lundi 31 mai 2010

Clint for ever

Vous avez remarqué ? Depuis quelques semaines, le compteur du blog s'est un peu emballé. Il est vrai que je me suis fait un peu de pub dernièrement, mais je crois aussi que les visites d'un petit robot détraquent un peu la machine. Qu'importe: même si le compte m'apparaît un peu faussé, je trouve que c'est une belle coïncidence que de vous parler de Clint Eastwood au moment où je passe la barre de 10.000 visites. J'avais de toute façon l'intention de le faire aujourd'hui. Pourquoi cela ? Tout simplement parce notre homme fête en ce lundi ses 80 ans. L'admiration que j'ai pour lui alimente cette (courte) rétrospective de sa carrière. Huit films, huit photos.

Certes, ce n'est pas très original mais Clint Eastwood, pour moi, c'est d'abord et depuis longtemps le fameux Blondin dans Le bon, la brute et le truand. Même si j'ai laissé passer une vraie belle occasion cette année, je ne désespère pas de revoir cet immense classique signé Sergio Leone sur grand écran. Il faudra bien aussi qu'un jour, j'en parle ici de manière un peu longue. Ce qui est clair, c'est qu'il est à mon égard totalement addictif. J'ai la cassette vidéo et les DVDs, version cinéma et version longue (saccagée par Warner !). J'ai aussi l'habitude d'en regarder au moins un petit bout à chaque rediffusion télévisée. Lors du dernier visionnage intégral, je me suis d'ailleurs rendu compte que j'avais occulté quelques détails. Heureux constat que voilà: je découvre encore des choses dans mon film-culte. Pourvu que ça dure ! Et en tout cas, pas l'intention que ça cesse...

En comparaison, c'est tardivement que j'ai découvert Un frisson dans la nuit. Ce thriller est le tout premier film de Clint Eastwood réalisateur. Il a été tourné en 1971, époque à laquelle la star n'hésitait pas à cumuler les fonctions, devant et derrière la caméra. Il est à noter qu'avant d'imposer un personnage d'homme intraitable, ce bon vieux mâle apparaît ici comme un être pour partie vulnérable. Dans ce coup d'essai formellement très réussi, il est même l'incroyable victime... d'une femme. D'abord enjôleur et donc très sûr de lui, il devient finalement très vite dominé et pour tout dire menacé quand la créature qu'il séduit s'avère une pure psychopathe. D'emblée, presque à contre-emploi, le héros montrait ses failles.

C'est beaucoup moins flagrant quand il incarne L'inspecteur Harry. Je vous l'avoue: j'ai eu beaucoup de mal à accepter ce personnage. Quand j'étais plus jeune, enfant ou ado, je le trouvais même franchement détestable. Disons toute la vérité: ça ne s'est d'ailleurs pas beaucoup arrangé. Ce qui a changé, en revanche, c'est que j'ai pris un peu de recul et que j'entends moins le propos de cette série de films au tout premier degré. Je me souviens qu'eux aussi datent du début des années 70, époque où l'Amérique était très différente de ce qu'elle est aujourd'hui. Depuis, Clint a changé, lui aussi. Reste donc ce personnage: Harry Callahan m'apparaît désormais en figure archétypale de son époque. Antipathique, peut-être, mais à sa place dans le contexte. Et dès lors beaucoup moins choquant qu'il n'a été.

Doux, dur et dingue ! Combien de fois ai-je écouté les répliques d'Eastwood dans ce film ? Un nombre incalculable, sans doute. Ado juste sorti de l'oeuf, je trouvais les vannes de ce drôle de film franchement bien senties, au point même d'en avoir enregistré quelques-unes sur mon ordinateur. Le paradoxe, c'est qu'aujourd'hui, je ne me souviens que de très peu de choses vraiment précises quant au long-métrage lui-même. Je me rappelle que le héros acceptait fort mal de se faire enquiquiner par une bande de motards, les Veuves noires. Extrait: "Tu sais que ces petites veuves noires tuent plus d'monde chaque année que les serpents à sonnette ? C'est pas vrai ? Oui, c'est vrai !". Le reste s'est totalement effacé de ma mémoire. Sauf Clyde, bien entendu, l'orang-outan qui tient lieu de second rôle. De quoi rire ? Pas sûr. Tenez-vous bien: sorti en 1978, ce film proche du nanar est resté pendant 14 ans le plus grand succès de Clint !

C'était avant la sortie d'Impitoyable, en 1992 donc. Avec ce western, je crois que Clint a définitivement tourné une page. Vous pourrez sans doute lire un peu partout qu'il y a là le crépuscule du genre, mais je dirais pour ma part que le revirement va même au-delà. Impliqué sur tous les fronts, acteur, réalisateur et producteur, Eastwood signe pour moi le film de la maturité. Je pense sincèrement pouvoir dire qu'il y a un avant et un après: par la suite, c'en sera fini des rôles caricaturaux de dur à cuire, et définitivement me semble-t-il. Certes, il arrivera encore que le vieux cow-boy dégaine un flingue, mais jamais plus il ne donnera entièrement raison à la justice expéditive. C'est peut-être bien depuis ce changement qu'il a définitivement pour moi endossé les habits du monstre sacré.

Tout ça préfigure le Walt Kowalski de Gran Torino. Quand j'ai découvert ce film-là, j'ai en tout cas eu le sentiment que Clint était parvenu au bout de son propre chemin de rédemption. Je ne sais évidemment pas si l'avenir me donnera raison, mais je lui laisse tout le temps d'en décider, en notant que la prochaine livraison eastwoodienne, censée être un long-métrage fantastique, pourrait bien conforter ma théorie. En tout cas, dans ce qui est encore aujourd'hui la dernière en date, je crois qu'on retrouve beaucoup d'éléments de l'homme qu'est devenu le réalisateur aujourd'hui. Et c'est présenté avec classe, en offrant une dernière apparition face caméra. Sans doute un peu ébloui, je dois dire que j'en ai oublié d'apprécier le travail des autres acteurs. Partie remise, évidemment. Mais je n'avais pas rêvé plus belle fin pour leur maître à tous...

Et maintenant ? Je suis heureux d'avoir encore l'occasion de découvrir d'autres pièces du puzzle Clint. Je n'ai vu qu'une partie de ses films, peut-être même pas la majorité. Il y en a encore beaucoup de bons qui m'attendent au détour d'un canapé et, je l'espère, quelques-uns aussi d'un fauteuil de cinéma. Lequel sera le premier ? Je ne sais pas encore. Peut-être bien Sur la route de Madison, dont j'ai juste vu une petite partie il y a quelques années, mais que je n'ai jamais pu savourer en entier. Il attend sagement sa place dans ma collection, avec quelques autres dont je reparlerai ici tôt ou tard. Patience. J'imagine que ce sera encore meilleur après avoir tant attendu.

