mercredi 15 mars 2023

Cheffes

Quelle chance ! L'actualité récente des films visibles dans les salles obscures françaises m'a offert un diptyque thématique sur un plateau. C'est avec enthousiasme que j'en reparle sur Mille et une bobines. Deux longs-métrages au sujet, l'un et l'autre, d'une femme cheffe d'orchestre: l'occasion était trop belle pour que je ne la saisisse pas...

Tár
Film américain de Todd Field (2022)

Un peu plus de deux heures et demie: la durée du film impressionne. D'emblée, le portrait de ce maestro (imaginaire) exige une attention soutenue: de longues scènes de dialogue dressent le portrait précis d'une femme parvenue au sommet de son art, tout en délaissant quelque peu sa compagne - une grande violoniste - et leur petite fille. Lumineux d'abord, le personnage s'assombrit petit à petit, le scénario plaçant de gros bâtons dans les roues de son parcours exemplaire. Progressivement, Tár devient dès lors le récit d'une inexorable chute.

L'intérêt de le suivre ? Il laisse un certain nombre de zones d'ombre quant à ce qui va entraîner ce déclin. Placé sous l'influence d'images saisissantes, chacun(e) est alors libre de juger des comportements ambigus de la protagoniste. Et Cate Blanchett excelle dans ce rôle multiple, si fière d'abord qu'elle en devient hautaine, et vite tombée de son piédestal, à l'heure d'affronter les conséquences de ses actes. Ces deux facettes sont-elles vraiment inscrites dans la même réalité ? La deuxième partie du film peut aussi s'apparenter à un cauchemar infini: celui d'une femme égotique que sa paranoïa finit de dévorer. C'est un châtiment cruel, mais peut-être est-il juste, aussi. J'y trouve assez de matière, en tout cas, pour débattre de ce que les femmes doivent faire pour réussir. En revenant de facto à la notion de mérite.

Pour info: vous pourrez retrouver d'autres avis chez Pascale et Strum.

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Divertimento
Film français de Marie-Castille Mention-Schaar (2023)
Sorti le même jour, cet autre film au sujet d'une cheffe d'orchestre pourrait être l'exact inverse du précédent. Car le personnage principal est toujours une femme, mais encore en formation au conservatoire. Issue d'une famille plutôt modeste et solaire dans son ambition. Foncièrement collective et bien décidée à s'affranchir des préjugés. Inspirée d'une vraie musicienne - Zahia Ziouani, née à Paris en 1978. J'aime autant vous le confier: je ne la connaissais absolument pas avant de voir Divertimento. Et j'ai dès lors fait une belle "rencontre" !

La musique est bien évidemment un ingrédient essentiel du plaisir que l'on peut prendre à découvrir ce parcours ô combien remarquable. Cinématographiquement parlant, elle est d'ailleurs très bien intégrée aux images, présente quand il faut, sans jamais relever du lyrisme facile. Avec quelques petites redondances au tout début, le scénario avance gaiement vers un happy end prévisible, mais dont l'optimisme vient réchauffer le coeur en ces temps difficiles (et/ou cyniques). J'adresse ici, sans délai, un grand coup de chapeau aux comédiens. Dans le rôle principal, Oulaya Amamra est vraiment parfaite: du haut de ses 26 ans, elle ne commet aucune fausse note avec ce personnage complexe. Autour d'elle gravite un joli groupe d'actrices et d'acteurs prometteurs - j'espère au moins retenir le nom de Lina El Arabi. N'oublions pas les pointures comme Niels Arestrup, Zinedine Soualem ou Ariane Ascaride... toutes et tous au service d'un propos admirable. Cerise sur le gâteau: ici, tout angélisme m'a paru laissé de côté. Preuve s'il en fallait que la réalisatrice a le sens de la mesure. Bravo !

Nota bene: Pascale et Dasola ont apprécié le "spectacle", elles aussi...

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Un dernier mot...

Juste... si vous avez d'autres films à suggérer autour de la musique classique, il me plaît de vous dire que je suis bien entendu tout ouïe !

6 commentaires:

Pascale a dit…

Tu sais ce que je pense de Tar. J'ai détesté puisque ce film dit que pour réussir une femme n'a d'autre choix que de se comporter comme un homme. Autoritaire, toxique, harceleuse, inaccessible et d'une prétention...ce personnage et son traitement sont profondément misogynes donc détestables.
Je ne parle pas de la scène patapouf voire badaboum... de la chute !
J'apprécie habituellement Cate et je suis surprise (mais ravie) que son cabotinage en roue libre n'ait pas séduit l'académie. Et ravie pour Michelle Yeoh dans un film pourtant tellement débile que je n'en ai pas parlé (en gros, un clip psychédélique).

