jeudi 18 décembre 2025

Danses sous l'orage

Le chiffre est effrayant: 246%. C'est le pourcentage d'augmentation des hospitalisations, cette dernière décennie, de filles de 10 à 14 ans atteintes de troubles psychiques, en France. Une statistique révélée au public à la toute fin du premier film d'Isabelle Carré: Les rêveurs. L'adaptation de son livre du même nom (en partie autobiographique) !

Élisabeth est encore une jeune adolescente quand un premier chagrin d'amour la conduit dans un établissement de soins conçu pour la prise en charge d'enfants de son âge, victimes d'une quelconque pathologie mentale ou en situation de détresse psychologique. C'est petit à petit qu'elle sort de sa coquille, sympathise avec une gamine aussi brune qu'elle est blonde, Isker, et un joli coeur d'à peine 12 ans, Arnaud. Ensemble, ils suivent leur thérapie (ou pas) et, une fois la confiance établie, parlent librement de ce qu'ils préfèrent cacher aux adultes. Parfois, et quand ça leur chante, ils participent à un atelier-cuisine plutôt rébarbatif ou sourient à la comédienne venue à leur rencontre. Les rêveurs ? Ce sont les autres, qui s'imaginent que la vie est facile. Je tiens à vous rassurer: le film, lui, parvient à conserver un ton optimiste, même s'il fait état de réalités absolument inadmissibles ! À ce jour, l'hôpital public n'accueille en réalité qu'un enfant sur deux...

Isabelle Carré parle d'elle, certes, mais s'ouvre aux autres et je pense que c'est avant tout ce que je vais retenir de son premier passage derrière la caméra (notez cependant qu'elle a aussi un petit rôle). J'apprécie cette actrice, tant pour sa douceur que pour son humilité. Des valeurs une nouvelle fois mises en avant dans ce long-métrage touchant, qui s'illustre également par quelques belles idées formelles comme l'envol symbolique, à plusieurs reprises, de simili-oiseaux. Dans Les rêveurs, vous entendrez également d'agréables musiques originales, écrites par Benoît Carré (ex-Lilicub et frère aîné d'Isabelle) ou empruntées à Zaho de Sagazan - comme le titre de ma chronique. J'ai bien failli passer à côté de ce très joli témoignage d'empathie collective, encore sublimé par quelques visages familiers du cinéma français: Alex Lutz, Nicole Garcia, Bernard Campan... entre autres. N'oublions pas l'actrice principale: Tessa Dumont Janod fait preuve d'une remarquable sensibilité pour sa première apparition à l'écran. Isabelle Carré l'a souligné: "J'ai eu l'impression de me voir à son âge" !

Les rêveurs
Film français d'Isabelle Carré / 2025
Ce serait a priori une bonne idée d'aller voir ce film avec des ados tourmentés, qui pourraient se dire que, finalement, ils sont normaux et en tout cas pas plus bêtes que les autres. La magie du cinéma. D'autres, affectés d'un handicap physique, devraient aimer Patients. Mes rares films de référence sur la dépression ont des sujets adultes. La preuve par trois: Melancholia - Le complexe du castor - Swallow.

mercredi 17 décembre 2025

Un Danois à Paris

Classer les arts dans un ordre déterminé a longtemps fait débat. J'imagine que vous savez que le cinéma est très fréquemment cité comme le septième. Vous connaissez le premier ? C'est l'architecture ! Un film récent - L'inconnu de la Grande Arche - me donne l'occasion d'y réfléchir. Mais évidemment, je veux surtout en parler avec vous...

1983. La France est placée sous la présidence de François Mitterrand. Ignoré des radars médiatiques, un certain Johan Otto von Spreckelsen vient juste de remporter le concours international d'architecture lancé pour la construction d'un grand immeuble de bureaux dans le quartier de la Défense, à Paris. Attention: il lui faudra respecter la perspective historique, dans l'axe notamment du Louvre et des Champs-Élysées. Au départ, il s'agit en fait de bâtir le siège du Carrefour international de la Communication (CICOM), un établissement public que la droite refusera finalement de créer après son retour au pouvoir, en 1986. Soutenu par le président, Von Spreckelsen s'accrochera à la volonté manifeste de ce commanditaire pour lui donner entière satisfaction. Naturellement, ce ne sera pas aussi simple qu'il avait pu l'imaginer. L'inconnu de la Grande Arche fait écho aux très nombreux obstacles placés sur sa route. Et qu'il affrontera avec une réelle intransigeance !

