vendredi 16 mars 2012

Jeunesse voilée

Une chronique de Martin

Asghar Farhadi l'affirmait lui-même dans une interview : "La société iranienne est faite de ces petits groupes qui n'arrêtent pas de coller des étiquettes". Constat peu réjouissant qui sous-tend visiblement son cinéma. Je pose la question: le scénario de ses films serait-il parfaitement transposable dans un autre contexte ? Ce n'est pas sûr.

À propos d'Elly… me semble toutefois pouvoir avoir une résonance dans nos pays occidentaux. Y est présenté un Iran d'apparence moderne où les femmes, même si elles sont encore voilées, parlent aux hommes d'égales à égaux. Première illusion, mais, sur ce point précis, la situation est-elle si différente chez nous ? Je ne crois pas.

À propos d'Elly… commence avec les sourires et les cris d'une bande de trentenaires, ex-étudiants de la fac de droit, partis ensemble profiter d'un week-end prolongé au bord de la mer Caspienne. Premier contretemps: le propriétaire de la villa qu'ils comptaient occuper leur laisse un jour de villégiature à la place des trois prévus. Le groupe se rabat alors sur une autre demeure, qu'il lui faut d’abord ranger et nettoyer. Tout se passe bien jusqu'au lendemain, en fait jusqu'à ce que l'une des femmes souhaite partir en comprenant qu'elle n'a été invitée que pour faire plaisir au seul homme célibataire de la petite troupe. Au matin, un incident survient et Elly disparaît…

À partir de là, le film change de ton et bascule dans le drame. Surprise attendue. À propos d'Elly… est presque un huis-clos, criant de vérité. Les images sont belles, a fortiori parce qu'elles sont souvent filmées à l'épaule, la technique venant renforcer l'angoissante proximité ressentie avec chacun des personnages. Chaque comédien offre une composition forte. Je ne dirai pas comment le long-métrage se termine, ni comment les caractères évoluent. Mon intérêt pour cette histoire vient bien de l'altération progressive et quasi-constante de mes propres sentiments à l’égard des uns et des autres. En partant d'une situation atypique, qui peut toutefois ressembler à beaucoup d'autres, Asghar Farhadi nous parle de son pays et nous fait réfléchir sur nous-mêmes. Oeuvre puissante.

À propos d'Elly…
Film iranien d'Asghar Farhadi (2009)
Avec ce film, son troisième, le réalisateur a décroché un Ours d'argent au Festival de Berlin. Il a remporté l'or deux ans plus tard, avec Une séparation. J'ai bien apprécié les deux longs-métrages. Notez que le second m'a semblé un peu plus ancré dans une réalité politique et donc, d'une certaine façon, contestataire, une trentaine d'années "seulement" après la Révolution islamique. La cohérence d'ensemble donne envie d'en voir d'autres du même auteur. J'encouragerais ceux que l'Iran intéresse (ou préoccupe) à se tourner aussi vers d'autres films, Les chats persans ou Le goût de la cerise.

1 commentaire:

David Tredler a dit…

Ca a été une révélation quand je l'ai vu au ciné à l'époque. Remarquable. Je n'ai pas pu m'empêcher de le revoir sur Arte l'autre soir ^_^