lundi 24 mai 2010

Une Palme asiatique et...

Et voilà ! Comme souvent par le passé, le Festival de Cannes accouche cette année encore d'une surprise: l'attribution de la Palme d'or à un film qui n'était pas le favori des pronostics, Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures. Célébré hier soir, le nouveau roi de la Croisette est un Thaïlandais dont on a beaucoup dit depuis deux semaines qu'il avait un nom imprononçable: Apichatpong Weerasethakul - je me suis un peu entraîné, on y arrive, en fait. Un artiste relativement jeune: il aura 40 ans le 16 juillet prochain. Au palais des Festivals, l'intéressé a remercié "les esprits et fantômes" qui l'ont entouré et permis d'être là. Est-ce pour ce côté fantastique que le jury de Tim Burton a décerné au film asiatique la suprême récompense ? Mystère. Personne ne le sait, si ce n'est bien sûr les jurés eux-mêmes. Hier soir et ce matin, cette décision est en tout cas diversement accueillie. Un élément de fait: c'est la première Palme asiatique depuis treize ans. D'un avis à l'autre, Le Monde semble devoir défendre ce choix, tandis que Le Figaro n'hésite pas à parler franchement... de Palme de plomb ! La seule chose que je puisse ajouter pour l'instant, c'est que mes confrères ont une longueur d'avance sur moi à ce jour: eux ont vu le film et doivent donc pouvoir en juger plus objectivement. Enfin, disons que c'est à espérer...

Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures nourrira certainement les accusations de ceux qui affirment régulièrement que Cannes se coupe volontairement du grand public. Si je trouve l'assertion sévère, voire injuste, la (grande) diversité des productions présentées sur la Croisette fait que l'on tombe effectivement parfois sur des films assez pointus, ce que semble être celui-là. Je me réjouis toutefois du fait que Cannes soit d'abord un rendez-vous international, ce qui permettra - en tout cas à celles et ceux qui le souhaitent - de découvrir donc une oeuvre thaïlandaise. Son héros est un homme sur le point de mourir d'insuffisance rénale, qui retrouve alors le fantôme de sa femme, ainsi que son fils disparu réincarné en singe. Bon, évidemment, dit ainsi, ça ne s'annonce pas follement divertissant. Notez d'ailleurs qu'hier, lors de la cérémonie, le journaliste de Canal+ indiquait qu'avant Cannes, le film n'avait toujours pas trouvé de distributeur en France ! Apichatpong Weerasethakul soulignait qu'étant donnée l'actualité de son pays, il avait eu des difficultés à arriver sur la Côte d'Azur. Je note aussi que, pour ce qui est de son travail, il n'a imposé aucune grille de lecture. "Je pense avoir fait un film très libre, ouvert. Chacun doit pouvoir l'interpréter selon ce qu'il ressent". Pareille invitation se refuse-t-elle ? Pas tout à fait, me semble-t-il...

En bref maintenant, passons aux autres principaux lauréats. Pressenti pour la Palme, le François Xavier Beauvois hérite finalement du Grand Prix. Belle consolation. La qualité de son film semble en tout cas faire l'unanimité. Sous un titre que d'aucuns jugent tout de même un peu pompeux, Des hommes et des dieux évoque le destin des moines de Tibhirine, sauvagement assassinés lors de la guerre civile algérienne en 1996. Lambert Wilson y est paraît-il magnifique, accompagné notamment de Michael Lonsdale, jadis porteur de soutane chez Jean-Jacques Annaud. Je constate que, sur une thématique voisine, ce film a fait beaucoup moins de bruit que l'un de ses concurrents cannois. J'y reviendrai bientôt.

Un élément intéressant du palmarès 2010: le Prix du jury a été attribué à Mahamat-Saleh Haroun, auteur de Un homme qui crie (n'est pas un ours qui danse) - titre-citation d'Aimé Césaire. Personnellement, je me réjouis de ce choix pour une chose: produit en France et en Belgique, ce film nous arrive surtout du Tchad. C'est le premier film africain retenu en sélection depuis treize ans (!). Quatrième long-métrage de son auteur, il évoque paraît-il le destin d'un sexagénaire, contrarié dans ses intentions de céder son emploi de maître-nageur à son fils, sur fond de guerre civile africaine. Toute ressemblance avec des faits réellement existant n'est pas fortuite. Faute de divertissement, voilà qui promet de nous ouvrir, dès le mois de septembre, une nouvelle fenêtre sur le monde...

Dans une moindre mesure, ce sera peut-être aussi le cas de Poetry. Le film de Lee Chang-dong a reçu le Prix du scénario. Pour l'instant, sur la base de ce que j'ai pu entendre ces dix derniers jours, c'est peut-être le long-métrage retenu en compétition qui m'attire le plus. Là encore, pas question de rigoler: femme de ménage le jour, poétesse la nuit, l'héroïne du film est surtout une petite grand-mère décidée à donner un sens aux derniers jours de son existence. L'un de ses buts: remettre enfin son petit-fils dans le droit chemin. Quelque chose en moi fait confiance au cinéaste coréen pour ne pas transformer cette histoire en simple tire-larmes, style hollywoodien. Nous verrons cela... quand le film aura une date de sortie !

Signé du talentueux Mathieu Amalric, Tournée pourrait bien être l'un des premiers long-métrages que je verrai après Cannes. Patience encore: il sort à la fin du mois de juin et raconte le parcours chaotique d'un producteur de spectacles raté, exilé temporaire finalement revenu en France pour y monter une revue de strip-tease. Cela pourrait sûrement paraître glauque, mais j'ai cru comprendre également que c'était aussi tendrement drôle. On tranchera donc cette non-controverse en salles. J'ai au moins appris quelque chose: Mathieu Amalric, que j'ai repéré et identifie comme acteur, n'en est pas à son premier tournage derrière la caméra. Le film ici présenté est même... son quatrième ! Hier, heureux, il suggérait d'ailleurs que réalisateur était son vrai métier de cinéma. Dont acte.

Il fallait être curieux et bien chercher pour trouver la Caméra d'or 2010: son récipiendaire, le... Mexicain Michael Rowe, ne briguait pas la Palme d'or. Il me faut rappeler ici que le trophée qu'il a reçu récompense l'auteur d'un premier film et que le champ des possibles s'étend également aux sélections parallèles. Fort logiquement, il est d'ailleurs remis par un jury tout à fait indépendant, présidé cette fois par l'acteur et réalisateur espagnol Gael Garcia Bernal. Le lauréat 2010 - Année bissextile - se cachait dans la sélection de la Quinzaine des réalisateurs. Il raconte l'histoire d'une passion entre une femme mexicaine et son amant australien. Ceux qui l'ont vu parlent aussi d'une intrigue autour d'un passé enfoui, mais je n'en sais pas beaucoup plus pour le moment. Ce sera (peut-être) à voir...

Le prix d'interprétation féminine ? Il est revenu à Juliette Binoche, pas très à l'aise au moment de livrer son discours de circonstance. Que retenir de Copie conforme ? Que c'est le seul film évoqué aujourd'hui que nous ayons déjà la chance de pouvoir découvrir, puisqu'il est sorti en salles. Qu'il est signé Abbas Kiarostami, cinéaste déjà couronné d'une Palme (c'était en 1997). Qu'au détour du portrait d'une galeriste florentine, il pose la question du rapport copie/original dans l'art. Que le premier rôle masculin y a été confié à un baryton anglais reconverti acteur. Ou, comme Juliette Binoche elle-même, qu'il s'agit donc d'un film iranien, tourné à l'étranger. Et surtout que, pendant ce temps, le cinéaste Jafar Pahani, invité comme membre du jury cannois, est toujours en prison à Téhéran...

Plus réjouissant, la décision de Tim Burton et consorts de décerner non pas un, mais bien deux Prix d'interprétation masculine. Une fois n'est pas coutume: le premier est revenu à un favori des médias, l'Espagnol Javier Bardem. Son rôle dans Biutiful, le nouveau film d'Alejandro Gonzalez Inarritu, m'attire encore vers cette proposition cinématographique: j'apprécie en tout cas son auteur et le crois capable de signer une nouvelle oeuvre poignante sur cet homme solitaire mêlé au trafic d'immigrés clandestins. Je dois en revanche admettre qu'avant hier, je n'avais pas entendu parler d'Elio Germano. Le comédien italien termine donc ex-aequo avec son confrère ibérique et nous tourne donc naturellement vers La nostra vita, film de Daniele Luchetti qui parle d'un homme, ouvrier confronté au deuil de sa jeune épouse. Comme vous le voyez, la Croisette n'a pas dû être très rieuse, cette année. Je n'ai pas tout à fait fini: je parlerai dans quelques jours de quelques films qu'elle a "laissés passer".

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