Le personnage de Divertimento est l'exact contraire de Tar. J'espère que ce film a fonctionné. Zahia (que je connaissais avant le film) est lumineuse et combative et place le sens du collectif et l'altruisme au cœur de son art qu'elle tient avant tout à partager. Et elle s'est immédiatement mise au service de la musique classique à destination des populations qui n'y ont habituellement pas accès. L'actrice est magnifique et j'ai trouvé ses gestes de cheffe beaucoup plus précis et réalistes.

Les films musicaux (musique classique)... Amadeus, que tu as dû voir et revoir mais aussi Farinelli que j'avais beaucoup aimé, Fantasia (toi qui aimes les animés), Mahler, La symphonie inachevée, le merveilleux Tous les matins du monde.
J'en oublie bien sûr.

Martin a dit…

Encore un beau commentaire ! Merci beaucoup, Pascale !

Sur "Tár", je sais que nous ne sommes pas d'accord. Je comprends ton point de vue, cela dit, mais je m'étonne toujours qu'on parle de se comporter "comme un homme" quand il s'agit d'être autoritaire, toxique, harceleur, inaccessible et prétentieux. Même si la majorité des personnes qui sont ainsi sont, de fait, des hommes. Après, c'est vrai: le film est très sérieux et se regarde un peu le nombril de toute sa supériorité supposée. Je trouve cela très tendance, aussi, de ne plus débattre et d'exposer des choses radicales. Il n'empêche que je trouve que c'est un film important, ne serait-ce que parce qu'il permet de reparler de la condition féminine.

Pas d'Oscar pour Cate Blanchett ? Je ne le regrette pas (mais je n'ai pas encore pu juger du "mérite" de Michelle Yeoh). La dernière performance d'une actrice anglosaxonne qui m'ait réellement emballée ? Je n'y ai pas réfléchi, à vrai dire...

"Divertimento" ? Comme j'ai essayé de l'expliquer, c'est un film qui m'a fait du bien. Tu as raison de dire que c'est l'exact contraire. Et son côté solaire m'a fait du bien après toute la noirceur du précédent. Pour ce qui est des gestes, je ne sais pas... je me dis qu'il y a aussi mille façons de diriger un orchestre. Et des millions de morceaux tellement différents les uns des autres que tout peut changer toujours.

Merci pour tes propositions de films musicaux. "Amadeus" est l'un des films que j'aime le plus au monde. J'ai aussi vu (et chroniqué) "Fantasia", "Farinelli" et "Tous les matins du monde". Je note les autres titres. Mais je ne sais pas si d'autres films ont été faits sur les chef(fe)s d'orchestre...

Pascale a dit…

Merci et pas de quoi :-)

Oui c'est triste d'avoir à dire "se comporter comme un homme" même s'il y a forcément des femmes qui doivent abuser de ces comportements. Et parler de la condition, je suis d'accord. Mais ici, il transforme le bourreau en victime et une fois encore finalement c'est la femme la victime.
Zahia prouve qu'on peut être une femme, "réussir" intelligemment sans tout piétiner sur son passage.

Je n'avais pas compris que tu voulais des films avec femme cheffe. Alors là, je sèche complètement. ça doit pas courir les bobines.

Martin a dit…

Oui, c'est sûr que "Divertimento" est bien plus positif. Je n'ose imaginer à quel point son héroïne (la vraie Zahia) a dû se battre pour parvenir à ses fins. C'est tout à son honneur d'avoir su construire une réussite de groupe. J'aimerais bien voir l'un de ses concerts, maintenant...

Ce n'est pas grave pour les films avec femme cheffe d'orchestre. Tous ceux que tu as cités et que je n'ai pas vus peuvent m'intéresser aussi. Autant ne pas mettre de limites à notre goût pour la musique classique !

dasola a dit…

Bonjour Martin, c'est en lisant le billet de Pascale que je ne suis pas allée voir Târ. En revanche, Divertimento est une merveille, un film sympathique comme tout qui m'a permis de réécouter Samson et Dalila de Camille Saint-Saëns. Bonne journée.

Martin a dit…

Salut Dasola. Ravi que tu aies au moins pu apprécier "Divertimento" à sa juste valeur. C'est un joli film. Il m'a donné envie de réécouter de la musique classique.