mercredi 30 novembre 2016

Janine et Jeannette

Les chiffres ont leur vérité: ils me disent que je ne vois que très peu de films d'avant les années 50. Paradis perdu m'offrait l'opportunité rare d'en découvrir un de 1940, tout en ajoutant le nom d'Abel Gance à la liste des grands réalisateurs que je "connais". Je l'ai donc regardé avec un certain ravissement, même si son récit est très pathétique...

Dans le Paris de 1914, le hasard place sur la route de Pierre Leblanc, peintre et dessinateur, une toute jeune femme prénommée Janine. Elle est belle, résolument, naïve, évidemment, et il tombe amoureux, forcément. La guerre sonnera bientôt la fin de l'idylle: sur le front, Pierre apprendra que sa bienaimée est morte en couches. Meurtri comme jamais, il confiera son enfant aux bons soins de l'assistance. Puis, après quelques années de deuil, il finira par reprendre le cours de sa vie avec cette petite Jeannette, qui révélera une ressemblance troublante avec feue sa maman. J'imagine à quel point cette histoire devait bouleverser les Français de l'époque. Et elle m'a touché aussi...

Il m'a toutefois fallu consulter une source écrite pour être convaincu que c'est une seule actrice - la jeune Micheline Presle - qui interprète chacune des deux femmes, Janine et Jeannette. Pierre, lui, est joué par l'acteur belge Fernand Gravey: depuis le mot "fin", quelque chose me dit que je l'avais déjà vu ailleurs... mais je reste bien incapable de dire où. Peu importe: Paradis perdu est à prendre tel qu'il est. Évidemment datée, l'intrigue qu'il propose n'en met pas moins quelques paillettes dans les yeux. Elle se montre assez audacieuse quand elle inverse le schéma ultra-classique de l'homme mort au front et de la veuve éplorée. Si j'en crois les spécialistes, j'ai vu un film "mineur" d'Abel Gance: le fait est pourtant qu'il m'a beaucoup plu. C'est dire finalement que j'ai bien d'autres plaisirs en perspective ! Découverte après découverte, tout me confirme que le cinéma ancien dissimule bien des trésors, que je serais bête de négliger. À suivre...

Paradis perdu
Film français d'Abel Gance (1940)

C'est un fait: ma cinéphilie s'accorde tout à fait avec ce type de films anciens, portés par les grands sentiments. Je ne vois aucune raison pour les bouder ! Ils sont sûrement les héritiers des grands chefs d'oeuvre du muet, comme L'aurore. Qui s'intéresse au vieux cinéma français et populaire se tournera sans hésiter vers Le jour se lève. J'espère avoir l'opportunité de remonter d'autres perles à la surface...

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Si vous misez sur d'autres pêcheurs...
Vous lirez avec joie "L'oeil sur l'écran" et "Sur la route du cinéma".

lundi 28 novembre 2016

La double vie de Gabrielle

Je ne vais pas prétendre le contraire: Marion Cotillard ne compte pas que des admirateurs parmi les cinéphiles de France et de Navarre. Pour ma part, je peine souvent à l'oublier derrière ses personnages. C'est donc avec une pointe d'inquiétude que j'ai choisi d'accompagner mes parents pour rattraper Mal de pierres - sorti dès la mi-octobre...

La môme y apparaît d'abord dans le tailleur chic d'une femme mariée et mère d'un jeune garçon. Les premières images nous montrent Gabrielle, son mari et son fils se rendre en taxi à un rendez-vous important quand tout à coup, la jeune femme descend de voiture après avoir aperçu la plaque nominative d'une rue. Les explications seront données au fil d'un récit logiquement romanesque, puisque tiré du livre (éponyme) de la romancière italienne Milena Agus. Je passe volontairement sur les détails de ce récit, mais consens à vous dire tout de même que la plus grosse partie de ce Mal de pierres consiste en un flashback, pour nous narrer la vie - tourmentée - de l'héroïne...

Puisque tout cela court sur une bonne vingtaine d'années en partant d'abord de l'immédiate après-guerre, on peut également parler de film d'époque. De ce point de vue, j'y vois sincèrement une belle réussite. Soignée et portée par une photo admirable, la mise en scène a su m'embarquer dans cette histoire, sans doute un peu moins classique qu'il n'y paraît de prime abord. Une fois n'est pas coutume: j'ai trouvé aussi que Marion Cotillard jouait sa partition avec subtilité, en phase d'ailleurs avec un bon duo masculin, Àlex Brendemühl / Louis Garrel. On m'objectera que la figure du triangle amoureux est très ordinaire au cinéma - et peut-être également dans la "vraie vie". C'est un fait que je ne nie pas, mais j'objecterai à mon tour que Mal de pierres réserve une surprise à ceux qui croient avoir d'emblée tout compris. Cela aura suffi à mon bonheur du jour, en me donnant du coup également envie de lire le roman. C'est à vous de juger, maintenant !

