jeudi 31 octobre 2013

Petit scarabée

Bigre ! J'ai mis près de trois ans à rattraper Nowhere boy, manqué au cinéma et vu enfin sur une des chaînes de mon opérateur Internet. Je ne suis pas sûr que beaucoup d'entre vous aient eu écho de ce film anglais, ni d'ailleurs l'histoire qu'il raconte. Il y est question pourtant d'un artiste connu dans le monde entier: John Lennon himself. L'intérêt du long-métrage réside avant tout dans la période choisie pour parler de l'ex-leader des Beatles: nous nous retrouvons en face d'adolescents, vers 1957, avant même, donc, la formation du groupe.

Ce voyage dans le temps m'a offert l'opportunité d'en apprendre beaucoup sur la jeunesse du rockeur. J'ignorais qu'il avait été élevé par sa tante, son père ayant disparu en Nouvelle-Zélande et sa mère le délaissant presque totalement. Presque parce que, et c'est le sujet même du film, le jeune John cherchera à mieux connaître la femme qui lui a donné la vie. Il découvrira une personnalité fragile, capable d'aimer, certes, mais dépassée par les événements et comme coincée dans une nouvelle vie construite sans lui. C'est cette même femme qui lui apprendra à jouer du banjo et encouragera dès lors sa passion pour les arts en général et la musique en particulier. Nowhere boy rappelle ainsi qu'avant d'être le dieu Lennon, le gamin de Liverpool était, comme tant d'autres Anglais de son âge, un fan d'Elvis Presley. Et même si le long-métrage s'emballe bien sûr au son des standards du rock, il est plutôt un récit intime qu'une grande fresque musicale.

C'est bien simple: on n'y entend même pas les Beatles ! Le scénario s'arrête à l'aube d'un voyage en Allemagne, là où trois des garçons, pleins d'avenir sans doute, mais pas encore tout à fait dans le vent, John Lennon, Paul McCartney et George Harrison, firent connaissance avec un quatrième, Ringo Starr, prélude à la naissance des Fab Four. Difficile alors de ne pas se dire qu'ils étaient vraiment bien jeunes encore, et, du même coup, de ne pas être sensible à la découverte tardive des tendres moments partagés entre le leader et sa maman ! Nowhere boy compose en fait un portrait sans fard d'une star beaucoup plus tourmentée que ce que j'avais pu imaginer. Je note qu'il le fait honnêtement, sans cacher quelques-uns des aspects obscurs de cette personnalité complexe: l'homme encore en devenir fait parfois preuve d'une détestable arrogance. L'empathie domine toutefois dans ce constat, magnifié par une très belle reconstitution.

Nowhere boy
Film anglais de Sam Taylor-Wood (2009)

Ne vous laissez pas abuser par le prénom: c'est bel et bien une femme qui a tenu la caméra de ce joli film. D'abord et avant tout artiste plasticienne, Sam Taylor-Wood faisait ici ses débuts de cinéaste. Bravo, Madame ! De votre côté, chers lecteurs, si vous souhaitez vous plonger dans un autre film rock, je vous laisserais alors choisir entre l'assez drôle Killing Bono et le très noir Control. Le premier évoque les débuts de U2, le second le parcours de Joy Division. À vous de voir sur quel ton s'exprimeront vos préférences ciné-musicales...

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Bon, cela dit, si vous voulez rester avec les Beatles...
Je vous conseille deux autres chroniques consacrées à Nowhere boy sur les blogs de mes "confrères". Pascale ("Sur la route du cinéma") cite judicieusement les trois acteurs principaux: Aaron Johnson, Anne-Marie Duff et Kristin Scott-Thomas. Phil Siné, lui, fait de même et parle même d'une distribution épatante (cf. sa "Cinémathèque").

mardi 29 octobre 2013

Un homme, son cheval

Il y a assurément plusieurs façons de considérer Cheval de guerre. Sorti sur les écrans fin 2011, ce long-métrage de Steven Spielberg prend la forme d'une fable porteuse d'espoir. Rien n'est très crédible dans cette histoire d'un jeune homme et son poulain que la barbarie du premier conflit mondial vient séparer. Les uns lui reprocheront inévitablement son aspect sirupeux, sa façon d'envoyer les violons comme pour surligner une émotion presque trop belle pour être vraie. Un peu indulgents sans doute, les autres se laisseront embarquer.

