samedi 31 mars 2012

Face à la destinée

Une chronique de Martin

Killaee m'en parlait depuis un moment: c'est chez elle, avec Moko-B et Van Long, un de nos amis communs, que j'ai découvert Sept vies.

Difficile de présenter ce film dont Will Smith est le héros. Il pose d'emblée une énigme que je n'étais pas vraiment parvenu à décrypter au moment de la révélation finale. Il n'a pas plu de la même façon aux quatre membres de notre petit groupe d'un soir. Il se développe sur un rythme lent, qui pourrait dérouter les amateurs d'un cinéma plus dynamique. C'est aussi le second projet que l'acteur américain tourne avec Gabriele Muccino après À la recherche du bonheur. Pour les deux longs-métrages, j'ai lu des critiques très différentes.

Dans Sept vies, Will Smith incarne un dénommé Ben Thomas, agent de recouvrement du fisc américain. Dans un rapide avant-propos d'une grandiloquence un peu appuyée, une voix off énonce qu'il a fallu sept jours à Dieu pour créer le monde et, à lui, à peine sept secondes pour gâcher sa propre existence. J'ai assez vite compris comment. L'intérêt du long-métrage reste l'identification du personnage. Est-il vraiment celui qu'il prétend ? Que dissimule-t-il derrière la versatilité de son comportement ? Serait-il venu délivrer un message quelconque aux personnes qu'il croise sur son chemin ? Possible...

Sept vies m'a fait l'effet d'un film retenu, tout comme si le scénario était resté à mi-chemin de sa thématique. Il y a dans cette histoire quelque chose de mélodramatique. Il y a aussi quelques touches fantastiques ou à tout le moins oniriques. Les pièces du puzzle finissent par s'emboîter, mais, au générique final, il m'a semblé qu'elles ne s'ajustaient pas parfaitement entre elles. L'interprétation des acteurs principaux - Will Smith, donc, et la jolie Rosario Dawson - n'est pas en cause, même si on peut penser qu'ils auraient pu réajuster leur personnage respectif. Quand j'y réfléchis, je me dis aussi que j'ai vu là l'un des rares exemples de long-métrage tourné autour de deux acteurs noir-américains. Italien, le réalisateur, lui, semble s'être un peu égaré en chemin. Dommage: sous le pathos émergent ici et là de jolies choses, empruntes d'une certaine poésie. Avec de la douceur, je pense qu'il y avait mieux à faire d'un tel sujet.

Sept vies
Film américain de Gabriele Muccino (2008)
J'aimerais maintenant voir À la recherche du bonheur pour mesurer le chemin parcouru par le réalisateur. Les aspects mélodramatiques d'un film ne me rebutent pas forcément. Je crois que je préfère simplement ce qui est fin, à l'image de ce que j'ai pu apprécier récemment dans La délicatesse. Et si vous souhaitez appréhender une histoire un peu plus triste, sans doute puis-je vous recommander d'autres longs-métrages, comme ce film que Killaee et moi semblons apprécier de la même façon: L'étrange histoire de Benjamin Button.

jeudi 29 mars 2012

Réduit au silence

Une chronique de Martin

Le constat m'a plu: avant Michel Hazanavicius, le dernier réalisateur français à avoir trusté les récompenses cinématographiques s'appelle Roman Polanski, un autre de nos compatriotes d'origine étrangère.

Et, comme l'a fait son glorieux "successeur", il a voulu se tourner vers un artiste ! La différence, c'est qu'il s'est inspiré d'une histoire vraie: Le pianiste raconte comment Wladyslaw Szpilman, interprète polonais de grand talent, a survécu lors de l'occupation de son pays par les troupes nazies, entre 1939 et 1945, et alors même qu'il était juif. Pour faire simple, c'est la sombre histoire du ghetto de Varsovie qui est ici contée, à hauteur d'homme. Une oeuvre coup-de-poing.

Deux choses me paraissent essentielles à une bonne compréhension du film. La première, c'est qu'il s'inspire directement du récit autobiographique du véritable Wladyslaw Szpilman. Roman Polanski n'a pas puisé la matière de son film dans une quelconque élucubration romanesque: Le pianiste a réellement existé et même survécu jusqu'en 2000. Il a bel et bien trouvé le moyen de se cacher et donc d'échapper à la déportation qui a causé la mort de toute sa famille. Deuxième élément important: c'est un point commun qu'il partage avec Roman Polanski. Le réalisateur n'était encore qu'un enfant quand il a connu sensiblement la même situation, dans le ghetto installé à Cracovie pour sa part. Cette "expérience partagée" apporte une force peu commune à un film déjà rude. Je l'ai vu récemment pour la seconde fois, le coeur serré et la peur au ventre. Il illustre parfaitement l'aspect presque aléatoire de la barbarie. Les Juifs méritent-ils seulement d'être prisonniers ? Un jour oui, l'autre non.

Je vous laisse consulter les pages dédiées: vous pourrez y retrouver l'intégralité des récompenses venues consacrer le film - entre autres une Palme d'or, sept Césars et trois Oscars. Car, s'il est bien évident qu'il s'inspire de faits réels, Le pianiste demeure une grande oeuvre de cinéma. Le choix intelligent de Roman Polanski aura été d'offrir de grands rôles à des comédiens méconnus: mis à part Adrien Brody, qui touche ici à l'excellence, je ne connais aucun autre acteur ! Conséquence: même au deuxième regard, le long-métrage m'embarque immédiatement vers le ghetto et ne relâche son étreinte qu'au moment du générique final. Je souligne d'ailleurs qu'il entre presque aussitôt dans le vif du sujet, à l'occasion d'un concert interrompu par un bombardement. Je n'ai pas de surprise à préserver ici, mais je tiens à rester évasif sur le scénario. Il faut lire le livre comme un témoignage et le long-métrage comme son illustration. Avant, peut-être, d'aimer Chopin comme remède à l'horreur absolue.

Le pianiste
Film franco-polonais de Roman Polanski (2002)
Précision importante, je crois: le long-métrage a aussi pu compter sur des producteurs britanniques et allemands. Je n'ai pas souvenir d'avoir vu beaucoup d'autres films aussi forts sur la Shoah. Documentaires exceptés, s'entend. La liste de Schindler est encore le premier titre qui me vient à l'esprit, mais j'en garde des images (un peu) moins rudes à supporter. Pour revivre le sort de la Pologne lors de la seconde guerre mondiale, je vous recommande le Katyn d'Andrzej Wajda, malheureusement méconnu. Ou pour retrouver Adrien Brody dans un autre drame, en reporter-photographe engagé lors d'un conflit armé, l'âpre Harrison's flowers, d'Elie Chouraqui.

