jeudi 30 juillet 2015

Parentes

J'ai hésité à accompagner Isabelle (Huppert) et Gérard (Depardieu) dans la Vallée de la Mort, à la recherche d'un fils disparu. J'ai opté finalement pour une rencontre avec une maman brésilienne, l'héroïne touchante de Une seconde mère. L'affiche française est barrée d'innombrables qualificatifs laudateurs: ce film a reçu le Prix du public de la dernière Berlinale et celui du jury du Festival de Sundance 2015.

Femme d'origine modeste, Val habite Sao Paulo chez une famille fortunée, pour qui elle travaille humblement depuis une douzaine d'années. C'est un peu elle qui a élevé Fabinho, l'adolescent et enfant unique de la maisonnée, qu'elle aime véritablement comme s'il était son propre fils - d'où, vous l'aurez compris, le titre du long-métrage. Dans cette situation assez ordinaire, dirait-on, parmi la bourgeoisie sud-américaine, un élément perturbateur est introduit par l'entremise de Jessica, la (vraie) fille de Val, qui débarque un beau jour en quête de soutien, auprès d'une mère qu'elle avait pourtant perdue de vue. Évidemment, ça coince ! Jessica et Val divergent trop: l'une a passé sa vie à servir les autres, la seconde refuse radicalement cet horizon. Et c'est là que Une seconde mère aborde son sujet, à mi-chemin entre le parcours d'une jeune femme décidée à ne laisser personne choisir ce qui est bon pour elle et l'émancipation tardive de son aînée.

Sachez-le: ce qui nous est raconté ici l'est de manière très douce. Aucun cri de colère, pas de pleurs non plus... le scénario rebondit parfois autour de quelques incompréhensions tapageuses, mais il vise surtout à émouvoir, quitte à s'autoriser quelques touches d'humour. L'empathie de la réalisatrice et scénariste pour son personnage principal est une évidence: l'abattage de l'actrice, Regina Casé, suffit ensuite à nous embarquer dans ce quasi-huis clos. Il s'y passe pas mal de choses, en réalité, et c'est tant mieux: même s'il est très facile d'imaginer comment tout cela va finir, je ne vois rien à regretter. Pour chipoter, je pourrais toujours arguer que Une seconde mère s'étire un peu plus que de raison, voire qu'il n'échappe pas tout à fait aux clichés sur les différences d'âge et de classe, mais je dois dire que ça ne m'a pas tellement ennuyé. Je me trouve heureux d'avoir fait ce voyage jusqu'au Brésil. Un autre jour, j'irai voir un peu plus loin...

Une seconde mère
Film brésilien d'Anna Muylaert (2015)

Avec deux films lusophones en seize jours, j'ai mieux appris à aimer les sonorités de la langue portugaise. Tôt ou tard, c'est un champ d'exploration cinéma que je compte bien continuer à défricher. Auparavant, et pour comparaison, je vais vous renvoyer aujourd'hui vers un autre film sud-américain sur la domesticité: La nana. L'occasion de constater qu'au Chili, l'approche est différente...ou pas.

----------
Si vous voulez rester au Brésil...
Une info: le film du jour est aussi chroniqué chez Pascale et Dasola.

mardi 28 juillet 2015

Au fil de l'eau

Michel est victime de ce qu'on appelle la crise de la cinquantaine. D'autres se morfondraient au fond de leur canapé, mais notre homme préfère prendre les choses en main et, plutôt que de répondre favorablement aux avances adultérines de sa voisine, s'offre un kayak pour aller voguer au coeur de la nature. Comme un avion sait jouer sur un petit décalage pour "croquer" ce grand garçon un peu rêveur...

Dans la famille Podalydès, je demande le frère aîné, Bruno, 54 ans. Devant et derrière la caméra, la vedette du jour parvient à faire oublier son frère, Denis, connu comme sociétaire de la Comédie française et un peu trop présent à mon goût ces dernières années. Même si, cette fois encore, les chers frangins travaillent de concert, Bruno ayant confié un petit rôle à Denis, Comme un avion m'a offert ce que j'en attendais: un divertissement léger, d'une douce poésie. Objectivement, il y a quelque chose de bien improbable dans l'histoire de ce quinqua qui largue (de manière très provisoire) les amarres pour se laisser porter par le courant. Sur le strict plan symbolique toutefois, la métaphore est aussi claire que réussie. Même sans avoir son âge, je dois dire que j'ai compris Michel et mieux, je l'ai envié ! Le film dit que le bonheur est à portée de pagaie - et donc de main. Qu'il peut parfois suffire de se poser un instant pour vivre autrement.

D'aucuns noteront que le voyage de Michel ne le conduit pas très loin. C'est vrai: vu qu'il prend du retard au départ et parce qu'il tombe rapidement sur une buvette où il se sent bien, l'improbable aventurier finit par faire du surplace ou, au mieux, tourner en rond. J'admets volontiers que j'ai moi aussi aimé l'unique escale qu'il nous propose. C'était un plaisir que de retrouver la petite bande d'acteurs présente sur place, Agnès Jaoui, Vimala Pons, Michel Vuillermoz et d'autres encore qui donnent envie de s'arrêter pour boire un verre avec eux. Aussitôt, le premier personnage féminin, joué par Sandrine Kiberlain, s'efface: il ne revient qu'en toute fin de métrage, pour une conclusion portée par une certaine mélancolie. Oui: même s'il m'a souvent donné le sourire, Comme un avion n'est pas - seulement - une comédie. Quelque chose d'un peu plus grave est suggéré, comme en sourdine. On aurait bien voulu descendre encore un peu le cours de la rivière...

Comme un avion
Film français de Bruno Podalydès (2015)

Essai concluant ! De l'acteur-réalisateur, je ne connaissais finalement que Bancs publics (Versailles rive droite) et j'ai largement préféré le film présenté aujourd'hui. Il me donne envie d'en voir d'autres. Comme Robert Guédiguian, Bruno Podalydès a une troupe d'acteurs autour de lui et, dans le cas présent, ça fonctionne plutôt bien. Mention pour la BO avec Charlélie Couture + Alain Bashung au ukulélé.

----------
Si vous voulez prolonger l'escapade...
Vous pourrez lire Pascale ou Dasola, toutes deux déçues par le film. Princécranoir, quant à lui, se montre nettement plus enthousiaste. 

lundi 27 juillet 2015

Une fois en Chine

C'est incontestable: au rayon asiatique, mes découvertes de cinéma sont davantage japonaises que chinoises. Un cycle estival d'Arte m'aura toutefois permis d'apprécier Le secret des Poignards volants. Ce film est un wu xia pian, c'est-à-dire un film de sabre, un genre très populaire et fécond en Chine. Il est ici question de guerres claniques sous la dynastie Tang, au 9ème siècle de l'ère chrétienne...

