne va pas se mentir: votre niveau de nostalgie pour les années 80 jouera un rôle dans votre appréciation du film. Ça, oui, c'est logique !

Wargames
Film américain de John Badham (1983)

Vous l'aurez compris: bien qu'un peu old school, ce long-métrage conserve un certain charme. Cela dit, si la perspective de l'apocalypse nucléaire ne vous effraie pas, je vous conseille plutôt un autre film sorti dix ans plus tard: le très amusant Panic sur Florida Beach. Pour revoir Matthew Broderick, La folle journée de Ferris Bueller reste à mes yeux un incontournable. Et il y a encore... un ordinateur !

mercredi 20 juin 2018

Le voile des apparences

"Mamannnnnnn !" "Papaaaaaaa !" Je crois avoir plutôt été un enfant sage, mais il m'arrivait parfois de crier après mes chers parents quand j'estimais avoir besoin de leur attention. Un souvenir lointain m'est revenu: mon père me surnommait alors "Sirène du Mississipi" ! Bien des années plus tard, j'ai su que c'était aussi le titre d'un film...

Comme des dizaines d'autres, ce long-métrage adapte un roman éponyme de William Irish (1903-1968), l'une des meilleures plumes américaines du polar. L'histoire démarre quand Louis Mahé, industriel prospère sur l'île de La Réunion, attend Julie Roussel, la jeune femme qu'il compte épouser, à sa descente d'un bateau. Surprise: les promis ne se sont encore jamais rencontrés, leur amour l'un pour l'autre ayant grandi au fil des lettres qu'ils s'échangeaient régulièrement. Autre élément troublant: alors qu'il a tout de même reçu la photo d'une jolie brune, Louis découvre une Julie blonde, qui dit avoir menti par précaution. Cet aveu passé, la noce est maintenue... et le film démarre réellement, autour d'une intrigue classique, mais haletante. La sirène du Mississipi nous offre un beau suspense "à l'ancienne". Rusé, le scénario associe très intelligemment les valeurs du film noir aux codes d'un certain romantisme. Et, soyez-en sûrs, ça fonctionne !

C'est évidemment sur la complémentarité du duo d'acteurs que repose la vraie réussite du film: Catherine Deneuve et Jean-Paul Belmondo brillent ici des beaux feux de leur jeunesse, elle à 25 ans, lui à 36. Sincèrement, pour moi, ce n'était pas gagné d'avance, mais je dois reconnaître que leur tandem m'a paru très convaincant. Je peux dire que, dans le cas présent, Bébel est légèrement à contre-emploi du fait des failles de son personnage, mais c'est très précisément ce qui rend le récit intéressant ! La Deneuve, elle, explore un territoire de jeu fascinant, dissimulant son ambiguïté derrière un visage de poupée. Seul Michel Bouquet parviendra à abattre (provisoirement) une carte différente, amenant ainsi avec lui un peu de tension supplémentaire. Chut ! La sirène du Mississipi se savoure surtout quand on ignore tout - ou au moins l'essentiel - de ses enjeux. Un suspense hitchcockien maintient le spectateur sur le gril... et c'est jouissif ! Sans réelle ostentation, la mise en scène n'en est pas moins efficace. Saura-t-elle vous convaincre, donc ? Je ne peux que vous le souhaiter.

La sirène du Mississipi
Film français de François Truffaut (1969)

Vous l'imaginez: ma référence à Alfred Hitchcock n'est pas innocente. Adepte des faux semblants, ce cher Britannique nous avait déjà mis les nerfs en pelote avec Sueurs froides ou Psychose. Le constat s'impose: François Truffaut, qui fut son ami, a appris à bonne école. Particulièrement ciselés, les dialogues méritent ici une mention spéciale. Les séquences moins bavardes n'en sont que plus intenses...

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Ah ! Une petite anecdote orthographique... 
Mississippi: le nom du fleuve américain s'écrit avec deux fois deux S et deux P. La dernière double consonne a bien "disparu" dans le titre du film, qui reprend, en fait, le nom du bateau aperçu au tout début !

