samedi 22 octobre 2011

Des origines du mal

Une chronique de Martin

Qu'est-ce qu'on attend du cinéma ? Il n'est sûrement pas nécessaire de toujours se poser la question avant d'aller voir un film, mais il est des longs-métrages qui nous la remettent en tête après la projection. Je dirais que ça a été mon cas pour We need to talk about Kevin. C'est avec une curiosité un peu atypique que je suis allé découvrir cette oeuvre de l'Écossaise Lynne Ramsay, inspirée d'un roman éponyme. Je savais qu'il y était question d'un adolescent meurtrier, ainsi que de la relation qui le lie à sa mère. Pas moins. Pas plus. Juste ça, l'envie de m'y frotter et un peu d'angoisse le moment venu.

Je déteste le titre de ce film et je l'adore. Je le déteste parce qu'il va détourner une partie du public: à ceux qui ne parlent pas l'anglais, j'indique donc ici qu'il signifie Il faut que nous parlions de Kevin. Kevin, vous l'aurez compris, est l'adolescent que j'évoquais précédemment. J'adore ce titre parce qu'il ment, parce qu'il laisse entendre une volonté délibérée de régler le problème de cet enfant alors que, justement, les soucis qu'il pose ne sont jamais abordés qu'en surface. Est-ce que ça aurait changé quelque chose si ça avait été en profondeur ? C'est toute la question du film. We need to talk about Kevin est un coup de poing. Parce qu'il tue de sang froid, mais surtout parce qu'avant même de commettre l'irréparable, il provoque constamment sa mère de manière particulièrement cynique, le "héros" de cette histoire fait figure de monstre. Moi, malgré tout, je n'ai pas pu m'empêcher de me demander si sa mère avait fait assez pour en être aimée et ce qu'il fallait pour lui prouver son amour à elle. Parce que c'est la deuxième évidence de ce film: si Eva aime son fils, elle s'y oblige parfois. Avant même la naissance, on dirait qu'il y a en elle une forme de rejet qui ne justifie en rien les actes criminels de sa progéniture mais peut, à la limite, en partie venir expliquer cette froideur d'âme. L'aspect déstabilisant du film étant justement ce va-et-vient constant entre la responsabilité supposée de l'un et celle de l'autre. Chacun en aura sans doute une vision particulière. Moi, j'ai encore du mal à trouver une réponse définitive.

Je vous passe les détails (qui n'en sont pas): l'aveuglement d'un père, le comportement doux d'une petite soeur. Ces éléments de scénario ajoutent au film une complexité bien venue, qui met encore plus mal à l'aise, sans doute, mais fait réfléchir encore, ce qui me paraît franchement une bonne chose. En fait, We need to talk about Kevin est un film dur, sombre, plombant, mais sûrement pas manichéen. J'imagine volontiers qu'il peut susciter une violente envie de fuite. L'empathie relative qui peut naître envers l'un des protagonistes secoue assez rudement, âmes sensibles s'abstenir. Rien n'est simple. En ce sens, le film m'a presque transféré dans l'esprit d'un juré d'assises confronté tout à la fois à l'horreur d'un crime d'une cruauté manifeste et aux circonstances atténuantes plaidées par la défense. Placé sur le gril des émotions contradictoires, j'ai dû interroger quelques-unes de mes convictions profondes sur la foi en l'homme. Comme vous l'imaginez, ce n'était pas confortable. D'où ma question initiale: qu'est-ce qu'on attend du cinéma ? Si votre réponse spontanée est du divertissement, passez votre chemin... ou disons au moins votre tour. Oubliez ce film ou attendez d'être un peu mieux préparé avant de vous y confronter. C'est un récit qui fait réfléchir sans ménager le spectateur. Et même si la forme est parfois un peu outrancière, je crois pouvoir dire que le fond a su me clouer au siège deux heures durant. M'a donné envie de découvrir le livre, aussi. Bref, j'en redemande. L'expérience est perturbante, je ne le nie pas. À petites doses, je la crois potentiellement enrichissante, aussi.

We need to talk about Kevin
Film britannique de Lynne Ramsay (2011)
Pas de comparaison possible. En tout cas, aucune ne vient spontanément à mon esprit. Je conclus donc en évoquant un aspect du film bien particulier, dont je n'ai pas encore parlé: sa distribution. Ezra Miller, l'ado qui joue Kevin, est fabuleusement inquiétant. Idem pour Jasper Newell, qui l'interprète enfant, ce qui est je trouve encore plus fort. John C. Reilly, le père, montre une grande efficacité dans les habits de ce personnage aussi naïf. Et Tilda Swinton mérite vraiment le premier rôle: elle est ici impressionnante de justesse dans chacune de ses expressions. Là-dessus, à vrai dire, j'avais déjà un a priori favorable, dû à ce que j'avais eu l'occasion d'entrapercevoir dans Michael Clayton et aussi retrouvé dans Julia. En résumé: grands acteurs, grande histoire, grand film. Et retour difficile à la réalité, un peu comme après avoir vu un Lars von Trier.

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