Les Poignards volants forment une organisation secrète, qui conteste l'autorité du pouvoir établi. Leur meneur vient juste d'être assassiné. Après des semaines de chasse à l'homme, les policiers Leo et Jin doivent désormais traquer son successeur. Une jeune danseuse aveugle attire leur attention: les deux hommes l'imaginent membre du groupe adverse, peut-être même la fille du chef tué. La situation dégénère en combat à l'arme blanche: finalement arrêtée, Xiao Mei pourrait être torturée si elle ne parle pas. Cette effroyable menace restant vaine, Leo et Jin activent un plan B: ils aident la jeune femme à s'évader, en pensant qu'ils pourront ainsi infiltrer le camp ennemi. Partant de là, Le secret des Poignards volants tient du western d'Orient, entre courses-poursuites à cheval et duels au sabre. L'intrigue s'enrichit aussi d'un récit amoureux, à trois personnages. Maintenant, je vous laisse découvrir comment tout cela s'articule...

Le secret des Poignards volants n'est un mauvais film: c'est un film particulier. Je crois pouvoir dire qu'il s'inscrit dans un cadre artistique précis, si ce n'est codifié. Le tout est de savoir si vous l'accepterez volontiers ou pas. Je ne suis pas sûr que cela plaise à tout le monde. Pour tout dire, je suis même persuadé du contraire. Il me semble effectivement que l'argument scénaristique est beaucoup trop ténu pour être véritablement considéré comme le moteur du long-métrage. Sans rien retirer à la valeur de cette histoire, c'est tout à fait évident que le film repose d'abord sur le déploiement de son esthétique. Costumes et décors frappent par leur beauté, mais c'est bien entendu la chorégraphie des batailles qui donne aux images un impact fort. Peut-être un peu répétitif sur ce point, le film risque d'en laisser quelques-uns sur le côté. Les autres voudront bien adopter le rythme de ce voyage vers la Chine ancienne, sans se soucier de son irréalité.

Le secret des Poignards volants
Film chinois de Zhang Yimou (2004)

La note que j'accorde au film est généreuse: il faut aussi comprendre qu'elle signifie qu'il a répondu à mes modestes attentes à son égard. Désormais, du même auteur et dans le même genre, il me faudrait redonner sa chance à Hero, dont j'ai gardé un moins bon souvenir. L'un des tout premiers DVDs que j'ai achetés, c'était Tigre et dragon. À ce stade, c'est toujours à cet opus d'Ang Lee que va ma préférence.

dimanche 26 juillet 2015

Jeunesse rebelle

C'en est terminé des années fastes. Traduit en français, c'est le titre du film allemand que je veux présenter ce dimanche, sorti chez nous et long-métrage admis en sélection officielle pour la Palme du Festival de Cannes 2004 sous une toute autre appellation - The Edukators. C'est une amie, membre de mon association cinéma, qui m'a permis de le découvrir. Dans le casting, je ne connaissais que Daniel Brühl...

Jule est une jeune Berlinoise fauchée, qui gagne vaguement sa vie comme serveuse dans un restaurant chic. La jeune femme travaille dur pour payer une lourde amende à laquelle elle a été condamnée après un accident de voiture. Elle tâche d'oublier ses (gros) ennuis entre les bras de Peter, son petit ami, qu'elle n'aime pas voir traîner avec Jan, un type qu'elle trouve bizarre... avant de s'en rapprocher finalement. Un conseil: ne vous fiez pas aux seules images choisies comme illustrations de cette chronique pour vous faire une idée première de la suite des événements. Plutôt que le récit ordinaire d'un trio amoureux, The Edukators s'intéresse à l'état d'esprit général d'une certaine jeunesse européenne, coincée entre précarité et envies de changer le monde. De quoi faire un bon film ? Euh... ça se discute.

Personnellement, j'ai regardé ça à l'aveuglette, sans la moindre info préalable sur le scénario, et il me faut bien reconnaître que j'ai trouvé le long-métrage quelque peu artificiel, parfois. Que cette jeunesse s'encanaille pour faire la nique aux "bourgeois", OK, mais le film contient un peu trop d'invraisemblances pour qu'on y adhère vraiment. Plus enquiquinant à mes yeux, il m'a semblé que les personnages étaient tantôt indécis, tantôt prêts à agir, puis à nouveau hésitants. S'agissant des atermoiements de jeunes face à leur avenir, le fait qu'ils tergiversent est tout à fait admissible, mais il y a quelque chose qui m'a paru ne pas fonctionner. Bref... The Edukators n'a certes rien d'un navet, mais je pense qu'il passe un peu à côté de son sujet. Déception relative, donc, surtout que je n'ai pas bien compris la fin...

The Edukators
Film allemand de Hans Weingartner (2004)

Bon... j'ai préféré Daniel Brühl dans Good bye Lenin. Le film d'aujourd'hui n'est pas ridicule, mais il peine à trouver le ton juste. Dommage: le sujet, lui, était plutôt intéressant. Ce n'est pas fréquent que le cinéma se penche ainsi sur la façon dont la jeunesse transforme son énergie en action. Peut-être que ça aurait été mieux dans le spleen (Le lauréat) ou la tension (Le policier). J'hésite aussi !

samedi 25 juillet 2015

Parias

J'ai entendu ça dans une analyse de cinéma et je m'y retrouve largement: la manière dont on considère les films dépend également du contexte dans lequel on les reçoit. C'est bien là où je suis embêté aujourd'hui: j'ai oublié ce qui m'a poussé à regarder La blessure. Bon... vous avez le droit de penser que la présence de Jeff Bridges dans le casting aura suffi à m'attirer. Ce n'est pas tout à fait faux...

Trois fois scénariste de Milos Forman dans les années 60, réalisateur de son premier film personnel en 1965, Ivan Passer quitte ce qui est encore la Tchécoslovaquie en 1968, après la répression du Printemps de Prague. La blessure n'est pas son premier film sur le sol américain, mais il est crédible que l'exil politico-artistique du cinéaste ait été le terreau du ton qu'il adopte dans cette adaptation littéraire. Alex Cutter et Richard Bone sont deux amis. Borgne, amputé d'un bras et d'une jambe, le premier est un vétéran du Vietnam. Le second parait ne jamais y être allé et, désinvolte, vivote comme gigolo. C'est sur la route du retour d'une énième soirée foireuse que Bone, tombé en panne, abandonne son vieux tacot et manque alors d'être renversé par une autre voiture. Le lendemain, sur le même site, la police retrouve le cadavre d'une jeune femme, sauvagement assassinée. Mais ce n'est pas le côté policier de l'affaire qui nous intéressera ici...

