mercredi 31 mars 2021

Enfermés

Le troisième - et dernier - tome d'une très populaire série littéraire doit bientôt être publié. Même si l'auteur reste anonyme, l'éditeur parie sur un immense succès mondial: il a embauché neuf traducteurs pour orchestrer une sortie simultanée dans un maximum de pays. Tous réunis, ils travailleront depuis un bunker ultra-sécurisé ! Mais...

Avec l'excellent Lambert Wilson dans le costume impeccable du rôle principal, Les traducteurs ne manque assurément pas de charisme. C'est d'autant plus vrai que d'autres comédiens des plus honorables l'accompagnent dans l'aventure: parmi ceux que je connaissais déjà avant de voir le film, je peux nommer Sara Giraudeau, Olga Kurylenko et Sidse Babett Knudsen chez les dames, mais aussi Eduardo Noriega, Frédéric Chau et encore Riccardo Scamarcio parmi les messieurs. Malheureusement, le résultat n'est pas à la hauteur: cette distribution européenne de qualité n'est jamais vraiment mise en valeur. Le film tourne à vide: il ne parvient pas à enclencher une vitesse supérieure !

Résultat: moi qui espérais voir monter un suspense à forte tendance claustrophobe, je me suis vite désintéressé de ce spectacle médiocre. J'ai tenu jusqu'au bout, mais sans m'être senti tenu en haleine. Dommage: je ne pensais pas voir le dernier chef d'oeuvre du cinéma made in France, mais c'est incontestable que je m'attendais à mieux. Notez qu'à l'international, cela semble fonctionner: Les traducteurs aurait été diffusé dans des pays aussi différents les uns des autres que l'Australie, le Brésil, l'Ukraine et le Japon. C'est un bon produit d'exportation, donc, malgré sa sortie peu avant le début de la crise sanitaire. Me voilà désolé de ne pas me montrer plus enthousiaste ! Le réalisateur, lui, présente son film comme un "thriller sentimental". L'idée lui est venue après qu'il a appris les conditions de traduction d'un polar de Dan Brown: Inferno, un opus de la saga Da Vinci Code. Allez, je veux bien lui souhaiter d'avoir une petite part de ce succès...

Les traducteurs
Film français de Régis Roinsard (2020)

Le huis-clos a du potentiel au cinéma, mais il est ici mal exploité autour de personnages peu intéressants et/ou (très) caricaturaux. C'est sans grand succès que les acteurs essayent de les faire exister. Autant s'enfermer avec la jolie fille de Inside, donc, ou pour un Exam. Si l'enfermement subi vous intéresse, Panic room demeure un plan B acceptable. Barracuda et Tunnel se montrent eux aussi étouffants...
 
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Vous voulez un autre avis ?

C'est l'occasion de vérifier que Pascale n'est qu'à peine plus emballée !

lundi 29 mars 2021

La paix oubliée

Les Mariannes, ça vous dit quelque chose ? Planté au milieu de la Mer des Philippines, ce groupe de petites îles est un territoire américain d'une superficie de 1.026 km2 et peuplé d'environ 210.000 personnes. Jusqu'en 1951, l'un de ces "bouts de caillou" a accueilli des soldats japonais, convaincus que la Guerre du Pacifique n'était pas terminée !

Un survivant a ensuite raconté toute l'histoire dans un livre, adapté au cinéma par Josef von Sternberg, un grand réalisateur américain d'origine autrichienne. On a fait connaissance avec... une femme ! Fièvre sur Anatahan explique que, seule représentante du beau sexe parmi la troupe, la mystérieuse Keiko vivait déjà sur l'île en 1944 lorsque les naufragés de la marine de guerre nippone y ont débarqué. Elle est alors devenue leur "reine des abeilles", capable de les fasciner tous, mais aussi, à son insu, une source de discorde et une proie. Pourtant bien réel et vivant, ce beau personnage m'est parfois apparu comme une énième représentation du fantôme japonais traditionnel. Il enferme en lui quelque chose de mystérieux et d'assez évanescent pour susciter un trouble qui n'est pas exclusivement d'ordre érotique. L'usage quasi-constant par le film de la langue originale (non traduite) renforce ce sentiment de flou. Ce que j'ai trouvé des plus agréables...

Rassurez-vous: le film vous donne tout de même quelques repères. Tout au long du métrage, il est en effet séquencé par une voix off anglophone, que le réalisateur a en fait tenu à enregistrer lui-même. On constatera vite que, s'il est souvent fait mention du personnage féminin, le narrateur parle au nom des hommes, comme l'a fait celui qui est revenu sur le sujet après coup. Une fois ce dispositif compris et accepté, Fièvre sur Anatahan se déploie et prend toute sa mesure dramatique: votre vision de l'humanité pourrait s'en trouver altérée ! Curieusement, la remarquable photographie noir et blanc ne fait rien pour nous tenir à distance: au contraire, j'ai trouvé que les images acquéraient presque, grâce à ce choix, une dimension mythologique. Bon... je n'irai pas jusqu'à parler de portée universelle: je crois juste qu'il n'est pas indispensable de connaître l'Asie pour céder au charme vénéneux du récit. Et je n'ai pas terminé d'en explorer les symboles...

Fièvre sur Anatahan
Film japonais de Josef von Sternberg (1953)

De la fin des événements au film, il ne se sera passé que deux ans ! Cela renforce encore la puissance émotionnelle de ce long-métrage atypique, entièrement basé sur une histoire qui ne l'est pas moins. Comment trouver une oeuvre vaguement comparable ? Signes de vie n'est qu'un très lointain cousin allemand et Profonds désirs des dieux un choc d'une autre nature. Voyez L'île nue. Ou Tabou, à la rigueur...

