On a beaucoup critiqué Terrence Malick pour le caractère ésotérique et abscons des divers films qu'il a tournés après avoir obtenu la Palme d'or (c'était en 2011, pour The tree of life). Cinéaste perfectionniste et résolument parcimonieux, il a alors accéléré son rythme de travail. Au point d'avoir presque trahi son public, d'après certains exégètes...
N'ayant pas vu toutes les oeuvres du maître, je me garde d'exprimer un avis tranché sur la question. Ce que je sais, c'est que je suis ravi d'évoquer Les moissons du ciel, le deuxième opus de sa carrière d'artiste et... le dernier avant une "pause" de vingt longues années ! Le film nous embarque à Detroit, vers 1915-16. Bill, un garçon presque trentenaire, travaille à l'usine pour nourrir sa petite soeur. Abby, une femme de son âge, fréquente le duo: Bill la présente comme son autre soeur, mais c'est un mensonge pour la protéger. Bientôt dépourvus d'activité au nord des États-Unis, les trois grimpent sur un train et rallient une grande exploitation céréalière du Texas. Pour une poignée de dollars, les plus pauvres d'entre les pauvres travaillent la terre comme des forçats, au bénéfice presque exclusif d'un propriétaire reclus dans sa grande maison au milieu des champs. Lequel, après avoir repéré Abby, tombera bientôt sous son charme...
Je suppose que l'on peut dire que le triangle amoureux est une figure tout à fait classique de l'art en général et du grand cinéma populaire en particulier. Ce qui ne signifie pas que le sujet soit inintéressant. Ici, en l'occurrence, il est nettement sublimé par une mise en scène d'une immense virtuosité, qui confère aux images l'allure de tableaux animés. La plupart des séquences se déroule dans la lumière de la fin du jour, captée, il faut le préciser, par un directeur de la photo incroyablement talentueux et sensible: l'Espagnol Néstor Almendros. Chaque plan est une pure merveille et c'est un petit miracle: l'homme qui les a éclairés perdait alors la vue, lentement, mais sûrement. Pour avoir eu la chance de découvrir ce superbe travail sur l'écran géant d'un cinéma de quartier, je peux vous certifier (ou confirmer) que le film mériterait le détour rien que pour cette contemplation. C'est plus qu'agréable de revenir de telle façon à ce qui fait l'essence même du plaisir cinématographique, dans sa plus simple expression. Et quand vient l'émotion vive, on rêverait qu'elle ne s'arrête jamais...
Les moissons du ciel n'est pas ce que j'appelle parfois un film bavard. Très économe en dialogues, il dispose cependant d'une bande-son impeccable et d'une magnifique musique, signée Ennio Morricone. Avant les thèmes du maestro italien, ce sont tout d'abord des notes françaises que l'on entend, les belles photos anciennes du générique d'ouverture s'appuyant sur un morceau de Saint-Saëns, le classique qui accompagne la montée des marches, à Cannes. Ce qui m'a surpris et ému, c'est en outre que le long-métrage repose sur une voix off inattendue: celle de Linda, la soeur de Bill, enfant de 12 ou 13 ans. C'est à travers son regard que l'on observe les situations quotidiennes décrites par le film, un regard à la fois lucide et un peu en décalage. C'est vraiment une très jolie idée de cinéma, qui décuple le pouvoir allégorique de ce qui est donné à voir, que ce soit dans la sphère intime des personnages ou dans un registre à vocation spectaculaire !
Toute la force du long-métrage réside dans sa capacité à nous offrir alternativement des moments d'un réalisme social cru, comme saisis sur le vif ou tirés d'un roman de John Steinbeck, et d'autres oniriques. Je me suis senti tout à la fois entraîné auprès de tous ces miséreux ayant vécu il y a juste un siècle et emmené ailleurs, dans un monde étrangement familier, mais qui n'a en fait jamais réellement existé. Terrence Malick est un magicien capable d'ajouter de petites touches historiques à ces univers fictifs: ici, par exemple, Charlie Chaplin s'invite soudain, par l'intermédiaire d'un film vu par les personnages grâce à... une troupe de clowns aviateurs ! Ensuite, c'est un incendie qui m'a mis la chair de poule, comme si j'étais au milieu des flammes. Avec tout cela, on oublierait presque les acteurs, ce qui serait injuste pour Brooke Adams, Richard Gere et Sam Shepard, ainsi bien entendu que pour la jeune Linda Manz (décédée d'un cancer en août dernier). Le temps a apporté au film la reconnaissance dont il avait été privé au moment de sa sortie. J'ai vu peu de choses plus belles cette année.
Les moissons du ciel
Film américain de Terrence Malick (1978)
La densité de cette heure et demie de cinéma est tellement absolue que j'ai presque eu l'impression de voir un film deux fois plus long. Quel pied, mes ami(e)s ! Cela m'incite fort à renouer avec mon idée d'une intégrale Malick, que je parviendrai sans doute à faire un jour prochain. En attendant, pour retrouver d'autres paysans dans un film intense, je suggère 1900. Ou La porte du paradis, côté américain...
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Il semble que le film est toujours très apprécié...
Vous le vérifierez chez Pascale, Sentinelle, Ideyvonne, Eeguab et Lui.
N'ayant pas vu toutes les oeuvres du maître, je me garde d'exprimer un avis tranché sur la question. Ce que je sais, c'est que je suis ravi d'évoquer Les moissons du ciel, le deuxième opus de sa carrière d'artiste et... le dernier avant une "pause" de vingt longues années ! Le film nous embarque à Detroit, vers 1915-16. Bill, un garçon presque trentenaire, travaille à l'usine pour nourrir sa petite soeur. Abby, une femme de son âge, fréquente le duo: Bill la présente comme son autre soeur, mais c'est un mensonge pour la protéger. Bientôt dépourvus d'activité au nord des États-Unis, les trois grimpent sur un train et rallient une grande exploitation céréalière du Texas. Pour une poignée de dollars, les plus pauvres d'entre les pauvres travaillent la terre comme des forçats, au bénéfice presque exclusif d'un propriétaire reclus dans sa grande maison au milieu des champs. Lequel, après avoir repéré Abby, tombera bientôt sous son charme...
