lundi 18 mars 2024

507 kilomètres

Je ne vais pas vous mentir: au terme du film que je vous ai présenté avant-hier, j'avais besoin d'un peu de légèreté. C'est dans cet espoir d'un récit positif qu'après six jours, j'ai regardé Une histoire vraie. Ce long-métrage a 25 ans cette année et vient juste d'être restauré. On a souvent répété qu'il était "à part" dans la filmo de David Lynch...

Alvin Straight, un Américain de 73 ans, habite avec sa dernière fille dans une modeste bourgade de l'Iowa. Sa santé est vraiment fragile. Mais il y a pire: Lyle, son frère, vient d'être la victime d'une attaque. Or, depuis dix ans, les frangins, fâchés, ont pris leurs distances. Alvin décide d'oublier cette querelle pour rendre visite à son parent dans le Wisconsin. Comme sa vue vacille et qu'il est de fait incapable de conduire, il choisit dès lors d'effectuer les 507 kilomètres nécessaires au volant... de sa tondeuse à gazon. Et le voilà alors parti pour des semaines de périple à travers l'Amérique profonde, héros fou et admirable d'un road movie à vitesse réduite. Le plus surprenant étant qu'Une histoire vraie en est bel et bien une, d'histoire vraie ! Et vous trouverez facilement de quoi le vérifier, ailleurs sur la Toile...
 
À quoi tient la réussite d'un tel film ? À l'ambiance qui s'en dégage. Bon... pour le coup, ici, mes yeux et mes oreilles ont été comblés. Visuellement, Une histoire vraie est une belle réussite, liée au talent d'un directeur photo aujourd'hui décédé: Freddie Francis, octogénaire au moment du tournage et qui en terminait avec une carrière notable. Quant à la bande-son, elle bénéficie notamment d'une composition musicale des plus touchantes, oeuvre du regretté Angelo Badalamenti. Plus jeune que ses complices, David Lynch l'était aussi de son acteur principal, le charismatique Richard Farnsworth, atteint d'un cancer incurable (et qui se suicidera moins d'un an après la sortie du film). Heureusement, encore aujourd'hui, il reste à admirer Sissi Spacek dans un petit rôle et une prestation pour elle relativement inattendue. Présenté à Cannes en son temps, le film en était reparti bredouille. Que cela ne vous décourage pas de le découvrir - si ce n'est déjà fait !

Une histoire vraie
Film américain de David Lynch (1999)

Quatre étoiles pour le plaisir et une demie en bonus pour l'émotion toute particulière qui s'est emparé de moi devant ce vieux monsieur. Ah ! Décidément, le road movie à l'américaine regorge de surprises bouleversantes (cf. L'épouvantail ou Honkytonk man, entre autres). Cette tradition a traversé l'Atlantique et trouve des échos européens. J'ai des exemples: Eldorado, Rendez-vous à Kiruna, En roue libre...

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Vous voulez lire un autre avis sur le film ?

J'ai une bonne nouvelle pour vous: "L'oeil sur l'écran" en a publié deux.

samedi 16 mars 2024

Auprès des monstres

Avez-vous lu Les Bienveillantes, de Jonathan Littell, paru en 2006 ? Dans ce très long roman écrit en français, l'écrivain franco-américain fait le portrait de Maximilien Aue, un officier (imaginaire) de la SS. "Ce qui m’intéressait, c’était la question des bourreaux. Du meurtre d'État", précisait-il à l'époque. Un sujet qui reste des plus sensibles...