Et, pour finir, deux liens...
Vous pourrez ainsi découvrir combien notre amie Pascale aime le film. Les rédacteurs de "L'oeil sur l'écran" sont un peu moins enthousiastes.

lundi 18 juin 2018

Voyage au Burkina

Les bons sentiments ne font pas nécessairement les bons films. J'imagine que, si vous vous intéressez au cinéma, vous avez déjà lu ou entendu cette phrase. Vais-je l'accoler à Wallay ? Je ne crois pas. Certes, ce long-métrage est un peu naïf, mais cela m'importe peu. Pourquoi ? Parce qu'il a d'autres qualités, que je vais donc expliciter...

Wallay m'a attiré quand j'ai appris qu'il avait été tourné en Afrique. Ensuite, j'ai su qu'il me conduirait plus précisément au Burkina Faso et qu'il était l'oeuvre d'un cinéaste suisse, qui mène sa vie là-bas depuis quelques années et a déjà réalisé plusieurs documentaires. Aujourd'hui, je vous parle de sa toute première fiction: elle s'articule autour d'un garçon de 12-13 ans, petit caïd de la banlieue lyonnaise. Après quelques minutes minutes de film, ce pré-adolescent difficile est giflé par son père pour une bêtise et... envoyé en pénitence auprès d'un oncle particulièrement sévère, resté sur le sol africain. Autant dire qu'il n'est pas prêt de pouvoir recharger son portable ! Objectivement, la suite du scénario s'appuie sur quelques clichés faciles, mais, ainsi que je l'ai déjà suggéré, ça "passe" malgré tout...

Mon indulgence repose sur deux fondements. Le premier est la qualité d'interprétation du film, largement portée par des comédiens jeunes et/ou amateurs, ainsi que par l'usage fréquent de la langue locale. Complémentaire, le deuxième "pilier" de mon avis plutôt favorable serait ce que je veux appeler l'humilité du projet Wallay. La caméra magnifie sûrement la réalité, mais je crois qu'elle la respecte, aussi. J'ai vu dans ces images évidemment colorées une forme d'attrait sincère pour le métissage des cultures, bien plus qu'un banal regard d'homme blanc, voire néo-colonialiste, sur l'Afrique et ses habitants. L'équilibre est fragile, mais il existe, sans doute parce que le récit adopte toujours le point de vue de l'enfant. Chacun en tirera ensuite les enseignements qu'il voudra. Et ce, en fait, quel que soit son âge...

Wallay
Film burkinabé de Berni Goldblat (2017)
Il me semble que le film a également reçu des financements suisses et français, mais je préfère lui octroyer la vraie nationalité africaine de son auteur, ce dernier ayant déclaré le destiner à tout le continent. Avis aux sceptiques: Berni Goldblat oeuvre aussi pour une diffusion plus large du cinéma en Afrique. Si vous jugez toutefois qu'il reste trop européen, je vous conseille de (re)voir Yeelen, Lamb, Makala... 

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Et si vous voulez un autre avis sur le film...

Ils sont rares, mais vous en trouverez tout de même un chez Pascale.

dimanche 17 juin 2018

Soeurs

Je ne peux que confirmer tout le bien que je pense d'Adèle Haenel. Dans une moindre mesure, Sara Forestier l'accompagne dans la liste des jeunes actrices françaises que je suis avec intérêt. Leur réunion dans Suzanne est le premier argument qui m'a incité à voir le film. Une cinéaste qui pourrait être leur grande soeur tient ici la caméra...

De sororité, il est aussi question dans ce long-métrage, sélectionné pour ouvrir la Semaine de la critique cannoise en 2013 et nommé ensuite, entre autres, pour le César du meilleur scénario original. L'histoire reste assez simple: comme son titre ne le dit pas, Suzanne parle d'abord d'une famille, les Merevsky, deux filles et leur père. Rapidement, on comprend que la mère est décédée et on s'attache tout aussi vite à ce trio, d'autant qu'il s'agit manifestement de gens humbles. Pas question de misérabilisme, pourtant: une belle énergie anime ce récit, qui va littéralement coller aux basques de la soeur aînée et explorer ainsi toute la complexité des rapports familiaux. Bien que traité de manière linéaire, cet argument reste captivant. Pourquoi ? Parce que la forme, elle, n'est pas (tout à fait) ordinaire...