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Et pour aller un peu plus loin encore...

Le film est mis à disposition sur la plateforme Arte jusqu'au 19 avril. Et vous pourrez également vous référer à l'avis de "L'oeil sur l'écran" !

dimanche 28 mars 2021

En attendant Clint...

Une info rapide: je profite d'avoir revu La mule (avec mes parents) pour vous dire deux mots du tout dernier projet de Clint Eastwood. Entre le 4 novembre et le 16 décembre l'année dernière, le réalisateur est parvenu à mettre en boîte un nouveau film, intitulé Cry Macho. Et qui y tient le rôle principal, à votre avis ? Clint lui-même, bien sûr !

Le pitch est tout ce qu'il y a de plus eastwoodien: une ancienne star du rodéo est contactée par un homme qui lui demande de se rendre au Mexique pour ramener son fils, parti avec sa mère alcoolique. C'est l'adaptation d'un roman de N. Richard Nash, lui-même auteur d'un premier scénario dès 1975, mais incapable de trouver un studio pour tourner. L'intérêt d'Eastwood pour le sujet remonte déjà à 1988 !

D'autres comédiens auraient pu lui griller la politesse: Burt Lancaster et Pierce Brosnan furent évoqués. Roy Scheider, lui, eut la possibilité de se lancer en 1991: sa version est restée inachevée. On parla ensuite d'Arnold Schwarzenegger, mais élu gouverneur, il fut retenu par ses obligations politiques, puis englué dans un scandale d'enfant caché ! Autant de circonstances qui ont fini par sourire à Papy Clint...

Reste à envisager l'avenir et à réfléchir à la chronologie des médias. Warner annonce le film pour le 22 octobre, mais le rendrait disponible en simultané au cinéma et sur sa plateforme à la demande, HBO Max. D'où ma crainte: d'autres longs-métrages exploités de cette manière risquent en effet de ne jamais être proposés aux salles françaises. Comme si le coronavirus avait besoin d'aide pour plomber l'ambiance !

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Et vous, vous l'attendez, cet Eastwood 2021 ?

Je vous invite à me livrer vos diverses impressions en commentaires.

vendredi 26 mars 2021

Liaison fatale

Le nom de Gabrielle Russier vous est-il familier ? Cette jeune femme a défrayé la chronique en 1968 lorsque, professeure dans un lycée marseillais, elle a entretenu une liaison avec l'un de ses élèves. L'affaire est venue devant la justice et s'est terminée par un suicide. Très vite, ce drame a inspiré un beau film. Son titre: Mourir d'aimer.

Sorti trois ans après les faits, ce long-métrage témoigne du courage et de l'engagement de l'actrice principale: la grande Annie Girardot. C'est elle qui m'a donné envie de me pencher sur cette triste histoire. C'est elle aussi qui tient le film sur ses épaules, avec plus de force que son jeune partenaire - Bruno Pradal, il est vrai encore débutant. Avec le recul du temps qui est passé, on mesure mieux l'injustice qu'ont eu à subir les deux amants: en prison pour elle, en hôpital psychiatrique pour lui. Et, même si leur (grande) différence d'âge pose question, on est choqué de voir à quel point la famille de l'ado s'est acharnée contre celle qu'elle considérait comme une sorcière ! Ces gens, pourtant, avaient plutôt des idées orientées très à gauche. Ils étaient eux aussi professeurs. Et ils connaissaient bien Gabrielle...

Surprise: au début du film, un carton indique que les personnages sont imaginaires et présente ainsi comme une "pure coïncidence" toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé. Certes, au cinéma, tout se passe à Rouen, mais après m'être penché sur les vrais protagonistes, je peux vous certifier que le scénario reste extrêmement proche de la réalité historique. Mourir d'aimer entre d'ailleurs aussitôt dans le vif du sujet: il ne donne aucun détail sur la manière dont le couple a pu se former et vient de facto rappeler qu'il n'a eu que très peu de temps - et d'occasions - pour s'épanouir vraiment. Dans le contexte post-Mai 68, c'est un constat saisissant ! Je n'ai pas été franchement surpris d'apprendre que le long-métrage avait connu un grand succès à sa sortie: 5,9 millions de spectateurs. Il occupe le cinquième rang des films français les plus vus au cours des années 70... et mérite que l'on s'y intéresse encore aujourd'hui. Le relatif académisme de sa réalisation n'en amoindrit pas la force. Allez donc savoir comment tout cela se serait terminé, de nos jours...
 
Mourir d'aimer
Film français d'André Cayatte (1971)

Cette histoire ne pouvait être examinée qu'avec beaucoup de pudeur. Nul besoin de crier pour être percutant: d'une très grande sobriété formelle, ce long-métrage nous montre à l'évidence qu'un style retenu permet tout aussi bien de faire passer de belles émotions au cinéma. D'autres films d'amour contrarié ? Le secret de Brokeback Mountain en est un, mais pas vraiment comparable. Je veux revoir Love story !

mercredi 24 mars 2021

Une vie sous contrôle ?

Le voyage dans le temps est l'un des thèmes récurrents du cinéma fantastique. Dans le film que je présente aujourd'hui, un jeune adulte possède le super-pouvoir de revenir dans le passé rien qu'en serrant les poings et en se concentrant, le tout dans une petite pièce sombre. Ce qui lui donne la chance... de corriger quelques erreurs de parcours.