L'an passé, le cinéaste britannique Jonathan Glazer s'en est emparé. Et comment ? En travaillant sur
La zone d'intérêt, un autre livre consacré à la Shoah vue par les Nazis - ouvrage d'un compatriote d'origine galloise: Martin Amis. L'auteur est décédé le 19 mai dernier et donc moins de dix jours avant que le film ne décroche le Grand Prix au Festival de Cannes, lui qui avait été pressenti pour la Palme d'or. Quoi qu'il en soit, il était sans aucun doute un long-métrage attendu. Son ouverture donne le ton: le titre apparaît en blanc sur fond noir, devient lentement de plus en plus gris et finit par disparaître. Surprise: la première "vraie" image montre une dizaine de personnes installées au bord d'une rivière, devant les restes d'un pique-nique. L'aspect bucolique de la scène contraste avec ce qui arrive ensuite. Deux belles voitures se mettent en route et s'enfoncent dans la nuit vers Auschwitz, le principal camp d'extermination du Troisième Reich.
 
J'ai du mal à imaginer que vous soyez coupés de l'actualité du cinéma au point de n'avoir JAMAIS entendu parler du film. Son originalité tient à ce qu'il ne montre aucune victime de la barbarie hitlérienne. Enfin, si ! Quelques prisonniers convertis (de force) en domestiques et jardiniers pour le compte de Rudolf Höss, le directeur du camp. Présents dans presque chaque plan, oui, mais quasi-fantomatiques compte tenu de ce que Jonathan Glazer a voulu raconter: le quotidien ordinaire d'une famille installée dans une villa mitoyenne d'Auschwitz. Un homme, une femme, leurs cinq enfants et, parfois, leurs proches. Toutes et tous bénéficient d'un immense confort, à quelques mètres des lieux où plus d'un million d'êtres humains vont être massacrés. Seul un mur sépare les monstres de leurs victimes. La zone d'intérêt du titre est elle-même plus large, qui englobe les terres adjacentes sur plusieurs hectares. Elles aussi confiées à l'Obersturmbannführer...

Ces faits ont été réels, mais le cinéma induit toujours de la fiction. Je m'attendais dès lors à être très mal à l'aise du fait de ce décalage. Pourtant, non: j'ai vu pire, à l'écran comme dans les livres d'histoire. Rien n'est pris à la légère: le film est, sauf erreur, le fruit de cinq ans de travail. Il est pour ainsi dire irréprochable, visuellement parlant. L'ensemble de ce que j'ai vu m'a paru crédible: c'est plus qu'important. Dans le même temps, j'ai trouvé que les techniques du hors-champ étaient utilisées à très bon escient - pas besoin d'une couche d'horreur supplémentaire, en lien avec des images que nous connaissons tous. Ce qui me paraît à la fois intéressant et redoutable, c'est que le film stimule presque constamment un autre de nos cinq sens: l'ouïe. Résultat: une musique qui m'a semblé sortie d'un cauchemar sans fin et - surtout - des bruitages tout à fait évocateurs des abominations perpétrées à l'abri des regards. Tout cela au cinéma, c'est (très) fort !
 
Comment reprendre son souffle après coup ? C'est
difficile, bien sûr. Surtout quand La zone d'intérêt sort du camp et rejoint les salons mondains fréquentés par les Nazis, en marge desquels ils débattent des méthodes les plus efficaces pour accomplir leur oeuvre de mort. Quitte d'ailleurs à féliciter, au passage, les plus zélés d'entre eux. Aujourd'hui, peu ou prou huit décennies plus tard, j'estime primordial que la mémoire de ces sombres heures de l'histoire européenne perdure. Et je note que Jonathan Glazer nous parle aussi au présent ! Il a pu s'appuyer sur un groupe d'acteurs particulièrement investis dans leurs rôles, d'où émerge le duo Sandra Hüller - Christian Friedel. Résultat: l'une des oeuvres marquantes de ce premier trimestre 2024. J'éviterai de citer trop de noms afin d'être sûr de n'oublier personne. J'y reviendrai peut-être, sans être étonné que certain(e)s d'entre vous puissent s'en détourner. J'ai longuement hésité avant de m'y frotter...