Pendant une grosse heure et demie, ce sont au total deux décennies qui défilent devant nos yeux. Pour résoudre l'équation, l'idée retenue consiste... à couper ! Très concrètement, Suzanne est donc construit autour d'un enchaînement de "tranches de vie": on découvre l'héroïne quand elle n'est encore qu'une enfant et on la voit grandir-vieillir progressivement, alors même que le film multiplie les fondus au noir et les ellipses. Plusieurs années peuvent passer en quelques secondes seulement, sans jamais, heureusement, nous perdre sur le chemin. Autant vous prévenir: sur le fond, on est bien plus proche du drame que de la comédie. Reste que la qualité d'interprétation générale place cette mini-fresque sur le dessus du panier de la production française actuelle: aux deux comédiennes que j'ai citées, j'ajoute volontiers François Damiens, impeccable dans son contre-emploi paternel. Bon, voilà... pour me résumer, j'ai eu un joli coup de coeur.

Suzanne
Film français de Katell Quillévéré (2013)

Une belle histoire de frangines, donc. Je n'en connais que peu. Un site Internet rappelle Virgin suicides à ma mémoire, ce qui me permettra de rebondir aussitôt sur Mustang. Enjeu: à chaque fois, des relations fusionnelles, mais qui comportent au moins une facette dramatique. Vous avez le droit de préférer l'apaisement de Notre petite soeur. D'autres titres auraient pu être cités: je suis à l'écoute... des vôtres !

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Un autre avis à vous proposer ? Non, deux !
Vous pouvez à votre tour les lire sur les blogs de Pascale et Sentinelle.

vendredi 15 juin 2018

Le retour des motards

La mi-juin est déjà là: il est temps pour moi de céder la place à Joss. Cette fois, d'après ses explications, elle a choisi de vous présenter une curiosité (ou "un film-témoignage qui nous emporte vite loin"). Aujourd'hui, si le coeur vous en dit, nous prenons la route de l'Italie avec Les fiancés de la mort de Romolo Marcellini - sorti début 1957 !

Lorsque le film sort en Italie, son metteur en scène Romolo Marcellini est déjà un gage de qualité. À l'âge de 24 ans, il a écrit son premier scénario (Stadio de Campogalliani), est devenu assistant-réalisateur en Afrique trois ans plus tard pour le film Scipion de Carmine Gallone, et tourne lui-même Sentinelle di bronzo comme réalisateur.

Totalement aguerri avant l’âge de trente ans aux films documentaires produits par la Luce (qui n'est autre que la société de production du cinéma de propagande fasciste à la gloire des volontaires fascistes italiens venus soutenir leurs homologues en Espagne), cet ancien journaliste formé aux sciences économiques a déjà en main tout le potentiel pour tirer le meilleur d’un contexte très ciblé.

Et c'est bien le cas de I fidanzati della morte, dédié au monde de la course motocycliste. Avant même La grande olympiade (tourné lors des Jeux Olympiques de Rome en 1960) qui lui vaudra le Prix d'Or au Festival du film de Moscou en 1961 et sa nomination pour l'Oscar du meilleur film documentaire un an plus tard, Romolo Marcellini va sacrément se distinguer, cumulant les plus grands champions et les plus belles bécanes des années 50, comme les Guzzi V8 et Gilera-4 (carrément sublimes) qui dominent alors largement le monde des Grands Prix par leurs performances et leur créativité.

Alors me direz-vous, juste un beau film pour amateurs de moto vintage ? Bien loin de là, puisque la partie documentaire (exceptionnelle) est portée par une vraie romance. Kitsch au possible, mais d'un grand intérêt autour d’une histoire d'amour et de rivalité, et autour de laquelle encore satellisent bien d'autres histoires d'amour potentielles, d'autres dualités, d'autres liens filiaux ou amicaux… tout est en place pour tour à tour tenir en haleine et faire fondre les foules, toutes les foules, celle des circuits et celle des néophytes. Et aujourd'hui peut-être, même celle des historiens, des sociologues....

Il faut dire que les Italiens sont des champions moto dans l'âme ! La reprise de ce film soixante ans plus tard ne dément pas le mythe. Aujourd'hui, les fans de Valentino Rossi, Marc Marquez, Jorge Lorenzo, Daniel Pedrosa ou Andrea Dovizioso seraient prêts à tout pour voir leurs idoles figurer dans une fiction. Bien entendu, je doute que le scénario soit le même pour envoûter la jeunesse, mais dans ces années-là, le titre a séduit sportifs et romantiques d'un seul élan.