Mal de pierres
Film français de Nicole Garcia (2016)

Outre des calculs rénaux, une autre pathologie affecte la femme courageuse dont le long-métrage dresse le portrait: en fait, j'ai pensé en la voyant à l'Italienne de Respiro (et je n'en dirai rien de plus !). Certains critiques osent un parallèle - audacieux - avec Sixième sens ou Shutter Island... dans un tout autre environnement géographique. Une fois éventés, les secrets perdent bien sûr un peu de leur valeur...

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Le film rencontre-t-il le succès ?
Mouais... il n'a attiré qu'un peu plus de 643.000 personnes en France. Parmi elles, mon amie Pascale. Dasola, elle, s'est arrêtée au bouquin.

dimanche 27 novembre 2016

Soleil couchant

Bien ! Ainsi que je l'ai promis avant-hier, je vais évoquer aujourd'hui un film que j'ai présenté à une soirée de mon association, à savoir l'opus 2016 du cinéaste catalan Albert Serra: La mort de Louis XIV. Inutile d'aller chercher midi à... quatorze heures: le long-métrage illustre bien les derniers jours du roi-soleil, à la toute fin d'août 1715.

J'en conviens: il existe des idées de cinéma plus enthousiasmantes pour un dimanche. Reste que ce film, tourné dans une seule pièce d'un château de Dordogne, n'est absolument pas dépourvu d'intérêt. Première évidence: ses images sont souvent splendides, "cousines" animées des tableaux des plus grands maîtres flamands. L'ambiance sonore mérite elle aussi d'être mentionnée: la mise en scène donne souvent à entendre ce que l'on ne voit pas - une fête dans une salle voisine, un oiseau qui pépie, un orage... c'est vraiment remarquable ! Malgré son sujet, La mort de Louis XIV n'est donc pas une oeuvre plombante. Mais, autant le dire, c'est une oeuvre des plus exigeantes.

Y retrouver Jean-Pierre Léaud dans le rôle principal renforce le côté attractif de la chose: l'enfant révélé par François Truffaut a 72 ans aujourd'hui, soit presque l'âge de son personnage, et s'était contenté d'apparitions fugaces pour l'ensemble de ses dernières prestations. Ici, de fait, il impose en majesté la puissance de son jeu. Les acteurs qui l'accompagnent n'ont pas à rougir, mais je ne vous en ferai pas une présentation détaillée: à vrai dire, je n'en connaissais aucun ! D'ailleurs, c'est aussi la toute première fois qu'Albert Serra a travaillé avec des comédiens professionnels; ils l'ont, dit-il, bien aidé à écrire ses dialogues. Attention aux raccourcis faciles: La mort de Louis XIV n'est pas un reflet de la France actuelle, dixit son créateur. À ceux que l'histoire de France passionne, je souhaite indiquer également que le film est très documenté, son scénario s'appuyant sur les écrits de deux contemporains du roi, Saint-Simon et le marquis de Dangeau.

La mort de Louis XIV
Film franco-espagnol d'Albert Serra (2016)

On est bien loin ici de l'exubérance tapageuse d'un Marie Antoinette ! Costumes exceptés, le travail d'Albert Serra et de ses équipes rappelle plutôt celui de Michael Haneke pour son Amour. Faut-il y voir aussi une forme d'art contemporain ? Je crois bien. En effet, le cinéaste catalan avait d'abord reçu une commande pour une performance d'artiste au centre Georges-Pompidou. Voies dérobées de la culture...

samedi 26 novembre 2016

Tout pour la musique

Elle s'appelle Bici et est la leader-chanteuse d'un groupe de rock. Amoureuse de son guitariste, elle souffre fort de la relative ambigüité de ce dernier et, en réalité, de la non-réciprocité de ses sentiments. Avec une mère poivrote, un père absent et une grand-mère rendue muette par la maladie, Bici se coltine de fait une vie plutôt pourrie...

Baby Balloon, qui nous la raconte dans le détail, est un petit film belge attachant, à l'image de son héroïne. Son énergie indiscutable emporte le morceau et pourra vous séduire si vous vous trouvez sensibles au sort - parfois peu enviable - des jeunes filles en fleur. Bien qu'il ne soit pas sans défaut, ce long-métrage gagne l'adhésion par sa sobriété tapageuse. Par cet audacieux oxymore, je veux dire que le récit est court (une heure vingt environ) et intense à la fois. Tout en composant clairement une fiction, les images montrées ici pourraient aussi servir de documentaire sur le groupe. L'énergie folle de la musique tisse un lien avec l'actrice principale: Ambre Grouwels.