Et puis, comme je l'évoquais à l'instant, Clint est toujours actif. Cette dernière photo a été prise sur le tournage du superbe Lettres d'Iwo Jima, le dernier de ses films qui m'a réellement bouleversé. Depuis, je me suis promis de ne plus rater la moindre de ses oeuvres en salles: j'espère qu'il y en aura encore beaucoup. Je repense souvent à ce jour où, récipiendaire d'un prix, il avait souri et promis à la foule que nous n'en avions pas terminé avec les Eastwood, citant non pas ses fils mais... sa mère, toujours bien vivante au moment du discours. Je ne sais pas si elle l'est toujours aujourd'hui, mais c'est possible: l'anecdote date d'il y a seulement quelques années. Souhaitons donc au héros du jour la même épatante longévité !

dimanche 30 mai 2010

Souvenirs palmés

L'acteur américain Dennis Hopper est mort hier. Signer la nécrologie serait pour moi peu pertinent, tant mes lacunes dans sa filmographie sont énormes. Autant d'occasions d'y revenir. J'aimerais découvrir Easy Rider, sa première réalisation. Présenté à Cannes au printemps 1969, ce film-culte y avait reçu un Prix de la première oeuvre. Faute de vous en offrir d'emblée une analyse approfondie, je me propose de jeter un dernier regard rétrospectif sur la Croisette. Pour baisser le rideau sur cette édition 2010, j'ai eu aujourd'hui envie de revenir sur les quelques Palmes d'or que j'ai déjà eu l'occasion de présenter ici. Avant même Le ruban blanc il y a huit jours à peine, elles sont au nombre de huit. Précision: ce blog encore récent, toutes celles que j'ai déjà vues n'ont pas fait l'objet d'une chronique. Partie remise.

En attendant, la Palme la plus ancienne de ma filmographie affective date de 1964. C'est d'ailleurs franchement incroyable de constater que Les parapluies de Cherbourg approchent de leur demi-siècle ! Bien sûr, dans son intrigue sur fond de guerre d'Algérie, le film écrit par Jacques Demy a quelque chose de daté. Je dirais qu'à mes yeux, plutôt que de le plomber, cet état de fait le rend encore plus fort. Cette histoire d'amour impossible entre deux adolescents corsetés dans les conventions de leur temps est, je trouve, d'une beauté impérissable. C'est sans aucun doute l'un des plus beaux mélodrames qu'il m'ait été donné de voir... et d'entendre, bien sûr, puisqu'il s'agit d'un des fameux films "en chanté" de son auteur. Catherine Deneuve y est juste fabuleuse, à seulement 21 ans. Chronique du 7 juin 2009.

Dans un autre genre, mais en musique également, Que la fête commence est peut-être bien ma Palme préférée. Ici, chorégraphies et chants n'ont rien d'inattendu. Flash-back en 1980: le héros du film est un dénommé Joe Gideon, producteur de spectacles à Broadway. Sans être exactement une comédie musicale, l'oeuvre de Bob Fosse est troublante en ce qu'elle a quelque chose d'autobiographique. Jusque dans l'allure qu'il a donnée à Roy Scheider, le réalisateur s'inspire de sa propre personne. Le destin du cinéaste finira d'ailleurs, quelques années plus tard, par rejoindre totalement celui de son personnage. Mélodramatique aussi, tout à fait seventies, mais franchement emballant. Chronique du 30 octobre 2008.

Je l'évoquais jeudi: en 1996, le Festival récompensait une oeuvre poignante signée Mike Leigh, Secrets et mensonges. Le scénario repose sur un improbable point de départ: une femme noire retrouve sa mère... blanche. Rien ne se fait sans tiraillements, bien entendu. C'est pourquoi, au grand talent du réalisateur, il fallait sans doute ajouter le génie d'interprétation de quelques acteurs. Une association d'artistes qui fonctionne ici, la Grande-Bretagne nous envoyant alors un nouveau digne représentant de sa belle école socio-réaliste. Précisons que cette rude histoire s'achève également sur un message qui ressemble à de la tendresse. Il y a donc de l'espoir et également beaucoup de plaisir à portée de vue. Chronique du 6 juin 2008.

Bien sûr, il arrive parfois que Cannes consacre un cinéma "exigeant". C'est sans aucun doute ce qu'a fait le jury de 1997, que présidait Isabelle Adjani et dans lequel siégeait déjà un certain... Tim Burton ! Deux Palmes d'or cette année-là: Le goût de la cerise du réalisateur iranien Abbas Kiarostami et, ex-aequo, L'anguille du cinéaste japonais Shohei Imamura. La première est sans doute l'un des films les plus "fermés" que je connaisse: cette déambulation d'un candidat au suicide sur les collines de Téhéran tient de l'errance et, pas inintéressante pourtant, doit certainement en égarer quelques-uns sur le bord de la route. Quant à sa co-lauréate, certes un peu plus accessible, elle s'intéresse à un homme libéré de prison, reconverti coiffeur, et dont le seul vrai compagnon est un poisson. Curieux, pas tout à fait nébuleux, donc, et incontestablement digne d'être regardé. Chroniques du 26 décembre 2008 et du 14 octobre 2007.

Que Lars von Trier ait été couronné en 2000, c'est pour moi justice. D'une noirceur sans faille, Dancer in the dark est également un film d'une très grande valeur à mes yeux. De ce que j'en connais, je crois simplement qu'il faut être "préparé" pour découvrir le réalisateur danois et son travail. Sa faible condition psychologique s'illustre ici clairement: l'histoire de cette ouvrière qui perd progressivement l'usage de ses yeux et continue de travailler pour financer l'opération de son fils est glauque au possible. Il n'en reste pas moins qu'elle est aussi d'une implacable efficacité dramatique et que le long-métrage est de ceux qui me scotchent à l'écran. Avec Björk dans le rôle principal, le tournage a paraît-il été un enfer: au bout, il y a un chef d'oeuvre - ou ce qui y ressemble. Chronique du 16 janvier 2008.

Coïncidence ou écho ? L'année suivante, en 2001, Cannes célèbre l'Italien Nanni Moretti pour un autre film qui parle de la relation parent-enfant. La chambre du fils va au-delà et suit la (sur)vie d'une famille après la mort accidentelle d'un de ses membres. Alors ? Simple tire-larmes pour les uns, bombe émotionnelle pour les autres, le long-métrage ne fait certes pas l'unanimité. Je le trouve, moi, merveilleusement interprété, par son auteur bien sûr, mais également par le reste de la distribution. C'est un peu dur assurément, mais tout sonne juste et peut inévitablement rappeler de sombres souvenirs. C'est sûrement là que réside l'un des mérites de l'entreprise: permettre à chacun de faire le point - et la paix - avec sa propre mémoire. Chronique du 26 février 2010.