Un acteur que je ne connaissais pas - Claes Bang - m'a paru très juste dans ce rôle d'honnête homme, contrarié et entravé par des enjeux politico-économiques qui le dépassent. Le film dit une chose exacte sur son parcours: avant le chantier parisien, il n'avait guère dessiné que sa propre maison et quatre églises au Danemark, loin des regards neutres ou hostiles de ses confrères français. En évitant tout pathos inutile, L'inconnu de la Grande Arche montre qu'il a dû composer avec des partenaires ambigus, porteurs d'injonctions contradictoires. Pour l'artiste qu'il était, la situation est vite devenue insupportable. C'est ce qui donne de la force et de la pertinence aux personnages qu'incarnent Xavier Dolan et Swann Arlaud, excellents en conseillers officiels et presque rivaux. C'est peut-être également ce qui explique pourquoi le scénario donne aussi une telle importance à Liv, la femme de l'architecte, un beau rôle confié à la Danoise Sidse Babett Knudsen. Je vous rassure: pas besoin de comprendre l'art de bâtir pour suivre. Et, si vous êtes paumés, vous pourrez toujours consulter Wikipédia...

L'inconnu de la Grande Arche
Film français de Stéphane Demoustier / 2025

Avec un Michel Fau dans le costume de "Tonton", ce long-métrage nous replonge avec bonheur dans cette douce France des années 80. C'est un film sur l'art, sur la politique et sur les relations complexes qu'ils entretiennent parfois. Un fait dont on avait eu un autre aperçu en 2024 avec Megalopolis, film controversé de Francis Ford Coppola. J'aurais en outre pu citer The brutalist et son héros (très) tourmenté.

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D'autres avis sur la question ?

Oui, tout de suite ! Vous pouvez consulter ceux de Pascale et Dasola. Celui de Benjamin est arrivé plus tard et mérite aussi qu'on s'y arrête.

mardi 16 décembre 2025

Marivaudages ?

Je me suis rendu compte il y a peu que le nombre des films allemands que je découvre chaque année augmente constamment depuis 2021. Ma germanophilie s'arrêtera aujourd'hui sur la case Le ciel rouge. Autant vous en aviser tout de suite: cet opus ne m'a guère séduit. Pire encore, après les vingt premières minutes, je m'ennuyais déjà...

Deux amis s'installent dans une maison au bord de la mer Baltique. Felix doit préparer le portfolio qui complètera son dossier d'admission aux Beaux-Arts. Leon, lui, a besoin d'un endroit calme pour corriger les épreuves de Club Sandwich, son nouveau roman. Un "problème" survient lorsque les deux garçons comprennent que le havre de paix qu'ils ont rejoint est déjà occupé par Nadja, une fille de leur âge. Insouciante saisonnière, elle y invite même Devid, un maître-nageur sauveteur avec qui, deux nuits durant, elle fait bruyamment l'amour. Comme je vous le disais d'emblée, tout cela m'a paru peu intéressant. À vrai dire, ce que ce film est supposé raconter m'a en fait échappé...

Je n'ai pas compris - ou su comprendre ? - à quel point Le ciel rouge était ancré dans une réalité concrète ou, au contraire, une dimension fantastique. Ses personnages se confrontent à une menace tangible représentée par des feux de forêts, mais un dialogue explique vite que, de par son emplacement géographique, leur lieu de retraite devrait demeurer à l'abri des flammes. C'est sans inquiétude réelle que nous pouvons donc observer les très vagues interactions sociales entre Nadja, Felix, Leon et Devid (avec un E est-allemand, paraît-il). D'aucuns ont affirmé qu'il s'agissait de jolis marivaudages: j'en ai vu de plus intéressants ! Et l'optimisme censé ressortir de cette histoire lors de sa conclusion ? Il n'est pas flagrant. Bref, malgré mon intérêt pour ce qui nous arrive d'Allemagne, je ne ressens qu'une déception...