Il était temps
est un film que j'avais raté au cinéma et j'espérais voir depuis longtemps. Il présente d'abord des airs de comédie romantique moderne: Domhnall Gleeson, qui incarne Tim, est certes un peu vieux pour ce rôle, mais "colle" bien avec la gaucherie de son personnage. Certains se reconnaîtront sans doute dans cet avatar de cinéma. Léger, le ton du long-métrage s'enrichit d'une petite dose de gravité quand le héros vieillit, se marie, a un boulot et un premier enfant. Tout ce cheminement peut sembler banal, mais sa simplicité même rend l'affaire attachante. On nous raconte l'histoire d'une simple vie qui ressemble à la nôtre, à cette différence près que sa trajectoire peut être rectifiée si elle s'écarte du droit chemin d'abord envisagé. Serait-ce judicieux de vouloir ainsi contrôler sa destinée ? Ce récit alimente la réflexion et traite la question avec beaucoup de finesse...

Incarné par l'excellent Bill Nighy, le père du principal protagoniste apporte au film un léger supplément de mélancolie qui le transforme en autre chose qu'une pochade post-adolescente des plus ordinaires. Mary, la compagne de Tim (Rachel McAdams), passe au second plan quand les deux hommes se rapprochent, ce qui paraît à la fois logique et un peu regrettable - je ne pense pas que sa présence sur le devant de la scène aurait affaibli le propos. Bref... tel quel, Il était temps conserve assez d'atouts dans son jeu pour séduire un large public. Aurait-il cependant été mal distribué en France ? Il n'y a guère attiré qu'un peu plus de 217.000 spectateurs dans les salles obscures. Allociné lui accorde toutefois une note de 4,2 / 5 côté grand public. Bon... il est vrai que la note "médias" est plus faible (3,2 seulement). Ce serait vraiment dommage de reculer à la lecture de ce chiffre moyen: comme à chaque fois, la vérité du film, c'est d'abord la vôtre !

Il était temps
Film britannique de Richard Curtis (2013)

Scénariste réputé, le réalisateur mélange ici l'humour et l'émotion pour composer un joli film, avec sensibilité, mais sans mièvrerie. L'équilibre est presque parfait et offre un bon moment de cinéma populaire. À celles et ceux qui cherchent une comédie romantique originale, je conseille habituellement un opus coréen: My sassy girl. La délicatesse et Elle s'appelle Ruby m'avaient bien plu également...

lundi 22 mars 2021

Le rêve de la danse

"What a feeeeeeeeeeeeling" ! Qui n'a jamais daigné bouger son corps sur le tube im-pa-rable d'Irene Cara me jette la première pierre. J'avoue: je me suis transformé en midinette devant Flashdance. Mine de rien, il s'agit du sixième plus grand succès du box-office français pour l'année 1983. Il se classe troisième sur le sol américain !

Alex Owens, 18 ans, vit à Pittsburgh et travaille en tant que soudeuse dans une usine sidérurgique. Elle s'offre un complément de salaire comme danseuse sexy dans un cabaret, en tout bien tout honneur. L'adolescente, malgré toute sa fougue, n'a pas assez confiance en elle pour passer les auditions d'une école de ballet: elle a le sentiment qu'elle n'y serait pas à sa place. Elle vit donc un relatif entre-deux affectif, avec pour principale compagnie une ancienne ballerine devenue une vieille dame et le bon gros toutou qu'elle a adopté. J'imagine que la suite n'a rien de très surprenant: tout va s'arranger ! Flashdance est l'un de ces récits initiatiques propres au cinéma US...

Sans échapper aux clichés, le film est donc transcendé par une bande originale emballante, qui rappellera des souvenirs à celles et ceux d'entre vous qui ont connu - et aimé - les eighties. "She's a maniiiiac ! Maniiiiiiac on the floor ! And she's dancing like she's never danced before" ! Les grands hymnes de cette joyeuse époque s'enchaînent sans répit et je suis persuadé que vous en reconnaîtrez quelques-uns. Bon... Flashdance n'a pas grand-chose d'autre à offrir, à dire vrai. C'est un classique de son temps, porté par l'énergie (communicative) de la jolie Jennifer Beals - 19 ans seulement lorsque le film est sorti. Wikipédia dit qu'elle fut choisie aux dépens de deux autres candidates et après que des photos ont circulé au sein de l'équipe de production. Pour les aider à se décider, il aurait été demandé à ces messieurs avec laquelle des trois comédiennes en lice... ils aimeraient coucher ! C'est certain qu'à l'époque, il n'était pas encore question de #MeToo...

Flashdance
Film américain d'Adrian Lyne (1983)

Quatre étoiles généreuses pour cette guimauve à la saveur vintage. Quelque chose dans le scénario m'a rappelé Rocky, autre "biographie" d'un héros issu du peuple qui s'accomplit - et se révèle à lui-même - via la pratique d'une activité physique. Si l
a danse vous a attirés jusqu'ici, un classique pourrait vous plaire (Les chaussons rouges ?). Parmi les films récents, je conseille The fits ! Et mieux encore: Yuli !

samedi 20 mars 2021

Tordu et farfelu

J'ai récemment entendu Pierre Richard parler à la télé de ses regrets d'avoir refusé un rôle (principal) dans un film avec Louis de Funès. C'est aux côtés de Michel Serrault - et d'Anna Galiena - qu'il évolue dans Vieille canaille. Je n'avais jamais entendu parler de cet opus jusqu'à son arrivée au programme... de l'une de mes chaînes Internet.

