jeudi 30 juin 2016

Une (autre) séparation

Je n'avais plus vu le moindre film iranien depuis plus de quatre ans ! J'ai rattrapé ce retard dernièrement, en découvrant The hunter. Attention à ne pas confondre: il existe un film australien qui porte exactement ce titre, avec Willem Dafoe et Sam Neill dans les rôles principaux. Celui que je présente aujourd'hui est plus vieux d'un an...

Interdit de projection dans son pays, The hunter est arrivé en Europe grâce au Festival international du film de Berlin, dont il est reparti bredouille. L'histoire qu'il raconte est celle d'Ali, un ancien taulard devenu gardien de nuit dans une usine de construction automobile. Très pauvre en dialogues, le long-métrage se contente du minimum pour décrire cette vie, morne et routinière. Tout s'aggrave encore quand, un soir, Ali ne retrouve ni sa femme, ni sa fille, en rentrant chez lui. Après de longues heures d'angoisse, la police le convoque dans une morgue pour reconnaître le corps de son épouse: une balle perdue l'a fauchée en pleine rue, à l'heure de la pause-déjeuner. L'enfant du couple reste introuvable... et c'est sur un suspense relatif que Rafi Pitts, réalisateur et acteur, lance son intrigue. Je dois dire d'emblée que l'arrière-plan politique m'est largement passé à côté. Dommage, car je pense que le film m'aurait fait un tout autre effet...

Ce n'est pas anodin, je crois: le long-métrage a été tourné à Téhéran sous la présidence de Mahmoud Ahmadinejad. Ce qu'il nous montre des conditions de vie des Iraniens "ordinaires" n'est guère reluisant. Apparemment, c'est un petit miracle qu'il soit possible de voir ce film aujourd'hui, car les censeurs ont suivi de près sa conception... et ont donc finalement interdit sa sortie dans son pays d'origine. Rafi Pitts vit lui-même en exil depuis 2008: si j'ai bien compris, il réside désormais en Angleterre, après avoir également séjourné en France. Toutes ces considérations nous éloignent de The hunter: j'ai trouvé ce récit intéressant, mais bien trop austère pour me convaincre véritablement. Je note toutefois une forme soignée, sur le plan photographique notamment, avec quelques séquences marquantes sous la pluie ou dans un épais brouillard. Les pros du montage pourraient également apprécier les allers et venues présent / passé. Je manque d'enthousiasme ? OK. J'insiste donc: tout n'est pas à jeter. Et même s'il m'a semblé que la conclusion était trop sèche, elle aussi !

The hunter
Film iranien de Rafi Pitts (2010)

C'est toujours délicat pour moi de mettre des bémols sur un film comme celui-là, créé dans les conditions que j'ai décrites. Si on tient compte du contexte, il ne devient pas un chef d'oeuvre, mais il peut être considéré comme un acte de courage politique et d'insoumission. Maintenant, pour être honnête et direct, j'ai préféré Une séparation ou Les chats persans. Je vous conseille Persepolis, tant qu'à faire... 

mercredi 29 juin 2016

Oeil pour oeil

Je suis presque sûr que vous n'aurez pas à chercher loin pour trouver une histoire de vengeance dans le cinéma qui vous est familier. Passant outre quelques critiques mitigées, j'ai découvert récemment celle de Blue ruin. De ce film américain à petit budget, j'attendais finalement le minimum: un bon scénario et si possible des frissons...

C'était plutôt bien parti, à vrai dire, tant que la caméra se concentrait sur Dwight, le premier protagoniste de ce revenge movie. Le choix d'entrer lentement dans le vif du sujet, sans recourir aux dialogues explicatifs habituels, m'a semblé fort habile. J'ai pu et su m'intéresser au personnage principal. J'ai même ressenti une certaine sympathie pour lui, pauvre clochard vivant dans une vieille Pontiac délabrée. Plus tard, je suis resté sur ce même bon sentiment quand j'ai compris qu'il nourrissait une intention homicide à l'égard d'un homme supposé avoir assassiné ses parents. En fait, c'est assez simple: je regrette que Blue ruin n'ait su tenir la distance. Il m'a (trop) vite paru banal...

Un bémol: certains des aspects du film m'ont vraiment plu. Sur le plan formel, principalement: au-delà du jeu des acteurs, qui délivrent tous une prestation très honorable, c'est la mise en scène de tout le début du long-métrage que j'ai trouvée particulièrement soignée. Bon point pour lui: jamais Blue ruin ne m'a semblé désagréable à regarder. J'ignore où Jeremy Saulnier, réalisateur, scénariste et directeur photo a appris son art, mais il maîtrise bien les bases de l'image, pour sûr ! Je note qu'il a cherché une part de son budget sur une plateforme participative - en n'y levant "que" 37.828 dollars (~ 33.300 euros). Cette somme aura tout de même suffi à ce que le fruit de son travail soit vu en festivals, jusqu'à Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs. Je m'en étonne, mais je ne le nie pas: le film a une assez bonne cote.

Blue ruin
Film américain de Jeremy Saulnier (2013)

On tient peut-être là un rejeton tardif des grands westerns d'antan. Parce que je trouve le spectacle en-deçà des promesses, je vais oser une comparaison - fort discutable - avec Les brasiers de la colère. Soyons tolérants avec nos amis ricains: le côté "brut de décoffrage" de leurs productions donne aussi parfois de très bons résultats. Patience: c'est peut-être juste une question de temps... ou d'époque.

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Un dernier mot sur le réa...

Jeremy Saulnier aime tant l'image qu'il est aussi directeur de la photo pour d'autres: il l'était sur le Putty Hill de Mike Porterfield. À noter que, pour Blue ruin, il a casté son meilleur ami, l'acteur Macon Blair.

Pour vous faire une idée plus complète sur le sujet...
Vous pouvez lire les avis (contrastés) de Chonchon, Pascale et Tina.

lundi 27 juin 2016

Deuils impossibles

Vous l'aurez remarqué: c'est devenu un plaisir pour moi d'aller piocher un peu partout dans le monde pour satisfaire mes appétits de cinéma. L'autre jour, c'est en Colombie que je me suis rendu, en choisissant d'aller voir Siembra, un film inédit en France, que j'ai pu appréhender grâce à un groupe de chercheurs en ethnologie. Une belle découverte !

Le saviez-vous ? La Colombie est un pays si instable que des millions de ses habitants ont dû partir de chez eux pour tenter de se protéger des éternels conflits qui l'agitent en tous sens et opposent des forces paramilitaires au gouvernement, notamment. Bien qu'il soit présenté comme un film de fiction, Siembra s'inscrit dans ce quotidien douloureux: son héros est un vieux pêcheur exilé au milieu des terres et toujours soucieux de rentrer chez lui un jour. Sur ce point particulier et sans doute sur d'autres, Turco s'oppose à son fils, Yosner, qui espère quant à lui construire sa vie là où ils sont rendus. La situation va subitement basculer: le jeune homme est assassiné...

Pas besoin de vous faire un dessin, si ? Le film est bien un drame. C'est aussi le portrait d'un homme digne. Porté par un noir et blanc d'une grande beauté, ce récit d'une vie "ordinaire" m'a conduit ailleurs pendant un peu plus d'une heure et demie. En partie composée d'amateurs, la distribution joue remarquablement bien. Le travail effectué sur le son et la musique est tout à fait admirable, lui aussi. Comme phagocyté par l'écran, j'ai ouvert grand mes yeux et oreilles pour profiter à fond de ce voyage en terre inconnue. Quand la lumière s'est rallumée, j'étais véritablement très heureux de cette séance. Évidemment, tout cela gagne à être visionné avec des explications préalables sur la situation actuelle des populations colombiennes. Petite précision: le statut de déplacé n'a rien à avoir avec la couleur de peau - le fléau touche indifféremment des gens de toutes origines. Siembra: une oeuvre coup-de-poing, une sacrée prise de conscience !

Siembra
Film colombien d'Angela Osorio et Santiago Lozano (2016)

Le titre signifie "Semence", ce qui peut s'expliquer tant par la volonté du père de retrouver sa terre que par celle du fils de faire souche ailleurs. Je n'ai pas vu des quantités de films comparables à celui-là ! Le jour même, j'ai pensé à Un homme qui crie du fait du conflit générationnel et à Elefante blanco pour le bidonville sud-américain. D'autres oeuvres qui sortent du sentier battu du cinéma occidental... 

dimanche 26 juin 2016

Le bon plan

J'avais tout d'abord prévu de vous reparler de Voix off, le film chilien présenté ici même il y a vingt jours. Je l'ai revu lors d'une soirée associative, mais je n'ai apparemment pas suffisamment "creusé" pour dénicher quelque chose de nouveau à vous exposer. Je vais enchaîner sans plus attendre avec de la pub pour la Fête du cinéma...

Chères lectrices, chers lecteurs, je vous conseille grandement d'aller voir ce que la (ou les) salle(s) de chez vous diffuse(nt) actuellement. Jusqu'à mercredi (jour officiel des sorties) inclus, 5.600 d'entre elles proposent des entrées au tarif de 4 euros (hors majoration 3D). Personnellement, il a pu m'arriver de payer pratiquement... le triple ! C'est pourquoi, plutôt que vers un film en particulier, je souhaite attirer votre regard vers cette initiative de la Fédération nationale des cinémas français. Comme l'année passée, un grand jeu-concours est organisé, avec pour lots des places et des voyages cinéphiles. Décidés ? Il ne vous restera plus qu'à choisir votre prochaine séance...

vendredi 24 juin 2016

Elle s'en va

Julianne Moore + Kristen Stewart = deux raisons de voir Still Alice. C'est le raisonnement basique que j'ai suivi à la toute fin du mois dernier pour m'offrir une séance de rattrapage devant ma téloche. Conclusion: je ne suis pas mécontent, mais pas tout à fait emballé. J'attendais un peu mieux de ce film que j'avais manqué au cinéma...

Résumé rapide: Alice Howland fête son anniversaire quand l'histoire commence, entourée de gens qu'elle aime - son mari, son fils, sa fille aînée et son gendre. Cette universitaire connue dans le monde entier peut sourire à une vie qui le lui rend bien. Même les petites disputes avec sa seconde fille n'altèrent pas son bonheur. Tout se passe donc pour le mieux dans cette existence raisonnable, jusqu'au jour fatidique où Alice, troublée par quelques oublis, se découvre victime d'une forme précoce de la maladie d'Alzheimer. On lui explique alors qu'elle n'est qu'au début d'une inexorable chute et que, loi génétique oblige, ses enfants risquent d'affronter le même destin. Quels chocs !

Still Alice est donc tout sauf un film rigolo: vous voilà prévenus. J'aimerais souligner tout de suite que c'est un film digne et bien joué. J'apprécie ce type de cinéma américain, loin de tout effet bling-bling. Julianne Moore a bien mérité l'Oscar qu'elle a obtenu pour ce rôle poignant d'une femme qui s'efface petit à petit. Belle performance ! Kristen Stewart, elle aussi, a répondu à mes attentes, en investissant sans fioriture un costume de fille complexe, mais aux trésors d'amour inavoués. Le reste de la troupe est très bien également et je veux mentionner le jeu impeccable d'Alec Baldwin, un acteur que j'apprécie vraiment de plus en plus. Bref... sur la distribution, rien à redire. L'unique bémol que je mets à mon appréciation globalement favorable tient au fait que le scénario s'intéresse avant tout au déclin d'Alice. L'angoisse de sa famille est montrée, mais souvent au second plan. Certains des ravages de la maladie restent dans l'ombre. Dommage...

Still Alice
Film américain de R. Glatzer et W. Westmoreland (2014)

J'aime beaucoup le titre et ce possible jeu de mot sur Still, qui peut vouloir dire "Calme" ou "Encore". Le fait que l'oeil de la caméra reste essentiellement ancré sur le personnage principal me donne certes quelques petits regrets, mais rien de vraiment méchant, d'accord ? Disons que, dans un genre comparable, je trouve Amour et Floride un peu plus intenses. Cela se joue franchement à de menus détails...

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Si vous voulez recouper cette analyse...

Vous pourrez trouver (et lire !) un autre avis sur le film chez Pascale.

mercredi 22 juin 2016

Guerín parle aussi

Une petite anecdote personnelle, d'abord: par le passé, il m'est arrivé d'avoir à écrire sur des expositions d'artistes, peintres ou sculpteurs. J'aimais avoir ainsi l'opportunité d'une discussion avec l'exposant(e) en question. Pouvoir échanger avec un créateur - ou une créatrice - m'a souvent intéressé et permis de mieux comprendre une démarche.