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Si vous voulez lire un autre avis...
Les rédacteurs de "L'oeil sur l'écran" ont chacun publié le leur.

mercredi 28 mars 2012

Cocorico !

Une chronique de Martin

J'avais déjà les chiffres. Il ne me manquait plus que la bonne idée pour les exploiter. Deux jours après vous avoir, je l'espère, donné envie de saisir une occasion de vous tourner vers le cinéma belge flamand, je reviens en France pour souligner les excellents chiffres de fréquentation des salles françaises en 2011. D'où mon cocorico !

Au total, ce sont plus de 215 millions de tickets qui ont trouvé preneur l'an passé, un total qui n'était plus monté aussi haut depuis... 1966, année de sortie du classique La grande vadrouille. C'est le troisième millésime consécutif avec plus de 200 millions d'entrées. Comme vous le constatez, le cinéma en France va bien. Quid du cinéma français ? Il semble se porter correctement, lui aussi. Ceux d'entre vous qui suivent l'actualité du septième art ne seront pas surpris d'apprendre qu'Intouchables a très largement contribué aux bons résultats enregistrés en salles l'an passé. Son exploitation s'est poursuivie en 2012, mais, rien que pour 2011, le film du duo Nakache-Toledano a généré 16,5 millions d'entrées à lui seul. Difficile de dire combien de Français l'ont vu, car je suppose que certains d'entre eux y sont allés plusieurs fois ou l'ont visionné par un biais moins légal. Reste que je préfère la méthode de calcul à la française. Elle me paraît plus juste que l'américaine, basée sur l'argent récolté.

Si je publie maintenant une photo de Bienvenue chez les Ch'tis, c'est pour vous dire qu'il n'est pas si inhabituel qu'un film français vienne doper la fréquentation des salles tricolores. Et Dany Boon avait donc montré l'exemple en 2008, terminant en tête du box office avec pas moins de 20,4 millions de tickets vendus. Je regrette qu'ensuite, il ait polémiqué sur une prétendue sous-représentation des comédies aux Césars. Le succès public devrait pouvoir suffire ! C'est statistiquement objectif: les Français aiment rire au cinéma. Surtout avec leurs compatriotes, d'ailleurs, ces dernières années.

Deux ans avant les gars du Ch'nord, ils avaient ainsi fait un triomphe à la troupe reconstituée du Splendid, réunie dans un nouvel épisode judicieusement intitulé Les bronzés 3 - Amis pour la vie. J'ai fait l'impasse sur ce troisième opus, personnellement. J'ai souvenir d'avoir vu le premier, mais n'en garde aucun souvenir précis - à part Michel Creton piqué et tué par une méduse... mais Wikipedia assure que c'est une raie. Le deuxième numéro m'est plus familier. Je note que les joyeux lurons se sont séparés après être parvenus à vendre plus de dix millions de tickets. Une belle façon de conclure, je dirais.

Il faut croire que les années paires réussissent à Gérard Jugnot. Courant 2004, c'est sous sa direction que Les choristes sont arrivés à générer 8,6 millions d'entrées et ainsi à prendre la première place du box office. Je n'ai pas revu le film depuis la séance au cinéma. J'en garde un souvenir mitigé, d'une oeuvre sans doute sincère, portée par une belle reconstitution, mais un peu trop manichéenne pour me séduire vraiment. Je ne veux rien reprocher au réalisateur. J'imagine que le succès passe parfois par une approche consensuelle. On parle également - et j'aime bien cette idée - de cinéma familial.

lundi 26 mars 2012

Noir et belge

Une chronique de Martin

C'est à une dame de l'âge de ma grand-mère que je dois le plaisir d'être allé voir Bullhead. J'avais rapidement lu que le film était classé au tout premier rang des préférences mensuelles de Studio Ciné Live, l'un des magazines de cinéma que j'achète régulièrement. Je n'étais pas décidé à le découvrir rapidement, ne me sentant pas trop prêt pour affronter une histoire mafieuse dans le milieu agricole belge. C’est donc bien en petit groupe que je me suis décidé. Finalement, c'est parfait: j'ai pris ma première claque cinéma 2012 !

Bullhead n'est vraiment pas de ces films qui ont tout pour réussir. Le réalisateur signe son premier long-métrage et je n'avais jamais entendu parler de lui auparavant. Son travail sort sur les écrans français dans sa langue originelle, un patois flamand très déroutant pour les oreilles francophones. Même si quelques Wallons amènent parfois des termes français, l'essentiel est dit avec des mots impossibles à reconnaître. Le décor lui-même donne envie d'être ailleurs et pourtant ! J’ai rarement vu film noir aussi maîtrisé. Difficile à défendre sans trop en dire. Si j'ai illustré ma chronique avec deux visages, c'est bien pour ne rien révéler sur le scénario. J'ajoute que le film met aussi en scène de très bons comédiens.

Oui, Bullhead est également une histoire d'hommes et de femmes. Sordide, elle tourne autour de Jacky (Matthias Schoenaerts), enfant d’une famille mafieuse, personnage flippant et qui, pourtant, transpire d'une étonnante vulnérabilité. Je veux taire la nature même de ce qui le lie à Lucia (Jeanne Dandoy), mais le point de départ repose là encore sur quelque chose que je n'avais guère eu l'occasion de voir au cinéma. Au-delà de la prestation véritablement exemplaire de ces deux jeunes acteurs, le long-métrage est un diamant noir taillé dans une photo impeccable et encore "embelli" par une bande originale en adéquation. Du cinéma sensitif, rugueux. Le thème importe peu, au final: l'esthétique générale prend presque le dessus.

Bullhead
Film belge de Michaël R. Roskam (2011)
Que ça fait du bien de voir du cinéma flamand sur les écrans français ! Je passe sur le choix d'un titre anglophone pour la diffusion en France. Et je dirai juste que le personnage du film m'a rappelé celui de Drive, par son enfermement dans son destin. Le scénario, lui, m'a évoqué celui d'un Jacques Audiard ou d'un Martin Scorsese. J'ai lu depuis que le réalisateur se reconnaissait aussi une parenté avec les frères Coen. C'est vrai que son film comprend ici et là quelques scènes d'humour noir avec des criminels tout à fait crétins. Comme une petite note de dérision dans ce monde de brutes…

vendredi 23 mars 2012

Le chemin de la rédemption

Une chronique de Martin

Dernier western joué et réalisé par Clint Eastwood, Impitoyable atteint déjà vingt ans d'âge en 2012. Comme l'alcool auquel son héros a renoncé, c'est un film sec et brûlant. J'ai profité de son passage récent sur France 3 pour le revoir. Mes précédents ? Je ne parviens plus à les dater. J'ai découvert le long-métrage en salles et je crois l'avoir au moins regardé une nouvelle fois ensuite. Lointaine. C'est donc avec un regard quasi-neuf que je suis remonté en selle. Hi-ya !