La zone d'intérêt
Film britannique de Jonathan Glazer (2023)

Précision: cet opus a aussi des producteurs américains et polonais. Et, bien évidemment, il a été tourné en version originale allemande. À présent, pour comparer l'incomparable, il faudrait que je me décide à revoir La liste de Schindler, de Steven Spielberg (sorti en 1993). Autre option: affronter Le fils de Saul, qui date quant à lui de 2015. D'ici là, je vous suggère La vie est belle, Le pianiste et/ou Phoenix !

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Par ailleurs, vous avez une belle opportunité...

Celle de lire aussi les avis de Pascale, Dasola,
Princécranoir et Strum. Ou encore celui de Benjamin, mis en ligne quatre jours avant le mien.

mercredi 13 mars 2024

Le vrai Yémen ?

Ce n'était jamais arrivé: avec Les lueurs d'Aden, les salles de cinéma françaises ont pu accueillir un film yéménite pour la première fois. J'ignore combien elles ont été à le faire, mais j'ai trouvé cela positif. C'était en effet l'occasion de se pencher sur un visage du Yémen autre que celui qui fait l'actu en ce moment ! Et même s'il ne sourit guère...

Isra'a a du mal à nourrir ses trois enfants et en attend un quatrième. Comme Ahmed, son mari, elle estime qu'il serait préférable d'avorter. Mais la législation de son pays est floue: certains jugent interdit d'interrompre une grossesse dès son commencement, quand d'autres assurent que c'est encore possible dans les 40, voire les 120 jours ! Évidemment, c'est loin d'être un sujet de société dont chaque couple discute librement: le tabou perdure et pèse d'abord sur les femmes. C'est donc un véritable parcours de la combattante que Les lueurs d'Aden nous invite à suivre, sans se cantonner toutefois à ce sujet. "Ce qui m'intéressait, c'était de déplacer le problème à une famille toute entière", a dit le réalisateur lors d'une interview. Son intention était également de montrer la vie quotidienne des Yéménites d'aujourd'hui, dans cette ville portuaire qui est par ailleurs la sienne. "Je voulais faire un film brut et très réaliste". C'est le cas, je dirais...

J'ai sincèrement apprécié que la caméra se pose assez régulièrement pour nous montrer à quoi peut ressembler ce pays du Moyen-Orient largement méconnu. Et qu'elle fasse des enfants des personnages secondaires, certes, mais que le scénario n'oublie jamais au milieu des problèmes des adultes. Le récit déjoue les idées toutes faites. Même s'il s'avère plutôt pessimiste, il laisse passer un peu de lumière dans certaines scènes au coeur de l'intimité familiale. Sa complexité relative le tient à l'écart du pathos et du misérabilisme: un bon point. Le metteur en scène a présenté son film à la Berlinale et a expliqué que ces comédiens "n'étaient pas de grands professionnels" (je cite). Tant mieux: la sobriété de leur jeu les rend on ne peut plus crédibles. Faire leur connaissance par écran interposé m'a été fort agréable. Merci aux producteurs saoudiens et soudanais qui ont rendu la chose possible: tous les pays du monde n'auront pas cette belle opportunité !

Les lueurs d'Aden
Film yéménite de Amr Gamal (2023)

J'ai bien failli arrondir ma note à quatre étoiles pleines et me réjouis d'ajouter un petit drapeau supplémentaire à ma collection de cinéma. J'ai repensé à mes premières "balades" iraniennes: Les chats persans ou Une séparation. La difficulté d'exercice des libertés individuelles au Moyen-Orient s'exprime aussi, moins abruptement, dans Wadjda. Il est plus que nécessaire de soutenir les artistes qui nous en parlent !

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Et pour appuyer mon propos...

Je vous recommande de lire aussi la chronique de notre chère Dasola. Bonus: vous y découvrirez également la somptueuse affiche du film...

lundi 11 mars 2024

Mortelle, la coloc...