Autant le dire: avant qu'il nous présente son film, c'était très agréable d'accueillir José Luis Guerín et sa compagne à l'aéroport. Le couple marquait une étape dans un long parcours promotionnel, en arrivant d'une autre région française et avant de repartir dès le lendemain vers Paris, pour trois autres projections de L'académie des muses. Catalan et francophone, le cinéaste a d'abord su prendre mes idées reçues à rebrousse-poil, en se présentant d'emblée comme espagnol. J'ai aussi découvert en lui un Européen et un connaisseur de la culture cinéma au sens très large - il m'a parlé de Jean Vigo et Leo McCarey. J'ai jugé inutile de le conduire vers une longue explication politique...

À l'image de son film (le neuvième long depuis 1984), j'ai vite senti cependant que José Luis Guerín était un homme pétri de culture. D'ailleurs, s'il définit Barcelone comme sa ville, c'est, dit-il, du fait qu'il y retrouve sa bibliothèque entre deux de ses nombreux voyages. Notre homme n'a pas appris son art à l'école: né en 1960, il explique simplement qu'il n'existait pas de formation au cinéma en Espagne quand il était jeune. Voir des films lui aura donc suffi. Il enchaîne désormais les fictions et documentaires, en se jouant des frontières.

Pour introduire L'académie des muses, José Luis Guerín souligne l'absence de producteur cité au générique espagnol. "Mon distributeur français, très gentil, en a ajouté quelques-uns", note-t-il. Le cinéaste parle de choix moral pour justifier ces non-crédits: "J'ai voulu établir un lien direct avec le public". Et d'expliquer cependant que son film parle plusieurs langues: l'espagnol, l'italien, le catalan et le sarde. Avant même la projection, José Luis Guerín se montre déjà disposé au débat à suivre, prêt à entendre "toute question ou récrimination".

Fiction ou documentaire ? Même si le doute est permis, le réalisateur tranche: L'académie des muses est bien une fiction. Il explique toutefois qu'une dialectique existe dans son travail: les deux formes de cinéma s'y enchaînent, l'une après l'autre. "Cela peut amener parfois une hybridation, estime-t-il, avec franchise. Il est possible que ce ne soit pas aussi évident pour le spectateur". Si les repères traditionnels sont brouillés, le cinéaste, lui, assume sa démarche. Pour lui aussi, cette expression cinéma s'est construite petit à petit...

Devant la caméra, chacun joue un rôle... qui est le sien ! "Les acteurs ne sont pas des comédiens, ils sont dans le film ce qu'ils sont réellement dans la vie, mais chacun a un créé un rôle imaginaire". José Luis Guerín indique leur avoir soumis "des hypothèses narratives fictionnelles". Il estime qu'ils sont ses dialoguistes et co-scénaristes. D'abord contacté par le professeur, il a alors été intéressé par le fait de filmer ainsi et de saisir ce qui se présenterait. Aussi surprenant que cela paraisse au vu du résultat, il n'a pas écrit la moindre ligne...

Le cinéaste souligne que son film adopte "la structure de la fiction". C'est vrai: il y a un début, un développement et une conclusion. D'après lui, le tout forme son film le plus classique - je me garde bien de le confirmer, n'ayant pas vu les autres. José Luis Guerín indique qu'il a en permanence alterné séquences de tournage et de montage. Quid alors du scénario ? "Je n'ai pas voulu être trop interventionniste. Pour moi, le cinéma tient aussi de la révélation. J'ai aimé trouver quelque chose qui soit au-delà de moi". Le fruit d'un échange, en fait.

L'académie des muses est une forme de cinéma sans compromis. L'homme derrière la caméra admet avoir travaillé avec un équipement minimaliste et une équipe technique réduite. Le film qui a été créé dans ces conditions aurait en fait pu prendre une toute autre forme. José Luis Guerín dit avoir pensé au court-métrage, à l'installation vidéo ou même... à un ersatz de telenovela brésilienne ! "On active une expérience sans savoir jusqu'où elle va vous mener, ajoute-t-il. Eh bien, c'est à la fois mon film le plus solitaire et le plus partagé !".

L'artiste indique que la composition de certains plans, elle aussi, doit beaucoup au hasard. S'il a filmé la salle de classe "normalement", il a souvent posé sa caméra derrière une vitre quand il s'est agi de capter quelque chose de l'intimité de ses personnages. Que leurs visages puissent alors s'en trouver voilés ou déformés, ça ne l'a pas dérangé. Parfois, il a laissé quelques secondes... sans image. "J'aime en créer qui convoquent l'imaginaire du spectateur. Inventer ce qu'on voit mal et ajouter ce qu'on ne voit pas, on y arrive bien, en lisant". Bien vu...

Aurait-il pu ainsi filmer sans arrêt ? José Luis Guerín dit le contraire. D'après ses explications, il avait même envisagé de conclure un peu plus tôt. Seulement voilà... la discussion de deux de ses personnages féminins a presque rendu nécessaire d'en introduire un autre ! Fidèle jusqu'au bout à sa démarche créative, le cinéaste a dès lors tourné une scène supplémentaire. "Il y a une évolution logique, assure-t-il. Être arrivé à la fin, c'est quelque chose qu'on perçoit naturellement. La conclusion ferme le film et donne un sens à tout ce qui a été dit".

Juste avant le générique, presque entier sur un seul écran, le cinéaste clôt ainsi son récit par des images fixes des principaux protagonistes du film - une belle idée, comme l'expression d'une reconnaissance. L'évidence est que ce long-métrage participatif n'aurait pas pu exister sans eux, leur motivation et leur engagement. L'académie des muses reste un spectacle singulier: je n'ai pas le souvenir d'avoir vu un film réellement comparable. J'y aurai au moins découvert un réalisateur. Rien ne me dit que je verrai rapidement une autre de ses créations...