Imprimeur de province, Darius Caunes s'entend si mal avec sa femme qu'un soir, il finit par l'étrangler. Deux années passent sans qu'il soit inquiété. Notre homme a sympathisé avec le flic chargé de l'enquête et gardé tant de confiance en son talent qu'il arrondit ses fins de mois en se fabriquant de faux billets, qu'il blanchit allégrement dans l'une ou l'autre des boutiques des villes environnantes. Une mécanique huilée à la perfection et que rien ne semble dès lors devoir enrayer. Évidemment, comme vous pouvez l'imaginer, ce n'est pas si simple ! On constatera non sans jubilation qu'une secrétaire un peu godiche pourrait bien être le grain de sable venu dérégler la belle horlogerie...

Deux personnages ambigus, un autre du genre tordu: Vieille canaille nous propose un spectacle tout à la fois décousu et farfelu. Le film souffre parfois d'un manque de rythme, mais attire la sympathie grâce aux trois acteurs principaux. Avis à ses fans: Catherine Frot apparaît, elle aussi, dans un petit rôle - son quatorzième au cinéma. Cette distribution prestigieuse ne fait pas du film un vrai classique incontournable, mais elle le rend agréable à suivre, faute de mieux. Allergiques à l'humour noir (et potache), vous pouvez vous abstenir ! Les autres, je ne vois pas de raison objective de bouder votre plaisir possible, à moins que vous attendiez davantage qu'un divertissement sans prétention. Pour une p'tite soirée plateau-télé, ça fera l'affaire. Même si, à l'époque, le film n'a attiré que 161.370 curieux en salles...

Vieille canaille
Film français de Gérard Jourd'hui (1993)

Serrault fait du Serrault, Richard joue - légèrement - à contre-emploi et Galiena sur plusieurs tableaux: la combinaison est assez décente. J'ai repensé à Rien ne va plus pour le grand Michel en arnaqueur toujours, avec cette fois Isabelle Huppert comme complice régulière. L'escroquerie de large envergure n'a pas forcément le même charme. Sauf si L'arnaque est montée par Newman et Redford, bien entendu !

jeudi 18 mars 2021

À un fil

La voix suffit-elle pour générer le frisson ? Le film dont je parlerai aujourd'hui le laisse supposer, puisqu'il n'est autre que l'adaptation d'une pièce radiophonique (diffusée sous la forme d'un monologue). Raccrochez, c'est une erreur ! bénéficie, au cinéma, d'un casting séduisant, avec Barbara Stanwyck et Burt Lancaster en tête d'affiche !

Désormais presque constamment reliés à nos smartphones, on oublie qu'il y a seulement quelques décennies, il fallait qu'une opératrice intervienne avant que nous puissions entrer en communication directe avec un correspondant. Dans mon thriller du jour, un bug perturbe la liaison d'une femme malade, contrainte à ne plus bouger de son lit et dont le mari s'est soudain absenté de manière imprévue. C'est ce problème technique qui fait de Leona Stevenson le témoin auditif d'un complot criminel. Avertie, la police ne prend pas la chose au sérieux - et la pauvre qui a tout entendu de voir sa peur grandir ! Scénario improbable, direz-vous ? Peut-être, mais tout "fonctionne"...

L'action se déroule pour ainsi dire en temps réel: cela apporte au film une touche de modernité bien venue et un rythme plutôt haletant. IMDb pointe quelques faux raccords, mais c'est juste pour chipoter. Moi, je me suis laissé embarquer, avec juste un questionnement ultime sur l'interprétation de la fin (que je ne vais pas vous révéler). Oui, Raccrochez, c'est une erreur ! démontre encore une efficacité certaine, et ce malgré son grand âge: du bon cinéma hollywoodien. Honnêtement, j'aurais préféré que toute l'intrigue se déroule à huis clos, mais le fait est que l'affaire est malgré tout assez bien ficelée pour que l'on prenne plaisir à ses divers rebondissements. En un mot comme en cent, les promesses du départ sont tenues: c'est déjà bien. On évitera de laisser traîner son portable dans sa chambre à coucher !

Raccrochez, c'est une erreur !
Film américain d'Anatole Litvak (1948)

Une fois amorcé, le suspense ne faiblit guère: le film est donc réussi. La performance de Barbara Stanwick m'a beaucoup plu, Burt Lancaster paraissant plus effacé - il n'avait certes que deux ans d'expérience. Bon... pour l'angoisse, j'ai préféré Chut... chut, chère Charlotte. Vous cherchez une production cinéma plus récente avec un téléphone comme objet central ? The guilty pourrait assurément vous convenir !

lundi 15 mars 2021

Braquages

Vous savez que j'aime rapprocher les films entre eux. Les différences qui séparent les deux opus dont je voulais vous entretenir aujourd'hui ne m'ont pas empêché de remarquer qu'il est question d'un braquage dans l'un et l'autre de ces récits. D'où mon envie de les aborder ensemble dans un diptyque, il est vrai un peu "tiré par les cheveux"...

Tueurs
Film belge de François Troukens et Jean-François Hensgens (2017)

Avec Olivier Gourmet et Bouli Lanners en tête d'affiche, il faut dire que ce polar m'attirait beaucoup. Âmes sensibles, soyez prévenues d'office: c'est un vrai film noir, sans concession et violent. L'intrigue tourne autour d'une bande de truands, en route pour un dernier coup. Leur casse ultime est une vraie réussite, mais tout dégénère soudain lorsqu'ils s'extraient du lieu de leur crime: les malchanceux anonymes qui passaient dans le coin sont abattus sans sommation. La police identifie une magistrate parmi les victimes... et ce n'est que le début d'une longue cavale, rythmée par de spectaculaires rebondissements. Comme ma notation peut vous le laisser supposer, je me suis régalé avec cette histoire réglée au cordeau et inspirée par le parcours sanglant de ceux que les Belges ont appelé "les tueurs du Brabant". Une affaire criminelle des années 80, encore non totalement élucidée. Un terreau idéal pour un film musclé et qui ne laisse pas indifférent...