Plutôt que de se tourner vers l'enquête officielle, la caméra préfère rester concentrée sur Cutter et Bone. La photo utilisée ci-dessus pourrait vous avoir fait comprendre qu'il est question d'un triangle amoureux avec une femme, Maureen, qui est l'épouse de Cutter. Maintenant, j'aimerais dire qu'entre ces trois figures, les relations sont plus complexes qu'il n'y paraît à la lecture de ces quelques lignes. Comme ma toute première image le suggère, La blessure est un film plein de la fureur qui anime son personnage principal: en laissant plusieurs questions sans réponse, ce qui laisse la possibilité de broder selon nos propres impressions, le film illustre toute la rage d'un laissé pour compte, d'un homme qui s'est battu pour son pays et y a perdu une bonne partie de ses illusions (et de sa dignité). Le prix à payer pour la reconquête de soi-même est bien trop exorbitant pour espérer une issue favorable - une noirceur qui a pu priver le long-métrage d'une reconnaissance plus large. Or, la très belle interprétation du duo John Heard et Jeff Bridges, avec Lisa Eichhorn, mérite considération.

La blessure
Film américain d'Ivan Passer (1981)

En retenant Jeff Bridges et en illustrant un visage noir de l'Amérique contemporaine, le cinéaste marche dans les pas d'un Michael Cimino. J'ai aussi senti ici quelque chose du Macadam cowboy de Schlesinger ou du Taxi driver de Scorsese, de ces âmes fragiles qui s'imaginent légitimes dans leur fantasme d'une autre façon de vivre et perdent peu à peu le contrôle de leur être. Oui, l'idée est assez pessimiste...  

vendredi 24 juillet 2015

Des hommes et de Dieu

Ma proposition de voyage aujourd'hui vous conduira en Argentine. Dans une clinique de Buenos Aires, un homme passe un scanner. Simultanément, au coeur de l'Amazonie, un autre assiste impuissant au massacre d'un village par une troupe de narcotrafiquants armés jusqu'aux dents. Quelques jours passent et Elefante Blanco démarre réellement. Les deux hommes se retrouvent. Ils sont amis et prêtres.

Pour venir en aide à son frère en religion, Julian l'accueille sans délai au sein de l'immense bidonville qui est sa paroisse. Il ne lui dit rien d'explicite sur ses intentions, mais, déjà, se voit lui remettre un jour les clés de la communauté. D'ici là, avec ce généreux père Nicolas venu de Belgique, il pense disposer d'un renfort plus qu'appréciable pour mener à bien sa grande oeuvre: tirer tout le quartier vers le haut par la reprise d'un chantier abandonné de construction immobilière. Soutenus par Luciana, une jeune assistante sociale, les deux curés redoublent d'ardeur pour sortir une partie de leurs 30.000 ouailles d'une effroyable misère. S'ils en baptisent au passage, c'est moins pour les convertir que pour avoir une meilleure idée de leur nombre ! Elefante blanco, le titre du film, reprend le nom de l'hôpital inachevé qu'occupe cette Cour des miracles sud-américaine. De ce décor incroyable, le long-métrage tire une force peu commune, à mi-chemin entre réalisme cru et dérives oniriques. Le moins que je puisse écrire, c'est que la réalisation a superbement su s'accaparer l'espace.

Elefante blanco est un film intense, viscéral, bouillonnant. Traversé périodiquement par d'impeccables travellings, il m'a balancé tout net au coeur de l'action. Parce que les parrains de la drogue sont les rois fous dans la jungle urbaine, il n'est pas difficile de comprendre aussitôt que les rares équilibres de cette société demeurent bancals. Oui, là-bas, tout peut toujours dégénérer à tout moment. Il fallait sûrement de grands acteurs pour appuyer la crédibilité de ce qui est malgré tout une fiction. Grande vedette dans son pays, Ricardo Darin fait une nouvelle fois la preuve de son remarquable talent: l'Argentin semble avoir toujours été un combattant de la foi. Ce film dépaysant au possible, pour le meilleur comme pour le pire, m'a confirmé aussi le plaisir que j'ai à voir jouer Jérémie Renier: comme souvent, je l'ai trouvé impeccable, juste dans l'exaltation et parfait dans la fragilité. Le scénario pose de très intéressantes questions sur ce que peut être l'être humain face à son devoir. La belle Martina Gusman intervient alors comme l'arbitre de la folie des hommes: une "sacrée" révélation.

Elefante blanco
Film argentin de Pablo Trapero (2012)

L'affiche française met Jérémie Renier en avant, mais je crois juste d'affirmer que les trois personnages principaux sont traités à égalité. Vous l'avez compris: j'ai beaucoup aimé ce film, passé près d'une note encore plus haute. Mon seul petit bémol: une fin un peu rapide. L'ensemble surpasse Jauja, un autre film argentin sorti cette année. Vous préférez le drôlatique au dramatique ? El Chino s'imposera donc.

----------
Le film est sur deux de mes blogs de référence...
Chez Chonchon, sa note dépasse très légèrement la moyenne: 6/10. Pascale, elle, lui a donné trois étoiles sur cinq, mais sans en dire plus.

jeudi 23 juillet 2015

Cordes sensibles

Ainsi que je l'avais prévu il y a deux petites semaines, je souhaite aujourd'hui vous présenter un film né de l'amitié entre Stéphane Brizé réalisateur et Vincent Lindon acteur: Mademoiselle Chambon. Comme vous le saviez peut-être déjà ou l'aurez compris dès la lecture de ce titre, une femme est au centre de ce long-métrage. Un rôle touchant confié à Sandrine Kiberlain, qui se montre vite à la hauteur.

Je ne vous ai pas habitués aux potins people, mais je crois important d'indiquer ici que Sandrine Kiberlain et Vincent Lindon ont été mariés et sont même devenus ensemble parents d'une petite fille, Suzanne, qui doit désormais avoir une quinzaine d'années. Oui, ça me semble important parce qu'au moment où ils ont tourné Mademoiselle Chambon, les deux amoureux avaient rompu. Je suis assez scotché par leur courage et le respect qu'ils ont visiblement l'un pour l'autre. En effet, il s'agit bien pour eux ici de jouer une histoire d'amour difficile, entre une maîtresse d'école solitaire et un maçon taiseux déjà engagé dans une vie de famille. Des circonstances assez banales qui auraient pu donner lieu à un récit d'adultère tout à fait ordinaire. Sauf que non... il y a autre chose. Une force, une beauté inattendue.