Dernier extrait de ce palmarès: Farenheit 9/11, palmé en 2004. Surprise sur la Croisette: le film primé est un long-métrage documentaire, ce qui n'était plus arrivé depuis Le monde du silence de Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle en... 1956 ! Le choix qu'effectue le jury présidé par Quentin Tarantino détone. Le fait-il seulement agréablement ? Chacun jugera. Je ne suis pas convaincu que le travail du trublion Michael Moore conserve toute sa pertinence au fil des années. Ce qui est sûr, c'est que le journaliste que je suis a une certaine admiration pour celui qui ose poser certaines questions gênantes. Je suis un peu plus embarrassé par ce qui tient parfois d'un militantisme de bas étage, une méthode assez similaire à celle qu'elle dénonce. L'autre question, c'est: est-ce là du cinéma ? Sûrement, puisque ça a été conçu pour une projection en salles. Voire, parfois, censuré comme tel. Chronique du 8 décembre 2007.

jeudi 27 mai 2010

Peines perdues

Une bonne nouvelle, d'abord: Jafar Pahani a été libéré. Le réalisateur iranien a été autorisé à quitter sa prison mardi, soit deux jours après que le jury cannois a délibéré... sans lui. Le palmarès aurait-il été différent en sa présence ? On ne le saura jamais. Il faut néanmoins se réjouir de cette info - tout en restant lucide sur le fait qu'il est toujours très difficile de faire du cinéma au pays d'Ahmadinejad. Cela étant dit, comme le titre de ma chronique l'indique et ainsi que je l'ai annoncé ici même lundi, je veux revenir sur les films repartis bredouilles de ce 63ème Festival de Cannes. L'occasion d'en dresser un bilan dans l'autre sens, en quelque sorte.

Le plus notable pour 2010 ? C'est difficile à dire. Une certitude toutefois: Another year, de Mike Leigh, était favori pour la Palme. Au final, le réalisateur britannique rentre chez lui sans Prix, mais impossible d'oublier qu'il avait déjà été consacré, et ce dès 1996. Quant à son nouveau film, il évoque paraît-il la vie d'un vieux couple tout au long d'une année. Je pense que ça peut être intéressant. Touchant, même. Deux raisons qui devraient sûrement m'encourager à aller le voir "malgré tout" quand il sortira en France. Et la date ? Elle n'est pas encore annoncée. Je vais surveiller ça, si je peux.

Autre Britannique couronné à Cannes (cette fois en 2006), Ken Loach ne fera pas non plus le doublé, pas cette année en tout cas. Rappel pour ceux qui auraient loupé le début: son Route Irish avait été sélectionné en compétition à la toute dernière minute. Ce n'est sûrement pas ce qui a compromis ses chances: je lisais dernièrement un article qui expliquait qu'au contraire, certaines oeuvres arrivées sur la Croisette juste avant le coup d'envoi du Festival en étaient reparties primées. Là encore, et toujours dans l'attente d'une date pour la sortie en salles, je n'exclus pas de découvrir le film, qui parle de la guerre en Irak. Vous l'aurez compris: le réalisateur fait donc visiblement un retour au drame social. Son genre de prédilection.

Doug Liman, lui, est américain. Sa caractéristique: avoir été le seul de ses compatriotes à avoir brigué la Palme cette année. C'est raté une fois encore: Fair game n'a pas convaincu le jury. Lui aussi parle du conflit irakien, mais, d'après une critique que j'ai pu lire, il n'est qu'à peine sauvé par ses vedettes, Naomi Watts et Sean Penn. Notons au passage que la première a apporté l'une des rares touches glamour d'une édition du Festival a priori assez pauvre en stars. Quant à son partenaire, il était même resté aux States pour monter une opération humanitaire en Haïti. Pas de regret à avoir, du coup.

Côté français, parmi les films qui ont défrayé la chronique cannoise et qui repartent sans rien, il y a Hors-la-loi, de Rachid Bouchareb. Personnellement, je vous le dis tout de suite: il est plus que probable que j'aille le voir à sa sortie - programmée le 22 septembre prochain. Pour peu que vous ayez un peu suivi le Festival, j'ai alors beaucoup de mal à imaginer que vous soyez passés à côté de la polémique née autour de ce long-métrage. Son scénario suit les pas de trois frères sur fond de guerre d'Algérie. Vilipendé par une partie de la droite azuréenne et conspué par les censeurs réclamant l'interdiction immédiate de toute projection, il paraît que le film n'en est pas moins une belle réussite. Réponse à l'automne, ce qui pourrait ouvrir le débat sur la délicate question des représentations artistiques.

D'ici là, peut-être que j'aurais vu La marquise de Montpensier, nouveau film de Bertrand Tavernier. Plusieurs raisons m'y poussent: 1) le fait que ce soit un film en costumes, 2) le constat additionnel qu'il se tourne vers l'une des périodes qui m'intéressent particulièrement dans l'histoire de France (la fin du 16ème) et enfin 3) le respect que je porte au réalisateur, artisan et fin connaisseur du cinéma au sens très large. Autre source d'intérêt pour ce film d'après moi: sa distribution, portée par quelques jeunes comédiens qui commencent à se faire une place dans le paysage du septième art français, à l'image de Gaspard Ulliel ou Grégory Leprince-Ringuet, par exemple. Je ne parle pas de Mélanie Thierry: elle ne me fascine pas. Toutefois, ça ne m'empêchera probablement pas de lui donner une nouvelle chance. Ne jamais rester sur une idée toute faite.

Pour finir, je changerai de continent et vous dirai juste deux mots sur Outrage, du réalisateur japonais Takeshi Kitano. Spécialiste connu et reconnu des films de yakuzas, consacrés donc aux mafias nippones, le cinéaste a semble-t-il déçu avec cet opus, sans saveur ni odeur autre que celle du sang. Si ce que j'ai entendu est vrai, il y a bel et bien ici beaucoup d'hémoglobine, mais pas grand-chose d'autre. Il est clair en tout cas que ça n'a pas plu aux festivaliers. Pas de quoi hypothéquer une sortie en France, peut-être, mais disons simplement que l'exposition cannoise du projet ne lui a pas fait beaucoup de promo. On verra si le grand public voit les choses autrement: il faut admettre que ce ne serait pas la première fois.

lundi 24 mai 2010

Une Palme asiatique et...