 
L'affaire Thomas Crown
Film américain de Norman Jewison (1968)

Changement d'atmosphère radical avec ce grand classique du cinéma américain dont, jusqu'alors, je ne connaissais que le titre français. Avec Faye Dunaway et Steve McQueen en duo-vedette, la dimension glamour du long-métrage saute aux yeux, au risque de détourner notre attention du scénario. Un braquage de banque préparé au quart de poil tourne à l'avantage du cerveau de l'opération: le propriétaire légitime de l'établissement de crédit ! Ce fringuant trentenaire rongé par l'ennui est alors traqué par une très jolie jeune femme, experte des assurances bientôt tombée sous le charme de ses grands yeux bleus et de son sourire Ultra Brite (à moins que ce ne soit lui qui...). Une partie d'échecs et un lonnnnnnng baiser plus tard, j'ai bien senti qu'il ne fallait pas espérer plus ici qu'une romance vintage, sublimée par la bande originale - oscarisée ! - d'un dénommé Michel Legrand. Légère déception au final: j'attendais quelque chose de moins sucré...

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Pour finir, un constat et une invitation au débat...

Aucun de mes habituels blogs-références n'évoque l'un de ces films. Vous auriez d'autres braquages en vue ? Je reste donc à votre écoute !

samedi 13 mars 2021

Un joyeux ennui

Jean-Paul Rappeneau, grand cinéaste discret, approche gentiment d'un très bel âge: on fêtera ses 89 ans le 8 du mois d'avril prochain. J'ai découvert récemment son tout premier long-métrage: emporté par le duo Catherine Deneuve / Philippe Noiret, La vie de château reste comme l'une des premières comédies à évoquer la Guerre de 40.

Récemment mariée avec un châtelain mollasson, Marie s'ennuie ferme entre les murs de sa propriété normande. Qu'un inconnu y soit entré pour dérober quelques malheureuses poires et pommes l'indiffère. Jérôme, lui, aimerait que sa femme partage son courroux fruitier. Entre résistants parachutés et occupants allemands, les tourtereaux supposés sont-ils vraiment faits pour s'entendre ? Si Madame Bovary avait été une pochade, Flaubert aurait peut-être donné la réponse. Heureusement, en dépit de quelques similitudes, La vie de château s'écarte sensiblement de son "modèle" tragique: la complémentarité souriante des deux acteurs principaux est un vrai délice à sa-vou-rer !
 
Il est des réalisateurs qui m'émeuvent grâce à une succession de plans fixes. Jean-Paul Rappeneau, pour sa part, séduit par le mouvement. Oui, La vie de château est un film qui bouge beaucoup, mais jamais pour masquer une faiblesse scénaristique ou une direction d'acteurs peu inspirée. J'ai trouvé que le fond et la forme se répondaient idéalement, sublimés encore par un beau noir et blanc (restauré HD). En son temps, ce long-métrage obtint le Prix Louis-Delluc, présenté parfois comme le Goncourt du cinéma, et resta une année entière dans certaines salles. Bien que d'un autre temps, il n'a pas vieilli. C'est même le contraire: sa joyeuseté m'apparaît comme un bonbon face à l'amertume de notre époque tourmentée par ce satané virus. Avant la réouverture des salles, il vaut donc très largement le détour !

La vie de château
Film français de Jean-Paul Rappeneau (1966)
Une fantaisie, oui, mais une fantaisie douce, agréable à regarder. L'insouciance berce cette histoire... aux rebondissements bienvenus. D'autres l'ont dit: toute ressemblance avec les screwball comedies US n'est pas nécessairement fortuite. Le débit de certains dialogues s'accélère, ainsi que le rythme, comme jadis dans New York - Miami, L'impossible Monsieur Bébé et La huitième femme de Barbe Bleue !

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Vous souhaiteriez voir le film à travers un autre regard ?

Strum et Lui l'aiment aussi. Vincent le place en must de l'année 1966 ! J'espère, quant à moi, pouvoir recueillir un (ou des) avis féminin(s)...

vendredi 12 mars 2021

Marina (ou pas)

Rappel: ce soir, Marina Foïs présente la 46ème cérémonie des César. D'où cette drôle de photo d'actu, signée Sabine Villiard pour Canal +. Et ? Je ne suis pas sûr d'allumer ma télé, mais je n'en reparlerai pas sur ce blog, si ce n'est pour mentionner le "meilleur film" dans la page spéciale qui énumère déjà ses prédécesseurs (voir le lien, à droite). Constat: il y a encore beaucoup de "césarisés" que je n'ai jamais vus !

Bien que le grand raout du cinéma français ne me fascine plus, la liste des lauréats continue de m'intéresser. Après ce fichu millésime 2020 tronqué par la Covid, il y a tout de même 45 films en lice cette fois ! Parmi ceux-là, à ce jour, j'en ai vu huit - dont deux des prétendants au César du meilleur film étranger, à savoir 1917 et Eva en août. J'imagine que ce nombre grandira avec le temps. À suivre, donc. Allez... ma prochaine chronique, elle, est prévue pour demain midi. Et de quoi parlera-t-elle ? Je vais vous laisser revenir pour le savoir...

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J'ai écrit cette note... et fait une découverte consternante...
Mise en ligne par Canal + toujours, la bande-annonce de la cérémonie voit Marina Foïs engoncée dans sa robe chic. La comédienne avance lentement vers la caméra, cite certains des films en lice et pète ! Est-ce ainsi que la télé veut défendre le cinéma français ? Ça craint...

mercredi 10 mars 2021

Un gars, une fille, etc...

