J'enchaîne aujourd'hui et enfin avec un second Truffaut: L'histoire d'Adèle H. Comme son nom l'évoque, ce film de 1975 suit les pas d'Adèle Hugo, seconde fille de Victor, exilée volontaire de Guernesey à Halifax, pour suivre l'officier anglais dont elle est amoureuse. Problème: ses sentiments ne sont absolument pas - ou plutôt plus - réciproques. Le lieutenant Pinson est un Don Juan, un coureur d'ailleurs carriériste, qui n'hésite pas à dédaigner cette femme française qui lui cause des ennuis avec ses supérieurs et compromet de facto sa progression. Oie blanche, Adèle est toutefois également une habile manipulatrice, qui n'a pas hésité à quitter le domicile familial pour vivre sa passion, et qui va mentir, imaginer d'improbables histoires, pour justifier son comportement. Une forme de trahison pour les gens qui l'aiment: même sa logeuse canadienne ne connaît pas son vrai nom et ignore donc qu'elle héberge la cadette d'un fameux poète français. En gros, la jeune femme s'invente la vie qu'elle voudrait vivre. Et, doux euphémisme, ce n'est pas vraiment une bonne chose pour son épanouissement personnel...
Bon, autant le dire tout de go, devant ce film non plus, vous n'allez pas franchement rigoler. J'ai parlé de passion à l'instant et c'est bien ce que va vivre Adèle, au premier sens du terme: comprenez donc qu'elle va souffrir, et toujours davantage, de l'indifférence presque totale que Pinson a pour elle. L'histoire d'Adèle H. semble inexorablement la conduire vers une inévitable fin, mais il faut noter, sans trop dévoiler du scénario, que la vraie demoiselle Hugo a survécu à toute sa famille, élément que Truffaut respecte. A-t-elle obtenu gain de cause "à l'usure" ? Je vous laisse le découvrir. Sachez en tout cas qu'elle s'est vraiment acharnée, avec sans doute d'autant plus de névrose que, quelques années auparavant, elle avait tragiquement perdu sa soeur Léopoldine, la noyée que pleure Hugo dans Demain, dès l'aube. Cette terrible anecdote revient d'ailleurs comme un leitmotiv tout au long du déroulé de l'intrigue, un peu aussi pour justifier - ou à tout le moins expliquer - l'attitude d'Adèle. Presque inévitablement, et de plus en plus nettement, cette dernière traverse la vie comme un fantôme. Un fantôme lui aussi autodestructeur, en proie à une unique et pathétique obsession.
Voilà pour le fond: il est temps de dire deux mots de la forme. D'abord, une mention toute particulière pour Isabelle Adjani, actrice souvent critiquée, mais qui délivre ici indéniablement une prestation de toute première qualité. Isabelle EST Adèle: jolie jeune femme, certes, mais dont la folie s'empare, y compris physiquement. D'abord "bien propre sur elle", la comédienne se montre finalement, fatalement, de plus en plus hystérique, échevelée, comme envoûtée par le rôle. J'insiste: un jeu tout à fait remarquable d'une actrice qu'on a parfois connue moins inspirée. Et puis, bien évidemment, derrière la caméra, Truffaut fait de très belles choses. Au moment où est sortie L'histoire d'Adèle H., il expliquait être attiré par l'envie de construire un film intimiste, basé sur un seul vrai "héros". Pari réussi. Il l'est aussi sur la volonté du réalisateur (je cite Truffaut directement) "d'organiser une histoire de fiction à partir d'événements réels en s'efforçant de ne rien inventer et de ne pas altérer la vérité du matériel documentaire". Je dirais bien volontiers que cette vérité est ici sublimée et retiendrais, à titre d'exemples, deux magnifiques plans qui suivent Adèle pas à pas, la caméra allant, comme elle, de droite à gauche, en fonction de ses mouvements, avec, dès lors, une formidable maîtrise du hors-champ. Tout ici semble fluide, naturel. Du grand, du très grand cinéma, assurément.
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