Négliger le muet, c'est très certainement la première de mes lacunes cinématographiques. Le film dont je souhaite vous parler aujourd'hui est parlant, mais évoque la grande époque des débuts d'Hollywood, quand les grosses productions se tournaient sans la moindre parole. 1950: un quart de siècle est passé depuis l'introduction des dialogues quand Billy Wilder signe ce chef d'oeuvre classique qu'est Boulevard du crépuscule - du nom de l'artère qui traverse Los Angeles. Imaginaire mais crédible, l'histoire tourne autour d'une femme, Norma Desmond, ex-égérie des studios, recluse dans sa propriété, comme condamnée à une retraite aussi forcée que frustrante. Surprise: un homme est retrouvé mort, assassiné de plusieurs coups de revolver, dans sa piscine. L'intéressé, un dénommé Joe Gillis, est aussi... le narrateur du film. Il connaissait parfaitement la femme chez qui il a perdu la vie et c'est ce qu'il va nous raconter, le film tenant lieu de récit sous la forme d'un grand flash-back. Technique plutôt ordinaire qui a ici une pertinence d'autant plus grande qu'il est question de suivre les méandres d'un passé pas si lointain. Je fais d'emblée le pari que, passés à côté de cette perle, ceux d'entre vous qui liront ces modestes lignes seront ravis de pouvoir la découvrir.
Je l'ai dit, je le répète: Boulevard du crépuscule est un chef d'oeuvre. En détail, ce film noir dans la plus pure tradition du genre est bien sûr intéressant en ce qu'il est d'abord une mise en abyme passionnante. Tout le talent de Billy Wilder est de savoir le montrer de nombreuses façons et d'abord dans le choix de ses acteurs. Personnage féminin principal, Gloria Swanson fut ainsi elle-même une immense star du cinéma muet avant de tomber dans un oubli relatif et de revenir sur les plateaux grâce à cette production. Finalement, c'est presque la même chose pour Erich von Stroheim, metteur en scène apprécié dès 1919 et riche d'une immense carrière devant et derrière les caméras. William Holden, le troisième larron de ce conte cruel, est beaucoup plus jeune: à leurs côtés, il est toutefois bien plus qu'un faire-valoir. Le génie de la distribution atteint des sommets quand l'immense Cecil B. DeMille apparaît brièvement - mais deux fois - dans son propre rôle. Pour un réalisme toujours plus poussé, certaines des scènes qui le concernent ont été tournées sur un vrai plateau, et alors qu'il réalisait l'un de ses films. Je ne crois pas nécessaire d'ajouter que le réalisme de l'ensemble s'en trouve encore accru. Le plaisir de cinéma aussi, bien entendu.
Vous aurez constaté que je n'ai toujours rien dit du scénario précis - à part ce mort retrouvé dans une piscine comme point de départ. C'est volontaire: en ne disant que peu de choses, j'ai le sentiment d'en dire beaucoup et je crois que Boulevard du crépuscule fait partie de ces films qui se savourent en en sachant le moins possible à l'avance. Il y a bien sûr encore quelques obstacles à surmonter avant la diffusion de cette pièce maîtresse du cinéma. Je pense évidemment et d'abord au noir et blanc dans lequel elle a été tournée. Je vous conjure de ne pas vous arrêter sur ce point. J'estime en effet pour ma part que les couleurs n'auraient rien apporté à cette merveille, voire qu'elles l'auraient ternie. Présentée aujourd'hui comme l'un des plus grands films, toutes époques confondues, cette neuvième oeuvre de Billy Wilder reçut à sa sortie de nombreuses critiques favorables, trois Oscars, mais également son lot de commentaires assassins. Avec un sens de la formule-choc qui n'appartient qu'aux critiques professionnels, un de mes confrères la qualifia même de "tranche de roquefort prétentieuse". Pas de quoi en faire un fromage, je vous assure. Enfin, à moins que vous ayez désormais, toutes affaires cessantes, l'intention de passer à table...
Boulevard du crépuscule
Film américain de Billy Wilder (1950)
J'ai déjà tout dit. Les affamés de film noir se régaleront forcément devant ce modèle du genre. En gourmets, les autres pourront également savourer les rebondissements d'un scénario qui associe suspense, romance et drame, pendant deux heures et sans faiblir. Pas de comparaison à faire, mais l'envie de vous recommander encore une fois le génial Certains l'aiment chaud, en noir et blanc toujours et du même Billy Wilder. Une autre merveille, cette fois dans le registre de la comédie, présentée ici le 11 décembre dernier.
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