Je fais le pari que Mademoiselle Chambon en déroutera plus d'un(e). Sans me déplaire, certains de ses aspects m'ont parfois désorienté. Peut-être est-ce parce que je suis un homme, mais j'ai vite admis l'évidence des sentiments naissants de Jean pour Véronique. Ponctuellement, c'est dans l'autre sens que j'ai été moins convaincu. Cela étant dit, tout a fini par s'arranger, quand j'ai accepté cette idée qu'il y avait, dans cette passion comme dans d'autres, une part d'irrationnel. Sachez-le: ce beau film n'est pas porté par les mots. C'est d'abord par les regards, gestes et silences que les messages passent, que le scénario avance vers sa conclusion mélodramatique. Au final, nous voilà renvoyés à la question: "Et si ç'avait été moi ?". Stéphane Brizé - et c'est son mérite - laisse chacun imaginer la suite.

Mademoiselle Chambon
Film français de Stéphane Brizé (2009)

Précision: c'est pour faire référence à un violon que j'ai choisi le titre de ma chronique aujourd'hui. Vous comprendrez en voyant le film ! J'ai hésité jusqu'au dernier moment à lui donner quatre étoiles pleines, mais j'ai trouvé certains effets (un peu) trop appuyés. L'intelligence du montage permet d'alterner scènes étirées et ellipses. Vous releverez peut-être quelques points communs avec Two lovers.

----------
Un petit mot enfin sur deux personnages secondaires...

Aure Atika joue la femme trompée, Jean-Marc Thibault le père. Chacun d'eux tient l'une des clés du film. Ils sont tous deux très bons.

Vous avez envie de lire d'autres avis sur le film ?
C'est possible chez Pascale, Elle et Lui, Dasola, Chonchon et David. L'occasion - entre autres - de constater qu'il ne fait pas l'unanimité. 

mercredi 22 juillet 2015

Petit d'homme

Un exemple de réussite pour la francophonie: tiré d'un roman québécois, Le jour des corneilles a réuni 7 millions d'euros de budget grâce à des capitaux français, canadiens, belges et luxembourgeois. Adapté pour l'écran, le texte de Jean-François Beauchemin est devenu un dessin animé assez sympa, malgré quelques (petits) défauts. J'espère vous motiver pour le regarder, si une occasion s'en présente.

Le personnage principal est ici un petit garçon sans nom, qui vit caché dans la forêt avec son père. Il semble y être né et parvient même à communiquer avec d'étranges créatures silencieuses, à corps humain et tête animale. Son paternel, un géant à l'allure d'ogre, dit qu'il faut absolument rester sous le couvert des arbres et qu'aller au-delà de cet interdit provoquerait... une disparition immédiate ! Comme vous l'aurez compris, Le jour des corneilles nous embarque dans un univers de conte, qu'il complète bientôt pour nous emmener aussi dans un village très conforme à ceux que nous connaissons. J'aime autant me taire à présent sur le développement de l'intrigue...

J'ai parlé de défauts, mais j'aurais plutôt dû parler de temps morts. Quelques longueurs émaillent en effet le film, sans gravité excessive. Dans l'ensemble, ce qui nous est montré est charmant, voire un peu mieux: enchanteur. Une certaine approche fantastique du milieu naturel rappelle les merveilles de Hayao Miyazaki, le coup de crayon restant toutefois bien différent de celui du vieux maître japonais. L'humour coutumier des films pour enfants n'a qu'une place limitée dans Le jour des corneilles, le parcours du jeune héros étant orienté sur l'apprentissage de la vie, bien plus que sur une joyeuse gaudriole. En dépit de quelques facilités, autour de l'apparition d'une mégère notamment, le long-métrage enferme quelques richesses d'une poésie rare dans le cinéma animé. Un joli spectacle pour petits... et grands.

Le jour des corneilles
Film français (etc...) de Jean-Christophe Dessaint (2012)

Une précision: il s'agit du tout premier long-métrage du réalisateur. Initialement, il était prévu qu'il soit créé sous la direction artistique de Serge Ellisalde: le co-metteur en scène de U apparaît au générique comme créateur des personnages. Le casting voix, lui, rassemble Lorànt Deutsch, Jean Réno, Isabelle Carré et... Claude Chabrol ! Dernière "apparition" au cinéma, posthume, du réalisateur à la pipe...

----------
Dans la série "Les grands aiment les dessins animés"...

Vous pourrez constater en la lisant que le film a aussi plu à Dasola.

lundi 20 juillet 2015

134 minutes

Je ne voudrais pas réduire Victoria à sa dimension de film-concept. C'est pourtant autour d'une caractéristique formelle que la presse spécialisée a commencé à en rendre compte: ce long-métrage allemand, présenté lors de la dernière Berlinale, en février dernier, s'illustre d'abord parce qu'il a été tourné en un unique plan-séquence. Prouesse technique indissociable du film, mais qui ne le résume pas.

5h42: Victoria - c'est aussi le prénom de l'héroïne - termine sa nuit dans les boums-boums d'une boîte de nuit berlinoise. On apprendra plus tard que cette jeune Espagnole est arrivée dans la capitale quelques mois auparavant et qu'elle n'y compte pas encore d'amis. C'est banalement ce qui pourrait expliquer que, gentiment abordée alors par un groupe de garçons, elle se laisse embarquer et les suit rapidement pour attendre le levée du jour et finir de fêter l'anniversaire de l'un d'eux. Sonne, Boxero, Blinker et Fuss veulent boire une dernière bière sur le toit d'un immeuble voisin, chose faite dans les minutes qui suivent. À partir de là, je pourrais dévoiler aussi l'essentiel de ce qui se passe par la suite, comme le fait le court pitch d'Allociné que j'avais lu avant la séance. Je préfère ne pas le faire. Intéressé d'abord par ce fameux plan-séquence, je n'en dis pas plus quant au récit proprement dit. Autant préserver un peu le suspense...

Un constat, simplement: démarré sur un retour au calme progressif après une transe dansée sous les stroboscopes, le long-métrage s'anime de nouveau à mi-parcours, le scénario négociant un virage important - dont d'autres que moi, donc, vous révéleront la nature. Que dire ? Victoria, même s'il colle aux basques des protagonistes, pourrait difficilement être qualifié de film d'acteurs. Les comédiens m'étaient tous inconnus jusqu'alors et, même s'ils interprètent tous leur rôle avec conviction, je ne dirais pas qu'ils sont déterminants. C'est bel et bien le dispositif technique qui donne au long-métrage une couleur toute particulière, la performance de tous ceux qui sont restés derrière la caméra qui impressionne. Tournée à 100% en temps réel, sans le moindre raccord, cette histoire est des plus immersives. Reste à savoir si vous aurez assez d’empathie avec les personnages pour les accompagner: sur ce point, la réponse est en chacun de vous.

Victoria
Film allemand de Sebastian Schipper (2015)

Victoria a le grand mérite d'aller jusqu'au bout d'un concept éprouvé. Des gens plus cultivés que moi affirment qu'Alfred Hitchcock himself s'était essayé au film plan-séquence avec La corde, sorti en 1948, mais en trichant, limité qu'il était alors par la longueur des bobines. Loin de la modernité de Birdman, je vous conseillerai deux westerns en temps quasi-réel: La cible humaine et Le train sifflera trois fois.