José Luis Guerín fait de cet opus "le fils des nouvelles technologies". Il n'aurait pas pu l'imaginer tourné sur de la pellicule 35mm. À rebours des clichés que je peux avoir sur le numérique, il souligne toutefois avoir volontairement laissé apparaître les plans imparfaits, générés par les petits accidents du tournage et imprévus. Et il a eu raison ! Certains servent parfaitement son propos, même si on n'est pas forcé de croire qu'ils n'avaient pas été anticipés. Il y a un peu de ce mystère intimement lié à la création et, de mon point de vue, c'est bien ainsi.

lundi 20 juin 2016

Libres propos

Le caractère exigeant d'un certain cinéma d'auteur peut nous obliger parfois à nous accrocher pour suivre et apprécier le fruit du travail d'un réalisateur donné. J'ai vu L'académie des muses dans le cadre d'une soirée de mon association. À son sujet, le réalisateur lui-même parle d'expérience filmée - j'y reviendrai. Je me suis donc accroché...

Dans une université d'Espagne, un professeur italien de littérature enseigne la poésie à ses étudiant(e)s. Le féminin a une importance majeure: parce qu'il est sujet d'études, d'abord, et parce que ce sont essentiellement les femmes, jeunes ou non, qui coupent le discours magistral du pédagogue pour débattre avec lui, quitte à lui exprimer leur opposition. Hors les murs, le film et le propos rebondissent aussi dans l'appartement du professeur, dans sa voiture ou bien au café. Deux fois, ils s'évadent jusqu'en Italie, là où les philosophes antiques avaient placé la porte des Enfers, et auprès de bergers sardes. L'académie des muses parle presque sans interruption ! L'étrangeté du dispositif tient à ce qu'il n'est pourtant pas un documentaire. Chaque personne à l'écran joue son propre rôle, mais les dialogues sont totalement improvisés ! Par le presque hasard, on peut aborder quelques sujets forts tels l'amour, la jalousie, la parole, la création...

C'est sur la durée que je me suis laissé séduire. Je dois vous avouer que tout ne m'a pas "embarqué" de la même façon, mais j'ai été touché par un échange sur l'amour à distance, à l'heure des réseaux sociaux, puis, un peu plus tard, par le descriptif patient des bruits perceptibles dans la nature, après un petit numéro de chants polyphoniques. L'académie des muses est un film sensible, un travail qui s'assume même dans son imperfection picturale - j'y reviendrai aussi. Il enferme en lui quelque chose d'unique, dans le regard porté sur le monde extérieur, mais aussi bien sûr les hommes et femmes qui le composent. Faut-il vous le conseiller ? Je pense que oui. J'imagine qu'il n'est pas facile d'en entendre parler hors des festivals et cercles cinéphiles, même s'il est officiellement sorti le 13 avril. Avoir pu en débattre avec le réalisateur m'a permis de mieux cerner cette démarche atypique. Et mon émotion esthétique a fait le reste...

L'académie des muses
Film espagnol de José Luis Guerín (2015)

Donner une trame, libérer les dialogues, filmer et voir ce qui peut arriver: c'est un peu la démarche suivie ici. Du cinéma en liberté ! Dans le réemploi de personnages réels, j'ai vu un parallèle possible avec le A bigger splash de Jack Hazan (en moins composé, certes). Filmer un dialogue qui s'étire m'a aussi fait penser à La vie d'Adèle. Je voudrais désormais découvrir Pialat, mais je m'égare, peut-être...

dimanche 19 juin 2016

La fleur de papier

Jaco van Dormael a reçu la Caméra d'or du Festival de Cannes 1991 pour Toto le héros - il était en lice à la Quinzaine des réalisateurs. J'annonce d'emblée cette récompense, puisque c'est bien son souvenir qui m'a donné l'envie de saisir l'occasion récente de découvrir le film. Je le sentais bien et je n'ai même pas tenu à en savoir plus en amont.

Film belge, Toto le héros met en scène Michel Bouquet, grand acteur français, âgé à l'époque de 65 ans. On découvre un vieux monsieur sur un lit d'hôpital, mais encore animé... d'une intention homicide. Grâce à un premier flashback, on apprend qu'à la naissance, au cours d'un incendie survenu à la maternité, le bébé Thomas a été échangé avec un autre. L'enfant a donc été élevé par une "mauvaise" famille. Conscient de cette grosse erreur, le petit bonhomme a affronté la vie en se persuadant que l'autre garçon, l'un de ses voisins, ne pouvait qu'être plus heureux que lui, après lui avoir volé sa destinée. J'espère que ce bref résumé est clair pour vous: le mieux est de voir le film pour le comprendre et savoir où il mène. Dans une assez longue suite d'allers et venues entre présent et passé, le long-métrage m'a étonné par sa fluidité narrative. Une fois son principe admis, c'est limpide. Petit conseil aux âmes sensibles: prévoyez donc quelques mouchoirs !

Vous trouvez mon titre du jour énigmatique ? C'est volontaire. L'espoir que j'ai, c'est que ça vous motive à découvrir cette histoire. J'ai pensé un temps intituler ma chronique Je t'aime mélancolie. Pourquoi ai-je renoncé ? Parce que j'ai vu un film triste ! Je l'ai aimé malgré tout, pour les thèmes qu'il aborde, le talent des acteurs belges principaux et l'originalité de son montage, tout particulièrement. Après coup, j'ai alors réalisé que Jaco van Dormael n'avait à son actif que quatre longs-métrages, sortis en 1991, donc, 1996, 2010 et 2015. Finalement, cela rend presque Toto le héros plus fort à mes yeux. J'aimerais vous convaincre qu'en moins d'une heure trente, il sait dire beaucoup de choses de nos vies, avec quelques références anciennes côté cinéma, sans doute, mais sur un ton assez personnel également. Une anecdote ? Je relève qu'en 1991, le jury de la Caméra d'or avait pour présidente Géraldine Chaplin, la fille d'un autre artiste singulier. Un quart de siècle plus tard, comme elle, j'ai été touché par le film. Avec Boum de Charles Trenet en prime, le contraire eût été étonnant.

Toto le héros
Film belge de Jaco van Dormael (1991)

Je "connais" le cinéaste depuis vingt ans et la découverte au cinéma de son film suivant, Le huitième jour, que j'ai bien oublié et voudrais revoir. En attendant, ses deux autres longs-métrages sont chroniqués ici et accessibles, via notamment l'index des réalisateurs. Je disais que quelques références étaient perceptibles dans cet opus premier. J'insiste, mais je ne les ai pas pointées: ce n'était pas si important...