Et voilà ! Comme souvent par le passé, le Festival de Cannes accouche cette année encore d'une surprise: l'attribution de la Palme d'or à un film qui n'était pas le favori des pronostics, Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures. Célébré hier soir, le nouveau roi de la Croisette est un Thaïlandais dont on a beaucoup dit depuis deux semaines qu'il avait un nom imprononçable: Apichatpong Weerasethakul - je me suis un peu entraîné, on y arrive, en fait. Un artiste relativement jeune: il aura 40 ans le 16 juillet prochain. Au palais des Festivals, l'intéressé a remercié "les esprits et fantômes" qui l'ont entouré et permis d'être là. Est-ce pour ce côté fantastique que le jury de Tim Burton a décerné au film asiatique la suprême récompense ? Mystère. Personne ne le sait, si ce n'est bien sûr les jurés eux-mêmes. Hier soir et ce matin, cette décision est en tout cas diversement accueillie. Un élément de fait: c'est la première Palme asiatique depuis treize ans. D'un avis à l'autre, Le Monde semble devoir défendre ce choix, tandis que Le Figaro n'hésite pas à parler franchement... de Palme de plomb ! La seule chose que je puisse ajouter pour l'instant, c'est que mes confrères ont une longueur d'avance sur moi à ce jour: eux ont vu le film et doivent donc pouvoir en juger plus objectivement. Enfin, disons que c'est à espérer...

Oncle Boonmee, celui qui se souvient de ses vies antérieures nourrira certainement les accusations de ceux qui affirment régulièrement que Cannes se coupe volontairement du grand public. Si je trouve l'assertion sévère, voire injuste, la (grande) diversité des productions présentées sur la Croisette fait que l'on tombe effectivement parfois sur des films assez pointus, ce que semble être celui-là. Je me réjouis toutefois du fait que Cannes soit d'abord un rendez-vous international, ce qui permettra - en tout cas à celles et ceux qui le souhaitent - de découvrir donc une oeuvre thaïlandaise. Son héros est un homme sur le point de mourir d'insuffisance rénale, qui retrouve alors le fantôme de sa femme, ainsi que son fils disparu réincarné en singe. Bon, évidemment, dit ainsi, ça ne s'annonce pas follement divertissant. Notez d'ailleurs qu'hier, lors de la cérémonie, le journaliste de Canal+ indiquait qu'avant Cannes, le film n'avait toujours pas trouvé de distributeur en France ! Apichatpong Weerasethakul soulignait qu'étant donnée l'actualité de son pays, il avait eu des difficultés à arriver sur la Côte d'Azur. Je note aussi que, pour ce qui est de son travail, il n'a imposé aucune grille de lecture. "Je pense avoir fait un film très libre, ouvert. Chacun doit pouvoir l'interpréter selon ce qu'il ressent". Pareille invitation se refuse-t-elle ? Pas tout à fait, me semble-t-il...

En bref maintenant, passons aux autres principaux lauréats. Pressenti pour la Palme, le François Xavier Beauvois hérite finalement du Grand Prix. Belle consolation. La qualité de son film semble en tout cas faire l'unanimité. Sous un titre que d'aucuns jugent tout de même un peu pompeux, Des hommes et des dieux évoque le destin des moines de Tibhirine, sauvagement assassinés lors de la guerre civile algérienne en 1996. Lambert Wilson y est paraît-il magnifique, accompagné notamment de Michael Lonsdale, jadis porteur de soutane chez Jean-Jacques Annaud. Je constate que, sur une thématique voisine, ce film a fait beaucoup moins de bruit que l'un de ses concurrents cannois. J'y reviendrai bientôt.

Un élément intéressant du palmarès 2010: le Prix du jury a été attribué à Mahamat-Saleh Haroun, auteur de Un homme qui crie (n'est pas un ours qui danse) - titre-citation d'Aimé Césaire. Personnellement, je me réjouis de ce choix pour une chose: produit en France et en Belgique, ce film nous arrive surtout du Tchad. C'est le premier film africain retenu en sélection depuis treize ans (!). Quatrième long-métrage de son auteur, il évoque paraît-il le destin d'un sexagénaire, contrarié dans ses intentions de céder son emploi de maître-nageur à son fils, sur fond de guerre civile africaine. Toute ressemblance avec des faits réellement existant n'est pas fortuite. Faute de divertissement, voilà qui promet de nous ouvrir, dès le mois de septembre, une nouvelle fenêtre sur le monde...

Dans une moindre mesure, ce sera peut-être aussi le cas de Poetry. Le film de Lee Chang-dong a reçu le Prix du scénario. Pour l'instant, sur la base de ce que j'ai pu entendre ces dix derniers jours, c'est peut-être le long-métrage retenu en compétition qui m'attire le plus. Là encore, pas question de rigoler: femme de ménage le jour, poétesse la nuit, l'héroïne du film est surtout une petite grand-mère décidée à donner un sens aux derniers jours de son existence. L'un de ses buts: remettre enfin son petit-fils dans le droit chemin. Quelque chose en moi fait confiance au cinéaste coréen pour ne pas transformer cette histoire en simple tire-larmes, style hollywoodien. Nous verrons cela... quand le film aura une date de sortie !

Signé du talentueux Mathieu Amalric, Tournée pourrait bien être l'un des premiers long-métrages que je verrai après Cannes. Patience encore: il sort à la fin du mois de juin et raconte le parcours chaotique d'un producteur de spectacles raté, exilé temporaire finalement revenu en France pour y monter une revue de strip-tease. Cela pourrait sûrement paraître glauque, mais j'ai cru comprendre également que c'était aussi tendrement drôle. On tranchera donc cette non-controverse en salles. J'ai au moins appris quelque chose: Mathieu Amalric, que j'ai repéré et identifie comme acteur, n'en est pas à son premier tournage derrière la caméra. Le film ici présenté est même... son quatrième ! Hier, heureux, il suggérait d'ailleurs que réalisateur était son vrai métier de cinéma. Dont acte.

Il fallait être curieux et bien chercher pour trouver la Caméra d'or 2010: son récipiendaire, le... Mexicain Michael Rowe, ne briguait pas la Palme d'or. Il me faut rappeler ici que le trophée qu'il a reçu récompense l'auteur d'un premier film et que le champ des possibles s'étend également aux sélections parallèles. Fort logiquement, il est d'ailleurs remis par un jury tout à fait indépendant, présidé cette fois par l'acteur et réalisateur espagnol Gael Garcia Bernal. Le lauréat 2010 - Année bissextile - se cachait dans la sélection de la Quinzaine des réalisateurs. Il raconte l'histoire d'une passion entre une femme mexicaine et son amant australien. Ceux qui l'ont vu parlent aussi d'une intrigue autour d'un passé enfoui, mais je n'en sais pas beaucoup plus pour le moment. Ce sera (peut-être) à voir...

Le prix d'interprétation féminine ? Il est revenu à Juliette Binoche, pas très à l'aise au moment de livrer son discours de circonstance. Que retenir de Copie conforme ? Que c'est le seul film évoqué aujourd'hui que nous ayons déjà la chance de pouvoir découvrir, puisqu'il est sorti en salles. Qu'il est signé Abbas Kiarostami, cinéaste déjà couronné d'une Palme (c'était en 1997). Qu'au détour du portrait d'une galeriste florentine, il pose la question du rapport copie/original dans l'art. Que le premier rôle masculin y a été confié à un baryton anglais reconverti acteur. Ou, comme Juliette Binoche elle-même, qu'il s'agit donc d'un film iranien, tourné à l'étranger. Et surtout que, pendant ce temps, le cinéaste Jafar Pahani, invité comme membre du jury cannois, est toujours en prison à Téhéran...