----------
Un mot sur l'accueil du film en Allemagne...
Victoria a marqué la critique et glané six Lola, l'équivalent des César outre-Rhin. À la Berlinale, il a en outre obtenu une récompense importante: l'Ours d'argent de la meilleure contribution artistique. Côté bande-annonce française, on affirme que Darren Aronofsky, président du jury, le croit en mesure de "bouleverser le monde". D'après certains, le cinéaste américain a parlé... de son monde à lui.

En complément, un "détail" technique...
Victoria n'est pas un premier jet: le film a été tourné trois fois. Sebastian Schipper n'était pas satisfait des deux premières prises...

Enfin, d'autres critiques sont à lire sur le Web...
Parmi elles, vous trouverez celle de Pascale, tout à fait enthousiaste.

samedi 18 juillet 2015

D'autres marmots

Promesse tenue: je vous reparle ce samedi de Manoel de Oliveira. Lors de la soirée-hommage organisée par mon association, le choix du film s'est porté sur Aniki Bóbó, le tout premier long-métrage réalisé par le cinéaste portugais, après une dizaine d'années consacrées au format court - et deux apparitions comme acteur. Autant le dire sans délai: j'ai vraiment apprécié cette programmation.

À Porto, sa ville natale, De Oliveira nous invite à une rencontre touchante avec une petite bande de gamins des classes populaires. Parmi eux, deux garçons, Carlitos et Eduardo, l'un réservé, l'autre déjà fanfaron, tous deux amoureux de la même petite, Teresinha. Nous sommes alors en 1942 et le Portugal, qui traverse la guerre mondiale dans une position d'État neutre, subit pourtant une dictature militaire (elle ne sera renversée qu'en avril 1974). Les insouciances enfantines saisies par la caméra se teintent d'une certaine gravité quand Carlitos vole une poupée pour l'offrir à son aimée, un peu avant d'être accusé d'être le seul responsable d'un accident presque mortel pour son "rival". Lors du débat associatif qui a suivi la projection d'Aniki Bóbó, certains ont pensé à une allégorie de la vie des adultes.

Pour ma part, sans me soucier des possibles invraisemblances présentées par le film, j'ai pris plaisir à le recevoir au premier degré. J'y ai vu des enfants bons acteurs, sans esbroufe ou expression outrancière, visiblement heureux et amusés de jouer la comédie. Autre source de contentement: j'ai senti dans la mise en scène quelques pas-si-lointaines influences du muet, certaines séquences pouvant aisément être lues comme un héritage du cinéma burlesque des années 30, à l'image de celui de Charles Chaplin par exemple. Désolé de ne pas pouvoir être plus précis: mes connaissances demeurent trop lacunaires pour que je sois plus affirmatif. J'aimerais tout de même vous convaincre qu'Aniki Bóbó, film rare, vaut encore qu'on s'y intéresse de près, 73 ans après sa sortie. Sa tendresse manifeste à l'égard de ses jeunes personnages, c'est du bonheur ! Quelques éléments autobiographiques ont été repris dans le scénario.

Aniki Bóbó
Film portugais de Manoel de Oliveira (1942)

Si vous vous posez des questions sur le titre, je dois vous préciser qu'il s'agit des premiers mots d'une comptine que les enfants chantent plusieurs fois - au moins trois, il me semble - dans le film. Maintenant, pour comparer ce long-métrage avec un autre, je crois que le titre qui s'impose est La guerre des boutons, apparu en salles vingt ans plus tard ! À voir aussi, un court de Truffaut: Les mistons.

----------
Pour finir, une petite anecdote historique...

Après ce tout premier essai, Manoel de Oliveira dut attendre 1963 pour signer son deuxième long-métrage (Le mystère du printemps). Victime de la censure, il s'exila un temps en Allemagne et y apprit l'usage de la couleur, ainsi que diverses autres techniques de cinéma.

vendredi 17 juillet 2015

L'enfant de Porto

J'ai réfléchi quelque temps à la meilleure manière de vous présenter ce que l'enchaînement de mes soirées cinéma m'amène à évoquer aujourd'hui: j'ai fini par me dire que, pour une fois, ce serait sympa de rédiger une chronique "hybride", née du choix de mon association cinéphile de rendre hommage à Manoel de Oliveira. C'est donc parti...

Un aveu: jusqu'à il y a peu, je ne connaissais le réalisateur portugais que de nom, mais aussi et surtout parce qu'on en parlait souvent comme du plus vieux cinéaste en activité. Un peu à l'image de Molière en son temps, Manoel de Oliveira est presque mort sur scène: il est décédé le 2 avril dernier, à 106 ans - il était né le 11 décembre 1908. Son dernier long-métrage, Gebo et l'ombre, date de 2012. L'enfant de Porto en laisse 32 derrière lui, si j'ai bien compté. Une Palme d'honneur lui avait été remise pour ces cent ans, à Cannes, en 2008. Manoel de Oliveira était aussi l'auteur de moyens et courts-métrages. Évoquant son travail, il disait: "Si on m'enlève le cinéma, je meurs".

Personne n'aurait osé, mais De Oliveira nous a quittés quand même. Sa toute dernière création, il avait pu la tourner... l'année dernière. Le vieillard du Restelo est un court-métrage et c'est par cette oeuvre que, bien tardivement, j'ai découvert l'inspiration du vieux monsieur qu'on croyait immortel, disparu trois mois auparavant. Je crois honnête d'admettre qu'en dehors de belles images, je n'ai pas perçu grand-chose devant cette petite vingtaine de minutes de cinéma. Sans doute les références littéraires me manquent-elles encore aujourd'hui, puisqu'il était question de plusieurs auteurs portugais classiques, accompagnés d'un Don Quichotte échappé des pages espagnoles de Miguel de Cervantes, autour d'une évocation (rapide) de quelques faits historiques. Je requiers votre tolérance et espère donc que vous vous contenterez de ces mots, brefs et peu détaillés. Notez bien que je compte reparler de Manoel de Oliveira dès demain !

jeudi 16 juillet 2015

Vie civile

Dans la longue litanie des petits films nerveux de la fin des années 70 au début des années 80, ça faisait déjà un bon moment que j'avais envie de voir Rambo. Pour être franc, je ne me serais pas tourné spontanément vers cette histoire, mais deux amis - au moins - m'ont assuré qu'elle valait le détour. Je suis donc allé confronter mes idées toutes faites à la réalité du long-métrage. Et c'était (plutôt) sympa...