Tourné pendant des compétitions réelles comme le Grand Prix de Monza ou encore la légendaire course sur route Milan-Tarente, ce document exceptionnel comporte également quelques rares prises de vue du tunnel de soufflerie de l'usine Moto-Guzzi, du Mur de la mort des années cinquante, et des courses de side-car un peu folles sur pistes de terre. Sans parler (mais si, évidemment !) des carénages enveloppants, qui seront interdits à partir de 1958 car emprisonnant le pilote. Joignez à ce témoignage de premier ordre deux comédiens particulièrement en vogue en 1957 et vous comprendrez la raison pour laquelle ce film se devait de refaire parler de lui. Et c'est Rodaggio Film qui en a fait sa mission. Bravo !

Rodaggio est une société de distribution de films italiens, indépendants et rares, de livres et de documents d'art relatifs à la culture moto. Dirigée par un jeune couple rempli d'énergie qui sillonne infatigablement l’Europe, Rodaggio a déjà distribué des films comme The best bar in America et The greasy hands preachers, tout en travailant en partenariat étroit avec des enseignes de moto et des événements moto prestigieux: Deus Ex Machina, Metzeler-Pirelli

Après sa réalisation, le film disparut littéralement de la scène, ne laissant plus que quelques notes et articles le décrivant comme le premier véritable long-métrage sur la moto. Il aura fallu deux ans à l'équipe de Rodaggio pour trouver une copie originale dans les archives italiennes et ensuite pister les droits du film. Elle y parviendra grâce à la campagne soutenue par vingt-deux pays, et l'aide précieuse de personnalités comme Giacomo Agostini (quinze fois champion du Monde), Paul d'Orléans ou encore l'artiste français Lorenzo Eroticolor, graphiste qui lança un nouvel art du poster et de la couverture de DVD…

Le processus de restauration a pu s'échafauder à partir d'une copie en positif du film retrouvée dans les archives de la Cinémathèque italienne, et après quelque temps, grâce à un précieux négatif original retrouvé dans un laboratoire de Rome (que l'on pensait perdu dans un incendie !). Presque en totalité préservé, il a finalement été utilisé comme la référence principale. Le film a tout d'abord été physiquement réparé, puis digitalisé image par image et enfin corrigé au niveau de la couleur. Tout comme le son, digitalisé et amélioré lui aussi. L'ensemble de la restauration a été réalisé par Immagine Ritrovata Laboratory, à Bologne.

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Synopsis
Carlo est pilote de moto pour le compte d'une grande firme italienne qui le contraint à se plier aux nécessités commerciales lors des compétitions. Excellent pilote, mais rebelle, Carlo n'entend pas se laisser chapitrer par Pietro, à la fois ingénieur et directeur du service d'essais de la firme. Congédié, Carlo rejoint alors le garage familial de son épouse Giovanna, où son propre beau-père met au point une machine à injection directe capable de battre les meilleures motos d'usine. Mais la compétition ne se cantonne pas au niveau des moteurs: s'est nouée une idylle entre Carlo et Lucia, la fille de son ancien patron, dont Pietro est également amoureux.

Distribution
Rick Battaglia (Carlo)
Sylva Koscina (Lucia)
Margit Nunke (Giovanna)
Gustavo Rojo (Pietro)
Hans Albers (Lorenzo)
Carlo Ninchi (Parisi)
Saro Urzi (Tulio)

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En 1956, le comédien italien Caterino "Rik"Battaglia est alors âgé de 29 ans. Lorsqu"il accepte le rôle de Carlo, il n"a tourné qu’un seul autre film (La fille du fleuve). En beau brun ténébreux et rebelle, il fait fureur. Rik Battaglia mènera une jolie carrière, très régulière, et nous quittera en 2015 à l'âge de 88 ans. Quant à la Gréco-polonaise Sylva Koscina, 23 ans, elle illumine la prise de vue. Belle et spirituelle à la ville, I fidanzati della morte la met très en valeur, et cette ancienne étudiante en sciences, arrivée très jeune de Yougoslavie en Italie, suscite un grand intérêt de la part des réalisateurs. Elle tournera onze films en 1958 et huit en 1962. Dans Les fiancés de la mort, elle accroche vite l'intérêt.

