Une chronique de Martin
Un texte assez long, aujourd'hui. Et pour le commencer, un petit mot de la cuisine interne à ce blog: depuis ses débuts, j'y ai évoqué l'intégralité des films que je voyais, en suivant scrupuleusement l'ordre où je les voyais. Quand il s'agit de découvertes en salles, c'est ce qui explique qu'il existe parfois un décalage certain entre la sortie du film et sa chronique sur Mille et une bobines. Et aussi que je parle seulement maintenant de Black swan, alors même que Moko-B a déjà eu l'occasion d'en écrire une chronique, il y a quelque temps.
Au sein même de notre petite équipe rédactionnelle, le dernier film de Darren Aronofsky divise. Je vous laisse donc le soin de relire éventuellement la chronique de Moko-B, positive. Sans l'expliciter ici, L u X et Silvia Salomé se sont elles aussi enthousiasmées. Killaee, en revanche, l'a trouvé ennuyeux. Pour le dire tout de suite, je me range à l'avis de la majorité. J'ai beaucoup aimé Black swan. C'est à mes yeux l'un des films les plus virtuoses que j'ai pu apprécier cette année: sur le plan esthétique, il me semblait, après que je suis sorti du cinéma, que c'était le plus emballant de tous ceux que j'ai pu découvrir en ce début d'année 2011. Est apparu un bémol: le constat objectif que le scénario use aussi d'images toutes faites sur le milieu de la danse classique et l'envie de vérifier le propos d'une petite part de la critique, qui lui reproche de faire surtout du recyclage d'anciennes références établies par des longs-métrages pour le coup nettement plus innovants. Ma culture cinéma se réduisant progressivement à mesure que l'on remonte le temps, je ne peux pas prétendre le contraire sans faire preuve de malhonnêteté intellectuelle. On verra si mon regard s'ouvre sur d'autres perceptions.
Disons donc qu'à ce jour, Black swan me plaît tel qu'il est, imparfait parfois, bouffi aussi, mais, comme je l'ai déjà dit, d'une virtuosité certaine. Si jamais vous l'ignoriez encore, je précise que le film s'intéresse à Nina Sayers, une danseuse classique, membre du corps de ballet d'une compagnie new-yorkaise. Vivant avec une mère-poule passée elle aussi sous les feux de la rampe, elle rêve du grand rôle qui la propulsera sur le devant la scène. Cette obsession de gamine finit par se concrétiser un beau jour, quand son chorégraphe décide de la lancer en ouverture de saison dans une toute nouvelle version du Lac des cygnes, l'immense classique de Tchaïkovski. Un défi majeur, presque impossible, que la jeune femme devra évidemment relever en affrontant plusieurs obstacles et d'abord... elle-même. L'idée étant en effet qu'elle danse à la fois le rôle du Cygne blanc, personnage tout de grâce et de sensibilité, mais aussi celui du Cygne noir, son alter-ego trompeur et cruel. Et ça, pour Nina, à la recherche de la perfection absolue, ça demande un gros effort sur soi-même...
Maintenant que j'en ai présenté les enjeux, je crois comprendre parfaitement que ce film puisse diviser. Sa flamboyance, qu'on peut qualifier d'outrance, fait qu'il ne devrait guère laisser indifférent. Académie des Oscars comprise, beaucoup le reconnaissent déjà comme LE film qui consacre la promesse Natalie Portman. À l'image même de Vincent Cassel, son partenaire à l'écran, j'admets volontiers que la jeune Américaine porte le long-métrage sur ses frêles épaules. Elle en est l'âpre héroïne, dans une interprétation brillante d'un rôle en clair-obscur, à mi-chemin entre réalité, fantasme et folie. Perle noire et blanche de ce conte pour adultes, l'ex-princesse Amidala démontre qu'elle n'est plus une femme-enfant. Et si, sur le strict plan technique, le reste peut paraître ne pas atteindre ce même sommet, j'ose supposer qu'il y a suffisamment d'intensité à l'écran pour que, vous aussi, vous puissiez être transportés. Peut-être que le mieux pour cela est de ne pas espérer un film sur la danse, mais plutôt quelque chose autour de la danse. Nuance subtile, j'en conviens, mais je crois que c'est bien là que réside le propos d'Aronofsky. Souvenez-vous de Requiem for a dream: au-delà d'un coup de poing contre les drogues, le long-métrage adressait une alerte tonitruante sur toutes les formes de dépendance. Finalement, j'en viens à penser que, dans sa noirceur même, Black swan ne parle pas d'autre chose.
Black swan
Film américain de Darren Aronofsky (2010)
J'ai eu peur. Après l'avoir attendu, je craignais que ce projet signé Aronofsky finisse par me décevoir. Mais non: je le range volontiers du côté des oeuvres puissantes de son auteur, aux côtés de Requiem for a dream, donc, et également de The wrestler. En attendant d'avoir l'occasion de découvrir Pi, seul The fountain me paraît finalement moins convaincant. Il reste intéressant de replacer chaque pièce dans la perspective du puzzle Aronofsky. Pour répondre à ceux qui ont affirmé que le cinéaste avait pompé ailleurs la trame de son scénario, je note qu'il n'est pas seul. Quentin Tarantino le fait lui-même très souvent, de manière bien plus consensuelle, je crois. Bref. J'ai vécu pour ma part un bon et grand moment de cinéma. Tout en prenant d'ailleurs beaucoup de plaisir à ouvrir "autrement" mes oreilles à la musique éternelle de ce bon vieux Tchaïkovski.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire