mercredi 4 mars 2015

Une fois dans l'est

Au chapitre des bizarreries cinématographiques, je vous propose aujourd'hui de vous retourner vers la Tchécoslovaquie des années 60 pour y découvrir Jo Limonade. Ce film incroyable prouve qu'il y avait encore une petite place pour la déconne derrière le Rideau de fer. J'étais bien loin de l'imaginer il y a tout juste quelques semaines. Heureux de vous assurer que le septième art sait encore m'étonner...

Jo Limonade, c'est le nom du héros du film. Ce cowboy tout de blanc vêtu défend, ça va sans dire, la veuve et l'orphelin. Vous permettrez que je rectifie le tir: ici, il défend plutôt un pasteur et sa fifille. Porté par la foi en leur bon droit, le duo se croit en mesure de convaincre les pistoleros de Stetson City d'abandonner le whisky et de ne boire que... de la limonade. Autant dire que ce n'est pas gagné d'avance ! Winnifred et son pôpa s'exposent donc aux représailles, en dépit d'ailleurs d'un argument sensé: rester sobre permet de mieux viser. Bref... quand tout (re)part en sucette dans le saloon, il est temps qu'un justicier apparaisse pour rétablir l'ordre. Ou essayer, au moins.

À ce stade de ma chronique, vous avez peut-être déjà une petite idée de ce qui vous attend. Je dois confirmer sans délai qu'en respectant les codes du western classique, Jo Limonade les explose gentiment dans une visée 100% parodique. La moquerie est très appuyée ! Jugez plutôt: les desperados repentis se mettent à picoler un breuvage connu sous le nom de Kola Loka. Il s'avère que le personnage principal du film n'est finalement rien d'autre qu'un représentant de commerce chargé de refourguer un maximum de bouteilles de cette boisson euphorisante. Heureusement finalement qu'il existe quelques bandits et des filles de joie pour oser contrarier ce conformisme mercantile...

Croyez-moi: si vous admettez cette énorme caricature, Jo Limonade devrait vous offrir un agréable moment. Cet OVNI cinématographique s'avère également tout à fait original sur le plan des techniques. Premier point: comme vous le constatez avec les photogrammes choisis aujourd'hui pour illustrer mon propos, il s'agit d'un film en noir et blanc, sur lequel des filtres de couleur ont été ajoutés - chacun venant presque définir la tonalité d'une scène. Autre caractéristique remarquable: le long-métrage est partiellement chanté, en tchèque évidemment. Karel Fiala, l'acteur qui tient le premier des rôles masculins, était même un ténor d'opéra. Il est franchement tor-dant !

Que dire encore ? Qu'un très joli décor permet de croire à cet Arizona de pacotille. Le tournage a en fait eu lieu sur le terrain d'une carrière de calcaire désaffectée, à 25 km au sud de Prague. Le réalisateur s'amuse aussi à multiplier les clins d'oeil au cinéma muet, au cours notamment de scènes de bagarre burlesques, filmées en accéléré. Tout cela n'est pas très sérieux... et c'est ainsi que ça fonctionne. Lancé à la vitesse d'un cheval au galop, Jo Limonade avance à bride abattue sur le chemin de la rigolade. De ce fait, malgré son âge avancé, il me semble tout à fait accessible au jeune public de 2015. J'en profite pour souligner que le film a fait l'objet d'une édition DVD.

Jo Limonade
Film tchécoslovaque d'Oldrich Lipsky (1964)

Coup double ! Seize jours après Le baron de Crac, j'ai donc apprécié cette oeuvre d'un autre cinéaste tchèque. Il est difficile de proposer un juste point de comparaison: Lucky Luke est trop kitsch, Maverick trop... américain. Il faudrait peut-être citer ce fou de Mel Brooks ! Une certitude: en livrant cette vision déformée des grands mythes hollywoodiens, Lipsky a devancé l'école du western italien. C'est fort.

Aucun commentaire: