Je ne me souviens plus vraiment de la période à laquelle j'ai vu Macadam Cowboy pour la première fois. Je sais que c'est à mon père que je dois le privilège de l'avoir revu, puisque c'est lui qui m'a offert le DVD. Il y a quelque chose de mythique dans l'oeuvre de l'Américain John Schlesinger, projetée en salles en 1969 et portée par le duo Dustin Hoffman / Jon Voight. La revoir quarante ans après sa sortie pourra laisser l'impression que son propos est quelque peu daté. Admettons que ce n'est pas entièrement faux, mais je trouve injustes les cinéphiles qui s'arrêtent à cet aspect des choses. Explication: de mon point de vue, le film peut prétendre à une place de choix dans l'histoire du cinéma, qui rend sa (re)découverte forcément intéressante. C'est un peu la chronique d'une époque particulière qui est ici mise en images: époque libertaire, débridée, aux excès tantôt heureux, tantôt tragiques. De fait, il paraîtrait difficile aujourd'hui de raconter l'histoire de ce beau gosse un peu paumé, qui part du Texas pour arriver à New York, et s'y prostitue sans état d'âme, dans l'espoir de s'assurer un train de vie confortable. Cruelle illusion dont il va bien évidemment vite revenir, sans pourtant, naïf qu'il est, renoncer à l'idée d'un autre destin...
Couronné des Oscars du meilleur réalisateur et du meilleur scénario adapté, Macadam Cowboy décrocha également celui du meilleur film en 1970. Cette troisième et prestigieuse récompense n'est pas anodine, et c'est là que je rejoins mon propos initial sur l'histoire cinématographique: jamais auparavant - et, je crois, jamais depuis - un film classé X ne fut honoré d'un tel trophée. Evoquant tout à tour, et parfois simultanément, l'homosexualité, la prostitution masculine et la consommation de drogue, parsemé de scènes explicites, le film ne s'embarrasse pas de détours. Comme je l'ai déjà dit, il est d'abord tiré vers le haut par deux très bons acteurs, qui n'auraient d'ailleurs pas non plus volé la reconnaissance de la profession pour leurs rôles respectifs. Beau blond à l'idéalisme chevillé au corps, c'est vraiment le cas de le dire, Jon Voight est prodigieux de justesse dans la peau ingrate du gigolo: pour son quatrième long métrage, le papa d'Angelina Jolie délivre une copie sans ratures. Et que dire de plus quant à Dustin Hoffman ? En petite frappe italienne à la santé précaire, il prouve ici quel immense comédien il est. Celles et ceux qui ont vu le film se souviennent sans doute de sa démarche boitillante: pour simuler ce handicap, il a juste expliqué avoir toujours marché... un pied sur le trottoir, l'autre dans le caniveau. C'est si simple et magistral que cela passe complètement inaperçu !
Tout le film pourrait en somme se résumer à une fuite en avant. Celle de deux êtres que tout semble opposer et qui se trouvent finalement soudés autour d'une même misère financière et affective. Il est permis de penser qu'à l'heure où le film est sorti, il n'a pas fait l'unanimité et a, au contraire, pu choquer. La classification X est là pour rappeler combien les moeurs ont pu évoluer depuis. En portant le regard d'aujourd'hui, il n'y a rien de bien cru dans les images tournées par Schlesinger. Le fond, lui, est beaucoup plus désespéré que trivial. En fait, sauf à être imperméable à tout sentiment d'empathie, on s'attache finalement assez vite à ces deux paumés, surtout en fait quand ils ne peuvent plus se passer l'un de l'autre. Encore plus quand, malgré leur solidarité, leurs espoirs s'effacent devant l'accablante vérité de leur sombre destinée. Sur une approche purement technique, Macadam Cowboy a sans doute vécu, mais recèle tout de même quelques très belles scènes, notamment quand les images d'un futur fantasmé s'intercalent avec celles d'une réalité nettement plus sordide. Il y a beaucoup de noirceur dans ce récit. Ce qui peut le rendre intéressant à suivre, quatre décennies plus tard, c'est aussi qu'à quelques rares exceptions, le cinéma me semble avoir tourné le dos aux personnages de ce genre. C'est dommage, d'autant qu'on constatera ici qu'il est possible d'en parler le plus sérieusement du monde, avec gravité et solennité, mais aussi sans manichéisme, sans même le moindre message dénonciateur ou pontifiant. Possible que les réalisateurs contemporains l'aient tout simplement oublié...
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