L'intrigue est presque le décalque inversé de ce que Clint Eastwood jouait jusqu'alors. Son personnage a un nom, mais William Munny préférerait même qu'on l'oublie. Ce modeste éleveur porcin vit seul avec ses deux enfants depuis la mort de sa femme et aimerait autant se contenter de cette vie. Le passé ressurgit à son visage dans la peau d'un jeune homme, le Kid de Schoefield. Le "gamin" connaît parfaitement la réputation du "vieux": il sait donc pertinemment que, jadis, il a été un desperado de la pire espèce, capable de tuer sans le moindre état d'âme. Et c'est ainsi qu'Impitoyable débute sur une proposition d'association. Objectif affiché: retrouver et tuer deux autres cowboys accusés d'avoir défiguré une putain. Le Kid en rajoute, croyant pouvoir se convaincre de la rumeur. Munny hésite et finit par accepter. Il a besoin d'argent.

À partir de là, d'abord statique, le film se met en mouvement. Souvent considérée comme le symbole de la liberté, la route se fait ici la parallèle de la destinée des personnages. Elle semble linéaire. Elle n'est qu'inexorable. Il n'est pas dans mes intentions de révéler ici où elle mène. J'espère simplement vous convaincre de placer Impitoyable dans la liste de vos films à voir (ou revoir). Il constitue en effet un tournant dans la carrière de son réalisateur, peut-être même un aboutissement. Clint Eastwood louera les grandes qualités du scénario écrit par David Peoples et notera: "J'en avais alors fini avec le western. Ça résumait à peu près tout ce que j'en pensais". Difficile donc de ne pas tenir compte du chemin narratif parcouru. L'extrême beauté de ce dernier long-métrage du genre tient notamment à ce qu'il aborde des thèmes nouveaux. La vengeance classique s'y fait plus complexe, les ressorts des personnages ambivalents, moins caricaturaux. Sans ironie cette fois, le cinéaste sexagénaire justifiera son propos: "J'aime que les bons ne soient pas seulement bons et que les méchants ne soient pas que méchants. Chacun a ses failles et ses raisons. Une justification à ce qu'il fait".

J'imagine que Clint Eastwood parle aussi pour lui. Je dirais également que l'Académie des Oscars a entendu son message en décernant quatre statuettes au film et en couronnant notamment le travail exemplaire de Gene Hackman dans le rôle du shérif sanguinaire connu sous le nom de Little Bill Daggett. Sans doute moins nuancé que d'autres, ce "super-vilain" n'en offre pas moins au regard différentes facettes. S'il apparaît surtout comme monstre d'injustice et sorte de parrain d'une petite communauté régie par une violence aveugle, il est aussi un parfait crétin arrogant, que ses adjoints méprisent... sitôt qu'il a le dos tourné. Dans un décor sans homme d'église ou leader politique, c'est sur le tenant de l'autorité policière que tombe cette fois la contradiction apportée par le cowboy solitaire. Fait nouveau, Impitoyable repose toutefois sur la nostalgie de camaraderies révolues. Chez un réalisateur qu'on présente souvent comme des plus conservateurs, j'y vois une vraie évolution. Les flingues sont toujours de sortie, mais c'est avec des états d'âme que l'on s'en sert à présent. L'ami de William Munny, Ned Logan, joué par l'excellent Morgan Freeman, illustre à merveille ce nouveau cap. Vous verrez que la vie de l'Ouest n'en est pas forcément meilleure.

J'aurais sans doute énormément de choses à dire sur Impitoyable pour prolonger encore cette chronique. Pour éviter de tout raconter d'une traite, je terminerai avec deux arguments qui, je l'espère sincèrement, vous donneront envie d'y regarder de plus près. D'abord, à l'attention des amoureux du western: celui-là demeure l'un des rares que je connaisse où les femmes ont finalement un rôle central à jouer. C'est parce que Will Munny a perdu la sienne qu'il doit batailler pour s'en sortir. C'est aussi parce que d'autres femmes doivent être secourues qu'il accepte de renouer avec son passé. C'est enfin parce que ces dernières restent vulnérables que la situation dépasse le cadre du simple règlement de comptes. Et je ne parle là que du scénario ! L'apport de Clint Eastwood, lui, ne saurait être résumé à l'incarnation d'un énième cavalier vengeur. J'admire toujours le charisme de l'acteur, mais, dans ce film, je demeure surtout baba devant ce que propose le réalisateur. Au soir d'une vie bien remplie, il me semble d'ailleurs que mon idole (oui, j'assume !) se préfère derrière que devant la caméra. La manière dont il a su ici gérer les deux paramètres confine au sublime. Vingt ans sont passés depuis sa sortie, mais qu'importe: le long-métrage reste aujourd'hui encore au rang de mes préférés dans la filmographie du maître. Comme je suis alors heureux d'en avoir quelques autres à découvrir !

Impitoyable
Film américain de Clint Eastwood (1992)
Incomparable ! J'ai franchement vu bien peu de films qui, a fortiori lors d'une énième diffusion, ont su m'offrir autant d'émotions. Replacer le long-métrage dans la longue liste de ceux de son auteur ouvre également des perspectives inédites. Je crois que je souffre désormais de cinéphilie galopante ! Pour essayer de faire tomber cette fièvre, je reviens à mon titre et vous propose un film dix ans plus jeune et qui peut sembler retenir le même schéma: Les sentiers de la perdition, de Sam Mendes. Paul Newman et Tom Hanks valent bien qu'on s'y attarde également. Sans bien sûr oublier Jude Law...

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Pour un autre regard, peut-être plus objectif...
Vous pouvez vous référer aux avis publiés par "L'oeil sur l'écran".

mercredi 21 mars 2012

L'inconnu aux revolvers

Une chronique de Martin

Qui est-il ? Mystère. Où va-t-il ? Il ne le dit pas. Pourquoi est-il venu à Lago ? D'après lui, pour prendre un bain et s'acheter une bouteille de whisky. En 1973, dans ce qui n'est alors que son deuxième film derrière la caméra, Clint Eastwood s'offre un nouveau rôle de cavalier solitaire et peu bavard. Plutôt que cultiver les lauriers d'une gloire récente, le cinéaste compose ainsi un personnage cynique et ambigu.