Oui, comme mes potes Ugo et Philippe, j'ai bien aimé Rambo. Contrairement à un premier préjugé, j'ai noté que Sylvester Stallone était déjà, à l'époque, reconnu pour son travail. S'il ne tourne pas ici ce qu'on pourrait appeler son film de la maturité, il dispose toutefois d'une expérience relativement enviable devant et derrière la caméra. Cette fois, son personnage, mutique, est un rescapé du Vietnam perdu sur les routes américaines à la recherche de ses compagnons d'arme revenus, eux aussi, du bourbier asiatique. Quand le film commence, notre homme découvre stupéfait qu'un ami qu'il avait vu quitter le front est mort entretemps d'un cancer. Il se rend compte alors que la médaille que l'État lui a remise ne fait pas de lui un héros pour tout le monde: cette Amérique d'après-guerre le considère même plutôt comme un paria et, au fond, préférerait donc se passer de lui. Sur cet argument, le long-métrage est, de fait, cruellement réaliste.

Son contexte posé, il évolue alors vers ce qu'on peut considérer comme une référence de film d'action. Molesté par une police provinciale corrompue jusqu'à la moelle, l'ex-soldat en quête d'oubli disparaît dans une forêt et y est littéralement traqué comme une bête sauvage. Là, l'efficacité de ses méthodes de guérillero lui permettra temporairement de sauver sa peau, jusqu'à l'intervention providentielle (euh...) d'un ancien officier supérieur. S'il est vrai qu'aujourd'hui, Rambo sent un peu la naphtaline, il est juste également de dire qu'il a quelque chose d'efficace et d'inattendu. D'après ce que j'ai pu lire par ailleurs, il serait même... moins violent et radical que le roman éponyme dont il est issu. Ce serait finalement la suite de la série qui manquerait de sensibilité, rognant jusqu'à l'os un personnage pourtant censé mourir dès la fin du premier épisode. Les choix du cinéma hollywoodien ne sont pas toujours les meilleurs...

Rambo
Film américain de Ted Kotcheff (1982)

Vous avez remarqué ? J'ai évoqué dernièrement plusieurs de ces films marqueurs d'époque, références d'une certaine culture populaire. Sorti un an auparavant, New York 1997 est meilleur, plus nihiliste encore. Du côté de Sylvester Stallone, ma préférence reste à Rocky, un film imparfait et cependant franchement révélateur d'un certain mal-être social. Je ne sais pas encore dire si je le verrais beaucoup ailleurs...

mercredi 15 juillet 2015

Country road

Je suppose que je n'apprendrai rien à ses admirateurs: Clint Eastwood est aussi un musicien accompli. J'ai eu très récemment l'occasion d'apprécier cet autre talent de l'acteur-réalisateur, en découvrant l'un de ses "vieux" films: Honkytonk man. Adapté d'un roman éponyme publié deux ans auparavant, ce long-métrage braque ses projecteurs sur l'Amérique profonde au temps de la Grande dépression. Touchant.

Souvent habile pour filmer et camper les petites gens, Clint s'offre ici un beau personnage: celui de Red Stovall, guitariste country oublié par le succès, porté sur la bouteille et en duel contre la tuberculose. Pour un peu, on se croirait chez John Steinbeck... et je vous assure que, dans mon propos, c'est tout sauf un reproche. Une différence majeure toutefois avec l'oeuvre du romancier de Salinas: Eastwood garde une place pour l'humour et la décontraction. Honkytonk man aurait sa place au rayon des drames, mais je tiens à le défendre comme un film plus riche qu'un banal tire-larmes. Autant le souligner explicitement: c'est aussi un bel hommage à une certaine culture musicale américaine, avec de la guitare, donc, mais aussi du piano jazz et du chant, assez pour convertir les oreilles les moins averties. Enfin, et c'est je crois ce qui est le plus beau, il s'agit d'un road movie classieux, que vient transcender une reconstitution d'époque soignée.

Partant de ces constats, je crois bien que... ça passe ou ça casse. J'aime beaucoup cette veine eastwoodienne, mais je peux imaginer aussi qu'elle soit absolument repoussante pour d'autres. J'y vois l'hommage d'un artiste reconnu à d'autres moins illustres, dépourvu d'ailleurs de la moindre trace de cynisme et de condescendance. Clairement, pour moi, Honkytonk man est un très bon Eastwood. Vous n'êtes pas obligés d'être d'accord, hein ? Je voudrais attirer l'attention des sceptiques sur ce que le long-métrage peut contenir d'envie de transmission. Non seulement Clint nous ramène avec lui dans une Amérique qu'il n'aura connu que bébé, mais en plus il le fait en famille: c'est en effet l'aîné de ses fils, Kyle, qui joue un môme collé aux basques de Red Stovall - il avait alors 13 ou 14 ans. En face de son père, je dirais qu'il n'a pas à rougir de la comparaison. Aujourd'hui, 33 ans plus tard, il est bassiste et contrebassiste jazz !

Honkytonk man
Film américain de Clint Eastwood (1982)

Dans la liste intégrale des oeuvres de ce cher Clint, je pense pouvoir placer cet opus aux côtés de Bronco Billy, sorti deux ans auparavant. Seulement, je n'ai pas vu cet autre long-métrage... j'y reviendrai donc un autre jour, quand ça sera fait. D'ici là, je dois vous avouer qu'au cours de ce bon moment passé avec Red Stovall, j'ai repensé parfois à un antihéros des frères Coen: celui de Inside Llewyn Davis.

lundi 13 juillet 2015

Indomptables

C'est initialement la perspective d'aborder une nouvelle filmographie étrangère qui m'a donné envie de voir Mustang. J'en suis sorti ravi d'avoir fait ce choix audacieux de découvrir un film turc. J'ai appris depuis qu'il s'agit en réalité d'un film franco-germano-turc: la femme qui l'a réalisé partage d'ailleurs sa vie entre la France et la Turquie. Deniz Gamze Ergüven a étudié son art à la Fémis, une école de Paris.

Pour ce premier long-métrage personnel, elle a également collaboré avec une autre ex-étudiante, Alice Winocour, qui cosigne le scénario. Elle s'est aussi inspirée de situations réelles, qui lui ont été racontées ou qu'elle a connues elle-même. Le film s'intéresse à la vie quotidienne de cinq jeunes filles, toutes soeurs, âgées de 13 à 19 ans environ. Orphelines, Sonay, Selma, Ece, Nur et Laleh ont été élevées par leur grand-mère et leur oncle. Le récit débute sur une fin d'année scolaire: le temps de l'insouciance incite les adolescentes à profiter enfin d'un peu de liberté sur le bord de la mer, avec quelques garçons du même âge. Ce bonheur simple sera de courte durée: dénoncées par une voisine pour une prétendue indignité, les gamines, en guise de punition, seront par la suite enfermées chez elles et sommées d'apprendre les règles de conduite des ménagères "respectables". Mustang se penchera alors, avec beaucoup de vigueur, sur le drame des mariages forcés - ils persistent dans certaines régions turques. Tout en restant concentré sur le point de vue de ses jeunes héroïnes.