Curieusement, dans le rôle de Lucia, elle a beau être riche et vernie par la vie, son statut de "fille à papa" ne lui vaut pas d'agressivité. Parce qu'elle ne force pas le destin, parce qu'elle ne songe pas à mal… Pourtant, l'époque est à la morale, surtout en Italie. On plaint Giovanna, épouse de Carlo, gaie, aimante, courageuse, touchante, mais l'on ne parvient pas à blâmer Lucia. On déplore le sort, on voudrait rejeter la faute sur quelqu'un, mais le jeu des acteurs nous en détourne. Au mieux, Carlo apparaît trop instinctif, égoïste, animal, mais surtout irresponsable, et l'on n’en veut à personne. "C’est la vie !", oserait-on conclure.

Comme on l'a vu plus haut, Les fiancés de la mort constitue un témoignage unique de l'âge d'or des compétitions internationales, sur les machines, leur préparation, mais aussi la sécurité des pilotes comme du public (incroyable décalage), et presque autant sur la vie des grandes entreprises italiennes, des artisans concurrents sur les mêmes terrains...

Aujourd'hui, le film est disponible pour les projections publiques, c'est-à-dire les cinémas et les évènements sportifs. Avec sous-titres en allemand, anglais, français, portugais, le DVD est distribué avec un livret sur la moto des années cinquante, rédigé par plusieurs journalistes, et des bonus, comme quelques prises de vue et interviews rares: Giacomo Agostini, Livio Lodi (conservateur du musée Ducati) et tant d'autres passionnants acteurs de la réalité.

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Quelle chronique ! Il ne me reste donc plus qu'à remercier Joss. Connaissiez-vous le film ? Non ? Votre curiosité est peut-être titillée. N'hésitez pas à tout nous raconter dans la section des commentaires !

jeudi 14 juin 2018

Ballon prisonnier

Je ne suis pas un dingue de foot, mais j'avais envie de faire un clin d'oeil aux copains / copines qui comptent suivre assidument la Coupe du monde - dont le coup d'envoi est donné aujourd'hui. J'ai déniché l'un des derniers films du grand John Huston: À nous la victoire. Quarante ans après ses débuts, le maître choisissait... la récréation !

Si je dis ça, ce n'est pas pour dénigrer son choix, mais pour admettre que ce film n'est qu'un divertissement honnête, sans grand enjeu. Plantons le décor: nous sommes en 1943, dans un camp de prisonniers anglo-saxons, tombés aux mains des Allemands. Entre officiers supérieurs des deux camps, une certaine forme de respect mutuel fait que les hommes sont traités correctement et même autorisés à jouer au ballon pour passer le temps ! Que croyez-vous qu'il arrive donc quand un major de la Wehrmacht reconnait un ancien footballeur professionnel de grand talent parmi les captifs ? Il l'aide à constituer une équipe digne de ce nom, afin de l'opposer à une Mannschaft sélectionnée parmi la crème des soldats du Reich. Tout cela en France et devant un parterre de hauts dignitaires nazis, ainsi qu'un public local généreusement invité à assister à la déroute du onze des Alliés. Faut-il que j'en rajoute ? Oui, À nous la victoire est invraisemblable !

Et pourtant... et pourtant, le film tient encore debout, sauvé en fait par son casting en or massif: on retrouve ici Sylvester Stallone, Michael Caine, Max von Sidow, Carole Laure dans le seul rôle féminin, Jean-François Stévenin - et j'en oublie sans doute. La dimension kitsch de l'entreprise s'efface (un peu) grâce à la présence remarquée de vraies stars du ballon rond, dont le roi Pelé himself ! La légende brésilienne a, paraît-il, chorégraphié les scènes de match et endossé du même coup le rôle d'un soldat né à Trinidad ! Les spécialistes reconnaîtront quelques autres joueurs autour de lui, à l'image notamment de l'Argentin Osvaldo Ardiles ou de l'Anglais Bobby Moore. S'il ne vous consterne pas d'emblée, il se peut qu'À nous la victoire vous arrache un sourire ou deux: son mérite est d'aller droit au but. Pompière au possible, sa musique se veut probablement exaltante. Comme vidange de neurones, ce n'est pas pire... qu'un match de foot.