J'ai vu bien assez de bons films japonais pour ne pas crier au scandale quand un long-métrage arrivé du Pays du soleil levant me déçoit. First love - Le dernier yakuza est sorti dans les salles françaises l'année dernière, le 1er janvier, et je pensais d'ailleurs aller le voir. Finalement, d'autres lui sont passés devant. Et je n'ai pas de regret...

C'est ma foi désolant, mais je n'ai pas tout compris. Juste qu'un gars doit s'arrêter de boxer après qu'on lui a diagnostiqué une tumeur cérébrale et qu'il va alors croiser une fille, toxicomane et prostituée. Lui a été abandonné quand il était petit, elle a servi de monnaie d'échange à un père endetté jusqu'au cou: on peut certes se réjouir d'avoir affaire à des personnages... disons pour le moins atypiques. Bientôt, les voilà embarqués dans une histoire de trafic de drogue ! Résultat: il leur faudra à la fois vaincre chacun leurs démons personnels, mais aussi échapper à tous les tarés qui se lancent aussitôt à leur poursuite - un mélange de mafieux japonais, gangsters chinois et policiers possiblement ripoux. C'est là que j'ai décroché. Qui est qui ? Et qui veut quoi ? Impossible de bien mesurer les enjeux.

Est-ce que c'est dommage ? Peut-être, oui, parce que, sur le plan esthétique, First love... a de la gueule. Pour plusieurs des critiques dont j'ai parcouru la prose après coup, il y a là un style visuel assumé et proche de celui d'un certain Quentin Tarantino. Assez peu amateur de ce type de représentations, je suis resté sans grand enthousiasme devant ces images. Oh ! Je ne doute pas que certain(e)s d'entre vous sauront les apprécier davantage, jusqu'à la scène du grand règlement de comptes final. Mais franchement, je me suis longtemps demandé ce que tout cela voulait livrer comme message ! Le premier degré purement geek n'a pas rassasié mon appétit cinéphile, pour une fois. Triste constat: je n'y ai vu qu'une série de clichés sans grand intérêt. NB: on trouve très facilement des interviews du réalisateur sur le Net.

First love - Le dernier yakuza
Film japonais de Takashi Miike (2019)

Voilà voilà voilà... une note sévère pour traduire mon peu d'intérêt. C'est avec ce film que je découvre le cinéaste, dont les admirateurs disent qu'il est très prolifique. Pas envie d'y replonger pour l'instant. En Corée, A bittersweet life est plus lisible. Idem pour Lucky Strike. Rien de fou. Autant revoir un Mi$e à prix et / ou encore un Kill Bill quelconque pour avoir son comptant d'hémoglobine. Si vous y tenez...

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Vous voulez lire un autre avis ?

Je n'ai pas l'impression que Pascale soit réellement plus enthousiaste.

lundi 8 mars 2021

Les nouveaux pionniers

Les fidèles du blog le savent: je suis fasciné par la conquête spatiale. C'est la raison qui m'a poussé à découvrir L'étoffe des héros, un film sorti moins de quinze ans après l'arrivée de l'homme sur la Lune. Comment a-t-on pu arriver à ce succès ? C'est un peu ce qu'il raconte. L'épopée d'une poignée d'hommes courageux, déterminés et/ou fous !

Tout commence deux ans après la fin de la Seconde guerre mondiale. Sur la base militaire de Muroc Field, en Californie, Chuck Yeager prend place à bord d'un avion avec pour objectif de vaincre le démon du ciel - comprenez de battre le mur du son. Et oui, il y parvient ! C'est ainsi qu'il inscrit un tout nouveau nom à la liste des légendes aériennes, prouvant au passage que ceux qu'on appelle les pilotes d'essai pourraient bien, un jour ou l'autre, monter jusqu'aux étoiles. D'emblée, le ton du film est donné: l'espace est clairement désigné comme ce que Kennedy appellera par la suite "la nouvelle frontière". D'abord vu à cheval, Yeager ressuscite en somme l'image du cowboy éternel et apprend à dompter la technologie pour la gloire du pays. Mais la fresque épique qui nous est promise ne fait que commencer...

Le scénario nous invite ensuite à nous intéresser aux sept membres du projet Mercury, lancés dans une grande lutte avec les Soviétiques pour être les premiers à voler au-dessus de l'atmosphère terrestre. Derrière l'importance scientifique de leurs missions, le long-métrage n'oublie pas d'exposer aussi, avec subtilité, leurs enjeux politiques. Cela étant souligné, je dois dire que j'ai particulièrement apprécié que toute cette histoire nous soit bel et bien racontée à hauteur d'homme. De longues séquences montrent en effet la réalité de la vie quotidienne de ceux qu'on désignera bientôt comme des astronautes. L'étoffe des héros mise sur la durée: (un peu) plus de trois heures. Un bon équilibre est trouvé et ouf ! On nous épargne l'hagiographie sirupeuse, vers laquelle la destinée de ces hommes aurait pu mener...

Pour un film de bientôt 40 ans, le long-métrage se montre épatant dans ses séquences aériennes et spatiales: il est porté par un souffle homérique presque constant. C'est en outre grâce à sa distribution impeccable qu'il s'illustre au plus haut point: après Sam Shepard d'entrée de jeu, vous croiserez aussi la route d'Ed Harris, Scott Glenn, Dennis Quaid... et, vous le voyez, je ne parle ici que des garçons. Chez ces dames, et à titre d'exemples, je retiendrai les prestations inspirées de Barbara Hershey, Pamela Reed ou Mary Jo Deschanel. Suivre le parcours de ces "femmes de" est intéressant: on comprend qu'elles ont été soumises à de très lourdes pressions médiatiques. Aujourd'hui, on dirait sans doute que les succès de leurs chers époux sont un peu les leurs. Le dire en 1960, déjà, ça flattait la ménagère...

