lundi 11 mars 2013

La guerre

Je crois que Zero dark thirty ne peut pas faire l'unanimité. Raconter la traque d'Oussama Ben Laden, oser changer le scénario à l'annonce de sa mort et rendre visible ce que l'Amérique a certainement classé secret défense: c'est juste logique, je crois, que ça déclenche d'innombrables controverses. Je ne sais même pas expliquer vraiment ce qui m'a motivé à aller voir ce film. Peut-être l'envie - ou le besoin - de mettre des images sur cette opération militaire censée protéger nos démocraties. J'en suis sorti le ventre noué, la tête pleine d'interrogations nouvelles pour moi. C'est une bonne chose, je crois.

Les États-Unis sont-ils la plus grande démocratie du monde ? J'ai envie de dire oui, dans la mesure où, dans un pays qui serait privé des libertés fondamentales, je crois qu'un film comme celui-là n'existerait pas. Le problème est que Zero dark thirty ne répond vraiment à aucune des deux questions fondamentales: 1) est-ce bien Oussama Ben Laden qu'un commando héliporté américain a abbatu lors d'un raid au Pakistan en mai 2011 et 2) la mort de cet homme est-elle une avancée importante dans la lutte contre le terrorisme global ? J'ose encore croire à une double réponse positive, mais...

Zero dark thirty n'est finalement pas un film d'espionnage, en fait. C'est un film de guerre. Un film qui montre frontalement que lutter contre l'ennemi peut rendre nécessaire d'adopter ses méthodes, dommages collatéraux inclus. Les toutes premières images replacent la torture dans toute son horreur, avec d'autant plus de violence qu'elle émane du supposé camp du "bien". Il faut avoir le coeur accroché pour supporter ces images. Le reste, entre explosions, coups de feu et morts d'innocents, paraît presque moins brutal. Insoutenable paradoxe. C'est le prix à payer pour la liberté, peut-être.

Kathryn Bigelow, réalisatrice du film, dit que son but "était de donner un sentiment de réalité". Mission accomplie, si j'ose dire. J'ai eu plusieurs fois le souffle coupé par la tension qui se dégage invariablement de ses images. Quelques rares scènes demeurent cousues de fil blanc, leur conclusion cinématographique pouvant être anticipée bien en amont. N'empêche: en sortant de l'atmosphère ouatée des bureaux de la CIA pour illustrer le vrai travail des agents sur le terrain, Zero dark thirty prend aux tripes. Et l'assaut final donne un ultime coup de trique, glacial par son efficacité même.

Tout cela fait-il du grand cinéma ? Peut-être pas. Mais du cinéma nécessaire, je crois bien que oui. C'est à vrai dire la première fois depuis longtemps que j'ai autant fait abstraction de l'aspect formel d'un film, totalement concentré que j'étais sur le fond. On peut sûrement lire en Zero dark thirty un saisissant portrait de femme. Cette fois, d'ailleurs, la réalité des faits semble avoir été respectée, une femme ayant bel et bien permis de localiser enfin la cache d'Oussama Ben Laden. Et Jessica Chastain de s'illustrer en jouant admirablement une autre personne... dont on ne sait presque rien.

Zero dark thirty
Film américain de Kathryn Bigelow (2012)

Au terme de cette chronique écrite "à chaud", je n'ai plus grand-chose à ajouter. Un mot quand même pour dire la réelle admiration que j'ai pour le talent et l'audace des cinéastes américains quand ils évoquent l'histoire de leur pays sans attendre d'avoir du recul. Kathryn Bigelow s'inscrit dans la lignée des Coppola, Kazan et autres Pakula. Pour ça au moins, je voudrais pouvoir lui dire: bravo, madame, et merci !

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En exact contrepoint...

Je vous propose de lire l'avis de Pascale ("Sur la route du cinéma").

Et pour être très précis...
Il me faut dire que le film a été récompensé au cours de la cérémonie des Oscars du 24 février dernier. Jessica Chastain en est revenue bredouille, la seule statuette récompensant le travail de mixage sonore de Paul J. Ottoson. Le technicien termine d'ailleurs ex-aequo avec le duo Per Hallberg et Philip Stockton, ses confrères sur Skyfall.

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