La confiance toute relative que mes parents avaient en mon binôme possible a fait qu'étudiant, je n'ai jamais été hébergé en colocation. Coïncidence amusante: si ma mémoire est bonne, c'est avec ce pote que, pour la première fois, j'ai pu voir Petits meurtres entre amis. L'histoire d'une colocation, donc, au fonctionnement assez particulier.

Juliet, médecin hospitalier, Alex, journaliste, et David, comptable, vivent sous le même toit - à Édimbourg ? - et cherchent un numéro 4. Ils ont un nombre in-cal-cu-lable de questions à poser aux candidats qui se présentent et se moquent ouvertement de ceux qu'ils recalent. Ils acceptent Hugo, un soi-disant écrivain, charismatique et plus âgé qu'eux, avant de le retrouver... nu et mort, dès le lendemain matin. Et, surprise: avec une valise de billets de banque cachée sous son lit. Vous imaginez sans doute qu'à partir de là, la cohabitation volontaire va prendre des allures de jeu de massacre. Je ne confirmerai rien ! Les amateurs retiennent que Petits meurtres entre amis a été tourné pour des clopinettes, au point que des accessoires ont dû être vendus aux enchères afin de permettre l'achat des indispensables pellicules. Moi, je me souvenais par ailleurs de ce film comme l'un des premiers d'Ewan McGregor, âgé de 23-24 ans. Le trio qu'il forme avec Kerry Fox et Christopher Eccleston fonctionne bien, d'où un succès (inattendu). Trente ans après, il ne reste plus grand-chose de son côté subversif...

Petits meurtres entre amis
Film britannique de Danny Boyle (1995)

Les débuts aussi d'un cinéaste emblématique pour ma génération. Plusieurs de ses autres films sont déjà sur le blog, les plus anciens comme Une vie moins ordinaire ou La plage établissant un style. Christopher Nolan naviguait dans les mêmes eaux avec Following. Tourné également dans les marges urbaines, Naked est bien plus cru. Désormais, le cinéma britannique s'est un peu assagi, il me semble...

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Le film est-il dépassé aujourd'hui ?

Je ne crois pas, mais "L'oeil sur l'écran" en a une vision très négative.

samedi 9 mars 2024

Identité(s)

Cela fera demain un an que A man a triomphé aux "César" japonais. Le film en a mis deux pour arriver dans les salles obscures françaises. Il avait d'abord été présenté dans plusieurs festivals, dont la Mostra de Venise. Cette adaptation d'un roman s'avère vite d'une intensité dramatique peu commune et, à ce titre, mérite toute votre attention.

Rie vit avec son jeune fils et sa mère depuis qu'elle a divorcé. Modeste papetière, elle a vécu un drame (que je ne dévoilerai pas). Elle a remarqué qu'un homme revient souvent dans sa boutique. Exactement le contraire d'un dragueur: un type timide, qui lui achète assez régulièrement du matériel à dessin. Un jour, il s'adresse à elle plus directement, dit s'appeler Daisuke et exprime une envie d'amitié. Doucement, mais sûrement, le duo devient un couple harmonieux. Oui, mais Daisuke, bûcheron, meurt dans un accident du travail: Rie n'a alors d'autre choix que d'organiser seule les obsèques de son mari. Elle rencontre ensuite son beau-frère. Qui ne reconnaît pas le défunt sur les photos ! J'arrête mon résumé: ce n'est que le début du film. Cette introduction pose un mystère. Plusieurs surprises surviendront au film du métrage - je crois presque impossible de les anticiper. Autant le dire tout net: A man est à mes yeux un excellent thriller. Mais ce qui est formidable, en fait, c'est qu'il est aussi... autre chose.

