Le public français est privilégié. En prend-il toujours la mesure ? Quelques semaines durant, il a pu découvrir librement Les chats persans, oeuvre iranienne signée Bahman Ghobadi. La première fois que cette histoire est arrivée sur nos écrans, c'était au mois de mai dernier, à l'occasion du Festival de Cannes: retenu dans la sélection Un certain regard, le film a reçu une belle récompense, le prix spécial du jury. Avant et encore après, ses créateurs ont eu de gros ennuis avec les autorités de leur pays: Ghobadi lui-même, mais également sa compagne et co-scénariste, l'Irano-américaine Roxanna Saberi, ont été emprisonnés, accusés entre autres d'espionnage. Le couple vit désormais en exil, à New York. Loin d'être réconforté, le cinéaste assure que c'est pour lui un déchirement, qu'il espère retourner travailler en Iran et qu'au pire, il confiera son matériel à un ami. Ensuite, il montera le travail ainsi effectué avec l'aide de techniciens étrangers. C'est ce contexte d'oppression et censure qui m'a d'abord poussé à le découvrir. Un peu naïf sans doute, j'ai espéré qu'entrer dans un cinéma me permettrait de lui apporter un peu de soutien. C'est assez simple: je me suis dit que je pouvais au moins faire ça. Ce n'est qu'ensuite, en cherchant quelques infos complémentaires, que j'ai appris que le film avait été tourné avant l'élection qui a ramené Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de l'Iran. Je trouve finalement que le résultat n'en a que plus de force. Comme un cri d'alarme au message malheureusement amplement vérifié depuis...
Vus au premier degré, à travers nos yeux européens, Les chats persans racontent une histoire banale. Celle de groupes de jeunes passionnés de musique, soucieux de monter un concert pour se faire entendre et qui, en attendant, vont d'un local à l'autre pour répéter. Evidemment, ce qui est tout ce qu'il y a de plus ordinaire chez nous est formellement interdit et donc extrêmement dangereux là-bas. L'un des aspects intéressants du film est de l'expliquer de manière très concrète, en suivant deux petites heures durant les pas de Negar et Ashkan, deux jeunes adultes rêvant de rock et d'exil européen. Faute d'obtenir l'autorisation de jouer leur musique, leur volonté farouche de se produire sur scène vient aussi d'un besoin d'argent pour acheter les (faux) passeports qui pourraient leur permettre d'oublier leurs ennuis en quittant le pays. Ici, toute ressemblance avec des personnes existant réellement n'est évidemment pas fortuite. D'autant moins en fait que les deux acteurs principaux portent le même prénom que leurs personnages et ont connu sensiblement le même destin. Ne vous y trompez pas: le film est bel et bien une fiction, mais une fiction tellement empreinte de réalité qu'elle a des allures de reportage, impression que vient d'ailleurs renforcer le style Ghobadi, avec une caméra au plus près des acteurs. Inutile de dire que, de par sa thématique même, ce film est aussi basé sur le mouvement. Il n'y a pas de repos pour les musiciens clandestins au pays des mollahs. Il leur faut bouger continuellement.
L'espoir ? Très ténu, il existe tout de même dans Les chats persans. Il se manifeste notamment dans l'étonnante solidarité dont font preuve tous ces jeunes - et moins jeunes - traqués par la police. Negar et Ashkan espèrent obtenir de l'aide et en trouvent un peu auprès d'amis et d'amis d'amis. Leur longue errance urbaine permet au réalisateur de nous offrir des images très diverses de Téhéran. Tellement en fait que je pense qu'on peut sans mentir parler du film comme d'un long métrage sur la ville. Les mélomanes curieux pourront également y découvrir toutes sortes d'inspirations nouvelles, mais malgré tout reconnaissables: il y a de la musique traditionnelle iranienne, du rock donc, du rap et d'autres styles, toujours chantés en persan, ce qui nous emmène en voyage, ailleurs. De cette brève visite, on ressort un peu exténué, un peu mortifié aussi, car l'idée d'un happy end hollywoodien ne s'impose pas vraiment. C'est même peut-être l'ultime paradoxe de ce film criant pour la liberté: s'achever sur une note ambiguë, mais a priori un peu plus sombre encore que la réalité des gens qu'il évoque. Il me semble qu'il faudra surveiller la suite, les autres travaux de Ghobadi, afin d'essayer d'y déceler une possible évolution vers le mieux ou le pire. Pas forcément très accessible à un public profane, le réalisateur a tout de même beaucoup de courage. Nous qui vivons en des contrées apaisées ferions bien de ne pas oublier cette chance que nous avons.
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