mercredi 18 mai 2011

Le parrain et l'enfant

Une chronique de Martin

Le hasard en a décidé ainsi: je suis amené dès aujourd'hui à évoquer un autre film de Paul Newman. En fait, Les sentiers de la perdition est même son dernier, si on excepte la voix du vieux Doc Hudson dans Cars. L'histoire retiendra que les plus beaux yeux du cinéma hollywoodien se sont éteints sur un rôle de parrain, noir personnage que le comédien incarne à la perfection, dans toute son ambiguïté.

J'ai vu Les sentiers de la perdition pour la deuxième fois au moins. Peut-être bien la troisième. Il est possible que son point de départ me fût inconnu lors de ma première vision et aussi que le film soit réellement plus frappant encore quand on le découvre. Bref. J'ose ici vous révéler que, sous l'aspect sympathique que peut bien dégager cette première image, Paul Newman incarne ici un personnage beaucoup plus sombre. Le scénario démarre vraiment quand le fils d'un homme de main du parrain - joué par Tom Hanks, lui aussi magistral - est témoin d'un règlement de comptes entre bandes rivales. Le chef mafieux sait que c'est son propre fils (Daniel Craig) qui a fait dérailler ce qui devait n'être qu'une mise au point orale. Mais quand la situation dégénère encore plus avant, il ne trouve d'autre solution que de couvrir les turpitudes de sa progéniture. Bientôt, il devient donc une menace pour l'enfant qui a tout vu. Maintenant, motus ! J'en reste là pour ne pas vous gâcher la surprise.

L'aspect le plus remarquable de ce film, c'est probablement qu'il met plusieurs comédiens en avant. Il n'y a pas véritablement de rôle principal dans ce long-métrage remarquablement écrit: Newman, Hanks et, dans une moindre mesure, Craig peuvent en fait tous prétendre au haut de l'affiche. L'enfant - Tyler Lee Hoechlin, 15 ans - est lui aussi parfaitement bien campé. La photo tire encore l'émotion vers le haut et les rebondissements de l'histoire font qu'on ne sait jamais très bien où Sam Mendes veut nous emmener. Les sentiers de la perdition: le titre en dit long, même si je préfère la version originale - Road to Perdition, allégorie composée depuis le nom d'une ville américaine, dont la force évocatrice me paraît supérieure. Bref. J'aime aussi ce long-métrage parce qu'il ne délivre pas franchement un message aussi net que ce qu'on pourrait l'imaginer par la lecture d'un simple résumé. S'il y a effectivement une crapule et des victimes, la quasi-totalité des personnages renferme également une part d'ombre, ce dont rendent parfaitement compte les premières lignes de monologue dites par l'enfant. Et ce qui offre un développement de l'intrigue particulièrement intéressant à suivre.

J'en ai déjà dit beaucoup et je n'ai pas encore parlé de Jude Law. C'est pourtant là l'un des points les plus notables: dans Les sentiers de la perdition, le comédien anglais laisse de côté sa belle gueule, ainsi que les rôles de jeune premier que nous lui connaissons habituellement. Faux reporter et vrai tueur, il compose un "méchant" particulièrement inquiétant, le seul personnage du film qui soit réellement d'un seul bloc. Il faut attendre presque une heure entière pour assister à sa première scène, mais ensuite, quelle présence ! Pétri de talent, l'acteur a le chic de n'éclipser aucun de ses collègues à l'écran: au contraire, sa prestation de haute volée renforcerait presque leur impeccable charisme. Une certitude: cette composition montre à quel point le film est abouti dans tous ses éléments. Brillant ! Ce qui m'a marqué, maintenant que j'ai plusieurs visions derrière moi, c'est de constater à quel point les plans de Sam Mendes et son complice Conrad L. Hall viennent éclairer tout le métrage d'une parfaite lumière. Jusqu'au générique de fin, les belles images se succèdent, un vrai régal pour les rétines habituées à un cinéma américain parfois nettement plus formaté. Un Oscar de la photo a couronné ce travail remarquable: il me semble tout à fait mérité. Une oeuvre à voir, donc, et à revoir, sans aucun doute.

Les sentiers de la perdition
Film américain de Sam Mendes (2002)
J'ai déjà eu l'occasion de dire combien la mafia est un thème classique du cinéma US. En attendant de disposer d'autres références (Le parrain ? Scarface ?) et de faire une comparaison, je place d'emblée ce long-métrage en modèle du genre, sans hésitation. D'ici à ce que je vous reparle des autres, je vous conseille également d'étudier de près la filmographie de Sam Mendes. Et je vous rappelle notamment que, connu pour des films sombres et parfois même franchement glauques, le réalisateur a prouvé être capable d'apporter aussi de l'éclat, avec la seule autre de ses oeuvres dont j'ai déjà parlé ici: Away we go. Toujours un road-movie, sentimental celui-là.

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