J'ai lu une critique qui le qualifiait de "labyrinthe psychologique". C'est assez bien trouvé. Faisons simple: le film nous parle d'identité. Qu'est-ce qui, au milieu d'un groupe, nous détermine comme individu unique ? Peut-on échapper au carcan de ce que l'on est par atavisme familial ou à l'inverse réussir à façonner une personnalité différente ? Quel poids symbolique fait peser sur nous le nom que nous portons ? Bon... je conçois que, présenté ainsi, A man peut sembler complexe. Il l'est, mais, en même temps, je trouve qu'il pose des questions potentiellement universelles et reste donc - relativement - accessible. La version originale japonaise réclame du spectateur des efforts soutenus de concentration, mais le récit y gagne en authenticité. Âmes sensibles, attention: les personnages vivent de rudes épreuves et n'avancent pas nécessairement tous vers une forme d'apaisement intime. La dernière scène nous laisse d'ailleurs face à un choix possible, ce que vous pourriez trouver délicat, voire inconfortable. Comment savoir ? En allant au cinéma, pardi ! S'il est encore temps...

A man
Film japonais de Kei Ishikawa (2022)
Un homme
, oui... et ce titre - simplissime - vaut pour une oeuvre cinématographique compliquée, mais d'une puissance étonnante. Difficile d'en trouver de comparable: j'ai juste pensé au premier film de Kiyoshi Kurosawa que j'ai pu voir, le très éprouvant Cure (1997). Réflexion faite, Profonds désirs des dieux (Shôhei Imamura / 1968) reste sans doute le film japonais le plus déroutant que je connaisse...

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Envie d'aller plus loin ?

Pascale a aussi aimé le film, sans forcément y voir les mêmes choses. Vous constaterez que Princécranoir, lui, émet davantage de réserves ! Arrivée, elle, un peu plus tard, Dasola pourrait donc... les départager.

vendredi 8 mars 2024

Judith et les autres

J'aurais sans doute pu vous parler aujourd'hui de Judith Godrèche. L'idée que des réalisateurs comme Benoît Jacquot et Jacques Doillon aient pu abuser d'elle quand elle était ado m'épouvante franchement. J'entends parfois une petite musique qui suggère aussi que le milieu du cinéma est gangréné par la violence. Difficile de ne pas y penser...

Aujourd'hui, comme tous les 8 mars, c'est la Journée internationale des droits des femmes. L'année passée, le Centre national du cinéma et de l'image animée constatait une différence de 21% entre le salaire brut moyen d'une réalisatrice et celui d'un homologue masculin. Évidemment, l'égalité n'est pas non plus de mise dans d'autres milieux et, dans ce cadre, l'intégrité physique et morale n'est pas en cause. N'empêche: la discrimination est incompréhensible et inacceptable. Sans qu'elles s'expriment, je suis sûr qu'il y en a dans mon entourage !

Au cinéma, les femmes sont minoritaires dans nombre de métiers techniques. Le plus important à mes yeux ? L'égalité des chances. Cela signifie que, si une petite fille ou une jeune femme ambitionne de faire carrière dans ce domaine, la qualité relative de son travail doit lui permettre d'être considérée comme le serait un petit garçon ou un jeune homme. C'est utopique, peut-être, mais je veux croire que c'est possible aussi - et sans grand chambardement sociétal. Demain midi, j'ai l'intention de vous présenter un autre film, sans lien thématique avec ma chronique d'aujourd'hui. Cela ne veut pas dire que je me désintéresse du sujet. Je suis même curieux de vos avis...

mercredi 6 mars 2024

Chinoiserie

Je n'avais plus vu de film chinois depuis le mois d'août... 2020 ! Derrière le cinéma japonais, le cinéma sud-coréen a pris un ascendant très net dans mes choix de programmation lié aux films asiatiques. Je doute fort que Railroad tigers inverse la tendance: dans les salles françaises, ce blockbuster avec Jackie Chan est d'ailleurs resté inédit.

Quoi ? Tu ne connais pas Jackie Chan ? Je te fais donc un petit topo. Né à Hong Kong le 7 avril 1954, Chan Kong-sang s'illustre d'abord comme spécialiste des arts martiaux et coche en prime les cases d'acteur, chanteur, cascadeur, scénariste, réalisateur et producteur. Bon... la photo, c'est Zitao Huang, un autre acteur de Railroad tigers.