Autre point intéressant: le film n'est pas exempt d'une certaine forme de poésie. Je pense notamment à une scène où les escarbilles d'un feu allumé en Australie figurent des lucioles pour l'un des personnages. Impossible d'en dire plus sans spoiler ! Je peux toutefois vous révéler que la bande originale de L'étoffe des héros m'a plu, même si j'ai vu que certains la jugeaient grandiloquente (et nuisible aux images). Tout cela n'est rien d'autre qu'une question de sensibilité, je suppose. On a aussi le droit de penser que cette belle histoire flatte l'Amérique dans le sens du poil, là où la vérité des faits apparaît plus nuancée. Pour ma part, j'ai profité du spectacle sans me poser de questions existentielles sur l'arrogante fierté de la nation à la bannière étoilée. Sans conteste, une idée parmi les emballantes de mon début d'année !

L'étoffe des héros
Film américain de Philip Kaufman (1983)

Malgré le temps passé depuis sa sortie, ce film "fonctionne" encore. Son aspect réaliste et lyrique à la fois plaira certainement à ceux d'entre vous qui trouvent un opus comme First man trop tape à l’oeil. Vous préférerez peut-être un vrai documentaire comme Apollo 11. Autre option: Les figures de l'ombre, sur la face cachée des missions spatiales. Une approche bien plus réelle... que celle de Seul sur mars.

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Maintenant, un choix s'offre à vous...

Vous pouvez retrouver Ideyvonne autour d'une chronique en images. Et/ou une analyse de Vincent, "expatrié" sur un autre blog que le sien.

samedi 6 mars 2021

Un verre, ça va...

Ma première image de Bruce Willis ? Celle d'un type capable d'éliminer à lui seul une bande de terroristes après une partie de cache-cache dans le building où ils ont pris des otages. J'avais bien occulté le fait qu'avant d'être John McClane, notre homme avait joué d'autres rôles. Dans Boire et déboires, "son" Walter Davis est tout sauf un gros dur !

Ce cadre bancaire va signer un gros contrat avec un client japonais. La transaction étant censée avoir lieu dans un restaurant chic, Walter doit dénicher une femme pour l'y accompagner et ainsi laisser croire que les moeurs occidentales et nippones sont presque identiques. Problème: la jolie fille qu'un ami lui indique réagit mal à l'absorption de la moindre goutte d'alcool... et tout va donc partir en cacahuète. Très fidèle à son titre, Boire et déboires est une comédie potache assumée, où Kim Basinger s'illustre en vraie catastrophe ambulante. Les personnages secondaires - dont celui, savoureux, d'un ex jaloux - pousseront le vice jusqu'au point de non-retour ! Sérieux, s'abstenir...

Autant le dire sans fausse gêne: Blake Edwards a fait mieux. Ce blog présente d'ailleurs quelques autres de ses oeuvres, que je classe parmi mes films cultes. Qu'importe: on n'est pas là pour finasser. Pour une soirée plateau-télé, Boire et déboires reste un programme digne d'intérêt, un peu aussi comme le témoin d'une époque révolue. Quelque chose me dit que certaines de ses vannes, si anodines soient-elles pourtant, passeraient beaucoup moins bien aujourd'hui. Cela étant précisé, je voudrais vous convaincre que le coeur du film est fondant: son romantisme finit évidemment par prendre le dessus. Mais d'abord, une longue (et tordante) scène de veille de mariage nous offre son lot de portes qui claquent, dans une ambiance vaudevillesque qui peut nous rappeler les grands Labiche et Feydeau. Si vous vous prenez à ce petit jeu, l'insouciance qui s'en dégage boostera votre moral abîmé par la crise sanitaire. C'est un argument !

Boire et déboires
Film américain de Blake Edwards (1987)

Un long-métrage sympa à regarder (sans trop le prendre au sérieux). Bon... pour causer des ennuis, le personnage de Hrundi V. Bakshi dans La party - du même réalisateur - n'a aucun équivalent connu. Des héros qui créent la catastrophe, vous en trouverez également dans La course à l'échalote, par exemple, ou encore Les bêtises. After hours est une belle litanie d'emmerdes, mais j'ai moins aimé...

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Vous aimeriez un dernier verre ?

Il me semble que Lui, de "L'oeil sur l'écran", est disposé à vous l'offrir.

jeudi 4 mars 2021

En coupe réglée

Des producteurs américains, français et tchèques. Une réalisatrice danoise. Des acteurs hollywoodiens. Serena est un vaste melting pot créatif, adapté d'un roman de Ron Rash, né, lui, en Caroline du Sud. L'histoire retiendra qu'aux States, les distributeurs l'ont sorti trois ans après la fin du tournage. Comme s'ils n'y croyaient pas franchement...

George Pemberton dirige une entreprise de bois de construction. L'affaire tourne plutôt correctement, mais le travail dans la forêt s'avère relativement dangereux pour les bucherons et autres ouvriers. Malgré les hésitations de ses associés, le patron tient le cap et refuse de vendre son terrain aux promoteurs d'un parc national. Il y revient un jour avec une femme, tout à fait prête à s'investir à ses côtés. Serena Shaw a du caractère et, dès le premier jour, convainc chacun qu'elle n'est "pas venue ici pour faire de la broderie". Dans l'Amérique pauvre de la Grande Dépression, ce point de départ scénaristique pourrait ouvrir la porte à une belle fresque sociale à l'ancienne. Finalement, le film s'écarte vite de cette veine et propose un drame convenu, "glamourisé" par le duo Jennifer Lawrence / Bradley Cooper.