Le ciel rouge
(Roter Himmel)
Film allemand de Christian Petzold / 2023

C'est vrai: ma note est très sévère. J'aurai peut-être dû me méfier d'un opus comparé à ceux de feu Éric Rohmer, qui plus est applaudi par Télérama et Cahiers du cinéma (entre autres médias laudateurs). J'ai un peu retrouvé le ton distancé de Septembre sans attendre. Phoenix, également réalisé par Christian Petzold, me convient mieux par son aspect romanesque, je pense. J'y reviendrai, oui, peut-être...

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Et en attendant que j'y revienne, donc...

Vous pouvez lire les avis (mitigés) de Pascale et de "L'oeil sur l'écran".

lundi 15 décembre 2025

Un problème de taille

J'ai changé d'avis. Au départ, quand j'ai entendu parler de la sortie d'un remake de L'homme qui rétrécit, je me suis dit qu'il serait bien de voir d'abord le film de 1957, lui-même adapté d'un livre... de 1956. Et, finalement, après quelques jours, la version 2025 m'a fait envie. C'est mon premier Jan Kounen - avec Jean Dujardin dans le rôle-titre !

Paul, la cinquantaine, vit avec sa femme (Élise) et leur fille (Mia) dans une jolie maison au bord de la mer. Famille heureuse, histoire ordinaire d'une routine agréable. Seul nuage à l'horizon: le chantier naval que dirige Paul n'a qu'un client - qui tarde à payer ses factures. Soucieux, le chef d'entreprise commence à psychoter sévère un matin quand il se rend compte qu'il flotte dans sa belle chemise bleue. Madame suppose qu'il a maigri, mais lui constate que ses membres sont visiblement trop courts pour remplir ses vêtements. Un examen médical confirme qu'il est moins lourd et plus petit qu'il le supposait. Et le phénomène s'amplifie: bien qu'en parfaite santé, Paul rapetisse.

*** ATTENTION, POSSIBLES SPOILERS ***
L'homme qui rétrécit
brode alors deux fils narratifs. Le premier s'appuie - avec une voix off parfois un peu insistante - sur la psyché d'un type lambda qui s'interroge sur ce qu'est véritablement la vie humaine. Conclusion: devant l'immensité, nous sommes minuscules. Vous auriez tout à fait raison de penser que c'est loin d'être un scoop ! Je dirais même que, là-dessus, le film évolue en terrain ultra-balisé...

Un beau jour, les choses évoluent (un peu) lorsqu'un bête accident laisse croire à Élise et Mia que Paul a fini par totalement disparaître. Erreur: il est toujours tout proche, dans leur cave, mais les escaliers qui permettent d'en sortir sont devenus beaucoup trop hauts pour lui. Commence alors la deuxième partie du long-métrage: tout en gardant son orientation métaphysique, il devient aussi un vrai film de survie. Je préfère ne pas vous citer l'ensemble des périls que le héros affrontera et, bien sûr, je ne dirai rien du résultat de ses efforts. L'homme qui rétrécit me paraît tout à fait digne de votre attention. Bon... sans mauvais jeu de mot, je vois bien que c'est un petit film. Son grand mérite à mes yeux est de ne pas prétendre le contraire. Esthétiquement soigné, il s'appuie aussi sur des effets spéciaux réussis (et des incrustations apportant une touche rétro bienvenue). Vous voulez chipoter ? Quelques incohérences émaillent le scénario. Qu'importe: avec la musique d'Alexandre Desplat, son final m'a cueilli. Il replace une parole réconfortante face au grand mystère de l'univers.

L'homme qui rétrécit
Film franco-belge de Jan Kounen / 2025

Il n'y a pas de pur génie dans cette histoire, mais un sens du cinéma fantastique qui me plaît bien, malgré les grosses ficelles et coutures apparentes. Certes omniprésent, Jean Dujardin me semble meilleur dans ce registre que dans d'autres rôles où il enchaîne les pitreries. Bref... j'ai préféré ce film à Downsizing, un peu trop "scientifique". Pour Matt Damon en super-débrouillard, autant revoir Seul sur Mars !

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Parlerai-je un jour du film de 1957 ? Oui, peut-être...