Je reconnais avoir privilégié la qualité de l'image pour parler d'un film censé se dérouler au début des années 40, alors que le Japon belliciste s'est permis de coloniser ses voisins. Cette vraie tragédie nous est racontée comme un cartoon à images réelles. Le scénario tourne autour d'un vague groupe de résistants, dont la volonté première semble consister à ridiculiser les troupes de l'occupant. Jusqu'au jour où il décide d'une action plus forte: le sabotage du pont ferroviaire par lequel l'ennemi se ravitaille. Le tout début du film montre des enfants d'aujourd'hui en sortie scolaire et ouvre une leçon d'histoire à haute teneur patriotique... voilà ce que j'avais imaginé. Erreur: Railroad tigers adopte un ton bouffon et maintient ce cap quasi-parodique deux heures durant. Spectaculaire, mais dispensable.

Railroad tigers
Film chinois de Ding Sheng (2016)

Ma note reste relativement généreuse, hein ? Les scènes de bataille bénéficient en effet de chorégraphies soignées, même si irréalistes. Très vite, j'ai repensé à ce film indien dont je vous ai parlé en fin d'année dernière: Tiger 3 (qui, lui, nous venait d'Inde). Mon félin bagarreur préféré reste Tigre et dragon - à revoir et à chroniquer. D'autres films chinois à proposer ? Je n'en ai guère en ligne de mire...

lundi 4 mars 2024

Déliiiiiire !

Autant le dire tout de suite: je ne me suis jamais vraiment intéressé aux créations de Salvador Dalí (1904-1989). Le nom de l'artiste catalan m'est bien sûr familier, mais son parcours largement inconnu. C'est sans attente que je suis allé voir Daaaaaalí !, le douzième opus de Quentin Dupieux au rayon des long-métrages. Une pure bizarrerie !

Bon... les habitués du cinéaste ne seront pas étonnés et je suppose que les nombreux aficionados du peintre ne le seront pas davantage. Je crois toutefois utile de préciser que Daaaaaalí ! n'a rien d'un biopic ordinaire. Sans revenir sur sa vie ou son travail artistique, le film nous plonge dans une étrangeté... qu'il n'aurait pas forcément reniée. Surréaliste ? Peut-être bien, oui, mais le Salvador qui s'agite à l'écran apparaît surtout très prétentieux et ne cesse de frustrer la journaliste à laquelle il a pourtant accepté d'accorder une interview. L'idée maîtresse du film est de confier le rôle de cet inconstant personnage à six acteurs différents. Que dire ? Édouard Baer et Jonathan Cohen m'ont semblé les mieux lotis, devant Gilles Lellouche et Pio Marmaï. Quoi qu'il en soit, chacun s'en sort dignement, sans cabotinage autre que celui que leur modèle exige. Didier Flamand et Boris Gillot complètent le casting: moins connus, plus âgés, mais bien en phase...

J'ai donc passé un moment sympa devant ce Daaaaaalí ! aux visages multiples, d'autant qu'Anaïs Demoustier tient le principal rôle féminin. Seules quelques "blagues" m'ont paru un peu lourdingues sur la durée. Ou disons relativement gratuites: je pense notamment à une colère homérique, interprétée par l'ami Romain Duris. Rien de rédhibitoire. Comme le film ne dure qu'une heure vingt, je n'ai pas ressenti d'ennui. Mieux: je continue même d'être assez admiratif de la façon dont Quentin Dupieux trace son sillon au coeur d'un cinéma français pourtant peu enclin à offrir de telles excentricités, habituellement. Admettons qu'il est unique: j'espère juste qu'il saura aussi évoluer vers d'autres horizons pour se réinventer de manière plus radicale. Tels quels, ses films, bien qu'étonnants, me semblent un peu vains. Je suis sévère, certes, mais c'est plus une exigence qu'un reproche. Oui, le réalisateur est officier des Arts et des Lettres, tout de même !