Pas dupe pourtant des grosses ficelles de Steven Spielberg, je veux demeurer fidèle à la seconde catégorie. D'accord, Cheval de guerre m'est apparu à plusieurs reprises noyé sous la guimauve. Il a énormément de défauts et avant tout un côté si léché qu'il tombe souvent dans ce qui ressemble à une caricature. C'est une oeuvre humaniste, mais qui fait porter à un animal des sentiments exagérément humains. La démarche est pudique, mais maladroite. Avec les notes de John Williams qui s'emballent de concert, ça larmoie jusqu'à plus soif. La logique "spielbergienne" est poussée au point que, malgré la dureté du conflit, il n'y a plus de méchant ou d'ennemi. Il n'y a que du chagrin et de l'injustice, affres que le scénario achèvera évidemment de consoler et réparer. En deux heures et quart parfaitement calibrées, on arrivera à la fin prévisible... dès le début.

Et pourtant, à mes yeux, ce cinéma presque alangui conserve en lui quelque chose de magique. Je ne parviens pas à me moquer complètement de la manière dont Steven Spielberg, à 65 ans, sait encore placer ses histoires à la hauteur du regard d'un enfant. Il y a là une manière de filmer à laquelle je me trouve sensible, un artisanat cinématographique qui me plaît - même s'il dispose très certainement de moyens financiers que beaucoup lui envieraient. Cheval de guerre emporte le morceau, au fond. Je regrette que tout le monde y parle anglais, Allemands et Français compris, mais ça me paraît un détail comparé à la qualité plastique de la reconstitution. J'éprouve également du respect pour ce réalisateur éclectique capable d'amener un peu de lumière sur un conflit ancien et d'en démontrer l'absurdité en une allégorie pacifique universelle. Je veux bien pleurer un peu...

Cheval de guerre
Film américain de Steven Spielberg (2011)
Et de dix ! Mon évocation des oeuvres du maître américain s'enrichit d'une dixième chronique. Il me reste davantage de films à découvrir ou à revoir pour prétendre le connaître parfaitement. Je m'en réjouis d'avance. Dans la manière dont il aborde la guerre de 14, il est clair que l'opus présenté aujourd'hui est bien plus proche de Joyeux Noël que de Capitaine Conan. Maintenant, si vous voulez connaître le fond de ma pensée, le film le plus juste sur ce sinistre épisode de l'histoire du monde demeure - j'en juge en cinéphile - La vie et rien d'autre.

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Pour en revenir au travail de Steven Spielberg...

J'illustre la diversité des avis sur Cheval de guerre par deux avis contradictoires. Celui de Pascale ("Sur la route du cinéma") raconte toute l'histoire, admet qu'elle est bien mise en images, mais conclut négativement sur son intérêt. Phil Siné, lui, défend plutôt le film dans sa Cinémathèque. Après, c'est à vous de vous faire votre idée !

dimanche 27 octobre 2013

Cohabitation forcée

Il n'y a pas toujours une méthode dans la façon dont je passe d'un film à l'autre. Le fait est qu'aujourd'hui dimanche, après un drame venu d'Afghanistan, j'enchaîne sans délai avec une bonne grosse comédie franchouillarde. Deux jours entre les deux chroniques, deux jours aussi entre ma découverte des deux longs-métrages. Le grand écart stylistique m'impressionne ! Cela dit, j'assume: même si c'est un ami à moi qui a choisi d'aller voir Eyjafjallajökull, j'avais bien l'intention déjà de lui donner sa chance. Bon, OK, ce n'était pas l'idée du siècle...

La cohabitation forcée ? C'est celle de Valérie et Alain, couple séparé avec fille de 23 ans. Au début du film, ils volent dans le même avion. Leur destination ? La Grèce, pour assister au mariage "coup de tête" de leur progéniture. Et Eyjafjallajökull ? C'est le nom du volcan islandais qui va se réveiller et les ramener au sol ! Mais si, enfin ! Vous vous souvenez forcément de cet épisode de l'actualité 2010 ! Bref... je vous fais grâce de tous les détails sur la géographie nordique et j'en reste au film: une fois privés d'avion, Valérie et Alain sont contraints de trouver ensemble une solution de repli. Ce sera d'abord une voiture de location, qu'ils se disputeront très âprement avant de faire un bout de route en mode duo, itinéraire périlleux évidemment, vu que les époux d'hier se détestent désormais. J'espérais justement que leur foire d'empoigne fasse exploser le film dans tous les sens. Raté ! Le scénario est en réalité sagement balisé.