Je suppose que l'on peut dire que le triangle amoureux est une figure tout à fait classique de l'art en général et du grand cinéma populaire en particulier. Ce qui ne signifie pas que le sujet soit inintéressant. Ici, en l'occurrence, il est nettement sublimé par une mise en scène d'une immense virtuosité, qui confère aux images l'allure de tableaux animés. La plupart des séquences se déroule dans la lumière de la fin du jour, captée, il faut le préciser, par un directeur de la photo incroyablement talentueux et sensible: l'Espagnol Néstor Almendros. Chaque plan est une pure merveille et c'est un petit miracle: l'homme qui les a éclairés perdait alors la vue, lentement, mais sûrement. Pour avoir eu la chance de découvrir ce superbe travail sur l'écran géant d'un cinéma de quartier, je peux vous certifier (ou confirmer) que le film mériterait le détour rien que pour cette contemplation. C'est plus qu'agréable de revenir de telle façon à ce qui fait l'essence même du plaisir cinématographique, dans sa plus simple expression. Et quand vient l'émotion vive, on rêverait qu'elle ne s'arrête jamais...
Les moissons du ciel n'est pas ce que j'appelle parfois un film bavard. Très économe en dialogues, il dispose cependant d'une bande-son impeccable et d'une magnifique musique, signée Ennio Morricone. Avant les thèmes du maestro italien, ce sont tout d'abord des notes françaises que l'on entend, les belles photos anciennes du générique d'ouverture s'appuyant sur un morceau de Saint-Saëns, le classique qui accompagne la montée des marches, à Cannes. Ce qui m'a surpris et ému, c'est en outre que le long-métrage repose sur une voix off inattendue: celle de Linda, la soeur de Bill, enfant de 12 ou 13 ans. C'est à travers son regard que l'on observe les situations quotidiennes décrites par le film, un regard à la fois lucide et un peu en décalage. C'est vraiment une très jolie idée de cinéma, qui décuple le pouvoir allégorique de ce qui est donné à voir, que ce soit dans la sphère intime des personnages ou dans un registre à vocation spectaculaire !
Toute la force du long-métrage réside dans sa capacité à nous offrir alternativement des moments d'un réalisme social cru, comme saisis sur le vif ou tirés d'un roman de John Steinbeck, et d'autres oniriques. Je me suis senti tout à la fois entraîné auprès de tous ces miséreux ayant vécu il y a juste un siècle et emmené ailleurs, dans un monde étrangement familier, mais qui n'a en fait jamais réellement existé. Terrence Malick est un magicien capable d'ajouter de petites touches historiques à ces univers fictifs: ici, par exemple, Charlie Chaplin s'invite soudain, par l'intermédiaire d'un film vu par les personnages grâce à... une troupe de clowns aviateurs ! Ensuite, c'est un incendie qui m'a mis la chair de poule, comme si j'étais au milieu des flammes. Avec tout cela, on oublierait presque les acteurs, ce qui serait injuste pour Brooke Adams, Richard Gere et Sam Shepard, ainsi bien entendu que pour la jeune Linda Manz (décédée d'un cancer en août dernier). Le temps a apporté au film la reconnaissance dont il avait été privé au moment de sa sortie. J'ai vu peu de choses plus belles cette année.
Les moissons du ciel
Film américain de Terrence Malick (1978)
La densité de cette heure et demie de cinéma est tellement absolue que j'ai presque eu l'impression de voir un film deux fois plus long. Quel pied, mes ami(e)s ! Cela m'incite fort à renouer avec mon idée d'une intégrale Malick, que je parviendrai sans doute à faire un jour prochain. En attendant, pour retrouver d'autres paysans dans un film intense, je suggère 1900. Ou La porte du paradis, côté américain...
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Il semble que le film est toujours très apprécié...
Vous le vérifierez chez Pascale, Sentinelle, Ideyvonne, Eeguab et Lui.
4 commentaires:
Rien à jeter dans la filmographie de l'ami Terrence, son prochain film basé sur les évangiles devrait une fois de plus faire beaucoup parler de lui. Dans la longue liste des films "paysans" l'incontournable "Farrebique" de Georges Rouquier , et plus hollywoodien , le "Milagro" d'un certain Robert Redford
Ah comme je suis d'accord ! Et je t'ai rarement vu aussi enthousiaste et ému.
C'est effectivement en voyant ce film que les fans se sont sentis trahis par la suite quand Malick est devenu ésotérique.
Ici tout frole la perfection la musique, les acteurs, la lumière et l'histoire.
Hollywod est passé à côté de la formidable Linda Manz morte dans l'indifférence générale mais au moins elle a joué dans ce chef doeuvre.
J'espère, si tu ne les as pas vus, que tu pourras découvrir Badlands et la Ligne rouge.
@CC Rider:
Merci pour les deux références supplémentaires. Je note ça dans un coin de ma tête.
Cela étant dit, je pense que je vais d'abord chercher à voir mes autres Malick "inédits".
@Pascale:
Oui, sur grand écran, le film prend sa pleine mesure et j'ai vraiment été baba.
L'idée de la voix off de la petite fille est vraiment très belle, je trouve, comme tout le reste.
Je verrai les autres Malick. J'ai vu "La ligne rouge" il y a longtemps. Pas encore "La balade sauvage".
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