À juste 20 ans, la demoiselle est à mon sens la révélation numéro 1 ! Encore que... pour être honnête, je dois relever aussi qu'à l'exception notable de Philippe Rebbot, je ne connaissais aucun des acteurs engagés dans l'aventure, ce qui ne m'a nullement empêché de passer un assez bon moment avec eux. Attention: comme les photos choisies pour cette chronique le suggèrent, Baby Balloon tient plus du film mélancolique que de la franche comédie. Le regarder vous expose véritablement à une gamme d'impressions assez variées, concentrées parfois en quelques scènes seulement. À noter également: un talent incontestable pour jouer (et filmer) la musique. Bref, un film rock...

Baby Balloon
Film belge de Stéphane Liberski (2013)

Cela reste discutable, mais j'ai l'impression que nos voisins et amis francophones sont meilleurs que les Français pour raconter ce genre d'histoires, au fond pas très loin du film social. Au passage, j'ai noté d'ailleurs qu'à un moment, Bici, pour parler de son quartier, déclare vivre à côté de chez Rosetta. Cela étant dit, Stefan Liberski n'est pas le troisième frère Dardenne. Vous le vérifierez avec Tokyo fiancée...

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Il faut rendre à César ce qui appartient à César...

A priori, c'est chez Sentinelle que j'ai lu un premier avis sur le film. 

vendredi 25 novembre 2016

Mauvais virage

Je vous parlerai après-demain d'un film que j'ai présenté au cours d'une soirée de mon association. Pour l'heure, je vais évoquer celui que j'aurais pu retenir à sa place: Chouf, discrètement sorti en salles il y a bientôt deux mois. Si mes infos sont bonnes, il n'a convaincu qu'à peine 261.000 personnes de venir l'y voir. C'est un petit score...

Chouf nous embarque dans les quartiers Nord de Marseille, sur les pas des petits (et gros) dealers de drogue. Son personnage principal, Sofiane, de retour dans la cité après des études commerciales menées à Lyon, reste d'abord à l'écart des trafics, mais tout change lorsque son grand frère est abattu dans un règlement de comptes entre bandes rivales. Sur ce thème archi-rebattu, le film a le mérite d'entrer dans le vif du sujet sans détour. Nous sommes immergés dans le monde du grand banditisme et le scénario n'est pas enjolivé. Au contraire: il y a de fortes chances que les choses se déroulent comme elles sont montrées. Surtout avec des comédiens amateurs...

Deux ans durant, le réalisateur, Karim Dridi a animé des ateliers d'art dramatique avec les jeunes du coin pour trouver ses acteurs. Il dit avoir voulu donner à son long-métrage - le troisième et ultime volet d'une trilogie officieuse - des allures de tragédie antique, en tournant certaines séquences sur certains des plus beaux sites de la métropole phocéenne. Chouf échappe de ce fait à quelques clichés faciles. Malheureusement, il n'est pas pour autant exempt de tout défaut. Comme je l'ai souligné plus haut, l'histoire que le film nous raconte n'est pas d'une grande originalité et on devine ainsi assez facilement comment elle va se terminer. Pour tout vous dire, je n'ai sursauté qu'à une seule reprise, avec un coup de feu que je n'avais pas senti arriver. J'ai un respect sincère pour ce cinéma, mais... j'ai vu mieux !

Chouf
Film français de Karim Dridi (2016)

Chose étonnante: le dossier de presse du film fournit un lexique arabe et un glossaire de l'argot marseillais ! Présenté lors d'une séance spéciale du dernier Festival de Cannes, le long-métrage m'a paru moins puissant que La haine en son temps, il y a - déjà ! - 21 ans. J'ai plutôt envie de citer une nouvelle fois Gomorra en comparaison. Mais Marseille n'est pas Naples et le film n'a pas reçu de Grand Prix...

mercredi 23 novembre 2016

Immersion urbaine

Je vais commencer par un conseil: si vous avez l'opportunité prochaine de découvrir Les bruits de Recife, ouvrez... vos oreilles ! Même si la version française n'est pas tout à fait la traduction exacte du titre original (O som ao redor: le son alentour), elle appuie l'idée que ce film brésilien donne autre chose à percevoir que des images...