Avec Dany Boon dans le rôle principal, c'est vrai: je m'y attendais quand même un peu. C'est en fait sur Valérie Bonneton que reposait l'essentiel de mes espoirs de rire. L'incontournable bande annonce m'avait laissé croire à l'efficacité de son jeu dans le registre hystérique. Mouais. À dire vrai, la miss joue bien, mais elle joue aussi un peu toujours la même chose. Quant aux rares personnages secondaires, ils sont soit insignifiants, soit ridicules - à l'image notamment d'un Denis Ménochet presque consternant en criminel repenti devenu prédicateur de camping-car. Tout ça manque cruellement d'enthousiasme, de rythme et de vraies bonnes blagues. Reste le plaisir d'une longue virée en Europe sur fond de musique rock: ça ne m'a pas suffi, sincèrement. J'ai très vite eu l'impression de tourner en rond et, pire, autour des mêmes clichés incessants. Finalement, la meilleure des idées d'Eyjafjallajökull, c'est son titre...

Eyjafjallajökull
Film français d'Alexandre Coffre (2013)

Ce n'est pas avec ce film que Dany Boon va redresser sa popularité vacillante. La "star" peut se consoler, puisqu'il paraît qu'elle a touché 3,5 millions d'euros pour ce rôle, soit 15% du budget du film. Je sens que ça ne va pas faire plaisir à tout le monde ! J'ai mis deux étoiles et demie parce qu'objectivement, je n'attendais guère autre chose. C'est bien payé aussi. Plus original à l'époque ou plus sincère peut-être, Bienvenue chez les Ch'tis m'avait de fait paru plus drôle.

vendredi 25 octobre 2013

Négation de la liberté

Le cinéma est-il un instrument de liberté ? Sans doute. Osama fait partie de ces films qui me le laissent croire. Parti d'Afghanistan, il est parvenu jusqu'à nous par l'intermédiaire du Festival de Cannes. Présenté à la Quinzaine des réalisateurs en 2003, il a ensuite obtenu une mention à la Caméra d'or. Il a reçu d'autres distinctions également et pourtant, avant de le voir au programme d'une chaîne de mon fournisseur d'accès à Internet, je n'en avais jamais entendu parler. Sa nationalité a toutefois suffi à ce que je m'intéresse à lui.

Osama n'est pas le premier film afghan. C'est le premier que je vois et, apparemment, le premier réalisé après le départ des Talibans. Tourné à Kaboul, il montre, dans une démarche d'abord assez proche du documentaire, un pays courbé sous la férule des fondamentalistes musulmans. Il se tourne vers les femmes, leurs premières victimes. Précision que je crois importante: le film ne présente pas la religion comme la source de tous les maux. Ce qui nous est exposé repose d'abord sur la vilenie d'hommes ordinaires, petits potentats locaux jamais aussi sûrs de leur pouvoir que de celui de leur Kalachnikov. L'intérêt du long-métrage - sa force, dirais-je même - consiste à faire d'une jeune fille le symbole d'une population martyre. Osama devient son prénom quand sa mère la déguise en garçon pour qu'elle puisse sortir et travailler. Leurs époux morts à la guerre, les autres femmes de la famille n'ont plus rien: ni d'argent, ni même le droit d'en gagner.

Je n'ai pas envie de vous raconter la suite, mais j'espère vraiment que vous aurez l'occasion de la découvrir. Les exactions talibanes étaient rangées dans un recoin de ma mémoire, presque oubliées finalement. Les revoir sous le masque de la fiction m'a bousculé. Évidemment, la liberté du peuple afghan était alors si conditionnelle qu'elle n'existait pas. Pas sûr que ce soit tellement mieux aujourd'hui. C'est là que je reviens à mon idée d'un cinéma, instrument de liberté. Qu'un film comme Osama puisse simplement exister a quelque chose de rassurant. Le plus surprenant est que le réalisateur fasse preuve d'une grande justesse technique. Né en 1962, Siddiq Barmak a étudié son art dans une école de cinéma soviétique, dont il est sorti diplômé à 25 ans. Je suis très favorablement impressionné par la prestation de ses acteurs, tous amateurs, et en particulier bien entendu par celle de l'enfant, Marina Golbahari. Il semble qu'elle poursuive sa carrière !