Plus réjouissant, la décision de Tim Burton et consorts de décerner non pas un, mais bien deux Prix d'interprétation masculine. Une fois n'est pas coutume: le premier est revenu à un favori des médias, l'Espagnol Javier Bardem. Son rôle dans Biutiful, le nouveau film d'Alejandro Gonzalez Inarritu, m'attire encore vers cette proposition cinématographique: j'apprécie en tout cas son auteur et le crois capable de signer une nouvelle oeuvre poignante sur cet homme solitaire mêlé au trafic d'immigrés clandestins. Je dois en revanche admettre qu'avant hier, je n'avais pas entendu parler d'Elio Germano. Le comédien italien termine donc ex-aequo avec son confrère ibérique et nous tourne donc naturellement vers La nostra vita, film de Daniele Luchetti qui parle d'un homme, ouvrier confronté au deuil de sa jeune épouse. Comme vous le voyez, la Croisette n'a pas dû être très rieuse, cette année. Je n'ai pas tout à fait fini: je parlerai dans quelques jours de quelques films qu'elle a "laissés passer".

samedi 22 mai 2010

Avant la guerre

Ce soir, en attendant que le jury cannois décerne une nouvelle Palme d'or, je me suis dit qu'il serait bien de vous proposer une chronique du film couronné l'an dernier, Le ruban blanc. Je n'ai qu'un regret aujourd'hui: ne pas l'avoir découvert dans sa version originale allemande, ce qui l'aurait sans doute rendu (encore) plus saisissant. Tel quel, en français, ce long-métrage de l'Autrichien Michael Haneke m'a vraiment intéressé. Je ne dirai pas qu'il m'a plu: le mot serait probablement mal choisi pour cette oeuvre glaciale et controversée. Souvenez-vous: il y a un an presque jour pour jour, la Croisette accusait Isabelle Huppert de favoritisme après la consécration offerte à un réalisateur qui lui avait permis de décrocher le Prix d'interprétation. Avec le recul, tout ça me paraît un peu ridicule...

Une évidence: Le ruban blanc, ce n'est pas du cinéma divertissant. Est-ce du grand cinéma d'auteur ? Je ne sais. Ce qui est clair, c'est que l'histoire m'a "scotché". En résumé, le film nous conduit au Nord de l'Allemagne, au moment des moissons, au cours de l'année 1913. Le médecin d'un petit village est victime d'un piège: tombé de cheval à cause d'un câble tendu dans les jambes de sa monture, il reste hospitalisé de longues semaines. Pendant ce temps, et même après son retour, diverses choses bizarres surviennent dans le hameau: l'enfant du baron disparaît, une grange prend feu et des plantations sont ravagées. En général, l'auteur - ou les auteurs - du méfait demeure(nt) inconnu(s). Ce qui génère, pour les personnages comme pour le spectateur, un climat d'insécurité, virant à la paranoïa...

Et si les coupables étaient en fait... les enfants ? Je suis sûr que, comme l'instituteur "héros" du film, vous finirez par le penser. Sachez néanmoins que Michael Haneke ne vous offrira que très peu de raisons d'être sûr de quoi que ce soit. Le plus perturbant reste indubitablement que le réalisateur donne ponctuellement le beau rôle à certains de ses personnages, avant d'en révéler d'autres facettes plus troubles et d'inverser la tendance. Le ruban blanc est un film sombre, dont aucune figure n'est figée. Selon les circonstances particulières, les valeurs de chacun permettent aux uns ou aux autres d'apparaître tantôt anges, tantôt démons (sauf rares exceptions). Formellement, le fait d'avoir choisi de tourner en noir et blanc ajoute encore à une atmosphère ensorcelante. Je conçois que le résultat n'ait pas plu à tout le monde: pour ma part, je dois bien reconnaître que l'ensemble laisse en moi une empreinte et des réflexions, d'ailleurs pour la plupart inabouties. Le sentiment d'une fascination étrange: c'est toute l'ambivalence d'un projet parfaitement maîtrisé.

jeudi 20 mai 2010

Histoire de nombrils

Quelle chance: j'ai encore plusieurs films de Billy Wilder à découvrir ! Si certains d'entre vous n'ont encore rien vu du réalisateur américain, je les encourage vivement à réparer cet oubli dès que possible. Suggestion du jour: le faire avec Embrasse-moi, idiot, petit chef d'oeuvre d'humour sorti en 1964. L'intrigue est de plus savoureuses: Orville Spooner est un musicien raté, prof de piano à ses heures, dans un tout petit village perdu des Etats-Unis. Avec son copain Barney Milsap, garagiste de son état, il a écrit quelques chansons, mais n'a jamais trouvé personne de connu pour les interpréter. Or, un beau jour, Dino, un crooner très populaire, débarque en ville. L'occasion pour les deux compères de forcer la main à la chance ?

C'est effectivement sur cette idée que le film se lance. Et c'est parti pour deux bonnes heures de rigolade. Filou, Barney simule une panne sur la voiture du chanteur à la mode et encourage alors sa "victime" à squatter chez son copain Orville, dans l'espoir qu'elle y entende leurs créations communes et, d'un même élan, décide illico presto d'en acquérir les droits. D'abord réfractaire, le second larron se laisse convaincre de jouer la comédie, osant chasser sa femme du domicile conjugal... afin d'offrir une poule à son hôte imprévu. Vous l'aurez compris: pour faire rire, Embrasse-moi, idiot ne s'embarrasse pas de morale. Le film a choqué beaucoup de monde à sa sortie en salles. Plus de 45 ans plus tard, c'est sans aucun doute devenu un classique. Un de mes films-culte, en tout cas, irrésistible par bien des aspects.