J'ai vérifié: L'homme des hautes plaines est fréquemment présenté comme le plus sombre des westerns eastwoodiens. Non sans rappeler ceux de Sergio Leone, il débute avec six bonnes minutes de silence, trois coups de feu et un viol. De quoi choquer l'Amérique puritaine. Le desperado avait pourtant prévenu qu'il voulait boire tranquille…

L'histoire raconte que Clint Eastwood avait eu envie de faire un film avec John Wayne, qui refusa la proposition de son cadet, alors jugé trop peu respectueux de l'esprit de l'Ouest. Il est vrai que L'homme des hautes plaines n'est pas un héros au sens du pionnier fasciné par le rêve américain. Quand les habitants de Lago lui demandent assistance, il ne voit aucune raison pour accepter de les prêter main forte. "Vous aimez cette ville ? Alors protégez-la", répond-il à ceux qui sont venus essayer de louer ses services. Ce n'est qu'assuré d'obtenir tout ce qu'il désire qu'il finit par céder. Sans se mouiller exagérément, il survend ses consignes d'autodéfense aux habitants de la petite cité minière, juste assez pour qu'ils puissent se préparer à la probable attaque des trois bandits qui ont tué l'ancien shérif. L'inconnu paraît avoir entendu parler de cet assassinat. Où ? Quand ? Comment ? Le mystère plane sur le long-métrage. Jusqu'au bout.

À ce sujet, et sans plus attendre, je crois qu'il est utile d'indiquer que, selon que vous choisissiez la VO ou la VF, la toute fin du film sera plus ou moins ouverte. Je ne comprends pas pourquoi - ni même au nom de quoi - le traducteur a "brodé" sur la dernière réplique. C'est un fait, toutefois: en français, L'homme des hautes plaines parle de lui et en dit plus long que dans sa langue originelle. J'ajoute que, Clint Eastwood ayant lui-même indiqué que cette interprétation du personnage pouvait lui convenir, je n'ai pas envie de polémiquer plus avant - même si je préfère la pirouette avec laquelle il préserve son anonymat... en anglais. Posture très eastwoodienne, dirais-je.

Peu importe, dans le fond. Comme bien d'autres westerns, le film offre aussi et surtout l'occasion d'un voyage dans l'Amérique de la fin du 19ème siècle. Le site du tournage est magnifique: sur les bords du lac Mono, à proximité immédiate du parc Yosemite et du désert de la Sierra Nevada, le décor naturel est idéal. Lago paraît réelle alors qu'elle n'est qu'une (belle) invention de cinéma. Il n'aura fallu que 80 heures de travail à une équipe d'une soixantaine d’ouvriers pour la faire sortir de terre… et juste six semaines supplémentaires pour tout mettre en bobines. Presque quarante ans ont passé depuis. Je reste très franchement admiratif devant ce travail d'orfèvre.

L'homme des hautes plaines
Film américain de Clint Eastwood (1973)
Les bons connaisseurs de la filmographie du maître américain rapprocheront évidemment cette oeuvre du superbe Pale rider, sorti douze ans plus tard. Certains voient un parallèle d'autant plus évident que le héros des deux films monte un cheval à la robe de couleur similaire, blanche-grise et tachetée. J'y reviendrai un jour ou l'autre. D'ici là, à ceux qui aiment le western, je propose deux oeuvres récentes pour leur égale noirceur: Blackthorn, en salles l'année dernière, et L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Preuves qu'entre de bonnes mains, le genre est encore fécond.

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À noter aussi:
C'est bref, mais le blog "L'oeil sur l'écran" parle également du film. L'analyse de "Sur la route du cinéma" est elle aussi assez brève.

lundi 19 mars 2012

Petit Jedi deviendra grand

Une chronique de Martin

Je n'avais encore jamais vu La menace fantôme, le premier épisode de la saga Star wars. Que George Lucas n'ait pas hésité à en sortir une version 3D m'a donc bien arrangé: j'ai pu combler cette lacune sur grand écran. Je n'ai pas voulu tenir compte de l'opinion générale selon laquelle cet opus est le moins bon des six de la grande aventure stellaire. Je ne le regrette pas: je n'ai pas vu un chef d'oeuvre impérissable, mais un très aimable divertissement. Treize ans déjà après sa première apparition, c'était bien de me mettre à jour. Presque à jour, plutôt, car il me faudrait désormais voir l'épisode II.

Ce qui est spécial, avec La menace fantôme, c'est que j'ai retrouvé quelques repères, tout en appréciant de nouveaux développements du même univers. Clairement, ceux qui connaissent déjà Star wars version années 70-80 partent avec un avantage. J'indique aux autres qu'il est ici question d'un blocus commercial imposé à une planète. D'odieux commerçants spatiaux pactisent avec des forces politiques extrémistes pour imposer une loi inique à l'ensemble de la galaxie. L'argument, plus léger encore qu'une feuille de papier à cigarettes, est surtout le prétexte pour une succession de scènes d'action XXL. On appréciera tout autant le talent de George Lucas pour créer d'innombrables créatures et robots aux côtés d'humanoïdes ordinaires. Cette caractéristique fait aussi le charme du film. Honnêtement, ce qui sert ici de fil conducteur reste peu intéressant. On en prend surtout plein la vue, courses d'engins futuristes, voyages dans l'espace à la vitesse laser ou combats intersidéraux à l'appui.

Cela étant dit, je pense utile d'insister sur un point: La menace fantôme raconte aussi une histoire en ses débuts. Les habitués pourraient d'ailleurs regretter de ne pas être surpris: les cinq films suivants évoquant les mêmes personnages, il devient assez facile d'imaginer qui va s'en sortir et comment tel ou tel va évoluer. Honnêtement, cet aspect des choses ne m'a pas empêché d'apprécier le (grand) spectacle. Peut-être que le film est juste un peu trop long. Je ne sais pas si, depuis sa première mouture, George Lucas a revu sa copie, comme il l'a fait avec d'autres de ses oeuvres - y compris d'ailleurs la trilogie Star wars originelle, ce qui a tendance à ulcérer les fans de la première heure. J'ai juste trouvé certaines scènes dispensables, trop bavardes, voire répétitives. Inversement, la 3D m'a paru plutôt judicieusement exploité, même si j'en ai fait abstraction dans la deuxième partie du long-métrage. Il est clair qu'elle est d'abord conçue comme un appeau à spectateurs, en vue d'enregistrer des recettes plus importantes. Serai-je heureux ensuite de découvrir la suite de la suite ? Je l'ignore, mais je demande à voir.

Star wars épisode I - La menace fantôme
Film américain de George Lucas (1999)
Rares sont pour moi les occasions de rattraper en salles les films manqués il y a une dizaine d'années. J'ai saisi celle-là avec l'intention de m'offrir toute la série. Reste que je ne connais pas le délai nécessaire à la ressortie des opus suivants. Patience, donc ! Retrouver toutefois une saga culte sur grand écran fait plaisir. J'avoue cependant qu'entre les deux copains que sont George Lucas et Steven Spielberg, ma préférence va toujours au second. Il est dans mes projets de revoir ses vieux films à lui aussi - sans doute devrai-je alors me contenter du DVD et d'un écran télé. Je vous laisse fouiner sur la liste des réalisateurs pour voir où j'en suis aujourd'hui. Et aussi revenir périodiquement pour prendre acte de ma progression.