Osama
Film afghan de Siddiq Barmak (2003)

Le réalisme de cette oeuvre peut faire mal ! Je crois devoir dire toutefois que la pudeur avec laquelle ces événements sont contés permet aussi d'atténuer le choc. Le film reste sombre, son auteur soucieux de montrer les choses comme elles sont, écartant alors l'idée d'un happy end hollywoodien. Ceux d'entre vous que le drame rebute se tourneront plutôt vers Wadjda, long-métrage saoudien découvert cette année. Certes différentes, les deux histoires se ressemblent...

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Pour les autres qui aimeraient d'autres avis...

Je recommande la lecture des chroniques de "L'oeil sur l'écran".

mercredi 23 octobre 2013

Reconstruction ?

Je ne sais plus comment j'ai appris que Woody Allen tournait un film avec Cate Blanchett. Quand Blue Jasmine a commencé à faire parler de lui, j'ai lu quelques articles à son sujet, mais j'ai surtout attendu. J'avais cette émotion que suscitent les projets cinématographiques jugés les plus enthousiasmants, étant donc partagé entre l'impatience de le découvrir et l'inquiétude d'en être déçu, après coup. C'est aussi pour ce frisson, plus intense en salles je crois, que je vais au cinéma.

Alors oui, quand la seule véritable actrice que j'admire véritablement et presque inconditionnellement obtient un rôle chez un réalisateur dont j'ai appris à aimer le style si particulier, j'essaye d'esquiver chaque détail - trop - révélateur et je suis fidèle au rendez-vous. Deux jours ! J'ai tenu deux jours après sa sortie avant d'aller voir Blue Jasmine. Je trouve ça bien qu'il n'apparaisse sur le blog qu'aujourd'hui, presque un mois plus tard. Certains d'entre vous l'auront sans doute vu, d'autres pas: s'il n'est pas trop tard, courez-y ! C'est un beau film avec, surtout, une magnifique comédienne. Il peut m'arriver de manquer d'objectivité, mais là, j'insiste... et j'assume !

Malgré son incroyable prestance, la Jasmine du titre est une femme brisée. Après lui avoir permis de mener grand train dans un hôtel particulier de New York, son mari s'est suicidé... en prison, condamné qu'il était pour escroquerie - le film le montre comme un Madoff franchement convaincant et j'en profite pour saluer la prestation d'Alec Baldwin, on ne peut plus crédible lui aussi. Bref... insouciante hier, ruinée aujourd'hui, Blue Jasmine n'a d'autre solution de repli que d'aller vivre chez Ginger, sa demi-soeur, à San Francisco. Problème: cette femme a une vie bien différente, celle d'une caissière de supermarché. Du temps de sa superbe, Jasmine la méprisait...

Ce cynisme plane sur le scénario et donne matière à des répliques particulièrement grinçantes. Blue Jasmine sait faire rire, parfois. Woody Allen se retrouve à l'évidence derrière les névroses obsessionnelles de son héroïne déchue, bien plus franche et assumée après avoir avalé sa dose quotidienne de Xanax. Le long-métrage n'est dès lors pas qu'une bonne partie de rigolade. Il est bien certain que le réalisateur a de l'empathie pour son personnage principal. Soucieuse de se reconstruire, Jasmine se coltine un nombre impressionnant de crétins et ça ne lui facilite pas la vie. Le scénario ne lui donne pas toujours le beau rôle, toutefois. J'en dis déjà trop...

Allez, juste un mot encore pour saluer l'ensemble du casting. Inutile de revenir sur la performance de Cate Blanchett, qui confirme encore tout le bien que je pense d'elle. J'ai aussi parlé d'Alec Baldwin. J'ajoute simplement que, d'après moi, l'autre très beau personnage est celui de Ginger - et Sally Hawkins est impeccable dans les habits bon marché de cette demi-soeur frustre et mal-aimée. Blue Jasmine est-il un film de femmes ? Peut-être bien. Le meilleur Woody Allen depuis longtemps ? Possible aussi. Intelligemment monté et traversé par un jazz inspiré, c'est un long-métrage puissant, plutôt rude parfois, mais dépourvu de manichéisme. Un film très humain, en fait.

Blue Jasmine
Film américain de Woody Allen (2013)

D'aucuns vous diront que ce nouvel opus prouve que le New-yorkais n'est jamais aussi inspiré qu'au moment de tourner dans son pays. Personnellement, ces considérations géographiques me laissent froid, d'autant que le film me paraît pour beaucoup reposer sur les épaules d'une comédienne australienne et, au second plan, celles d'une actrice britannique. Je redis simplement que ce Woody-là est un bon cru. Dans mon panthéon personnel, je le place entre Alice et Manhattan.