D'ici là, si vous voulez un autre avis, je vous suggère celui de Pascale.

samedi 13 décembre 2025

De feu et de glace

19 mai 1942. Albert Camus n'a que 29 ans quand son premier roman paraît chez Gallimard. Je n'ai pas ressenti de plaisir à sa lecture. Aujourd'hui, c'est bien du film L'étranger que je veux vous parler. Enfin... de celui qui est sorti fin octobre, puisque Luchino Visconti avait réalisé une première adaptation, dès 1967. Retournons à Alger !

Dans cette version, c'est Benjamin Voisin qui prête son détachement et ses traits à Meursault, ce jeune anti-héros que Camus lui-même avait refusé de voir apparaître à l'écran. Je trouve presque logique que son prénom reste inconnu, comme si rien ne le rendait unique. Meursault, en fait, est un banal employé de bureau, en 1938. Sa mère vient de mourir: c'est un télégramme du directeur de son asile (oui !) qui lui apprend. Sans émotion apparente, il fait un aller-retour rapide dans une autre ville - Marengo, l'actuelle Hadjout - pour la cérémonie religieuse, la veillée mortuaire et l'enterrement. Il refuse de dîner malgré une proposition en ce sens, boit un café, fume une cigarette et reste insensible au chagrin des autres, avant de très vite repartir dans la capitale. Le lendemain, il va à la plage et y croise une femme avec qui il travaillait trois ans auparavant. Le début d'une liaison. Marie dit qu'elle l'aime. Et Meursault, lui, juge cela "sans importance".

L'étranger
... même après avoir vu le livre, je dois bien reconnaître que le sens de ce titre m'échappait encore. Je l'ai longtemps entendu au tout premier degré: dans cette Algérie encore sous domination française, Meursault se trompait totalement en croyant être chez lui. Le film m'a éclairé: abandonnant la narration à la première personne du roman, il montre un personnage étranger... à tout. Sa mère morte ne l'émeut pas. L'envie de mariage de sa compagne ? Pas davantage. Bientôt, il va "tuer un Arabe". Et alors ? C'est "à cause du soleil". Ressent-il seulement des remords ? Ou des regrets ? Non: "De l'ennui". À beaucoup des questions à son sujet, il répond: "Je ne sais pas". Meursault suit le mouvement. Quand il n'y en a pas, il reste statique. Cette "tendre indifférence du monde" décrite par Camus lui suffit. Hiératique, Benjamin Voisin incarne intelligemment ce personnage peu aimable, mais plus complexe qu'il n'y paraît ! À vous de le juger...

Si le film a attiré mon attention, c'est aussi parce que je suis curieux de ce que François Ozon, le réalisateur, peut nous offrir au cinéma. Dix autres de ses films ont été chroniqués sur les Bobines: son travail m'intéresse, donc, et me fait presque toujours me déplacer en salles. Cette fois, j'étais d'avance enchanté à l'idée de retrouver des acteurs que j'aime beaucoup - Rebecca Marder, Pierre Lottin et Swann Arlaud. En prime, Ozon a su réunir d'autres talentueux visages familiers comme Denis Lavant, Christophe Malavoy et Jean-Charles Clichet. Sans en oublier d'autres, dont j'ignorais tout jusqu'alors, à l'image d'Abderrahmane Dehkani (en photo ci-dessus) et Hajar Bouzaouit. Tout ce beau monde est encore magnifié par la photo en noir et blanc du Belge Manuel Dacosse - sa cinquième collaboration avec Ozon. J'insiste: c'est l'une des plus belles images que j'ai vues cette année. Quand la forme rejoint à ce point le fond, je suis toujours extatique !