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Pour un autre regard sur cet épisode:
Vous pouvez lire la très enthousiaste chronique de "L'oeil sur l'écran".

dimanche 18 mars 2012

Allez au cinéma !

Une chronique de Martin

Vous ne savez pas quoi faire ces jours-ci ? Je vous propose donc d'aller au cinéma ! Pourquoi le dire aujourd'hui et pas un autre jour de l'année ? Parce qu'à partir d'aujourd'hui et jusqu'à mardi, les places de cinéma sont à 3,5 euros, alors qu'elles valent en temps ordinaire le double, voire le triple, dans mes salles habituelles. N'hésitez plus devant votre écran: trois jours durant, c'est le Printemps du Cinéma !

Je me suis dit qu'il serait bien que je marque le coup, cette année. J'admets que je participe à la fête de manière très aléatoire. Le jour où j'ai préparé cette chronique, deux petites semaines en avance, j'ignorais même si j'allais profiter de l'occasion pour découvrir quelques films de plus. C'est d'ailleurs pour ça que je me suis décidé à publier une chronique le jour même. Il n'est jamais évident de faire son choix dans la programmation du Printemps du Cinéma. J'ai pensé certaines fois que les vrais bons films étaient rares, à cette période. Je ne suis visiblement pas le seul: l'année passée, les trois jours s'étaient soldés sur le résultat moyen d'un peu plus de deux millions de spectateurs, soit une baisse de 30% par rapport à l'édition 2010.

Promotrice de la manifestation, la Fédération nationale des cinémas français a tempéré ce mauvais bilan par une actualité médiatique chargée et une météo défavorable. Admettons. Afin de vous éviter toute confusion, je précise que la formule du Printemps du Cinéma diffère assez de celle de la Fête du Cinéma. Ce second événement s'étend sur toute une semaine, avec le principe d'offrir des places réduites à 3 euros à tout acheteur d'un premier ticket tarif plein. J'imagine que, pour bénéficier de ces prix avantageux, il faudra, comme en 2011, attendre l'été. L'année passée, la Fête du Cinéma s'était déroulée du 25 juin au 1er juillet. Elle avait attiré 3,7 millions de spectateurs, soit 16% de plus qu'en 2010. J'en reparlerai peut-être.

vendredi 16 mars 2012

Jeunesse voilée

Une chronique de Martin

Asghar Farhadi l'affirmait lui-même dans une interview : "La société iranienne est faite de ces petits groupes qui n'arrêtent pas de coller des étiquettes". Constat peu réjouissant qui sous-tend visiblement son cinéma. Je pose la question: le scénario de ses films serait-il parfaitement transposable dans un autre contexte ? Ce n'est pas sûr.

À propos d'Elly… me semble toutefois pouvoir avoir une résonance dans nos pays occidentaux. Y est présenté un Iran d'apparence moderne où les femmes, même si elles sont encore voilées, parlent aux hommes d'égales à égaux. Première illusion, mais, sur ce point précis, la situation est-elle si différente chez nous ? Je ne crois pas.

À propos d'Elly… commence avec les sourires et les cris d'une bande de trentenaires, ex-étudiants de la fac de droit, partis ensemble profiter d'un week-end prolongé au bord de la mer Caspienne. Premier contretemps: le propriétaire de la villa qu'ils comptaient occuper leur laisse un jour de villégiature à la place des trois prévus. Le groupe se rabat alors sur une autre demeure, qu'il lui faut d’abord ranger et nettoyer. Tout se passe bien jusqu'au lendemain, en fait jusqu'à ce que l'une des femmes souhaite partir en comprenant qu'elle n'a été invitée que pour faire plaisir au seul homme célibataire de la petite troupe. Au matin, un incident survient et Elly disparaît…

À partir de là, le film change de ton et bascule dans le drame. Surprise attendue. À propos d'Elly… est presque un huis-clos, criant de vérité. Les images sont belles, a fortiori parce qu'elles sont souvent filmées à l'épaule, la technique venant renforcer l'angoissante proximité ressentie avec chacun des personnages. Chaque comédien offre une composition forte. Je ne dirai pas comment le long-métrage se termine, ni comment les caractères évoluent. Mon intérêt pour cette histoire vient bien de l'altération progressive et quasi-constante de mes propres sentiments à l’égard des uns et des autres. En partant d'une situation atypique, qui peut toutefois ressembler à beaucoup d'autres, Asghar Farhadi nous parle de son pays et nous fait réfléchir sur nous-mêmes. Oeuvre puissante.

À propos d'Elly…
Film iranien d'Asghar Farhadi (2009)
Avec ce film, son troisième, le réalisateur a décroché un Ours d'argent au Festival de Berlin. Il a remporté l'or deux ans plus tard, avec Une séparation. J'ai bien apprécié les deux longs-métrages. Notez que le second m'a semblé un peu plus ancré dans une réalité politique et donc, d'une certaine façon, contestataire, une trentaine d'années "seulement" après la Révolution islamique. La cohérence d'ensemble donne envie d'en voir d'autres du même auteur. J'encouragerais ceux que l'Iran intéresse (ou préoccupe) à se tourner aussi vers d'autres films, Les chats persans ou Le goût de la cerise.

mercredi 14 mars 2012

Patriiiiick !

Une chronique de Martin

Vous connaissez le rituel, pas vrai ? Depuis que ma collection DVD prend des allures de caverne d'Ali Baba, dès que j'ai regardé un film, je tire au sort le prochain. Et c'est donc de façon un peu imprévisible que je suis tombé sur Dirty dancing le soir... de la Saint-Valentin. Un mois et quelques boutades plus tard, il est temps que j'évoque enfin ce film-culte des années 80. Bigre ! C'est bien l'une des oeuvres les plus inoffensives que j'ai eue l'occasion de découvrir sur l'écran blanc de mes nuits noires. Je n'ai pas dit "mauvaises" pour autant.

Frédérique "Bébé" Houseman est une jeune fille de bonne famille dans l'Amérique de Kennedy. L'été venu, elle part sagement en camp de vacances avec ses parents et sa soeur aînée. Elle y rencontre une année le beau Johnny Castle, embauché comme danseur pour animer les soirées de la petite collectivité. Et évidemment, aussitôt fascinée par son blouson noir, elle l'aime en deux temps trois entrechats. Enfin, juste après avoir aidé une des employées du centre à avorter et appris une suite de pas plus langoureux que le mambo de papa. Dirty dancing: oui, le titre du film trouve là toute sa justification.