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Le film serait-il désormais tombé dans l'oubli ?

Parmi mes sources habituelles, il n'est cité que sur "L'oeil sur l'écran". Non... il est aussi évoqué comme référence du côté de chez Eeguab.

14h30... un petit rectificatif...

J'ai modifié le début du texte pour corriger une erreur: Toto le héros a reçu la Caméra d'or du Festival de Cannes 1991 et pas la Palme. Rappel: ce Prix a un jury spécifique et récompense un premier film.

vendredi 17 juin 2016

Je vais voir...

Comme annoncé ce mercredi, je laisse aujourd'hui la parole à Joss. Précision (tardive): je n'ai choisi "que" l'intitulé et les six illustrations.

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Prologue...

Il fait beau à Paris, en cette fin d'après-midi d'avril. Comme il fait beau à Paris après les averses de toute une journée. Tout y est retour. Celui du soleil dans sa descente vers le soir, et le mien aussi seule dans Paris. Avenue Saint-Lazare. Je vais voir L'avenir.

Dans ce petit cinéma sans envergure, jamais remarqué jusque-là, un sombre guichet, sombre et mal-aimable. Puis c'est le hall, où l'on attend, où l'on peut commander un médiocre café, un en-cas - servi par une jeune fille au sourire facile comme une grâce offerte, où l'on patiente en tentant de trouver une cohérence aux cordes qu'elle viendra déplacer, soulever, accrocher à nouveau, différemment selon les files d'attente... Le hall désert se peuple. Je vais voir L'avenir. Ils vont presque tous voir L'avenir.

Il y a plus d'un an, c'était Rendez-vous à Atlit qui devait marquer le début de ma participation à cette chronique sur Mille et une bobines. Rendez-vous manqué. Celui d'Atlit est passé. Il en fallait un autre, au bon moment. Ce soir, je vais voir L'avenir.

Lorsque Martin, l'ami et l'auteur du blog, m'avait proposé d'écrire ici, je ne comprenais pas que l'on puisse porter son choix sur un film sorti plusieurs années après sa sortie, ou même un très récent déjà amplement décortiqué par les médias. Et puis, j'ai mieux saisi sa demande: raconter le film, mais peut-être plus encore se raconter à travers le film, apporter une critique cousue de l'air du moment et de son propre souffle, sans contraintes. Décidément, j'ai bien fait de choisir celui-là. Ce soir, je vais voir L'avenir.

L'avenir
Elle occupe tout l'écran. Radicalement. Isabelle Huppert est l'héroïne du début et le restera jusqu'à la dernière seconde. Belle, intelligente, incroyablement vivante, et malgré tout profonde, digne... parce qu'il s'agit bien de dignité, et sûrement pas d'indifférence. Sa cinquantaine ne pèse pas et donnerait tort à quiconque oserait la confondre... à commencer par son mari. Tout ça, c'est l'histoire de Nathalie, professeur de philosophie dans l'enseignement supérieur, passionnée, capable de vrais liens avec les étudiants, sur fond de passé engagé. D'emblée, la réalisatrice Mia Hansen-Love lance un tableau de la vie passée. Un couple qui emmène ses deux enfants devant le tombeau de Chateaubriand. L'île du Grand Bé à quelques centaines de mètres de Saint-Malo que l'on rejoint à marée basse dans le froid, sous un ciel de plomb. Nathalie sera la première à se détourner de la croix de granit pour rejoindre ses enfants que le tombeau de l'illustre n'intéresse guère... L'homme prend son temps sur fond d'horizon tandis qu'elle court derrière eux... Une vie de femme.

Après ce flashback qui campe le couple parental dans son meilleur profil "nature-culture", Nathalie ne tardera pas à se faire franchement larguer par le même mari (André Marcon), une bonne décennie plus tard. Double surprise. Leur fille sait et c'est elle qui se trouve à l'origine de la décision. Sans cela, Heinz aurait-il eu le courage de quitter Nathalie ? On peut en douter. Et c'est la dégringolade. Nathalie redescendra de l'échelle sans passer par toutes les marches. Sa mère possessive et paranoïaque (sublime Édith Scob) ne tardera pas à disparaître. Juste le temps de nous confirmer le statut du film. Intimiste avec des facettes récurrentes de comédie.

De la remarque sur le physique du jeune pompier qui l'a presque tirée du trépas, jusqu'à ses commentaires sur un Sarkozy audiovisuel, la vieille dame donne le ton que Nathalie poursuivra allègrement. Car notre héroïne sait faire preuve d'un humour fin et étonnant au plus profond de son chagrin. En jetant et pestant contre les épines des roses sublimes que son mari lui a laissées. En passant des larmes au fou rire lorsqu'elle surprend par hasard son mari aux bras d'une jeunesse. En qualifiant de "publicité pour bonbons Haribo" la nouvelle couverture de ses livres concoctée par un duo commercial à souhait qui reprend l'enseigne de son ami éditeur et qui finira par la virer !

Pourtant déjà violemment emportée par la vague qui la dépasse, Nathalie s'évertue à sourire. Cache la violence du désespoir. Et grâce à ça, pas une fois, nous n'éprouvons de la pitié. Jusque dans la démonstration des signes de l'âge, comme sur les mains de Nathalie forcément mâtures, que la caméra suit nettement dans les moments difficiles. Pudeur, grande classe, loin des caprices de diva. Vous rappelez-vous d'Isabelle Adjani dans La journée de la jupe ? Le film n'aurait-il pas gagné en force si l'âge de l'actrice n'avait pas été gommé - merci Photoshop - au détriment de l'histoire racontée ?

Dans ce remarquable portrait d'une femme parvenue avec brio à l'âge mur et au plus fort tournant de son existence, la réalisatrice a pris le parti de nous surprendre sans cesse, de ne jamais nous conduire là où elle nous le promet. Non seulement son élève préféré ne deviendra pas son nouvel amour (irrésistible Roman Kolinka), mais il lui fera lui-même le reproche de ne pas mettre ses convictions en application. Non seulement elle s'attachera - et bien réciproquement - à la chatte Pandora (dont le nom grec rappelle pourtant tous les dons, et aussi dernier lien avec sa mère), mais elle ira jusqu'à la faire adopter dans le Vercors...