Je ne serai pas étonné que L'étranger récolte quelques César 2026. D'aucuns lui reprocheront peut-être un certain "académisme", le fait d'adapter un tel classique de la littérature étant peut-être plus simple que de partir d'une page blanche du côté du scénario. Bien des articles que j'ai lus expliquent toutefois que Camus était jugé inadaptable. Certains disent que même le maestro Visconti a "raté son coup". N'ayant pas pu voir cette version italienne, avec Marcello Mastroianni dans le rôle-titre, je ne peux guère conclure sur ce point aujourd'hui. Restons-en au film de 2025: il m'a paru riche des idées de sa source écrite, qu'il cite d'ailleurs abondamment - et souvent littéralement. Malgré cela, il m'est apparu comme une oeuvre toujours pertinente dans notre 21ème siècle, abordant frontalement des sujets majeurs comme la justice, le racisme, la violence, la sexualité... et d'autres encore, largement transposables dans notre époque. Le fait même que l'intrigue se déroule en Algérie fait sens, compte tenu de ses liens étroits (et parfois douloureux) avec la France. Il est bien d'en parler...

L'étranger
Film français de François Ozon / 2025

J'ai été bavard, OK, mais c'est à la hauteur de mon enthousiasme. Même s'il ne sera pas forcément MON film de l'année, il est certain que j'ai pris un grand plaisir (sensoriel et intellectuel) avec cet opus. Je trouve désormais très difficile de le comparer avec un autre. J'aimerais aller à Alger et peut-être ensuite revoir de très bons films tels Des hommes et des dieux, Les roseaux sauvages ou Le repenti !

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Maintenant, si vous voulez aller plus loin...

Je vous conseille de lire les avis de Pascale, Dasola et Princécranoir. Et le roman ? Oui, bien sûr - j'ai l'impression de mieux le comprendre.

jeudi 11 décembre 2025

Déraison et sentiments

Aujourd'hui, deux films qui ne se ressemblent pas, mais ont un point commun: la liaison entre une femme - d'un âge adulte - et un garçon adolescent. Avis aux pudibonds: il sera question d'amour ET de sexe. Ce n'est pas tous les jours que ces situations sont placées au coeur d'un scénario de cinéma ! Et on a le droit de préférer s'en détourner...

May December
Film américain de Todd Haynes / 2023
Vous lisez toujours ? Parfait. Je vous parle d'abord de Gracie et Joe. Elle approche de la soixantaine et lui a "seulement" 36 ans. Vingt ans plus tôt, ils ont été surpris dans l'arrière-boutique du magasin d'animaux où ils travaillaient, en pleine relation charnelle. La presse s'est emparée de l'affaire, qui a valu à Gracie une peine de prison. Après cela, hop ! Joe et elle... se sont mariés et ont eu trois enfants !

L'histoire de May December commence quand Elizabeth, une actrice de sitcoms qui incarnera bientôt Gracie à l'écran, vient la rencontrer pour mieux la connaître. Bon... je vous laisse découvrir la manière dont le coucou va ainsi s'intégrer au quotidien de sa famille d'accueil. Intelligent, le film repose bel et bien sur un suspense enthousiasmant. Orienté autour de ses personnages féminins, il bénéficie des talents conjugués de Natalie Portman et Julianne Moore, assez remarquables. Problème: le côté sulfureux prend progressivement le pas sur l'aspect troublant et, d'un point de vue moral, le film s'avère assez racoleur. Ce qu'il montre à la fin laisse imaginer que le réalisateur se croit au-dessus d'un certain cinéma - une posture plutôt condescendante. Dommage, sachant qu'au départ, il avait bien réussi à m'embarquer...

(+) D'autres avis chez Pascale / Strum / Benjamin / Elle et Lui. Constat d'évidence, a posteriori: tout cela est loin de faire consensus.

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The reader
Film (germano-)américain de Stephen Daldry / 2008

Cette histoire-là est adaptée d'un roman (publié en 1995) de l'écrivain allemand Berrnhard Schlink, né en juillet 1944. Le réalisateur anglais maintient le récit dans son environnement premier et nous faisons avec lui la connaissance de Michael, un ado de la fin des années 50. Malade au retour de l'école, il reçoit l'aide d'Hannah, une trentenaire. Sitôt guéri, il la retrouve pour la remercier... et en tombe amoureux.