À nous la victoire
Film américain de John Huston (1981)

Les longs-métrages autour du sport ont souvent mauvaise réputation. Quand, en plus, ils ont été réalisés par de grands cinéastes connus pour d'autres projets plus ambitieux, ils sont vivement critiqués. Aujourd'hui, je vous dirai juste que j'ai vu mieux, chez John Huston. Aux adeptes du ballon rond, je conseillerais plutôt Looking for Eric. Et, côté remplaçants, L'incroyable équipe et Les rayures du zèbre !

mardi 12 juin 2018

Carpenter, double dose

John Carpenter n'est pas inconnu sur ce blog, mais je suis encore loin d'avoir vu tous ses films. Je vous propose aujourd'hui un rattrapage partiel, puisque j'ai pu en découvrir deux consécutivement. L'occasion toute trouvée pour une présentation en diptyque, même si les opus évoqués différent significativement l'un de l'autre. Hop... c'est parti !

Les aventures de Jack Burton dans les griffes du mandarin (1986)
Ce qui m'a attiré vers ce film ? En tout premier lieu, son titre. L'original est plus court: Big trouble in little China. Le film lui-même tient du divertissement pur, à la sauce geek. Le personnage principal est un camionneur de San Francisco, tout à la fois paumé et frimeur. Quand la petite amie de son pote Wang est enlevée au beau milieu d'un aéroport, ce drôle de héros se retrouve vite catapulté au coeur d'une guerre entre gangs chinois, marqué par l'intervention de forces maléfiques et surnaturelles. C'est animé, loufoque et un peu débile. Typiquement le genre de film à ne regarder qu'au 36ème degré. D'ailleurs, Kurt Russell semble s'amuser à incarner le crétin de service et c'est (relativement) communicatif. Je crois avoir noté qu'à l'époque de sa sortie, cette pochade n'avait rencontré qu'un succès modéré. Mais les années ont passé: désormais, on peut y voir... un classique !

Christine (1983)
L'une des nombreuses adaptations cinéma d'un livre de Stephen King. Rien de très original au départ: deux ados américains en terminent avec le lycée et rêvent plutôt de jolies filles que de longues études supérieures. L'un joue au foot et a déjà une voiture, l'autre s'efforce d'avoir au moins la même assurance. Le film prend une tournure inattendue quand Arnie le timide refuse d'écouter son copain Dennis et casse sa tirelire pour acheter un cabriolet... bon pour la casse. Vous avez déjà deviné, je suppose: Christine, c'est aussi le petit nom que son ancien propriétaire donnait à cette mécanique hors d'usage. Pas question pour moi d'en dire plus, si ce n'est que ce film de genre typique m'a bien plu, même si j'en connaissais d'avance les rouages essentiels. Autant ne pas gâcher le plaisir de ceux qui ne savent rien ! Le récit est un peu lent, à vrai dire, mais il peut encore surprendre...

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Aujourd'hui, pas d'étape Movie Challenge. Mais...

J'ai retrouvé la trace de Christine du côté de chez Princécranoir. Rien, en revanche, sur Jack Burton. Que cela ne vous démotive pas !

lundi 11 juin 2018

Le devoir avant tout ?

Les habitants des États-Unis nous ressemblent-ils vraiment ? Je mets les pieds dans le plat avec une question simple, mais je sais bien sûr qu'il est impossible de répondre en quelques mots. Je veux juste dire que je trouve courageux ceux des Américains qui regardent leur pays avec honnêteté. Cela donne parfois de grandes oeuvres "engagées"...

Pour entrer dans le vif de mon propos, disons que je ne suis pas sûr qu'une oeuvre de cinéma comme Un jour dans la vie de Billy Lynn trouverait forcément un équivalent au sein de notre chère production française. Au fait, n'hésitez surtout pas à me contredire, les ami(e)s ! Mais auparavant, si ce n'est déjà fait, regardez le film: il nous parle franchement de la guerre en Irak et de ses lourdes répercussions immédiates sur la vie des jeunes Américains envoyés sur le front. Conséquence: il nous propose aussi de réfléchir à la notion de héros. Pour cela, il nous offre de suivre le parcours d'un petit groupe d'hommes (provisoirement !) retirés des combats, parce qu'envoyés par leur hiérarchie se faire applaudir dans un stade, à la mi-temps d'un match de foot. Il se murmure même que leurs actions militaires pourraient être adaptées en film... s'ils arrivent à un accord financier avec un ponte de la production audiovisuelle. Une autre question s'impose de par les circonstances: est-ce moral ? À vous d'en juger. L'une des qualités du récit étant bien de ne pas le faire à notre place !