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Et maintenant, si vous souhaitez en savoir plus...
Vous pouvez lire l'avis de Pascale ("Sur la route du cinéma"). Elle est plus bavarde sur le déroulé du scénario, mais nous sommes d'accord. L'opinion de Dasola ? Elle est positive aussi: à lire sur son propre blog. Liv, elle, est moins emballée: elle en parle sur "Liv/raison de films". Je termine avec un petit clin d'oeil à Phil Siné, auteur d'un site éclectique que je lis parfois et qu'il désigne comme sa Cinémathèque.

lundi 21 octobre 2013

Un pur psychopathe

J'attaque la semaine avec du costaud. Un petit mot pour mes lecteurs puristes, d'abord: si j'ai cru honnête d'attribuer la nationalité américaine à The killer inside me, le réalisateur, lui, est anglais. Quant à l'équipe de production, elle a également bénéficié de fonds canadiens et suédois. Était-il trop ardu de faire le film dans un pays donné ? Je n'en sais rien, mais je me dis que c'est tout à fait possible. Au-delà du scénario, j'imagine que la façon dont le long-métrage traite de la violence peut avoir rebuté quelques mécènes potentiels.

The killer inside me raconte l'histoire d'un jeune flic, Lou Ford. Années 50, Texas. Notre homme a pour mission de s'occuper du cas d'une prostituée un peu trop tapageuse. Or, surprise, de représentant de la loi pétri de bonnes manières, il devient vite un client ordinaire. Enfin non, pas tout à fait ordinaire: la relation qu'il développe ressemble à de l'amour, un amour particulier, d'ailleurs, puisque basé sur des rapports sadomasochistes. Et hop ! Premier rebondissement majeur du long-métrage: le petit flic découvre que la gagneuse fait aussi commerce de son corps avec le fils d'un notable. Plus important encore, ledit notable pourrait bien être responsable d'un accident mortel pour le frère du policier. Vous suivez toujours ? L'intrigue part là-dessus et le film se fait récit d'une vengeance. Cette dernière exécutée, il s'agira ensuite de suivre un à un les pas du policier ripou. L'occasion d'approcher de près un personnage de pur psychopathe...

Je vous préviens: n'en déplaise à Jessica Alba, ce que vous verrez ici n'est pas forcément agréable à regarder. Soyons clair: à deux reprises au moins, ce que la caméra ose montrer frise l'insoutenable. Il a pu être reproché à Michael Winterbottom une certaine complaisance. Moi qui me suis avéré plutôt "solide" pour endurer ces images, je dois dire toutefois que j'ai du mal à comprendre comment elles ont pu sortir avec juste une interdiction aux spectateurs de moins de 12 ans. En dehors même de cet aspect des choses, The killer inside me conserve d'après moi quelques défauts et notamment l'usage répété de flashbacks pour éclairer la personnalité de son personnage principal. Dommage, car la sobriété de Casey Affleck suffit largement à donner le frisson ! Le frère de Ben est à coup sûr l'atout numéro 1 de ce film noir et rouge sang. Pour la bonne bouche, on savourera aussi, en costumes, accessoires et décors, une belle reconstitution.

The killer inside me
Film américain - etc... - de Michael Winterbottom (2010)

Pour une fois, je trouve que le titre en anglais "claque" et permet d'anticiper sur un personnage aussi glacial que Mister Hyde. Il me faut vous dire que vous n'aurez guère de Docteur Jekyll pour compenser. Ce n'est pas tous les jours qu'une oeuvre cinématographique s'appuie sur un "héros" aussi négatif. Bien que largement moins brillant formellement parlant, le film a pu me faire penser à Psychose. Notez pour finir que sa conclusion m'a paru beaucoup plus sombre encore...

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Le film fait débat. D'autres pages l'ont donc évoqué...

- "Sur la route du cinéma" - avec mention spéciale à Casey Affleck.
- "Mon cinéma, jour après jour" - qui lui attribue la note de 7/10.
- "L'oeil sur l'écran" - le rédacteur dit le trouver "très prenant".
- "L'impossible blog ciné" - qui en parle sans emballement.