Non, le jeune Fabien ne retournera pas vers Nathalie, même si après l'avoir déposée à la gare une dernière fois, son visage nous a laissé dubitatifs... Non, en dépit même des larmes de sa fille devenue mère à son tour (cerise sur le gâteau, Nathalie est grand-mère), elle ne se démontrera pas davantage clémente avec son ex... Et enfin non, elle ne le gardera pas à dîner le soir de Noël malgré son insistance... quitte à fredonner un peu plus tard "À la claire fontaine" à son petit-fils. Ils ont le coeur à rire, Nathalie, elle, l'a à pleurer. Et la vie continue. Subtile démonstration. 

Post-scriptum: et si parmi vous, quelqu'un veut bien nous confier ici ce qu'il pense de l'expression de Fabien au moment où il rentre chez lui après avoir déposé Nathalie à la gare, je suis preneuse !        

mercredi 15 juin 2016

Joss, nouvelle plume

Je n'apprends rien aux cinéphiles: le mercredi, c'est le jour officiel des nouvelles sorties, dans tous les cinémas de France et de Navarre. Depuis quelques semaines, je me dis que Mille et une bobines manque d'un peu de fraîcheur... et je réfléchis à diverses solutions. Cette semaine, c'est une première étape concrète. Je vous dis tout...

Joss, une amie, a accepté d'écrire elle aussi quelques chroniques. Très concrètement, j'ai prévu de leur donner la forme d'une carte blanche: en gros, il s'agira pour elle de choisir librement les choses dont elle voudra parler ici et de proposer des textes à sa manière. Quid du résultat ? Vous pourrez très vite en juger par vous-mêmes. Joss m'a fourni un premier texte, que j'ai choisi de publier vendredi. Vous revenez, hein ? Je compte sur vous pour lui réserver bon accueil.

Pour compléter ce mot d'introduction, j'ai pensé vous présenter Joss sous une forme ludique: motivée, elle a bien voulu prendre le temps de répondre au fameux tag de Sentinelle - et s'en est très bien tirée ! Elle est, comme beaucoup d'entre vous, comme moi aussi, fascinée par le grand écran blanc, curieuse plus qu'érudite, ouverte au débat...

Joss, décris-toi... La lectrice (Michel Deville / 1967).
Je n'ai pas osé Belle de jour... ha ha !

Comment te sens-tu ?
Bien sous tous rapports (Marina de Van / 1996).

Décris l'endroit où tu vis actuellement...
La maison aux esprits (Bille August / 1993).

Si tu pouvais aller où tu veux, où irais-tu ?
Au loin s'en vont les nuages (Aki Kaurismäki / 1996).

Ton moyen de transport préféré...
Le dernier métro (François Truffaut / 1980).

Ton meilleur ami est...
L'animal (Claude Zidi / 1977).

Toi et tes amis, vous êtes... 
Intouchables (Eric Toledano et Olivier Nakache / 2011).

Comment est le temps ?
Bleu (Krzystof Kieslowski / 1993).

Quel est ton moment préféré de la journée ?
Autour de minuit (Bertrand Tavernier / 1986).

Qu'est la vie pour toi ?
La vie est un long fleuve tranquille (Étienne Chatillez / 1988).

Ta peur ? 
Le bal des vampires (Roman Polanski / 1967).

Quel conseil as-tu à donner ?
Falling in love (Ulu Grosbard / 1984).

La pensée du jour...
Jour de fête (Jacques Tati / 1949).

Comment aimerais-tu mourir ?
Mourir d'aimer (André Cayatte / 1971).

Les conditions actuelles de ton âme ?
In the mood for love (Wong Kar-wai / 2000).

Ton rêve ?
Un dimanche à la campagne (Bertrand Tavernier / 1984).

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Vous avez bien noté le rendez-vous de vendredi ?
Joss fera donc dès après-demain ses grands débuts de chroniqueuse. Quel film a-t-elle choisi ? Je refuse de le dévoiler... vous verrez bien !

lundi 13 juin 2016

Mirages hollywoodiens

Il ne manquerait plus qu'il sente la framboise ou la banane ! Franchement ! Est-il vraiment raisonnable de comparer Woody Allen au Beaujolais nouveau sous prétexte qu'il revient une fois par an ? Chacun répondra ce qu'il veut et, pour ma part, je dis simplement aujourd'hui que le millésime 2016 m'a plu. Avec modération... ou pas.

Café Society, c'est d'abord, visuellement, du travail de pro. Raisonnable (ou pas), Woody a l'intelligence de déléguer sa direction photo à des talents sûrs, en l'occurrence cette fois à Vittorio Storaso. 75 ans pour l'Italien contre 80 pour le New-Yorkais: entre p'tits vieux amateurs de bon cinéma, on s'entraide avec brio. Costumes magnifiques et décors somptueux font le reste pour nous transporter illico presto dans l'Amérique des années 30, du côté du grand luxe. Amoureux de son art, Woody nous raconte l'histoire d'un jeune Juif débarqué à Hollywood dans l'espoir... de trouver un boulot, point ! Franchement peu confiant en ses capacités, ce Bobby Dorfman profite à peine des réseaux de son oncle, impresario de quelques stars populaires. La chance semble plutôt sourire à ce très brave garçon quand Tonton lui présente l'une de ses assistantes, la jolie Vonnie. Coup de foudre et fin des ennuis ? En réalité, ce n'est pas si simple...

L'apparition ultérieure d'autres amours viendra altérer une situation un peu trop belle pour être "woodienne". Je m'arrête là sur le scénario pour laisser des surprises à ceux d'entre vous qui n'ont pas encore vu le film. Je redis mon plaisir devant ce cinéma simple, mais efficace. Peut-être bien que mon ami Allen n'est plus très inventif: j'apprécie toutefois toujours le résultat, qui évite toute esbroufe inutile. J'ajoute qu'évidemment, l'un des plaisirs que je prends à ce spectacle est celui de la contemplation de bons acteurs au travail. Les garçons sont très bien, qu'il s'agisse de Jesse Eisenberg dans le rôle principal ou de Steve Carrel, de nouveau à contre-emploi, juste derrière lui. Évidemment, Café Society propose également de bons personnages féminins et, pour le premier d'entre eux, Kristen Stewart fait preuve d'une grande justesse (et d'une beauté peu commune). Blake Lively m'a paru moins séduisante, à tous les sens du terme, mais méritera une seconde chance - sachant qu'elle n'est jamais ridicule dans un rôle parfois "ingrat". Je me souviens aussi des petites touches d'humour...

