samedi 25 juillet 2015

Parias

J'ai entendu ça dans une analyse de cinéma et je m'y retrouve largement: la manière dont on considère les films dépend également du contexte dans lequel on les reçoit. C'est bien là où je suis embêté aujourd'hui: j'ai oublié ce qui m'a poussé à regarder La blessure. Bon... vous avez le droit de penser que la présence de Jeff Bridges dans le casting aura suffi à m'attirer. Ce n'est pas tout à fait faux...

Trois fois scénariste de Milos Forman dans les années 60, réalisateur de son premier film personnel en 1965, Ivan Passer quitte ce qui est encore la Tchécoslovaquie en 1968, après la répression du Printemps de Prague. La blessure n'est pas son premier film sur le sol américain, mais il est crédible que l'exil politico-artistique du cinéaste ait été le terreau du ton qu'il adopte dans cette adaptation littéraire. Alex Cutter et Richard Bone sont deux amis. Borgne, amputé d'un bras et d'une jambe, le premier est un vétéran du Vietnam. Le second parait ne jamais y être allé et, désinvolte, vivote comme gigolo. C'est sur la route du retour d'une énième soirée foireuse que Bone, tombé en panne, abandonne son vieux tacot et manque alors d'être renversé par une autre voiture. Le lendemain, sur le même site, la police retrouve le cadavre d'une jeune femme, sauvagement assassinée. Mais ce n'est pas le côté policier de l'affaire qui nous intéressera ici...

Plutôt que de se tourner vers l'enquête officielle, la caméra préfère rester concentrée sur Cutter et Bone. La photo utilisée ci-dessus pourrait vous avoir fait comprendre qu'il est question d'un triangle amoureux avec une femme, Maureen, qui est l'épouse de Cutter. Maintenant, j'aimerais dire qu'entre ces trois figures, les relations sont plus complexes qu'il n'y paraît à la lecture de ces quelques lignes. Comme ma toute première image le suggère, La blessure est un film plein de la fureur qui anime son personnage principal: en laissant plusieurs questions sans réponse, ce qui laisse la possibilité de broder selon nos propres impressions, le film illustre toute la rage d'un laissé pour compte, d'un homme qui s'est battu pour son pays et y a perdu une bonne partie de ses illusions (et de sa dignité). Le prix à payer pour la reconquête de soi-même est bien trop exorbitant pour espérer une issue favorable - une noirceur qui a pu priver le long-métrage d'une reconnaissance plus large. Or, la très belle interprétation du duo John Heard et Jeff Bridges, avec Lisa Eichhorn, mérite considération.

La blessure
Film américain d'Ivan Passer (1981)

En retenant Jeff Bridges et en illustrant un visage noir de l'Amérique contemporaine, le cinéaste marche dans les pas d'un Michael Cimino. J'ai aussi senti ici quelque chose du Macadam cowboy de Schlesinger ou du Taxi driver de Scorsese, de ces âmes fragiles qui s'imaginent légitimes dans leur fantasme d'une autre façon de vivre et perdent peu à peu le contrôle de leur être. Oui, l'idée est assez pessimiste...  

2 commentaires:

Pascale a dit…

AAAAH Cutter's way. Je l'avais vu à sa sortie. ça n'a pas marché, incompréhensiblement. C'est un des plus grands films sur l'après VietNam et ces vétérans abandonnés par leur pays (avec Voyage au Bout de L'enfer, Le retour...).
Je l'ai revu en octobre dernier à Lyon et je l'ai trouvé extraordinaire.

Jeff Bridges est souvent torse nu c'est magnifique.
Mais John Heard est aussi exceptionnel. La scène à cheval...

Martin a dit…

Je dois t'avouer que je ne connaissais pas John Heard (un tort !). Il m'a vraiment bluffé sur le coup, à jouer l'infirme avec tant de conviction. Et effectivement, la scène à cheval, ça envoie du lourd !

Pour ce qui est de Jeff Bridges, qu'ajouter ? C'est un acteur que j'aime au plus haut point, et a fortiori pour ces rôles de jeunesse.