Avant d'écrire ma chronique, j'ai relu celle de Silvia Salomé, publiée ici même il y a un peu plus d'un an. Il paraît donc que Jennifer Grey et Patrick Swayze, les deux interprètes principaux de la bluette, n'appréciaient pas franchement leur partenaire et faisaient dès lors autre chose que s'adresser des mots doux pendant le tournage. Impossible pourtant de déceler une trace d'acrimonie dans leur jeu. Dirty dancing est un vrai chamallow de cinéma. Tout y est doux. Enfin, presque: ce qui ne l'est pas finit invariablement par le devenir. Moi qui ai l'habitude des scénarios plus relevés, je trouve dommage qu'un soupçon de réalisme ne soit pas venu épicer la guimauve.

Dirty dancing
Film américain d'Emile Ardolino (1987)
J'ai réalisé tardivement que le long-métrage avait été récompensé aux Oscars 1988. C'est grâce à la chanson-phare de la bande originale qu'il a ainsi décroché une statuette dorée. Pas sûr qu'il en méritait d'autres. Je ne suis pas opposé aux films romantiques, mais j'aime généralement que le réalisateur y ajoute autre chose, que ce soit alors du suspense ou de l'humour, par exemple. Vous pouvez revoir L'arnacoeur, hommage décalé au film du jour, pour avoir une idée. Les ciné-amoureux peuvent aussi s'offrir Le come-back ou Le plan B.

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Et si vous souhaitez un avis féminin...
Je vous laisse donc relire la chronique de Silvia Salomé. Et insister pour qu'elle revienne avec de nouvelles propositions, pourquoi pas ?

lundi 12 mars 2012

Effort de guerre

Une chronique de Martin

Je n'ai pas la prétention de bien connaître Alfred Hitchcock. Je sais toutefois que sa filmographie peut être découpée en deux périodes, la première britannique, la seconde américaine. J'évoque aujourd'hui l'une des premières oeuvres américaines: Cinquième colonne. Il a fallu attendre sept ans pour que le film, sorti en 1942, puisse être diffusé en France. On le présente également comme une contribution de Hitch à l'effort de guerre. Assez intéressant sur le plan historique. Mais, au plan artistique, un peu trop vieux pour convaincre vraiment.

Le film met en scène un dénommé Barry Kane, employé d'une usine d'armement. Un incendie ravage les ateliers. Le jeune homme, qui a vu mourir son meilleur ami, est accusé de sabotage. Il veut prouver aux enquêteurs qu'un autre ouvrier était lui aussi présent au moment du drame. Problème: la liste du personnel ne comprend pas son nom. Cinquième colonne débute par la fuite de son héros, soucieux d'établir son innocence et, tant qu'à faire, de démasquer le coupable. Sur le long-métrage plane une menace impalpable, qui peut prendre différents visages, y compris celui d'un vieux monsieur accueillant.

La fatigue y serait-elle pour quelque chose ? J'ai davantage apprécié la première partie du film que sa conclusion. Même si Hitch compose un morceau de bravoure autour de la Statue de la Liberté, il m'a paru un peu moins inspiré dès lors que l'identité des méchants ne faisait plus de doute. Cinquième colonne reste toutefois une oeuvre digne d'intérêt, qui valut d'ailleurs quelques ennuis à son auteur. Pour plus de réalisme, le cinéaste avait voulu illustrer le sabotage par un plan du véritable paquebot Normandie, coulé dans le port de New York. Or, c'est à un incendie accidentel que le navire doit d'avoir sombré. En 1942, cette petite entrave à la réalité des faits était mal passée.

Cinquième colonne
Film américain d'Alfred Hitchcock (1942)
C'est paradoxal. Face à un artiste considéré comme l'un des maîtres du cinéma international, je reste encore assez sceptique. Je suis obligé de l'admettre: Alfred Hitchcock ne m'a encore jamais emballé. Il serait toutefois prudent d'attendre de voir d'autres de ses films pour gagner en objectivité. En attendant, j'ajoute que ce Saboteur, en version originale, est parfois présenté comme un film "brouillon" pour La mort aux trousses. Mais également que je lui préfère l'oeuvre plus légère qu'est Charade, de Stanley Donen. À suivre...

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À lire également:
Le blog "L'oeil sur l'écran" présente lui aussi une analyse du film.

samedi 10 mars 2012

Docteur Albert et Mister Darius

Une chronique de Martin

Dupontel, épisode 2. Quitte à connaître un réalisateur, autant y aller franchement, non ? C'est sur le principe d'un diptyque 100% cinéma que ma soirée de l'autre jour était conçue. Je me souviens aujourd'hui avec amusement des débuts de ce blog, quand j'essayais encore de présenter le plus de cinéastes possibles. J'appréhende désormais des filmographies plus que des artistes et, dans celle d'Albert, je vous propose à présent d'évoquer Le créateur. L'équipe reste grosso modo la même que celle de l'opus précédent. Il est ici question d'un homme de théâtre à succès. Créatif, ça oui, mais...

Darius - c'est le nom du personnage - ne sait pas écrire autrement que dans un état second. C'est complètement saoul - et peut-être bien sous l'emprise de la drogue - qu'il accueille l'ovation du public pour sa première pièce. Tout de suite après, il tombe dans le coma ! Et dans la foulée de son réveil et de sa désintoxication, pour créer encore, Le créateur a besoin d'une autre dope - je vous laisse découvrir à quoi il finit par carburer, c'est assez... disons particulier. Bon, j'ai aussi placé un petit indice dans le titre de ma chronique. Qui d'autre que Dupontel pourrait-il concevoir pareil délire ? Dieu ? C'est aussi ce que le long-métrage suggère, ce qui me ferait presque le déconseiller, lui aussi, aux âmes sensibles et égarées. L'intégrité artistique ici développée ne plaira pas à tout le monde, je suppose.

Me plaît-elle à moi ? Oui et non. Oui en tant que telle. Respect absolu pour tous ces fondus qui vont au bout de leur folie. Il y a vraiment quelque chose, une fraîcheur ou une sincérité dont le cinéma d'auteurs "classiques" est parfois un peu trop dépourvu. Le créateur file à 200 à l'heure vers le n'importe quoi intégral. C'est sa qualité première et sa limite. Non, ça ne m'a tout à fait plu. J'ai trouvé ça intéressant, comme une forme d'art contemporain, incompréhensible parfois, mais par certains aspects fascinante. Je reconnais volontiers que, plus trivialement, certains passages m'ont fait beaucoup rire. Dernier argument positif: avoir rédigé ce duo de chroniques me fait constater que je suis incapable d'écrire comme Dupontel filme. Comme quoi, il y a bien là un ton auquel il est bon de se confronter.