L'heure n'est pas au bilan détaillé, mais le tout restera probablement comme l'un des longs-métrages les plus forts que j'ai vus cette année. Je m'attendais certes à traverser quelques émotions, mais j'ai quitté le cinéma d'autant plus secoué que Mustang ne renonce pas totalement à l'humour: au début, la manière dont les femmes s'efforcent de protéger les jeunes filles autorise même une intrusion du comique dans la narration, qui étonne, comparée à ce qui arrive ensuite. L'autre force du film, c'est je dirais sa très grande qualité d'interprétation: si la trame se concentre doucement sur la plus jeune des soeurs, les cinq comédiennes sont toutes justes et formidables. Pour mémoire, je cite leurs noms: Ilayda Akdogan, Tugba Sunguroglu, Elit Iscan, Doga Zeynep Doguslu et Günes Nezihe Sensoy - retenues pour leur complémentarité et parmi des centaines de prétendantes. Sur le plan formel maintenant, j'ai aussi beaucoup apprécié le travail accompli, en matière de photographie et de musique, notamment. 100% turc ou pas, qu'importe: voilà l'un des grands films du moment !

Mustang
Film franco-germano-turc de Deniz Gamze Ergüven (2015)

Une partie de la critique place le long-métrage dans le lointain sillage de Sofia Coppola et de son Virgin suicides. C'est lui retirer beaucoup de sa force réaliste, au profit d'un long-métrage bien moins intense. S'il faut absolument comparer, je crois que je placerais plutôt l'oeuvre de Deniz Gamze Ergüven en face sombre de Wadjda, autre création féminine et premier film saoudien de l'histoire. Chapeau, mesdames !

----------
D'autres avis positifs sont à lire ailleurs...

Je vous laisse le choix: chez Pascale et/ou chez Dasola.   

dimanche 12 juillet 2015

Prince de la forêt

Je ne vois pas de raison de cantonner les grands classiques du cinéma d'aventures à la période hivernale. C'est pourquoi, sur une suggestion de mes parents, j'ai accepté de voir La flèche et le flambeau en juin. Les plus connaisseurs retrouveront ici le réalisateur américain d'origine française Jacques Tourneur, qui, avec ce vieux film, offre un divertissement d'un genre décalé face à sa filmographie habituelle.

Faut-il s'en plaindre ? Je ne crois pas, mais puisqu'il s'agissait également pour moi d'une première rencontre avec le cinéaste, l'idée que je pourrais donner de son style serait assurément très imprécise. Pour ne parler dès lors que de La flèche et le flambeau, je dirais avec sincérité que je me suis bien amusé, sans m'enthousiasmer complètement. Le scénario raconte l'histoire de Dardo, homme libre des montagnes lombardes du 12ème siècle, confronté à l'envahisseur germain. Notre ami a renoncé à sa femme, qui lui préfère l'occupant. Vous imaginez bien qu'il ne lâchera pas aussi facilement la possibilité d'avoir la garde de son fils: ce bon héros en est (presque) moderne. Notez bien que si, au passage, il peut séduire une princesse rebelle dans le camp ennemi, il ne s'en privera pas non plus... c'est logique !

L'efficacité relative d'un tel programme de cinéma dépend beaucoup des acteurs. En l'occurrence, Burt Lancaster, en trentenaire pimpant au sourire Ultra Brite, convainc aisément tout son petit monde d'aller chevaucher avec lui. Mais gare aux (trop) bons sentiments: au coeur de la forêt avec une troupe de gentils brigands, on n'est pas à l'abri d'une trahison. Enfin... je ne vais pas tout vous raconter, pas vrai ? J'ajoute juste le plaisir que j'ai pris à retrouver Nick Cravat, acteur bondissant encore confiné à un rôle muet... et acrobatique ! Le reste de la distribution est moins marquant et les rôles féminins, à l'image de celui de Virginia Mayo, vite réduits à jouer les utilités. La flèche et le flambeau plaira encore à celles et ceux qui, comme moi, aiment voir (ou revoir) un film de cape et d'épée à l'ancienne. Y'a pas d'mal...

La flèche et le flambeau
Film américain de Jacques Tourneur (1950)

Les aventures de Robin des Bois s'affiche comme une référence évidente pour le film d'aujourd'hui: on dit même que, douze ans (!) après son propre classique, Errol Flynn manqua d'obtenir le rôle. Anecdote amusante: quelques décors sont communs aux deux films. Aux amateurs du genre, je conseille un regard vers Scaramouche. Avec le duo Lancaster / Cravat, je recommande Le corsaire rouge.

----------
Un autre avis sur le film ?

Vous en trouverez au moins un, du côté de "L'oeil sur l'écran".

samedi 11 juillet 2015

Sur un air de tango

Ce blog remplirait une partie de sa mission s'il parvenait à encourager ses lecteurs à une attention plus soutenue à l'égard du cinéma français. Cela étant souligné, je dois vous confier ma déception vis-à-vis de Je ne suis pas là pour être aimé. D'indéniables qualités n'ont pas suffi à m'embarquer dans cette jolie histoire. Je n'ai pas vu un mauvais film, mais je l'ai trouvé assez convenu. C'est dommage...

Dommage, oui, parce que Patrick Chesnais est plutôt bien à sa place dans ce rôle d'huissier transi de solitude. On a même envie de croire à ces retrouvailles inattendues avec une femme plus jeune, qu'il avait quittée petite fille et qu'il retrouve en passe de se marier. La suite s'avère malheureusement plutôt prévisible, et, entre quelques leçons de tango, Jean-Claude et Françoise vont se rapprocher, évidemment. Rien à redire sur la prestation d'Anne Consigny, assez convaincante en femme hésitante à l'idée de se ranger, bien que - très - poussée dans cette direction par une mère franchement pénible. Je dirais juste que Je ne suis pas là pour être aimé est un peu trop linéaire.

Très bien noté par la critique, le long-métrage m'a, c'est un fait, paru exagérément simpliste. Je ne suis pas sûr qu'il soit si sympathique que ça: l'ambivalence de Françoise peut confiner à l'immaturité affective et certains personnages secondaires se trouvent sacrifiés sur l'autel du grand amour. Bon... n'exagérons rien: il y a aussi quelques belles scènes dans Je ne suis pas pour être aimé. Je pense notamment à celles qui tire le rideau sur le père de Jean-Claude, toute en nuances. Il est dommage que le scénario soit trop explicite parfois: dans certains silences, le récit trouve enfin une vérité première, qui me touche davantage. Ce sera pour la prochaine fois...