Ses tenants exposés, je resterai muet sur ses aboutissants. J'insiste toutefois: s'il n'est pas l'extrait le plus connu de la belle filmographie de son auteur, le long-métrage est particulièrement sympathique. Effectivement, c'est une histoire de nombrils, comme je l'indiquais. Nombril des femmes, si attirant pour ces messieurs, et bien sûr nombril des hommes, que ces derniers aiment à contempler sans fin. Ces deux aspects de la question créent une dynamique ahurissante, qui fait que le scénario se déroule sans temps mort et, au contraire, avec moult rebondissements comiques. Embrasse-moi, idiot brille aussi par le talent de ses acteurs: Ray Walston et Cliff Osmond touchent au génie en losers, Felicia Farr épate en épouse dupée, coquine et revancharde. Dean Martin, lui, joue tout en autodérision et Kim Nowak attendrit en blonde pas si frivole que ça. Avant d'écrire cette chronique, c'était la deuxième fois que je découvrais ce quintet magique. Et un vrai bonheur, équivalent à celui de la toute première !

mardi 18 mai 2010

La course au trésor

Un monde fou, fou, fou, fou: même le titre est improbable ! Remarquez, les trognes de Terry-Thomas et de Buddy Hackett disent assez bien à quel point le film peut être cinglé. Tout commence bizarrement: si vous croyez que les routes américaines sont toutes droites, sachez que celle du début de l'histoire est au contraire tout ce qu'il y a de plus tournicotante. Danger ? Oui, car, tout juste quelques minutes après le générique, l'un de ses usagers est victime d'un accident. Parti dans le fossé et éjecté de son engin, il meurt avant même qu'il lui soit porté secours. Aux autres conducteurs venus essayer de le sauver, à peine a-t-il le temps de révéler l'endroit (encore assez lointain) où sont enterrés... 350.000 dollars !

Vu que le film date de 1963, comprenez qu'il s'agit d'une somme encore plus rondelette qu'elle ne l'est aujourd'hui. Pas étonnant alors qu'elle suscite les convoitises: sur le bord de la route tournicotante dont je parlais à l'instant, on retrouve donc toute une série d'individus ordinaires devenus prétendants au magot. L'option partage ? Elle fait long feu. Un monde fou, fou, fou, fou débute alors vraiment, en même temps qu'une véritable course-poursuite pour toucher le pactole. Une frénésie s'empare de chacun, d'autant plus immorale que l'origine des fonds est douteuse et, tiens donc ! que des policiers s'en mêlent... dans l'espoir - même pas dissimulé - de mettre eux aussi la main sur l'argent. Dès cet instant, le film, lancé sur des rails assez conventionnels, devient tout à fait débridé et particulièrement loufoque. En un mot comme en cent: jubilatoire !

Cinéphile nostalgique, moi ? Pas seulement. Il me paraît toutefois clair qu'aujourd'hui, personne ne tournerait plus une telle oeuvre. Entendons-nous bien: Stanley Kramer n'atteint pas la perfection absolue - dans le genre, je préfère d'ailleurs La grande course autour du monde, de Blake Edwards, film chroniqué ici l'année dernière. Le fait est pourtant qu'à condition d'accepter les pitreries d'une bande de personnages cupides, on s'amuse beaucoup à suivre leurs pérégrinations. La course au trésor est folle - et de fait le titre du long-métrage tout à fait bien choisi. Un délire de près de 2h30 ! Vous trouvez ça long ? Sachez qu'une version de 3h12 a été tournée et que ce n'est donc que le format "court" que je vous recommande de découvrir aujourd'hui. Un monde fou, fou, fou, fou est assurément l'un de ces films choraux à l'ancienne que j'affectionne tant: rien de franchement réaliste dans tout ça, mais c'est justement pour cela que tout fonctionne à plein régime et dans tous les sens ! Et ce jusqu'à la chute, au sens propre comme au sens figuré...

dimanche 16 mai 2010

Mémoire morte

Ce n'est pas un scoop: j'aime bien Albert Dupontel. Je suis l'essentiel de ses films avec intérêt. C'est pour lui que j'ai regardé Chrysalis, premier long-métrage d'un jeune Français, Julien Leclercq. Flic confronté à la mort de son épouse et partenaire, David consent péniblement à reprendre du service pour traquer le responsable, également coupable d'une série de meurtres. Son enquête l'amène finalement à découvrir une clinique privée un brin étrange, dirigée par une femme psychiatre un brin autoritaire, le professeur Brügen. Il y sera notamment question de mémoire effacée, mais chut ! Maintenant, pas un mot de plus ! Sachez simplement que l'intrigue prend place dans un Paris futuriste, qu'on pourrait situer vers 2025.

C'est de fait sur cet aspect science-fictionnel que le film se démarque du commun des policiers français. Auteur d'un court-métrage tourné autour d'un univers équivalent, Julien Leclercq a paraît-il bénéficié d'un budget de 8,7 millions d'euros pour le format "longue durée". Précision: tout entre en moins d'une heure trente, malgré tout. Maintenant, que dire ? Visuellement, Chrysalis tient la route. Côté casting, ça va aussi, les rôles sont assez bien joués: Albert Dupontel entraîne avec lui une série de personnages secondaires intéressants. Le problème, c'est que le scénario m'a semblé un peu confus. Difficile de s'y retrouver dans une intrigue un poil sordide et alambiquée. L'image, c'est bien, mais l'idée, c'est mieux, vous ne croyez pas ?

Ce qui m'a beaucoup surpris aussi, c'est la violence du film. Polar oblige, je m'attendais évidemment à quelques scènes d'action musclées et à 2-3 échanges de coup de feu. Sur ce point, bingo ! D'emblée, on est servi, avant même que le générique de début ait fini de se dérouler. Une partie du problème est là: Julien Leclercq semble avoir privilégié la forme au fond. D'un point de vue graphique, Chrysalis est donc une réussite. Les colorations grisâtres du métrage lui donnent l'allure glauque qui correspond à ses enjeux. Le reste m'a déçu: je ne suis pas parvenu à "entrer dedans". Et même si, une fois encore, je souligne qu'Albert Dupontel n'a pas hésité un instant à payer de sa personne. Pour ça, chapeau l'artiste !

vendredi 14 mai 2010

Ses vies antérieures

Je pose la question franco: Gérard Depardieu est-il un homme bien ? J'en doute, pour tout dire. J'ai en mémoire l'image de son intrusion sur la scène des Césars 2004 et sa fille Julie, hagarde, parlant de lui comme d'un fardeau auquel elle était désormais "habituée". Malaise. Cela étant dit, il me paraît difficile de nier le talent du comédien, sans doute l'un des plus grands acteurs que la France ait vu naître. Ses choix artistiques, aussi diversifiés que surprenants, lui offrent des rôles changeants, qu'il endosse, sinon avec la même réussite, disons au moins avec une conviction sans cesse renouvelée. C'est bien ce qui fait - entre autres - qu'il me surprend encore et que j'ai une certaine admiration pour lui. Et c'est d'abord parce qu'il en est l'interprète principal que je suis allé voir Mammuth l'autre dimanche.

Le Gérard Depardieu des toutes premières scènes du film m'a fait penser au Mickey Rourke de The wrestler (archive du 20 mars 2009). Même situation sociale misérable, même boulot sans perspective autre qu'un salaire minable, même impression au fond d'avoir laissé filer la vie sans l'attraper vraiment. Serge Pilardos part à la retraite. Le pot de départ qu'organise son patron a des allures d'enterrement. Alors qu'un contremaître annone en lisant son discours, les collègues ont déjà entamé le buffet et l'écoutent d'une oreille tout en mangeant des chips. Le héros du jour repartira avec un puzzle et sans certitude du lendemain. Face aux demandes insistantes de sa femme (magnifique Yolande Moreau !), il remontera sur sa vieille moto. Objectif: récupérer, à droite et à gauche, les nombreux justificatifs qui lui manquent pour toucher sa pension. Débute alors ce qu'il faut bien appeler un road-movie, un retour vers ses vies antérieures.