La réussite de ce film est de rester fidèle à la promesse de son titre. Finalement, tout est évalué à hauteur d'homme, ce qui s'avère efficace pour renforcer le sentiment d'identification au personnage principal (joué par l'Anglais Joe Alwyn, dans son tout premier rôle). Une chose importante, d'ailleurs: même si vous pourriez retrouver quelques têtes connues, à l'image de Kristen Stewart, Garett Hedlund ou Steve Martin, il n'y a pas véritablement de grande star à l'écran. J'aime autant le dire franco: cela ne nuit en rien au film, au contraire. Les quelques séquences un peu faiblardes - ou banalement explicites - sont largement compensées par le caractère intimiste de l'histoire ainsi racontée. Je veux être clair: Un jour dans la vie de Billy Lynn ne suit qu'une petite route, mais, à mes yeux, il a pour grand mérite de ne pas s'en écarter. C'est ce que j'appelle une oeuvre "maîtrisée". Quant à l'engagement dont je parlais au départ, il se fait discret: loin de nous imposer une opinion prémâchée, le réalisateur nous permet plutôt d'apprécier les choses selon notre propre sensibilité. Une fin ouverte nous laisse dès lors décider seuls de la suite des opérations...

Un jour dans la vie de Billy Lynn
Film américain de Ang Lee (2016)

Je me résume: un long-métrage qui n'est pas exempt de tout défaut narratif, mais qui emporte le morceau par sa sincérité manifeste. Franchement, si vous lui donnez sa chance, il se pourrait bel et bien qu'il vous surprenne agréablement. Il est très envisageable également que le point de départ vous rappelle celui de Mémoires de nos pères. Vous n'auriez pas tort de penser que c'est pour moi... un compliment !

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Envie d'un autre tour d'horizon ?

Je ne saurais trop vous recommander de lire la chronique de Pascale.

samedi 9 juin 2018

Se taire et résister

Quelle image vous faites-vous d'une révolution ? Je suis presque sûr que vous n'imaginez pas quelque chose de calme. La fureur et le bruit résonnent en revanche comme des alliés de la contestation de l'ordre établi. Que le sang coule peut parfois être évité, mais je vois mal comment opérer une bascule, totale et rapide, sans que ça s'entende !

Et pourtant ! Il est sorti ce printemps un long-métrage historique allemand justement intitulé La révolution silencieuse. Plutôt curieux de mieux connaître la vie de nos voisins immédiats, je l'ai donc vu rapidement. La caméra nous ramène en 1956. À l'époque, l'Allemagne est divisée en deux Républiques - fédérale à l'Ouest et démocratique à l'Est. Une précision: aucun mur ne les sépare encore physiquement. La tension entre les blocs augmente soudain quand l'Union soviétique réprime par la force une insurrection en Hongrie, l'un des pays placés dans sa sphère d'influence. En l'apprenant, de jeunes Allemands inquiets pour leur propre avenir se sentent solidaires du peuple hongrois et, au lycée, décident... de ne pas répondre aux questions de leur professeur pendant deux minutes. Anecdotique ? Pas du tout. Dans cette partie du pays que les Russes occupent, c'est une déviance condamnable, parce qu'éloignée de l'esprit de la révolution socialiste !

Bon... sans grande surprise ou originalité de mise en scène, le film d'aujourd'hui nous raconte cette histoire. On comprend rapidement que Kurt, Theo, Lena et leurs camarades risquent fort d'être punis pour ce qui est perçu comme de l'insolence, voire de l'insubordination. Sincèrement, je vous encourage à ne pas avoir d'attentes trop fortes quant à d'éventuels rebondissements: le récit est très prévisible. Pourquoi alors voir La révolution silencieuse ? Pour cette raison. Sans pathos excessif, ce long-métrage classique vient nous rappeller justement que la liberté d'expression a été et demeure un combat. Qu'avoir une opinion divergente, aussi pacifique soit-elle, conduit parfois à ce que nos droits les plus élémentaires soient bafoués. J'imagine que vous n'avez pas attendu le cinéma pour l'apprendre. Maintenant, je pense aussi à ceux pour qui mes idéaux républicains demeurent un luxe inaccessible... et je me dis que ce film a du sens. Il montre le visage d'une jeunesse confrontée à des choix radicaux. Ce n'est pas parfait, mais, à la réflexion, c'est quand même poignant.