Enfin, pour être complet, vous apprendrez que...
1) le film adapte un roman éponyme de Jim Thomson, édité en 1952.
2) Ordure de flic (Burt Kennedy / 1976) est une autre version ciné.

samedi 19 octobre 2013

Un Américain à Paris

Un jour, je vous parlerai des plus vieux films de Roman Polanski. Personnalité véritablement controversée, le réalisateur a déjà 55 ans et douze longs-métrages derrière lui quand il réalise Frantic en 1988. Pour jouer le rôle principal de ce thriller, le cinéaste franco-polonais fait appel à une star américaine, Harrison Ford, qui sera l'année suivante, je le dis pour situer, Indiana Jones pour la troisième fois. Ironiquement, le comédien est ici un peu l'antithèse de l'aventurier archéologue, simple chirurgien venu à Paris pour un congrès médical.

L'intrigue du film démarre quand, pas encore remis du décalage horaire, le docteur Walker sort de la salle de bains de sa chambre d'hôtel et constate que sa femme... a disparu ! Montée d'angoisse d'autant plus vive qu'aucun signe avant-coureur ne laissait envisager une telle péripétie et que le médecin se retrouve livré à lui-même dans une ville qu'il ne connaît que comme touriste et un pays étranger dont il ne parle pas la langue. Autant dire que cet Américain à Paris s'offre une capitale bien éloignée de son image de carte postale ! C'est précisément  là que Frantic fait mal: il s'inscrit efficacement sur le territoire qu'il parcourt, mais en donne une vision assez froide et détachée de tout aspect romantique. On pourrait du coup reprocher à Roman Polanski de forcer un peu le trait. Je ne le ferai pas. J'ai vu plusieurs fois le film et, bien qu'il ait pris quelques rides, je garde toutefois en mémoire la première. Elle m'avait franchement marqué.

Alors, à quoi attribuer ce souvenir persistant ? Sans doute en partie au fait qu'ici, il n'est pas vraiment question de happy end. Je préfère garder le silence sur les tenants et aboutissants du scénario, oeuvre commune du duo Roman Polanski / Gérard Brach. J'indique simplement qu'à peu près à la moitié du film, Harrison Ford rencontre une Emmanuelle Seigner alors débutante et que ce personnage féminin amène encore un peu plus de noirceur à l'histoire. Frantic n'exprime rien de franchement nouveau en soi. Dénué de tout effet spectaculaire, c'est probablement avant tout, comme d'autres oeuvres du même cinéaste, un film d'ambiance. Je l'aime en fait pour ça. Malgré le temps qui passe, je suis toujours saisi par les sonorités synthétiques du Libertango chanté par Grace Jones dans la bande originale. J'ai l'impression qu'elles me parlent aussi d'une époque fuyante, non sans nostalgie. Strange... I've seen that face before...

Frantic
Film franco-américain de Roman Polanski (1988)

En attendant, donc, que je découvre les plus anciens longs-métrages du cinéaste, je vous recommande celui-là. Parfois jugé inconstant dans son travail, Roman Polanski avait réalisé deux ans auparavant un Pirates beaucoup moins sobre. L'atmosphère incertaine de Frantic m'a fait songer à celle d'un film plus récent, La neuvième porte. Certains diront que ceux-là ne sont pas les meilleurs de leur auteur. Admettons, mais, très sincèrement, ils me plaisent tels qu'ils sont.  

jeudi 17 octobre 2013

Un bébé à moustache

Si le titre de ma chronique vous semble incongru, il me parait vraisemblable que vous n'ayez jamais vu Les valeurs de la famille Addams. Les Addams ? D'abord héros d'un soap diffusé à la télé américaine dans les années 60, lui-même inspiré des personnages dessinés par un dénommé Charles Addams au cours des années 30 finissantes, ils habitent un manoir gothique et font preuve d'excentricité vestimentaire, tout en étant entourés de gens "ordinaires". Quand le film commence, Morticia, la mère, annonce calmement au père, Gomez, qu'elle va avoir un bébé... tout de suite !

Le moustachu, c'est lui, digne héritier de son paternel sur ce point. L'ennui, pour ce petit... Puberté, c'est que, non content d'être affublé d'un horrible prénom, il doit subir la jalousie de ses aînés, le duo Mercredi-Pugsley. Je vous passe les détails: je pense que vous aurez compris que Les valeurs de la famille Addams sont un peu décalées. Le film, lui, l'est tout autant et présente l'avantage d'annoncer immédiatement la couleur. Et donc, c'est une affaire de goût. Personnellement, j'aime beaucoup cette noirceur pour faire rire. Maintenant, objectivement, si vous ne mordez guère à l'hameçon pendant le premier quart d'heure, le temps va vous paraître long. Notez toutefois que, compte tenu qu'il fête cette année les vingt ans de sa sortie en salles, le long-métrage a une belle longévité artistique. Ses décors et costumes respirent le travail bien fait. Peut-être que ce serait un peu plus léché aujourd'hui, et encore...