La route, pour Depardieu-Pilardos, c'est évidemment la rencontre avec les autres. Le souvenir du temps passé, aussi, d'une jeunesse enfouie en lui et qui, soudain, remonte à la surface comme la force des choses. Le personnage le plus étonnant de cette drôle d'histoire est sans doute celui qu'incarne Isabelle Adjani, ex-petite amie décédée dans un accident de moto, symbole lointain d'un destin pathétique et qui aurait pu être tout à fait différent. Mammuth prête à sourire, mais on ne rit jamais aux éclats: c'est un humour grinçant que développent les deux co-réalisateurs, Gustave Kervern et Benoît Delépine, trublions télévisuels et citoyens du Groland. Malgré tout, et de manière à vrai dire assez surprenante, il y a aussi une certaine tendresse, dans cette histoire. Les retrouvailles du "biker" avec une nièce oubliée - et jouée par Miss Ming, comédienne autiste - sont remarquables. Sombres au départ, le film et son personnage avancent vers la lumière. La fable est granuleuse, tourmentée, mais finalement optimiste. Et ça, oui, ça fait du bien.

jeudi 13 mai 2010

Cannes, enfin !

Le journaliste cinéphile se repose. Ascension oblige, j'ai même pu m'offrir un week-end prolongé et j'ai, hier soir, lâché mon stylo jusqu'à lundi matin. Peut-être que dans quelques années, j'arpenterai les coulisses du Festival de Cannes. Sa 63ème édition s'est ouverte hier: la photo que j'ai choisie vous montre - à distance respectable - une partie de jury. Tim Burton, président, est deuxième en partant de la gauche. Sur le tapis rouge, on retrouve les stars d'hier soir, Cate Blanchett et Russel Crowe, venues ensemble présenter le film d'ouverture: le très attendu Robin des bois. C'est décidé: j'en fais ma prochaine sortie cinéma. J'en reparlerai donc... prochainement.

Kététakan ! On dirait du japonais, mais c'est juste du français désarticulé. "Cate est à Cannes", dirais-je, si toutefois la présence de la comédienne australienne sur la Croisette ne m'enthousiasmait pas tant. J'ai déjà eu l'occasion de dire ici tout le bien que je pense d'elle et me réjouis d'avoir quelques-uns de ses films à découvrir encore, à commencer donc par Robin des bois. Je remarque alors qu'une fois de plus, Ridley Scott m'a pris au piège: pas inconditionnel de ce réalisateur, je suis attiré par sa nouvelle oeuvre, dont j'attends un grand souffle épique, de ceux qui savent nous emmener ailleurs deux heures durant. Rappelons également qu'il n'aura de toute façon pas la Palme d'or, le premier film présenté lors du Festival ne faisant jamais partie de la sélection officielle. En fait, les choses sérieuses commencent aujourd'hui, avec - entre autres événements et montées des marches - la projection de deux des 19 films en compétition...

lundi 10 mai 2010

La passion de Tom

Marc Webb attaque fort. Dans (500) jours ensemble, le réalisateur américain annonce d'emblée la couleur. Et c'est assez saignant ! Extrait: "Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé serait totalement fortuite. Surtout avec toi, Jenny Beckman. Salope". En interview, il paraît qu'il se débrouille toujours pour botter en touche au moment de confirmer l'existence de la fille en question, renvoyant à une page Facebook d'autant plus introuvable qu'il existe plusieurs demoiselles ainsi nommées sur le réseau social. Est-ce vraiment important, dans le fond ? Le cinéaste a sûrement trouvé là un bon moyen d'assurer sa promotion, certes un peu décalé, mais plus sympa que cynique. Le film est à l'avenant, je dois dire: pas mémorable pour des siècles et des siècles, mais suffisamment agréable pour passer une bon début de soirée. Je n'en attendais rien d'autre, et pas même le fin mot de l'histoire sur Jenny Beckman. Comme vous l'aurez sûrement déjà compris, le film parle d'une fille, qui s'appelle... Summer Finn. Collègue de travail, un garçon répondant au nom de Tom Hanson en tombe éperdument amoureux au premier jour de leur rencontre. Une liaison débute quelque temps plus tard, qui va durer... oui: environ la moitié de 1.000 jours.

Si je me lasse des comédies romantiques ? Non, pas encore. Attention ! Je tiens toutefois à signaler que (500) jours ensemble n'en est pas une. Enfin, pas seulement. Il y a une certaine fraîcheur dans cette histoire, non pas qu'elle soit d'une quelconque façon originale, mais parce qu'elle est traitée sur un ton assez nouveau. Les personnages sont vite campés: en tant que garçon, je dois admettre sans rougir que je comprends assez bien Tom craquant devant la jolie Summer. Zooey Deschanel, qui lui prête sa frimousse, est indéniablement sexy. Bien filmée par Marc Webb, la belle resplendit pendant presque tout le film, et surtout dans les moments où elle partage les sentiments de son Roméo (Joseph Gordon-Levitt). Ce qui retient l'attention dans tout ça, c'est le montage du scénario: en fait, le long métrage est rythmé par plusieurs allers et venues dans le temps. Très vite, dès le titre en fait, on sait que le couple n'ira pas très loin et que la rupture se profile à l'horizon. La question de savoir si elle aura bien lieu étant elle-même assez vite tranchée par l'affirmative, reste à s'intéresser à ces atermoiements du coeur sur pellicule. Très franchement, cela pourrait être monstrueusement cul-cul, mais non. La manière dont les événements arrivent à l'écran scotche au fauteuil et nous place toujours dans l'attente de la scène qui suivra. Joli coup ! C'était simple, mais encore fallait-il y penser !