L'appétit sexuel des deux personnages aurait alors pu orienter le récit vers quelque chose de très scabreux, autour d'une passion interdite. Seulement voilà... un beau jour, Hannah disparaît, corps et biens. Michael, devenu un étudiant en droit, ne la retrouve que des années plus tard, lorsqu'un prof emmène sa classe assister à un procès criminel. Je n'en dirais pas plus ici: ce serait atténuer la portée philosophique de The reader, fiction basée sur des faits historiques particulièrement sensibles. Sachez-le: c'est un bel ouvrage. L'occasion de découvrir David Kross, un jeune acteur allemand d'une justesse admirable, mais aussi de revoir à l'oeuvre des comédiens confirmés comme Ralph Fiennes et Bruno Ganz. Et c'est bien sûr Kate Winslet qui aimante la caméra, son rôle ici lui offrant trois récompenses majeures en 2009: le Golden Globe, le BAFTA et finalement l'Oscar ! De petites scories "hollywoodiennes" n'atténuent en rien la puissance du film. Mon seul regret: la version originale est, bien sûr, en anglais.

(+) D'autres avis chez Pascale / Dasola / Benjamin / Lui (tout seul). Vincent, quant à lui, avait choisi d'en retenir une image particulière...

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Pas grand-chose à ajouter aujourd'hui...

Je vous laisse donc reparler de votre opinion sur ces longs-métrages. Et en suggérer d'autres comparables - si vous jugez la chose possible !

mercredi 10 décembre 2025

Bates repetita

Certains films d'Alfred Hitchcock me mettent vraiment mal à l'aise. Ce n'est pas le cas de Psychose (1960), un thriller que je considère comme un superbe classique, mais aussi et surtout un très grand film d'épouvante. Aujourd'hui, j'évoquerai Psycho, son remake "officiel" sorti presque quatre décennies plus tard. Il m'a bien moins emballé...

Un mot sur l'histoire (identique). Jeune femme frivole, Marion Crane fréquente un homme endetté et rêve d'une vie nouvelle. Son patron l'apprécie et la charge de déposer à la banque 400.000 dollars en cash. Marion décide alors de fuir avec l'argent pour rejoindre son amant. Chemin faisant, elle s'arrête au motel Bates: un choix mal inspiré ! Ceux qui ont vu le Hitchcock savent, bien entendu, de quoi je parle...

Qu'on l'ait aimé ou non, je suis convaincu qu'on n'oublie pas ce film originel une fois qu'on l'a découvert. Et on peut bien s'en contenter ! Psycho est réputé le reproduire plan par plan et je dois reconnaître que l'exercice de style m'avait rendu curieux. Le passage à la couleur allait-il rendre le récit encore plus éprouvant à suivre ? Eh bien... non. Le casting est bon, dans son ensemble: Anne Heche, Vince Vaughn, Julianne Moore, Viggo Mortensen et William H. Macy font leur job. J'ai juste trouvé qu'ils étaient un peu caricaturaux, avant de me dire que c'est peut-être pile ce qu'on leur avait demandé. Le copier-coller supposé n'a en tout cas pas été de mise ! On peut d'ailleurs s'amuser au jeu des sept différences avec le travail de leurs prédécesseurs. Tout cela demeure toutefois d'un intérêt fort discutable, je trouve. Par moments, cette version 1998 m'a même paru un brin vulgaire. Comme si on voulait se moquer du maître du suspense ou démontrer que son talent pour susciter la peur n'était en fait que très limité. Reste l'impact du scénario qui, lui, résiste encore au temps qui passe.

Psycho
Film américain de Gus van Sant / 1998

Un bilan en demi-teinte. C'est avec joie que je défends d'autres films malaimés du cinéaste, mais cette fois, je ne perçois pas sa logique. Historiquement, il a d'ailleurs dû batailler pour imposer ses vues ! J'insiste: autant voir le Psychose de 1960 - au moins pour débuter. Les thrillers haletants sont nombreux et j'aime aussi les films parano tels Conversation secrète et Blow out. Un vaste pan du cinéma US...

mardi 9 décembre 2025

Du collectif à l'intime

Je n'ai aucun doute: sur le papier, le monde du travail et les inégalités sociales peuvent nourrir bien des scénarios de cinéma. Je dois dire que j'avais eu l'idée de rapprocher deux films sur ces thématiques. L'envie m'est finalement passée et je n'en ai donc vu qu'un seul. Partie remise (peut-être) pour l'autre. Et voici d'abord... Les braises !