La révolution silencieuse
Film allemand de Lars Kraume (2018)

Je me rends compte en l'écrivant que les films originaires d'outre-Rhin ne sont pas très nombreux à être diffusés en France. L'histoire allemande en a inspiré de bons: Good bye Lenin, La vie des autres, Phoenix, Le labyrinthe du silence ou Elser - Un héros ordinaire. Celui d'aujourd'hui paraît plus modeste, mais demeure intéressant. Bon, d'accord, peut-être pas autant que Les trois vies de Rita Vogt... 

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Je suis content d'avancer mon Movie Challenge...
Case n°28: "Le film se déroule au collège, au lycée ou à l'université" !

Pour un autre regard porté sur cette même histoire...
Je vous conseille désormais d'aller lire les textes de Pascale et Dasola.

jeudi 7 juin 2018

Une déflagration

C'est sans doute impossible, mais je rêve que tous les films présentés au Festival de Cannes soient diffusés dans les cinémas le lendemain de leur passage sur la Croisette. C'est heureusement le cas du film d'ouverture: je me suis donc rué sur Everybody knows, cette année. Je n'ai pas résisté au couple glamour Penélope Cruz / Javier Bardem !

Que savais-je sur le scénario ? Presque rien. Je me sentais confiant grâce au réalisateur, Asghar Farhadi, que j'avais connu comme auteur de bons films dans son pays, l'Iran. Je l'imaginais capable de proposer quelque chose d'intéressant sur le sol espagnol. Bilan: j'ai plutôt gagné mon pari, car j'ai apprécié Everybody knows, et ce dès le début. Virevoltante, la caméra nous immerge au coeur de l'action, aux côtés de Laura, revenue dans son village d'enfance à l'occasion d'une fête familiale. Tout se passe alors à merveille et on oublie donc assez vite que le mari de la belle, Alejandro, est resté chez lui, en Argentine. Pourtant, le bonheur ne dure pas: un drame survient et le film bascule. Cela m'a d'autant plus frappé que, si la bande-annonce m'avait préparé à cette inflexion, j'ignorais tout de la nature exacte de ce qui allait arriver. À partir de là, en réalité, un autre récit commence: les couleurs vives de très belles scènes initiales s'effacent et une chape de plomb semble s'abattre sur chacun des personnages. Une énigme est posée, aussi, mais surprise ! C'est une fausse piste...

Je m'explique: je n'irai pas jusqu'à dire que la dimension "policière" de l'intrigue n'apporte rien au récit, mais, en fait, je l'ai trouvée presque reléguée au second plan. Ce que le film nous donne à voir relève beaucoup plus des conséquences des non-dits et rancoeurs entre les membres d'une même communauté que d'une situation conflictuelle "quelconque". On comprend donc que le jeu de massacre qui s'amorce sous nos yeux devrait causer une déflagration profonde au coeur d'un groupe de fait moins uni qu'il ne veut bien le montrer. Pareille intrigue suppose des acteurs ancrés dans leur rôle: c'est le cas de Javier Bardem, qui m'a véritablement fait très forte impression. Penélope Cruz est un peu en retrait, mais, à sa décharge, elle défend un personnage moins nuancé. J'ai d'ailleurs ressenti la même chose pour l'excellent Ricardo Darín, que j'ai trouvé un peu sous-exploité. Lire d'autres opinions devrait vous en convaincre: Everybody knows était très attendu, mais il reste loin de faire l'unanimité. Dommage. Pour ma part, j'en retiens les bons côtés pour finir sur un avis positif.

Everybody knows
Film espagnol d'Asghar Farhadi (2018)

C'est (presque) logique: le cinéaste nous avait mis une telle claque avec Une séparation que le niveau d'exigence des dingues de cinéma à son égard est particulièrement haut. De là à penser qu'il s'est égaré en quittant son pays, il y a un pas... que je ne veux pas franchir. Peut-être que le mieux est de voir ses autres films, Le passé, tourné en France, ou ceux qu'il a réalisés en Iran. Si l'occasion se présente...

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Vous seriez intéressés par d'autres avis ?

Je vous conseille donc d'aller lire les chroniques de Pascale et Strum. Vous pouvez aussi découvrir celle de Dasola, arrivée un peu plus tard.