Café Society
Film américain de Woody Allen (2016)

Ce que je dirais aussi, c'est qu'ici, le célèbre cinéaste à lunettes semble avoir de l'empathie pour tous ses personnages - c'est rare ! Comment évaluer ce film par rapport à ceux qui l'ont précédé ? L'index des réalisateurs vous aidera à retrouver quelques-uns de mes avis. C'est difficile de trouver des films comparables ! Je me risque toutefois à vous reparler de Two lovers, sans en révéler davantage...

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Un p'tit tour sur la blogosphère, maintenant ?

Vous pouvez vous arrêter chez Pascale et Dasola. Attention, spoilers ! Une autre chronique très détaillée vous attend également chez Strum.

dimanche 12 juin 2016

Le convoyeur

David Ladislas se fait passer pour un reporter, mais il sert d'homme de main à un trafiquant. Le garçon a des principes: il refuse mordicus de convoyer de la drogue, mais ça ira pour des diamants ou de l'or. J'imagine que Jean-Paul Belmondo tenait à rester un héros positif. Sorti en 1964, Échappement libre est son 35ème film... en huit ans !

C'est également la deuxième de ses trois collaborations artistiques avec Jean Becker, fils de Jacques, pour un rôle taillé sur-mesure. Virevoltant, Bébel s'en donne à coeur joie dans cette comédie au noir et blanc gentiment démodé, très sage adaptation d'un roman de gare. Le film joue à fond la carte du dépaysement: il fonce à cent à l'heure d'Espagne en Grèce, en passant par le Liban, l'Italie et l'Allemagne. David Ladislas est plutôt OSS 117 que James Bond: ceux à qui le pitch du long-métrage avait laissé espérer un film noir en seront vraiment pour leurs frais. Échappement libre est un divertissement, point. Fort heureusement, il est assez rythmé pour passer un bon moment...

Et puis, avis aux amateurs, il y a Jean Seberg. La blonde Américaine aurait sans doute pu trouver une jolie place parmi les égéries hitchcockiennes, mais ici, point de suspense: on sait bien que Bébel va craquer pour elle et on devine... que ça finira par être réciproque. La belle garde tout de même ses lunettes de soleil pour faire l'amour ! Autant dire que, là aussi, Échappement libre joue sur une gamme ludique, si ce n'est parodique. Il n'est surtout pas interdit d'apprécier l'escapade, qui me paraît assez représentative d'un certain cinéma français. C'est vrai aussi qu'en se souvenant que le duo vedette s'illustrait quelque temps auparavant avec la Nouvelle Vague, on peut s'étonner de ce qui ressemble à une volte-face. L'une des options envisageables pour faire la part des choses consiste alors à apprécier les deux facettes du même métier d'acteur - c'est ce que j'aime faire. Évidemment, on est en droit aussi d'attendre autre chose du cinéma.

Échappement libre
Film français de Jean Becker (1964)

Bon... oui, Jean Seberg et Jean-Paul Belmondo furent portés d'abord par la Nouvelle Vague et À bout de souffle, de Jean-Luc Godard. Maintenant, du côté des films noirs, je conseille Classe tous risques et La métamorphose des cloportes. Dans celui que j'ai présenté aujourd'hui, on s'amusera à voir Sautet co-scénariste, Costa-Gavras assistant-réalisateur et Marielle dans un petit rôle. Alors... heureux ?

samedi 11 juin 2016

Mortelle partition

Certains acteurs ont tellement été marqués par un rôle que leur image reste indissociable de celle d'un personnage unique et bien déterminé. C'est le cas d'Elijah Wood qui, à mon avis, demeurera Frodon Sacquet pour de longues années encore. Reste que le trentenaire a abandonné son costume de hobbit depuis quatre ans déjà. Vous aviez remarqué ?

Dans Grand piano, en tout cas, c'est net: loin à présent de la Terre du Milieu, notre bon ami est devenu un pianiste de réputation internationale, qui se prépare à donner un concert unique à Chicago. Détail important du scénario: ce Tom Selznick n'a plus joué en public depuis de longues années. La raison est simple: il est tétanisé à l'idée de revivre l'épisode le plus douloureux de sa jeune carrière - un couac retentissant au beau milieu d'une précédente grande représentation ! Tendue, la situation devient irrespirable quand, alors qu'il vient juste de commencer à jouer, Tom s'aperçoit d'une menace de mort, écrite en lettres rouges sur sa partition. Et tant pis pour la vraisemblance...

Certains n'ont pas hésité à citer Alfred Hitchcock ou Brian DePalma comme les possibles maîtres du réalisateur espagnol de ce petit film. C'est un peu too much: un (relatif) suspense et trois / quatre effets de mise en scène me semblent insuffisants pour établir cette filiation artistique. De là à jeter le bébé avec l'eau du bain, il y a un pas. Réflexion faite, j'ai décidé... de ne pas le franchir. Grand piano répond bien aux très modestes attentes que j'avais placées en lui. Jamais sorti dans les salles françaises, il vaut bien un plateau-télé. Maintenant, on est d'accord, hein ? Ce n'est pas le film du siècle. J'avoue: la fin est même assez nunuche - pour ne pas dire plan-plan. Montre en main, tout est plié en moins d'une heure et demie. Bizarrement, j'ai aimé la toute dernière image, qui joue habilement sur le hors-champ et l'idée que tout va peut-être changer pour Tom. Chacun est libre d'inventer une suite - ou non - et je trouve ça sympa.

Grand piano
Film espagnol d'Eugenio Mira (2013)

Je n'ai pas encore dit que la musique jouait ici un rôle important. Certes, elle ne fait pas avancer l'intrigue, mais du fait de la menace qui plane sur l'exécutant en cas de fausse note, on pourra se prendre au jeu d'écouter avec la plus grande attention. Si les petits thrillers hispaniques vous plaisent, vous pourriez également apprécier Inside. J'admets qu'un film comme La isla minima est largement au-dessus...