S'agit-il d'évoquer un feu qui couve et qui ne demande qu'à repartir ? Ou bien de parler d'un autre, qui s'éteint doucement ? Il est possible que j'aie mal compris le titre de ce film, sorti début novembre. Virginie Efira incarne une employée d'usine, que l'on découvre mariée depuis vingt ans et mère de deux ados. Sa petite famille ne roule pas sur l'or, mais elle semble avoir une vie paisible et assez confortable. Karine, cependant, rejoint et fédère un petit groupe de Gilets jaunes. Sa situation dégénère un jour, après quelques frictions avec la police. La jeune femme voit son mari, amoureux, mais chef d'une entreprise en difficulté, s'inquiéter des risques encourus à (trop) se "radicaliser".

C'est, il me semble, le sujet du long-métrage, intelligent et bien joué. Arieh Worthalter prend de fait une place de plus en plus importante dans ce rôle d'époux préoccupé par la situation. D'où une question essentielle qui vient relayer celle de la justice sociale: un couple sincère peut-il véritablement perdurer si l'une et l'autre des personnes engagées suivent des chemins différents pour chercher le bonheur ? Chacun jugera de la manière dont Les braises répond. Ma déception personnelle, relative, vient du fait que cette interrogation légitime efface l'approche sociétale que le film semblait privilégier au départ. Le résultat n'est donc pas inintéressant, mais disons... un peu bancal.

Les braises
Film français de Thomas Kruithof / 2025

Bon... j'en attendais autre chose, mais je n'ai rien vu de déshonorant. Une semi-réussite, en résumé: il manque un je-ne-sais-quoi de fort et/ou de percutant pour me toucher vraiment. Un peu plus d'attention portée aux personnages secondaires, sûrement, et donc aux Gilets jaunes que j'imaginais être collectivement les personnages du film. Dans ce genre, Les neiges du Kilimandjaro est une bonne référence !

lundi 8 décembre 2025

Aux origines

Trois jours... c'est le temps écoulé depuis ma précédente chronique. Et aussi celui que j'ai pris pour voir un autre film (très différent) après Les aventures du prince Ahmed. J'aime faire durer l'émotion ressentie à chaque fois que je découvre un film muet et juge parfois que le cinéma "non-parlant" reste trop rare sur Mille et une bobines...

En cette période de fin d'année, ces pensées me ramènent également vers le bon souvenir de l'expo Enfin le cinéma ! - organisée au Musée d'Orsay (Paris) et dont je vous avais parlé... il y a bientôt quatre ans. Le septième art nous a depuis bien longtemps habitués aux images mobiles, mais je suis toujours ravi de m'instruire et de m'émerveiller sur les techniques "primitives", y compris d'avant les frères Lumière. Avis aux érudits: toute info est vraiment susceptible de m'intéresser. J'aime beaucoup partager ce que j'ai pu apprendre dans ce domaine. Quand le ferai-je la prochaine fois ? Je suis incapable de répondre. Promis: si une occasion se présente, c'est avec joie que je la saisirai. Je doute qu'une telle opportunité survienne avant 2026, à vrai dire. Je sais déjà en revanche que mon film de demain n'aura rien à voir...

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Bon... et ma photo du jour, alors ?

Elle émane d'un précurseur anglais du cinéma: Eadweard Muybridge. Vous l'avez peut-être vue dans Nope de Jordan Peele (2022). Un film récent qui raconte N'IMPORTE QUOI à son sujet. Vérifiez vos sources !

vendredi 5 décembre 2025

Un voyage en féérie

Toute cinéphilie est je crois faite d'agréables surprises, d'impressions confortées et de belles retrouvailles. Mon film d'aujourd'hui entrera dans la deuxième catégorie: j'avais d'emblée un bon feeling à l'idée de découvrir Les aventures du prince Ahmed... et cela s'est vérifié. Il faut dire que je l'ai vu sur grand écran ! Et en version ciné-concert !