Le créateur
Film français d'Albert Dupontel (1999)
Voilà. Même si je n'ai pas encore chroniqué Enfermés dehors, j'ai vu les quatre films de Dupontel réalisateur. Je conclus juste en disant que celui d'aujourd'hui est, je crois, celui que j'apprécie le moins. Avec les nerfs bien accrochés et les yeux préparés au pire, n'hésitez toutefois pas à vous frotter à ce carré cinématographique: il y a quand même du plaisir à prendre. Si Albert réclame de ses comédiens un investissement sans faille, il est aussi le premier à montrer l'exemple. On devrait bientôt le retrouver chez Kervern et Delépine. Avec également Benoît Poelvoorde et Brigitte Fontaine. Ça promet !

jeudi 8 mars 2012

John Fitzgerald Willis

Une chronique de Martin

J'aime bien Albert Dupontel. Et, très souvent, quand j'ai parlé de lui avec d'autres amis cinéphiles, on m'a dit qu'il fallait que je voie Bernie, faute de quoi je ne pourrais prétendre bien le connaître.

C'est désormais chose faite. Je salue au passage mon ami Philippe qui m'a permis de découvrir ce long-métrage, le premier des quatre de son auteur. Âmes sensibles s'abstenir: ce cher Albert ne donne pas exactement dans la finesse. Il tient bien sa caméra, me paraît posséder de très nombreuses références, mais c'est du cinéma hardcore qu'il propose. Une heure et demie sans pause pour souffler.

Bernie, c'est donc le titre du film. C'est également le prénom improbable du personnage principal, trentenaire décidé à sortir enfin de l'orphelinat qui l'a accueilli depuis sa naissance. Et pour faire quoi ? Pour se mettre en quête de ses parents, évidemment ! Quelques jours plus tard, géniteurs retrouvés, le bon garçon installe papa-maman dans un appartement qu'il croit cossu et qu'il a meublé avec les si indispensables biens de consommation courante qu'il a achetés avant de venir. Vous avez vu la photo ? Si vous le trouvez inquiétant derrière son bouquet de fleurs, c'est... normal ! Le film tourne presque immédiatement au règlement de comptes. Méthodes employées: dégustation de canaris encore vivants, bousculades diverses et grands coups de pelle dans la gueule. Et plus si affinités.

Aussi surprenant que cela puisse paraître, j'ai bien aimé ! Je viens d'évoquer les références du film et j'aurais dû les noter. Franchement, il y a matière à débat, mais sous l'univers glauque construit par Dupontel et sa troupe, j'ai reconnu quelques standards du cinéma international. J'aurais dû les lister, tiens ! L'inventaire attendra une seconde vision: si j'ai apprécié le spectacle, je crois que c'est surtout parce qu'il reste cohérent de bout en bout. Il est difficile de rendre compte de ce qu'est Bernie avec des mots. D'ailleurs, je me suis demandé comment un réalisateur pouvait "vendre" pareil film aux acteurs nécessaires à son tournage. Il faut véritablement le voir pour le croire. Ceux qui s'y risqueront après moi pourront au moins comprendre le titre de ma chronique.

Bernie
Film français d'Albert Dupontel (1996)
J'ai parlé récemment des galeries de personnages débiles constituées par les frères Coen. Ici, on va plus loin: les "héros" sont très fatigués et le ton nettement plus trash. Sans comparaison, je dirais. Je dois confirmer également que le bon Albert va plus loin que dans ses films récents, Enfermés dehors et Le vilain. Méfiance: ce garçon est fou. Même aujourd'hui, je m'attends à tout. Pas sûr qu'il se soit assagi...

mardi 6 mars 2012

American dream

Une chronique de Martin

Autant le dire tout de suite: j'ai un rapport spécial avec les chevaux. Je respecte l'admiration que certains leur portent, mais j'ai toujours du mal à me sentir tout à fait à l'aise en leur présence. Le paradoxe étant que ma cinéphilie a commencé autour du western, là où ils sont généralement largement représentés. Le cinéma nous permettra prochainement de découvrir comment Steven Spielberg aborde l'animal. En attendant, c'est après avoir tourné autour que j'ai revu Pur sang, la légende de Seabiscuit. Un grand mélo à l'américaine.

Je ne parlerai pas de chef d'oeuvre, mais je me suis pourtant surpris à le trouver plutôt intéressant. Son casting n'y est pas pour rien. Rassembler Jeff Bridges et William H. Macy, c'est déjà bien. Ajouter un très correct Tobey Maguire et la jolie Elizabeth Banks, ça pose objectivement un décorum glamour assez sympa. Pas question toutefois d'oublier qu'il est avant tout ici question de cheval. Reconstituant une (énième) histoire vraie, le réalisateur Gary Ross évoque un champion des courses hippiques dans les années qui ont suivi la Grande dépression, en octobre 1929. La charge symbolique est évidente: ce canasson rebelle devenu roi des hippodromes devient le représentant d'une autre Amérique, celle des petites gens qui croient encore possible de faire de grandes choses en rêvant. Dommage, finalement, que Pur sang, la légende de Seabiscuit soit si peu bavard sur ce contexte et n'évoque qu'un noble quadrupède...

Pour autant, sur la forme, il n'y a pas grand-chose que je viendrai reprocher au film. Il est peut-être un peu long, mais, comme j'ai eu plusieurs fois l'occasion de l'écrire, j'aime bien les fresques. Disons alors que Pur sang, la légende de Seabiscuit est un peu répétitif. Sans lui faire offense, il a aussi tendance à surcharger ses effets dramatiques. La grandiloquence du titre en français donne d'ailleurs le ton, là où la version originale se contente d'un sobre Seabiscuit. Autre "problème": à peine le récit commence-t-il qu'on devine déjà comment il va finir. Le travail des comédiens n'est pas en cause. C'est plutôt par son scénario que le tout pêche un peu. Il me laisse l'impression que, pour adapter le bouquin de Laura Hillenbrand, Hollywood s'est contenté de belles images et a quelque peu négligé l'idée de rebondissements nécessaires au cinéma. Nommé pour sept des Oscars 2004, le long-métrage n'en a finalement obtenu aucun.

Pur sang, la légende de Seabiscuit
Film américain de Gary Ross (2003)
En attendant donc le War horse de Steven Spielberg, je suis obligé de constater que j'ai peu de références du côté "films à chevaux". Certes, L'homme qui murmurait à l'oreille des chevaux s'impose comme une évidence, mais il me faudrait le revoir pour en parler plus doctement. Reste l'image aussi de quelques westerns modernes comme Le secret de Brokeback Mountain, mais c'est évidemment autre chose qui est mis en avant ici. Côté classiques, je ne peux m'empêcher de sourire en constatant que, dans l'un de mes préférés, Butch Cassidy et le Kid, les héros troquent un temps leur cheval pour un vélo. J'ajoute cependant que, plus jeune, je n'appréciais guère ces incursions technologiques au détriment de l'animal.

dimanche 4 mars 2012

Espions, mais pas trop

Une chronique de Martin

Me permettrez-vous de réinterpréter le titre d'un film de Woody Allen pour évoquer Burn after reading, 13ème opus des frères Coen ? J'espère bien que oui. Je vous laisse regarder l'index des réalisateurs si vous voulez positionner l'oeuvre du jour dans la belle filmographie de ses auteurs. En connaisseurs, vous pourriez alors confirmer l'idée d'une récré pour Joel et Ethan après une autre création plus noire. Stop ! Je m'arrête: l'heure n'est pas venue d'écrire une rétrospective de l'humour juif américain. Même si ce serait sûrement intéressant.