On est en 1929 et, parfois, on se croirait presque en 1875: le mythe des pionniers et l'imagerie légendaire des westerns ne sont pas loin. N'ayant pas lu le livre, je ne peux juger du niveau de fidélité du film au récit originel, mais j'ai entendu dire que la fin était différente. Sous cette forme, Serena n'a pas été très bien accueilli: le box-office est resté très en-deçà des attentes, avec à peine 80.465 spectateurs dans les salles françaises, par exemple. Au 254ème rang de 2014 ! Mais le film mérite-t-il mieux ? Peut-être. Qu'il n'offre qu'un nombre limité de surprises joue clairement en sa défaveur: toute l'intrigue semble quelque peu cousue de fil blanc. La reconstitution historique d'une époque difficile pour l'Amérique est toutefois soignée: l'amateur de costumes que je suis a largement eu de quoi régaler ses mirettes. Seul vrai regret: avoir dû me contenter d'une diffusion télé en version française. Le reste tient encore la route, même si je l'oublierai vite...

Serena
Film américain de Susanne Bier (2014)

Trois étoiles et demie: la p'tite prime pour le duo d'acteurs vedettes. Je n'ai rien vu d'extraordinaire, mais rien de très infamant non plus. Un peu à cette même époque, Des hommes sans loi m'avait laissé froid. L'Amérique pauvre est mieux filmée dans Les moissons du ciel et, je veux le supposer, Les raisins de la colère (John Ford / 1940). Pour les comédiens déjà cités, mieux vaut voir Happiness therapy...

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Envie d'aller plus loin ?

Vous pourrez voir que Pascale et Dasola, elles aussi, ont parlé du film. Et la seconde nommée nous confie également... son avis sur le livre

lundi 1 mars 2021

Comme dans un étau

Asghar Farhadi a pu réaliser Le client en attendant de réunir l'équipe de l'un de ses films européens. "C’était l’occasion pour moi de faire un film en Iran, pour mon plus grand bonheur", a expliqué l'Iranien. Présenté à Cannes, cet opus en est reparti avec le Prix du scénario et, pour Shahab Hosseini, le Prix d'interprétation masculine. Pas mal !

En couple et jeunes comédiens à Téhéran, Rana (Taraneh Allidousti) et Emad (Shahab Hosseini, donc) doivent quitter leur appartement commun, ébranlé par de fortes secousses. Un membre de leur troupe décide alors de leur en prêter un autre. Problème: une ex-locataire est partie en y laissant des affaires personnelles et ne veut pas venir les chercher. Tendue, la situation s'aggrave encore un soir où Emad rentre tard: Rana, restée seule chez elle, est violemment agressée. Très habilement, ce n'est ensuite qu'au compte-gouttes que Le client révèle ses secrets, y compris celui de ce titre d'abord énigmatique. Vous noterez toutefois que certains éléments demeurent dans l'ombre jusqu'au bout, divers points du récit restant sujets à interprétation. Lire (a posteriori) plusieurs critiques sur le film m'a bien démontré qu'il ne pouvait pas être perçu par tout le monde de la même façon. Moi, je juge cette relative incertitude agréable parce que stimulante !

Est-elle aussi révélatrice du style d'Asghar Farhadi ? Je peux le croire. Certains exégètes estiment toutefois que le cinéaste tourne en boucle autour des mêmes idées et qu'il n'invente donc plus rien de notable. Possible, mais, quitte à me répéter, je tiens à dire qu'ici, je reste convaincu par son talent pour les histoires... mais aussi pour la mise en scène. Un bémol à mes yeux ? Sa tendance à "charger la mule". Comme d'autres, Le client multiplie en effet les rebondissements finaux: je peux comprendre que cela lasse ou paraisse un peu facile. Artiste cérébral et érudit, le réalisateur s'est visiblement fait plaisir en filant la métaphore théâtrale, en jouant sur les faux semblants propres à la scène et la force des non-dits. Il appuie un parallèle possible entre le cadre du film et le New York de Mort d'un commis voyageur, la pièce d'Arthur Miller. Lors de la sortie du film, l'auteur voyait Téhéran comme "une ville qui change de visage à une allure délirante", notant que "ceux qui ne peuvent s’adapter à cette course effrénée sont sacrifiés" ! Et les artistes restent soumis à la censure...

Le client
Film iranien d'Asghar Farhadi (2016)

On est un peu à la jonction entre L'insulte et Prisoners, à mon sens. Vous le voyez: mon bilan reste largement positif. Ce film très réfléchi n'a rien d'un divertissement, mais c'est en revanche une oeuvre forte par bien des aspects - malgré, d'accord, quelques "grosses ficelles". Côté iranien, Une séparation, du même réalisateur, fait référence. Et, sur un sujet assez proche, Un homme intègre mérite un détour...

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Je tenais à conclure sur une anecdote...

Après Cannes, Taraneh Allidousti a fait polémique pour un tatouage féministe. En 2020, elle a diffusé une vidéo sur l'action de la police des moeurs et alors été condamnée pour "activités de propagande contre l'État" à cinq mois d'emprisonnement (avec sursis à exécution).

Et pour en terminer avec le film du jour...
Je vous laisse découvrir les opinions - nuancées - de Dasola et Strum.