Daaaaaalí !
Film français de Quentin Dupieux (2024)

Les Dupieux se suivent, ne se ressemblent pas, mais évoluent tous dans le registre de l'humour absurde: c'est une signature d'auteur. Avec un peu de recul, je dois admettre que je préfère certains films précédents comme Rubber (2010), Le daim (19) ou Mandibules (21). Et je constate alors qu'en écrivant cela, je me répète, moi aussi ! Auriez-vous d'autres grands films décalés à suggérer ? Je vous écoute.

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Un rapide regard sur un autre blog ?

Pascale - la veinarde ! - avait découvert le film à la Mostra de Venise. Elle tenait à ne pas trop en dévoiler: sa chronique reste disponible pour vous faire une idée plus complète... avant le prochain Dupieux. D'ici là, vous avez aussi le temps de lire la chronique de Princécranoir. Et de vérifier que le retour de Dasola, lui aussi, s'avère plutôt positif !

samedi 2 mars 2024

Deux visages de Marcello

Allez, un p'tit diptyque pour terminer la semaine ! Je juge intéressant d'en consacrer un à Marcello Mastroianni. J'ai vu deux de ses films consécutivement, en "rattrapant" le premier et en ayant la possibilité d'enchaîner avec un second, imprévu. Ce n'est qu'après que j'ai réalisé que l'acteur italien aurait eu cent ans cette année. Le 28 septembre...
 
 Léo le dernier
Film britannique de John Boorman (1970)

Un comédien de légende associé avec l'un des très bons réalisateurs anglais de sa génération: c'est la clé de mon envie de voir ce film. Mastroianni y interprète un grand bourgeois de Londres, en cours d'installation dans l'hôtel particulier dont il a hérité de son père. Caractéristique inattendue: notre homme n'a d'autre but dans la vie que l'observation des oiseaux à la longue-vue. En ville, les volatiles présentent peu d'intérêt, mais les voisins peuvent parfois compenser. Surtout s'ils sont noirs, pauvres et - potentiellement - dangereux. Léo, en garçon bien éduqué, va devoir jouer au redresseur de torts. En faisant quoi ? Et avec quels résultats ? À vous de voir, désormais. Il m'a fallu du temps pour accrocher à un scénario clairement déjanté. Mais ! J'ai beaucoup aimé la fin du film... pour le moins pétaradante !

NB: j'ai cherché quelques liens chez mes comparses de blog habituels. Au final, j'ai fait chou blanc, en dépit de mes espoirs. Bon, tant pis...
 
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Mariage à l'italienne
Film italien de Vittorio de Sica (1964)

C'est amusant: ce film permet à Mastroianni de jouer un personnage presque parfaitement opposé à celui que je viens juste d'évoquer. Napolitain, Domenico ressemble fort à un parvenu de la pire espèce. Pendant la guerre, un soir de bombardement, il découvre une femme honteuse de se prostituer. Le fait qu'elle préfère alors risquer sa vie plutôt que de partir s'abriter n'a pas l'air de l'émouvoir beaucoup. Pourtant, une fois le danger écarté, il tombe si nettement amoureux de la demoiselle qu'il l'aide à sortir de sa maison close et l'installe dans un bel appartement. Sauf que... ce n'est pas si simple, bien sûr. Et alors ? Ce que j'imaginais être une comédie devient vite grinçant. Avec, dans le registre doux-amer souvent caractéristique du cinéma italien de cette époque, une remarquable prestation de Sophia Loren. En un mot: je m'en suis délecté. D'autres opus du même réalisateur sont encore meilleurs, certes, mais pas question de bouder ce plaisir !

