vendredi 18 mars 2011

Mourir d'amour

Une chronique de Martin

Les grands artistes sont-ils forcément audacieux ? Si la question revient ponctuellement me hanter, c'est sûrement parce que je n'ose même pas y apporter une réponse trop affirmée. La construction progressive de ma culture cinématographique m'amène à penser qu'effectivement, les créateurs qui osent sont très souvent également les plus intéressants. Ce qu'il y a de bien, quand on prend un peu de recul, c'est qu'il est possible de constater que l'audace reste une idée trop floue pour être réellement définie. Je doute qu'elle puisse réellement être un concept universel. Mais pour donner un exemple, je crois que James Gray a eu de l'audace quand il a décidé d'ouvrir son film, Two lovers, par une tentative de suicide.

En comparaison, je n'ai pas pris beaucoup de risques. J'ai toutefois ressenti un petit frémissement au moment précis où j'ai découvert les premiers plans du métrage: j'avais en fait peur... d'être déçu. J'avais en effet entendu beaucoup de bien de ce film et je m'étonne après coup qu'il soit passé à côté d'un succès plus important. Effectivement, même si je ne peux aller jusqu'à dire que j'ai passé un bon moment à le regarder, je ne l'en trouve pas moins convaincant dans tous ses aspects. Adaptation libre mais pertinente des Nuits blanches, une nouvelle de Dostoïevski, le scénario s'intéresse à Leonard, un trentenaire américain qui retourne vivre chez ses parents après une rupture. C'est lui qui, d'abord, tente donc d'en finir, avant qu'in extremis, l'instinct de survie ne le fasse remonter à la surface du fleuve où il avait sauté. Vivre ? Mourir ? Survivre ? D'emblée, le ton général de Two lovers est donné.

Mais si le titre du film peut se traduire par Deux amants, ce qu'ont d'ailleurs fait ses distributeurs québécois, ce n'est évidemment pas un hasard. Après être sorti de l'eau, Leonard s'essayera à abandonner sa vie d'avant et à faire disparaître son chagrin, heureux d'avoir rencontré non pas une, mais deux femmes, Sandra par l'entremise aimante de ses parents et Michelle grâce au hasard de l'existence. Maintenant, je ne vous en dirai pas plus pour vous laisser apprécier selon votre propre expérience. Juste ce que vous aurez peut-être compris: il est question de sentiments contradictoires. Et si l'audace du début peut sembler se dissoudre ensuite dans un classicisme certain, le travail de James Gray - au scénario et à la réalisation - sait toujours éviter de tomber dans la banalité. Je salue d'ailleurs aussi le talent des acteurs de Two lovers: Joaquin Phoenix compose un rôle masculin d'une grande intensité aux côtés de Vinessa Shaw, impressionnante vu la petitesse de son CV cinéma, mais également de Gwyneth Paltrow, que je n'avais jamais perçue à ce niveau d'engagement. Signe qui ne trompe pas: même les rôles secondaires, confiés notamment à Isabella Rossellini et Elias Koteas, sont forts.

Two lovers
Film américain de James Gray (2008)
Au-delà de l'intrigue, sur le plan purement formel, Two lovers m'apparait comme une grande réussite. Sens de la narration et plans au cordeau de son auteur sont ses deux forces motrices. Personnellement, c'était mon premier James Gray: il me donne envie de découvrir les autres. D'ici là, je crois pouvoir tracer un parallèle avec le Match point de Woody Allen, une autre histoire d'amours croisées, orientée thriller cette fois. Les deux longs-métrages n'ont pas grand-chose d'autre de comparable, mais chacun mérite le détour pour son casting et ses qualités propres. Je vous conseille d'en juger par vous-mêmes dès que la bonne occasion se présentera à vous.

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