J'étais de plus très bien accompagné pour découvrir cette perle rare conçue il y a presque un siècle. Ses admirateurs la présentent parfois comme le tout premier long-métrage d'animation - au niveau mondial ou européen, selon leur niveau d'expertise (et/ou d'enthousiasme). Plongés dans l'univers des Mille et une nuits, nous sommes invités dans un royaume imaginaire dont le calife célèbre son anniversaire. Pour l'occasion, un étonnant mage africain lui offre un cheval volant. Le fils du calife, le prince Ahmed, est ébahi et grimpe sur l'animal. C'est ainsi qu'il scelle le sort de sa soeur, la "richesse" que le mage réclame en échange, et se trouve lui-même projeté dans les cieux. Après quelque temps, le voilà arrivé au lointain pays de Wak-Wak ! C'est là qu'il rencontre Pari Banu, une reine dont il tombe amoureux...

Vous verrez: cet icroyable univers est par ailleurs peuplé de monstres gigantesques et de démons prêts à traquer les intrus. Il y en a assez pour nous fasciner pendant une heure et six minutes, à la condition d'accepter de retrouver un peu de notre âme d'enfant. Je veux revenir sur le fait que Les aventures du prince Ahmed demeure un film impressionnant sur le plan technique, compte tenu de son ancienneté. Sa conception aurait demandé plus trois ans d'un travail titanesque ! Tout ou presque est fait à partir de silhouettes de papier découpées et sur le principe des ombres chinoises - la grande Chine impériale étant d'ailleurs l'un des pays que les personnages auront à arpenter. C'est peut-être là que se joue le miracle: nous sommes en territoire fantastique, mais aussi en terrain connu. Bref, en plein rêve éveillé...

Aux côtés d'Ahmed et au gré des cinq courts épisodes d'une narration magique, vous aurez notamment la joie de rencontrer une sorcière bienveillante, ainsi que sa soeur Dinarsade et le noble Aladin, équipé de sa lampe. Cet Orient idéalisé compte aussi son lot de bons génies. Même s'il est effrayant parfois, il pourrait encore plaire aux marmots du 21ème siècle ("à partir de cinq ans", d'après les Fiches du cinéma). Il faut bien sûr se réjouir que cette fantasmagorie leur soit accessible aussi longtemps après qu'elle a été créée et alors que les vicissitudes de la guerre ont bien failli la voir disparaître dans le Berlin bombardé des années 40. Une copie fut heureusement retrouvée entre les murs du British Film Institute, en 1954, et restaurée / complétée en 1999. Une année-symbole, où sa géniale créatrice aurait fêté ses cent ans...

Il y aurait beaucoup à raconter sur Lotte Reiniger, cette Allemande née sous le règne de Guillaume II, hostile aux Nazis et contemporaine de l'éphémère République de Weimar, devenue citoyenne britannique. Elle s'était liée d'amitié avec Louis Jouvet et Jean Renoir, paraît-il. Ce n'est pas mon sujet aujourd'hui, mais j'en reparlerai certainement si j'ai d'abord l'occasion de voir d'autres oeuvres de celle qui fut prof de cinéma d'animation, en Europe et aux États-Unis, avant sa mort survenue dans son pays d'origine, à l'aube du beau printemps 1981. Pour l'heure, je me contente de voir Les aventures du prince Ahmed comme son héritage le plus précieux. Sous réserve, donc, d'un avis différent après l'examen du reste de son travail (sur six décennies). Rien ne doit vous interdire d'user et d'abuser de cette force féérique !

Les aventures du prince Ahmed
(Die Abenteuer des Prinzen Achmed)
Film allemand de Lotte Reiniger / 1926

Nous avons vraiment de la chance que ce film ait traversé le temps. Je courais depuis longtemps après cette merveille et je suis heureux de l'avoir enfin rattrapée ! Ses filtres colorés sont vraiment propices au rêve, tels ceux de Jo Limonade - sans autre comparaison possible. J'ai aussi repensé au réalisateur Karel Zeman (cf. Le baron de Crac). Georges Méliès n'est pas loin. Et Alice Guy, autre pionnière, non plus !

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Pour finir, une mention spéciale...

Je félicite et remercie Marie et Erwan, de la compagnie Intermezzo. Avec la complicité de Florent, un autre musicien, et de leur équipe technique, ce sont eux qui ont permis ce grand moment que j'ai vécu. Vous voulez rencontrer de beaux artistes ? Ceux-là méritent le détour.