NB: cette fois, les copines et copains ont répondu présent en nombre. D'autres textes vous attendent chez Dasola, Eeguab, Vincent et Lui. Dédicace à Sentinelle, une ex-belle plume de la blogosphère cinéma !

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PS: d'autres films avec Mastroianni sont sur le blog...
- Le pigeon / Mario Monicelli / 1958,
- La dolce vita / Federico Fellini / 1960,
- Divorce à l'italienne / Pietro Germi / 1961,
- 8 1/2 / Federico Fellini / 1963,
- L'événement le plus important... / Jacques Demy / 1973,
- Une journée particulière / Ettore Scola / 1977,
- La terrasse / Ettore Scola / 1980,
- Splendor / Ettore Scola / 1989.

jeudi 29 février 2024

Une lumière à suivre

Dany Boon, Kev Adams, Philippe Lacheau... et j'en oublie, à coup sûr. Lorsqu'il s'agit de parler du cinéma français comique, il arrive souvent que les mêmes noms reviennent et nourrissent l'idée d'une tradition perdue. Pierre Richard, Bourvil ou Louis de Funès, c'était autre chose. Enfin, c'est ce que vous prétendront certains nostalgiques. Pourtant...

Pourtant, moi qui suis de fait assez exigeant en termes de comédies cinématographiques, je me refuse à me tenir à l'écart du genre. Disons que je suis sélectif, si vous le voulez, et c'est bel et bien ainsi qu'aujourd'hui, j'ai le grand plaisir de vous présenter L'étoile filante. J'avoue tout: je n'avais pas entendu parler de ce film avant sa sortie dans les salles, fin janvier, mais je connaissais le duo qui l'a réalisé. Trois des quatre autres opus signés Dominique Abel et Fiona Gordon figurent d'ailleurs déjà en index sur Mille et une bobines. Leur univers burlesque est leur marque de fabrique et leur esprit clownesque, lui, s'accommode d'histoires résolument différentes les unes des autres. Dans celle-là, il faut imaginer qu'un terroriste converti comme patron de bar se sente de nouveau préoccupé à l'idée d'être démasqué. Jusqu'au jour, en tout cas, où sa bande lui permet de disparaître après avoir repéré un sosie ! Une vie pour une autre, comme on dit...

Une suite de quiproquos s'ensuit et je vous laisse découvrir le film pour savoir s'ils vous amuseront ou pas. Il y a un peu de mélancolie dans le cinéma d'Abel et Gordon, depuis 2005 et leur premier long avec leur comparse Bruno Romy (ici "simple" acteur). On les présente en héritiers de Chaplin et de Tati, des Deschiens et d'Aki Kaurismäki. C'est à la fois flatteur et légitime, comme vous pourrez le constater. Près de sept ans après leur précédente création, L'étoile filante divise pourtant et semble s'être attiré d'assez mauvaises critiques. Pas seulement, fort heureusement, et ceux qui parlent d'un cinéma répétitif se fourvoient, à mon sens: ce cinéma est juste constant. Fidèle à lui-même et aux mondes décalés qu'il fabrique. Seule la fin m'est apparue un peu abrupte, cette fois, et ce n'est qu'un petit détail face à l'inventivité des artistes - lui de Belgique, elle du Canada. J'aimerais un jour les voir sur scène, puisqu'ils viennent du spectacle vivant, mais je crains que cet espoir reste vain, pour être franc. Raison de plus de ne pas les lâcher au cinéma. The show must go on !

L'étoile filante
Film (franco-)belge de Dominique Abel et Fiona Gordon (2024)

Une petite perle qui mérite toute votre considération ! C'est un film rare, éloigné de ceux qui assurent des millions d'entrées en salles. Vous savez quoi ? C'est agréable de voir quelque chose de "différent". N'hésitez surtout pas à poursuivre avec La fée ou Paris pieds nus ! J'aime les références de ce cinéma... et le fait qu'il soit francophone. Cela dit sans vouloir vous priver de Kaurismäki (Les feuilles mortes).