Je ne suis pas sûr que, restitué dans l'ordre chronologique pur et dur, le scénario ait le même intérêt. Saluons donc ici l'audace artistique d'un (jeune) réalisateur qui a su donner ainsi une coloration inattendue à une intrigue somme toute relativement convenue. J'imagine que vous ne serez pas surpris si j'ajoute que le charme discret de (500) jours ensemble tient aussi beaucoup au talent déployé par ses interprètes principaux: la fille certes, mais le garçon est vraiment très juste lui aussi, dans un rôle de cocker un peu triste qu'un Bill Murray moins âgé n'aurait pas forcément renié. Comparons tout de même ce qui est comparable et ne nous hasardons pas encore à coller au film une référence trop haute pour lui. Tel qu'il est, il est tout à fait bien. Si j'avais un bémol à mettre, ce serait pour les rôles secondaires. Le héros a en effet quelques potes, tous plus ou moins de bon conseil sur l'attitude à avoir avec les nanas. Il faut bien dire qu'ils n'ajoutent pas grand-chose à la recette et que leur présence s'oublie vite. La petite soeur s'en sort mieux, mais ce qui peut franchement s'effacer moins rapidement, c'est la chouette bande originale, pleine de tubes absolument emballants. Ce n'est certes pas non plus la première fois qu'un film moderne de cette génération s'illustre par sa musique, mais c'est toujours plus agréable ainsi. Marc Webb a désormais pris la place de Sam Raimi pour tourner Spiderman IV. Il n'est pas certain que le résultat me plaise autant...

samedi 8 mai 2010

L'amour violé

Permettez-moi d'ouvrir cette chronique par des remerciements suivis d'une anecdote. Les remerciements sont pour mes parents, qui m'ont offert l'intégrale d'Eric Rohmer. L'anecdote, elle, explique pourquoi j'ai choisi d'inaugurer cette prestigieuse série avec La marquise d'O... (1976). C'est que j'avais déjà entendu parler de la nouvelle d'Heinrich von Kleist dont est issu le film. La personne qui m'a permis de la découvrir est lui-même artiste et entamera à la mi-novembre sa quatrième année aux commandes du bel Opéra de Monte-Carlo. Jean-Louis Grinda trouve que cette histoire ferait un très bon livret. La différence entre lui et moi, qui suis toutefois d'accord sur le fond, c'est que notre homme a la possibilité de commander une oeuvre lyrique inspirée de. Oeuvre que je pourrai apprécier l'an prochain.

Femme du 18ème siècle, La marquise d'O... est une noble italienne et la victime collatérale d'un des nombreux conflits de cette époque difficile. Veuve, elle vit chez ses parents et élève courageusement ses deux enfants. Son père est le chef de la garnison locale, contraint d'agiter le drapeau blanc devant l'avancée de troupes russes. C'est là que se joue le destin de la fille. Menacée par une petite bande d'obscurs soudards, elle est sauvée par un officier qui, lui-même troublé par sa beauté, profite de sa faiblesse soudaine pour la violer. Enceinte, cette femme respectable prend pour un homme de valeur celui qui est le responsable de son malheur et de sa déchéance. Baste ! Pas question pour moi d'en dire plus: je vous laisse découvrir le reste en vous indiquant juste que le scénario du film n'est pas aussi convenu qu'il peut le laisser croire en son commencement. Et comme il est assez remarquablement interprété, il y a là de quoi passer un bon moment pour les amateurs d'oeuvres en costumes.

Ce qui pourrait toutefois en dérouter certains, c'est le fait que le film a été tourné en allemand. C'est en effet outre-Rhin qu'Eric Rohmer a trouvé ses producteurs et notamment la complicité d'un certain Barbet Schroeder. J'imagine qu'on peut attribuer cette circonstance au fait que l'auteur de la nouvelle originelle était lui-même un citoyen de l'actuel Brandenbourg, Land mitoyen de la Pologne. Les cinéphiles noteront toutefois qu'une version française existe et qu'elle fut d'ailleurs supervisée par le réalisateur lui-même, qui confia notamment une voix à Suzanne Flon. Un autre détail, pour s'amuser cette fois: si La marquise d'O... a connu un certain succès, c'est peut-être parce qu'il décrocha le Grand Prix spécial du jury à Cannes, mais aussi du fait que certains spectateurs assez mal avisés l'ont pris pour la suite d'un célèbre film érotique ! Pour parler image, je salue l'excellent travail de photographie accompli par Nestor Almendros. Certains plans s'inspirent directement du travail de peintres contemporains des scènes présentées, Greuze, Füssli ou bien Ingres. Le résultat est là: c'est très franchement et simplement magnifique.

jeudi 6 mai 2010

Un Roméo de trop

Au programme de ce soir, une autre comédie romantique. Un modèle du genre. J'imagine qu'il vous aura été assez difficile de passer complètement à côté de la promo qui entoure L'arnacoeur, film français bien sympa qui vient de dépasser la barre des 3 millions d'entrées - chiffre que seuls 4 longs-métrages tricolores ont atteint en 2009, pour info. Toujours le même thème, donc, mais un tandem différent: cette fois, c'est une Vanessa Paradis simplement craquante et un très mâle Romain Duris qui sont réunis à l'écran. Tous deux sont irrésistibles, mais il serait sûrement injuste d'oublier aussitôt l'autre couple-vedette de l'histoire: Julie Ferrier et François Damiens sont tout bonnement excellents en seconds rôles. Mais n'allons pas trop vite en besogne et reprenons depuis le début: direction Monaco !

Juliette est une jolie jeune femme, oenologue à quelques jours seulement d'un somptueux mariage avec un jeune cadre dynamique de la haute société britannique. Les tourtereaux s'aiment à la folie. C'est là qu'intervient Alex. L'arnacoeur, c'est lui, évidemment. Payé par le père de la belle, et d'ailleurs en mal d'argent, il est missionné pour faire capoter la noce par tous les moyens. Un rôle qui semble taillé sur mesure pour le garçon, qui s'est fait une spécialité de briser les couples mal assortis. Or, c'est là que le bat blesse ! La demoiselle qui lui sert de cible cette fois-ci n'est pas malheureuse, au contraire. Notre French lover masqué est bien embêté: le voilà qui découvre des états d'âme au moment d'agir ! Une situation d'autant plus piquante qu'il affronte un autre os d'un beau calibre: la personnalité de sa supposée "victime", qui ne ressemble en rien aux oies blanches qui tombent généralement dans ses filets. L'infortuné manipulateur est pris au dépourvu. Comme une bombe qu'on aurait désamorcée...

Un peu cynique, puis plutôt transi, Romain Duris est très bon, inspiré dans les deux facettes de son personnage. La filmographie complexe du jeune comédien nous a déjà montré qu'il était à l'aise et crédible partout: il le prouve une nouvelle fois ici. En face, Vanessa Paradis est un peu plus effacée, mais ce n'est pas grave: au fond, cela cadre presque parfaitement au tempérament de cette fille sûre d'elle, mais ni capricieuse, ni autoritaire. Eux aussi remarquables, Julie Ferrier et François Damiens, donc, sont exactement dans le bon ton requis par leurs rôles d'acolytes du piégeur piégé, aux combines multiples. Les rebondissements du scénario leur offrent quelques scènes purement et simplement désopilantes. C'est à regret que je passe rapidement sur les autres personnages et notamment celui qu'interprète Helena Noguerra, copine nympho de l'héroïne: il y a là matière à quelques pitreries pas piquées des hannetons. L'arnacoeur est un vrai bon petit film, qui mérite amplement son succès public. Rien de très original, mais ce n'est pas tous les jours qu'on peut savourer un cocktail aussi frais et sincère au cinéma. Champagne !