Le scénario, lui, tient la distance et, à côté de celle du bébé, poursuit une autre voie parallèle, avec le mariage de Fétide, l'oncle foldingue de service - joué par un Christopher Lloyd en cabotinage intensif. Encore une fois, si vous ne passez pas à côté, c'est jubilatoire ! Gentiment mais sûrement, Les valeurs de la famille Addams démontent celles de l'Amérique traditionnelle, au point de s'autoriser à ironiser sur les pères fondateurs. Le plus beau est que personne n'a l'air de se prendre vraiment au sérieux, ce qui permet de se sentir complice de ces drôles de personnages. Je voudrais ici faire mention d'une prestation particulière: celle de la jeune Christina Ricci, 13 ans seulement, dans le rôle de Mercredi. Cette gamine aux cheveux noir corbeau est sûrement le premier moteur comique du film. Elle mérite à elle seule le détour et n'a pas à rougir face aux acteurs confirmés que sont Raul Julia et Anjelica Huston. Une mémorable performance !

Les valeurs de la famille Addams
Film américain de Barry Sonnenfeld (1993)

Une précision qui pourra intéresser les amateurs: le long-métrage présenté aujourd'hui est en réalité la suite d'un premier opus sorti deux ans plus tôt (La famille Addams, tout court). Je l'ai vu également, mais n'en garde pas de souvenir particulier. On s'approche finalement de l'univers d'un Tim Burton, dans le genre Dark shadows par exemple. En fait, je trouve les Addams beaucoup plus drôles...

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Et apparemment, je ne suis pas le seul...

Aelezig aime aussi: la preuve sur "Mon cinéma, jour après jour".

mardi 15 octobre 2013

Jouer, toujours jouer

Je veux bien l'admettre: je ne savais pas vraiment à quoi m'attendre quand j'ai choisi de regarder Le dernier métro. J'allais avoir six ans quand le film est sorti au cinéma et il est dès lors quasiment certain que je n'avais pas encore fait connaissance avec François Truffaut. Trois bonnes décennies plus tard, tout a changé, évidemment. Poussé par l'envie d'apprécier une nouvelle fois la complémentarité du duo Catherine Deneuve / Gérard Depardieu, j'ai donc choisi cette oeuvre sans bien savoir ce dont il était question. Peu m'importait, au fond.

Ce que j'avais compris, c'est que l'action se déroulait dans le Paris occupé par la Wehrmacht, au début des années 40. Je me rappelle qu'en fait, je m'attendais à ce que le film évoque peu ou prou l'action de la Résistance. C'est bel et bien le cas, d'ailleurs. Le dernier métro ne se contente toutefois pas de détailler les opérations paramilitaires destinées à libérer la France. En respectant également la réalité historique, il nous invite à nous souvenir qu'à l'époque, les théâtres de la ville jouaient encore à guichets presque fermés, nos aînés tâchant d'oublier dans les salles de spectacle les privations qui étaient leur quotidien à l'extérieur. À vrai dire, l'intrigue du long-métrage reste presque limitée aux murs d'une de ces illustres scènes parisiennes: malgré la fuite de son directeur, juif, une troupe continue d'y répéter sa prochaine pièce. Très logiquement dépendants les uns des autres, contrariés par la censure vichyste, saltimbanques et techniciens tentent de faire face. Leur but: jouer, toujours jouer.

Au nombre des rares films français à représenter les conditions de vie des Français ordinaires d'alors, Le dernier métro peut s'apprécier également comme le récit d'un triangle amoureux, une thématique habituelle et ô combien chère à François Truffaut. Je n'ai pas envie d'expliciter la chose: je vous laisse la découvrir par vous-mêmes. J'aimerais vous dire cependant que, bien que manifestement tourné en studio, le long-métrage conserve une force peu commune. J'ajoute volontiers qu'après le générique final, me souvenant de l'aspect carton-pâte des premiers décors, j'ai estimé qu'il était envisageable d'appréhender le film comme une gigantesque mise en abyme, option audacieuse que vient bientôt corroborer un épilogue des plus malins. Inutile de vous dire qu'aux côtés du duo majeur, toute la distribution "secondaire" se montre à son avantage: Jean Poiret, Andréa Ferréol ou Maurice Risch n'en sont que les trois membres les plus connus. Succès public, le film fut honoré de dix des Césars 1981. Un record !