Je ne suis pas là pour être aimé
Film français de Stéphane Brizé (2005)

Le nom du cinéaste vous parle ? Logique: c'est pour son dernier film, La loi du marché, que Vincent Lindon a obtenu le Prix d'interprétation à Cannes cette année. J'ai prévu de vous reparler prochainement d'un autre long-métrage du duo - ça arrive bientôt ! D'ici là, pour reparler d'amours improbables, je vous renvoie aussi vers les classiques, de New York - Miami à Sur la route de Madison.

----------
Dans l'élan, vous pouvez aller lire mes petits camarades...

Chonchon, elle, n'en dit pas long, mais a bien aimé le film du jour. Lui, de "L'oeil sur l'écran", est plutôt sur ma longueur d'ondes.

vendredi 10 juillet 2015

Écrans d'Afrique

Je vous l'ai dit il y a quelques jours: avoir pu voir quatre films africains au cours du premier trimestre de cette année m'a permis d'effacer mon (petit) record - trois longs-métrages sur tout 2013. Aujourd'hui, j'aimerais reparler du cinéma venu de ce continent voisin et pourtant méconnu. C'est à dire vrai une thématique qui m'intéresse de plus en plus. J'espère donc avoir d'autres occasions de l'aborder ici.

Le cinéma africain aurait pris son essor après la décolonisation européenne, donc à partir des années 50-60. Wikipédia note toutefois qu'il existait des films sud-africains dès le début du 20ème siècle, ainsi que quelques expérimentations liées au septième art en Tunisie dès les années 20. Paulin Soumanou Vieyra, un historien sénégalais né au Bénin en 1925, serait le tout premier érudit des cinémas d'Afrique.

Le plus grand rendez-vous du septième art en Afrique ? Il s'agit probablement du Festival panafricain du cinéma et de la télévision. Mieux connue sous le nom de FESPACO, cette manifestation biennale a été créée en 1969 et se tient en février/mars à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Cette année, son Étalon d'or a récompensé Fièvres, un film du jeune cinéaste franco-marocain Hicham Ayouch.

Pour exister, le cinéma africain a aussi besoin d'aides... extérieures. J'avoue ne pas avoir vérifié dans les détails, mais il me semble bien que la plupart des films que j'ai pu voir en provenance du continent sont en fait des coproductions européennes. Même s'il reste possible de faire mieux, un festival comme Cannes est un vecteur important pour la diffusion de ces longs-métrages. Je considère ça avec intérêt.

Autre constat: une partie infime de la production africaine parvient jusqu'à nous. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le Nigeria figure sur le podium des pays producteurs, derrière l'Inde assurément et sans doute devant les États-Unis. Les tournages à grande vitesse et petit budget s'enchaînent et, faute d'un réseau de salles, Nollywood réserve ses créations au marché vidéo. Tarif: quelques euros le DVD.

Je n'ai pas de chiffres précis et actuels à donner, mais je sais toutefois qu'une des difficultés du cinéma africain tient aussi au fait qu'il n'y a pas toujours les infrastructures nécessaires à sa diffusion. Les situations sont hétérogènes, mais certains pays souffrent d'importantes carences en salles, quand ces dernières ne sont pas purement inexistantes ! Un important défi de développement culturel.

Sorti sur nos écrans mercredi, Difret est le dernier film africain arrivé sur le sol français, signé du cinéaste éthiopien Zeresenay Mehari. Produit par Angelina Jolie, il raconte l'histoire vraie d'une adolescente kidnappée et fait polémique, la véritable victime s'estimant "volée". Sauf oubli ou imprévu, j'ai l'impression qu'aucune autre production d'Afrique n'est annoncée dans les cinémas de France d'ici fin 2015...
 
----------
Une petite précision pour finir...
Je suis plus que preneur de tous vos - bons - conseils en la matière ! Les deux photos que j'ai choisies pour illustrer cette chronique viennent de films encore récents: Un homme qui crie et Timbuktu. Pour une Afrique de pacotille et vintage, vous préférerez Mogambo...

jeudi 9 juillet 2015

Partir...

Les chiffres sont énormes: 137.000 personnes ont traversé la mer Méditerranée au péril de leur vie au cours du premier semestre 2015. 1.867 d'entre elles sont décédées. Pour ne pas complètement fermer les yeux sur cette tragédie, j'ai tenu à regarder La pirogue, un film que j'avais raté au cinéma et que j'ai donc rattrapé sur Arte. Je veux dire aussitôt qu'il est l'oeuvre d'un cinéaste sénégalais: Moussa Touré.

Ils auraient dû être dix et se retrouvent finalement une trentaine. Depuis la côte atlantique de l'ouest de l'Afrique, des hommes embarquent à bord d'un bateau et mettent le cap vers l'Eldorado européen. Baye Laye, leur capitaine de fortune, est monté à bord contre son gré, pour préserver un ami de cette responsabilité écrasante. La pirogue ne fait pas de détour: les adieux aux familles sont vite expédiés et l'essentiel du métrage se concentre de ce fait sur les mille et une péripéties susceptibles de contrarier la volonté des migrants. Particulièrement immersif, le film montre un aspect presque toujours négligé des commentateurs: ce type d'expéditions associe parfois (souvent ?) des gens sans trop de points communs. J'ai trouvé intelligent de montrer un groupe de plusieurs nationalités.

Tout est dit en moins d'une heure et demie. Si l'essentiel de l'action se déroule en mer, Moussa Touré n'oublie pas tout à fait la terre. D'ailleurs, pour être respectueux de sa vision, je devrais même parler DES terres, puisqu'en route vers l'Europe, le réalisateur n'efface jamais l'Afrique. La conclusion de son film jette d'ailleurs un pont entre les deux continents, dans le sens du retour forcé vers le point de départ. La beauté de La pirogue tient selon moi au fait qu'il s'agit de cinéma et pas juste de politique. Bien sûr, les diverses situations exposées nous obligent à prendre acte de la complexité de la réalité, mais rien n'est asséné, en dépit même des données statistiques rappelées avant le générique de fin: à chacun dès lors d'y repenser selon ses propres valeurs. Le tout dernier plan est assez saisissant...

La pirogue
Film franco-sénégalais de Moussa Touré (2012)

Le film a été présenté à Cannes, en sélection Un certain regard. Plusieurs autres longs-métrages pourraient vous intéresser si le sort des migrants vous fait réagir, tels qu'Eden à l'ouest ou Harragas. Parce que cette question est universelle, je vous recommande aussi de jeter un oeil (ou deux) sur Rêves d'or - La jaula de oro. Je note que Moussa Touré a évoqué "une claque à ceux qui nous gouvernent".