Burn after reading, donc. Il s'agit bien d'une histoire d'espionnage. Ou plutôt de celle d'un espion, Osborne Cox, mis à la porte du service des Affaires balkaniques de la CIA et qui choisit de démissionner plutôt qu'accepter un placard doré. Partant de là, il se décide à écrire ses mémoires. Il les imagine sulfureuses, combat plus ou moins bien le scepticisme égoïste de sa propre femme et... perd alors aussitôt de précieuses données personnelles sur ses comptes et possessions. C'est là que ça se complique (un peu): lesdites données sensibles sont récupérées sur un CD par un duo de coachs sportifs, un mec complètement crétin et une femme dont le seul objectif est de faire financer ses opérations de chirurgie esthétique. Les deux larrons imaginent détenir des infos confidentielles et, après l'avoir retrouvé, font chanter l'ex-espion en croyant à une menace russe ou chinoise...

À ce stade, et sans que j'en rajoute, vous devriez déjà avoir compris que je parle de comédie et pas d'un film à la James Bond. Gagné ! Comme le plus souvent chez les Coen, les personnages principaux sont particulièrement idiots. L'expression est juste: il n'y en a pas un pour rattraper l'autre. C'est vrai: Burn after reading n'invente rien dans un registre débile déjà tant utilisé par le duo Ethan/Joel. Reste la jubilation de voir se lâcher l'ensemble des comédiens convoqués par les frangins. J'ai eu du mal à illustrer ma chronique ! J'ai choisi George Clooney en flic complètement parano et Frances McDormand obsédée par son corps flasque. J'aurais aussi bien pu leur préférer John Malkovich incompétent et hystérique, Tilda Swinton bourgeoise bêcheuse et passablement vulgaire, Brad Pitt en Apollon bien azimuté ou même Richard Jenkins, le cocker fatigué mais habitué à sa laisse. Je n'en dis pas plus pour préserver le suspense des chassés croisés.

Burn after reading
Film américain d'Ethan et Joel Coen (2008)
Je confirme à présent que j'ai vu mieux des mêmes réalisateurs. J'ajoute que je m'en moque ! J'ai passé un bon moment de rigolade devant cette pitrerie cinématographique et c'est tout ce qui compte. C'est un peu le même genre de personnages que l'on peut retrouver dans Ladykillers, autre oeuvre des frangins. N'hésitez pas à profiter de la première version de cette seconde histoire, en regardant aussi la version anglaise, le très fameux et génial Tueurs de dames.

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Pour compléter mon analyse...
Deux de mes voisins blogueurs avaient découvert Burn after reading avant moi et avaient déjà publié leur avis sur leur site respectif: "L'oeil sur l'écran" et "Sur la route du cinéma". À cliquer !

vendredi 2 mars 2012

Conan Doyle revisité

Une chronique de Martin

Sherlock Holmes - Jeu d'ombres revient une nouvelle fois sur celui qui me semble être le héros littéraire le plus adapté au cinéma. L'Américain Guy Ritchie est parfaitement à l'aise dans cet univers britannique, à tel point que la formule du premier opus reste inchangée. Plus qu'à la résolution d'énigmes tarabiscotées, c'est d'abord à une longue série de scènes d'action que le spectateur, indulgent ou non, est ici convié. C'est dit: Hollywood a mis la finesse au placard, au profit du grand spectacle. Vous serez donc prévenus.

Comme au cours du premier épisode, on retrouve Robert Downey Jr. en Holmes, assisté de Jude Law / Watson. Le duo fonctionne parfaitement, alors pourquoi bouder notre plaisir ? Je dirais même que l'interprétation des deux larrons est assez jubilatoire du fait même des textes qu'ils ont à jouer. Sans trahir de secret important pour le suspense, j'ai envie de préciser que Sherlock Holmes - Jeu d'ombres repose d'abord sur une forme d'amour vache et les joutes verbales qui en découlent. Holmes paraît n'être qu'un enfant gâté obsédé par la lutte contre le crime, Watson son peu consentant bras droit, du genre fatigué de toujours devoir suivre. Aucun ne prend véritablement le pas sur l'autre. C'est mieux pour l'équilibre du film.

Je ne suis certes pas sûr qu'Arthur Conan Doyle y retrouve ses petits. Qu'importe, en fait: j'ose dire que je me suis plutôt bien amusé devant cette nouvelle vision. On y retrouve d'ailleurs également l'infâme professeur James Moriarty, l'incarnation du mal que Holmes et Watson combattent avec acharnement. Là aussi, un choix audacieux me semble avoir été fait: sortir le personnage de l'ombre qui lui est coutumière - y compris dans le premier film - et l'exposer en pleine lumière. L'équilibre demeure intact: le choix de l'interprète ayant porté sur le méconnu Jared Harris, le nombre de stars à l'écran reste à deux. Sherlock Holmes - Jeu d'ombres porte finalement assez mal son titre. Et peu importe, en fait, ce qu'il raconte vraiment. Choisir d'illustrer la montée des extrémismes européens entre les guerres de 1870 et de 1914 pouvait offrir une trame digne d'intérêt. Elle est ici tellement diluée dans l'action qu'elle n'est plus qu'un prétexte de divertissement. Je m'en suis très bien contenté.

Sherlock Holmes - Jeu d'ombres
Film américain de Guy Ritchie (2011)
Je signale pour finir qu'il n'est pas nécessaire d'avoir vu l'épisode 1 pour apprécier le suivant. En verra-t-on un troisième ? Je crois bien que c'est envisageable... et déjà envisagé. En attendant confirmation, tournage et sortie, rien ne vous empêche de retrouver le plus célèbre détective anglais au cinéma dans d'autres productions. Avant d'en reparler, je vous mets sur la piste d'un vieux film réalisé par Billy Wilder: La vie privée de Sherlock Holmes. Si vous préférez découvrir Sherlock Holmes dans sa jeunesse, je vous conseille plutôt de le suivre dans Le secret de la pyramide. Élémentaire, mes chers !

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Pour découvrir un avis divergent:
Vous pouvez lire la courte analyse de "L'impossible blog ciné".