Le dernier métro
Film français de François Truffaut (1980)

Mon index des réalisateurs vous mettra sur la piste: François Truffaut sur Mille et une bobines, c'est déjà trois autres films - en attendant que j'en découvre et présente encore une série. J'ai une affection particulière pour L'histoire d'Adèle H. et la formidable prestation dramatique qu'y délivre Isabelle Adjani. Aussi curieux que ça puisse paraître, le film d'aujourd'hui est moins tragique, bien que dur aussi. Maintenant, si vous voulez juger de l'adéquation comique du tandem Deneuve / Depardieu, vous pouvez toujours voir ou revoir Potiche...

dimanche 13 octobre 2013

Fascination, mélancolie

Le constat m'amuse: pour Billy Wilder, Ariane est le film du milieu. L'Américain le tourne en effet 23 ans après les débuts d'une carrière de réalisateur qui en compte 47, de 1934 à 1981. Il en a alors signé treize et, par la suite, en mettra en scène treize autres. Ici, il fait appel à un duo au top du glamour: Audrey Hepburn, qui a déjà joué une fois sous sa direction, et Gary Copper, avec qui il ne travaillera qu'à cette unique occasion. Nous partons à Paris, présenté aussitôt comme la capitale de ceux qui s'aiment. Illustration par l'exemple...

Violoncelliste de bon niveau, Audrey Hepburn / Ariane partage l'appartement de son père, détective privé missionné pour surveiller un Américain coureur de jupons. Vous l'avez compris: le Don Juan n'est autre que Gary Cooper, alias Frank Flannagan. La jeune femme et lui se rencontrent quand Miss A., surprenant un client paternel animé d'intentions belliqueuses, épie à son tour et finalement sauve la vie du séducteur patenté - à vous de découvrir comment. Il y a quelque chose d'absolument invraisemblable dans ce scénario, reprise d'ailleurs d'un roman du Suisse Claude Anet. Qu'importe: Billy Wilder oblige, j'ai eu envie d'y croire quand même. Si vous êtes aussi portés sur la guimauve que moi, je suis sûr que le couple vedette achèvera de vous convaincre d'en reprendre une petite dose. Moi, je ne vois aucune raison de s'en priver. Ce style de comédies romantiques semble avoir complètement disparu des écrans aujourd'hui. Snif !

Autant vous le dire également: jamais vous ne rirez aux éclats. Tendre au possible, le film est une sucrerie à laisser fondre gentiment. Elle paraît aussi se laisser aller au spleen, émotion ressentie dans d'autres Billy Wilder, peut-être plus récents. L'amour est là, bien sûr, et l'humour l'accompagne, mais ils offrent tous deux des impressions fragiles, si ce n'est fugaces. Ariane avance sur un fil d'autant plus ténu que son héroïne ment aux autres et se ment presque à elle-même pour séduire. Il n'y a là aucune méchanceté. Émerge simplement, une fois encore, le constat que les sentiments sont difficilement compatibles avec la désinvolture. Parce qu'il existe une différence d'âge importante entre les protagonistes, le film déplut à quelques censeurs mal embouchés, en son temps. Il s'inscrit désormais comme un joli exemple du style inimitable de son auteur. Lequel y voyait un hommage à son maître spirituel, Ernst Lubitsch. 

Ariane
Film américain de Billy Wilder (1957)
D'aucuns diront que le réalisateur a fait mieux: ce n'est pas faux. Reste que le charme d'Audrey Hepburn offre pour moi une motivation suffisante pour voir ce "petit" film. Gary Cooper est bien, lui aussi. Bémol pour Maurice Chevalier: dans le rôle du père, le Frenchie surjoue, parfois... mais ça correspond assez à son personnage. Amis cinéphiles, vous noterez pour terminer que Billy Wilder collaborait ici pour la première fois avec le décorateur français Alexandre Trauner et le scénariste I.A.L. Diamond. Par la suite, il les retrouvera notamment pour La garçonnière, un autre film que j'aime beaucoup. 

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Un autre avis sur le Billy Wilder du jour ?
Vous en trouverez un chez mes amis de "L'oeil sur l'écran".