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Juste une précision...

Le scénario du film est signé Damien Chazelle. Vous le connaissez ? Dans la vraie vie comme sur les blogs, j'ai recueilli des impressions favorables sur ce jeune homme, réalisateur du remarqué Whiplash. Rappel amusant: cet autre thriller a pour héros... un batteur de jazz.

C'est bien que tout le monde ne soit pas d'accord...

Et vous savez quoi ? Chonchon est d'un avis vraiment TRÈS différent !

vendredi 10 juin 2016

Une femme

Le premier plan de The immigrant est une merveille d'esthétisme. D'abord, on ne voit que la Statue de la Liberté, jusqu'à ce qu'un zoom arrière nous dévoile le dos d'un homme. On peut dès lors remarquer qu'à l'horizon, un bateau fait son entrée dans le port de New York. Nous voilà arrivés aux États-Unis, aux tous premiers jours de 1921...

Aussitôt, nous faisons connaissance avec le premier personnage féminin du film: Ewa Cybulska, débarquée de Pologne avec sa soeur dans l'espoir d'une vie meilleure, auprès d'une famille déjà installée. Vous aurez très certainement compris que ce sera bien plus difficile que prévu: Ewa va vite se retrouver sous la coupe du type aperçu quelques instants auparavant, un dénommé Bruno Weiss, présenté comme un artiste de cabaret réputé, mais plutôt du genre à arrondir ses fins de mois grâce au proxénétisme. Et ensuite ? Vous verrez ! Bonne surprise: The immigrant n'est pas manichéen - il n'y a pas l'oie blanche d'un côté et le vilain profiteur de l'autre. Je ne vous dirai pas que le scénario brille par son originalité, mais il est plutôt bien écrit. Quant à la reconstitution d'époque, elle est soignée, sans ostentation.

Le récit, lui, tourne autour d'un trio: aux deux protagonistes du début s'ajoute un troisième larron, à peu près à la moitié du métrage. Jeremy Renner rejoint alors Marion Cotillard et Joaquin Phoenix. Qu'ajouter ? Que les trois acteurs sont convaincants. Je dois admettre que la môme française m'a donné toute satisfaction, pour une fois. Évidemment, l'homme qui la filme et ses partenaires à l'écran y sont pour quelque chose, mais une alchimie émerge entre les comédiens. Bémol: sur cette base, je m'attendais à être un peu plus ému. Le fait est qu'au contraire, j'ai plutôt tendance à rejoindre les rangs de ceux qui regrettent que The immigrant conserve une certaine froideur. Oui... je me suis senti plus spectateur que réellement impliqué. Même si on est ici dans le haut du panier du cinéma US, il manque toujours un petit quelque chose pour tutoyer les sommets. Tant pis...

The immigrant
Film américain de James Gray (2013)

En compétition pour la Palme à Cannes, le long-métrage était rentré bredouille de son séjour sur la Croisette. Il reste très recommandable à ceux d'entre vous qui sont férus d'un certain classicisme au cinéma. Les autres pourront noter qu'il s'agit du tout premier film historique de James Gray, mais aussi que je préfère nettement Two lovers. D'autres oeuvres du réalisateur m'attendent: j'en reparlerai, c'est sûr.

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D'ici là, si vous êtes curieux d'autres avis...

Vous pouvez aller faire un tour sur les blogs de Pascale et Chonchon.

mercredi 8 juin 2016

Vers l'océan

Il se passe un truc avec les déserts. Ces environnements hostiles composent le coeur de plusieurs des films que j'ai vus depuis le début de l'année. Nouvel exemple aujourd'hui avec Tracks, l'histoire vraie d'une jeune Australienne, déterminée à arpenter, en 1977, 3.000 km pour rallier l'Océan Indien. Elle s'appelle - toujours - Robyn Davidson...

Visible depuis au moins deux ans en Australie, ce joli long-métrage est enfin sorti chez nous, d'après moi à la faveur de la notoriété croissante des acteurs principaux, Mia Wasikowska et Adam Driver. Leur duo en mode "je t'aime, moi non plus" fonctionne bien et donne semble-t-il une vision assez respectueuse de la relation particulière qui unissait l'aventurière et Rick Smolan, journaliste photographe américain, appointé par le National Geographic - je vous laisserai chercher par vous-mêmes les détails de cette histoire. Tracks est l'un de ces films qui donne envie de prendre quelques affaires et de partir sur les routes. Le scénario prend tout de même le temps d'expliquer que le voyage de Robyn Davidson n'était pas tout à fait improvisé. Motivée, déterminée mais pas folle, la jeune femme avait effectué plusieurs petits boulots pour financer son grand départ vers l'inconnu. En prime, il lui aura quand même fallu une bonne dose... de courage !

J'ai appris du coup qu'outre des lapins et des kangourous, le continent austral accueillait des camélidés par milliers. Arrivés avec les colons du 19ème siècle, certaines de ces bêtes de somme ont su s'acclimater aux conditions locales: leurs descendants vivent désormais à l'état sauvage, d'autres faisant le bonheur des éleveurs, pour le transport ou pour leur viande. Comme Tracks le rappelle, c'est avec son chien et quatre dromadaires que Robyn Davidson partit un beau matin. Impossible de reprocher au film son esthétique, illustration - fidèle - de la beauté des paysages traversés et des périls croisés en chemin. Le film a le mérite de ne pas diviniser son héroïne, faisant état aussi de sa relative asociabilité - qui lui tient lieu de protection, toutefois. Si le long-métrage a un défaut, ce serait plutôt l'usage un peu balourd de flashbacks explicatifs, là où un peu de mystère n'aurait pas nui. Bon... ce (petit) bémol ne me fera assurément pas renier mon plaisir.

Tracks
Film australien de John Curran (2014)

Un long-métrage très honorable, donc, même s'il n'a pas le lyrisme d'un film de Peter Weir - cf. le superbe Pique-nique à Hanging Rock. Beaucoup font la comparaison avec Into the wild, référence (ultime ?) du film sur un personnage solitaire en face-à-face avec la nature. J'aime autant ne pas spoiler, mais le parallèle ne tient pas vraiment. J'ajoute toutefois que, dans les deux cas, on en prend plein les yeux !