Pour mieux vous mettre encore dans mon état d'esprit au moment précis où j'ai découvert ce film, je crois également bon de vous dire sans plus attendre qu'il est signé Kleber Mendonça Filho, le cinéaste dont j'ai présenté le second long-métrage avant-hier. Un privilège pour mon association et moi: nous avons eu la chance de pouvoir diffuser l'un et l'autre, au cours de deux soirées consécutives, et donc dans le sens inverse de leur réalisation. Cela étant précisé, j'espère désormais vous intéresser à cette autre histoire, entièrement tournée dans une rue de Recife, au Brésil, métropole de plus de 3,5 millions d'habitants. Les bruits de Recife constitue ce que j'appelle un film pointilliste: il ne dévoile son intrigue que petit à petit et nous offre une importante galerie de personnages, tout en se montrant capable de les traiter tous avec la même attention. C'est l'une des prouesses qui m'impressionnent au cinéma, même vis-à-vis de films assez longs pour prendre leur temps. Celui-là dure - un peu - plus de deux heures et nous plonge à corps perdu dans son décor. Un vrai voyage, en fait !

Les sensations que j'ai éprouvées devant ce long-métrage étonnant sont complexes. Puisque, pendant pratiquement tout le film, le cadre se limite finalement à une seule rue, je me suis presque senti enfermé, par moments. Pourtant, même si ça peut paraître contradictoire, j'ai ressenti également une drôle de fascination devant cette "reconstitution" de la réalité. Il faut bien admettre aussi que l'expérience est marquante: les personnages présentés à l'écran de ce film choral donnent de l'humanité une image peu reluisante. Rapidement, le son ambiant suggère d'autres images, déjà vues auparavant ou même purement imaginaires: rien que cette utilisation du hors-champ, sur le plan de la technique, est magistrale - et ce d'autant qu'il arrive que l'image et le déroulé même de l'intrigue viennent démentir nos impressions premières. Si vous connaissez mieux le Brésil que moi, vous noterez aussi que Les bruits de Recife offre quelques échos à son histoire... bien loin de la carte postale. Bref, voilà l'un des films les plus stimulants que j'ai vus cette année !

Les bruits de Recife
Film brésilien de Kleber Mendonça Filho (2013)

Comparaison n'est pas raison, mais je juge ce premier opus supérieur à Aquarius. Son huis-clos et son inéluctable tension m'a aussi remis en mémoire un autre film vu avec mon association: L'idiot ! Le fait qu'il s'agisse d'une oeuvre sud-américaine rappelle Elefante blanco. On peut aussi l'étudier en diptyque avec La cité de Dieu. Pour être complet, j'ajoute que j'ai songé à Gomorra, Shining et Le parrain...

lundi 21 novembre 2016

Une idée de la dignité

Je vais préciser un truc d'entrée de jeu: je ne connais pas le Brésil. Quand mon association a choisi de projeter Aquarius, un film rentré bredouille de Cannes cette année, j'y suis allé sans préjugé, incapable alors d'évaluer la vraisemblance du scénario face à la réalité du pays. D'aucuns jugeront que c'est une question sans importance. Possible...

Toujours est-il que, si Aquarius a eu un écho sur la Croisette, c'est aussi parce que l'équipe a monté les marches avec des panonceaux enjoignant le monde à sauver la démocratie brésilienne, chahutée dans le climat d'avant la destitution de la présidente Dilma Roussef. Bon... pas besoin toutefois de connaître l'histoire de l'Amérique latine sur le bout des doigts pour apprécier le film ! Son argument premier reste très compréhensible: après avoir vécu les jours les plus heureux de sa vie dans le même (superbe) appartement, une femme, Clara, reste la dernière à résister aux propositions de rachat d'un promoteur immobilier. Ce qui n'est pas si facile... mais je vous laisse voir pourquoi. Le fait est que j'ai beaucoup aimé ce portrait de femme. Sonia Braga porte magnifiquement la résistance de cette jeune veuve retraitée, certes, mais pas résignée. La galaxie de personnages secondaires qui gravite autour d'elle est tout aussi digne d'intérêt. Dans ce que le film montre des liens humains, qu'ils soient familiaux ou autres, le long-métrage est admirable. Et oui, je pèse mes mots...

Il n'en reste pas moins vrai qu'un peu avant la fin, j'ai été un peu gêné aux entournures. L'incontestable dignité de cette femme debout a fini par me poser question. Son obstination à vivre sa vie selon ses choix a alors pu m'apparaître comme de l'intransigeance, surtout vis-à-vis de gens moins favorisés (sa domestique étant une bonne illustration). Or, il m'a semblé qu'à chaque fois que la personnalité et les décisions de Clara allaient contre celles d'un autre personnage, c'est toujours aux côtés de son héroïne que le film se rangeait. J'ai d'ailleurs noté qu'au cours du bref débat qui a suivi la projection, certains ont parlé de manichéisme. D'autres jugeront peut-être la conclusion expéditive. Pour ma part, je reste sur mon impression d'un long-métrage centré sur une vision unique des phénomènes qu'il décrit. C'est dommage ! Pour le reste, en effet, je n'ai rien à objecter à l'encontre d'Aquarius. Bien au contraire: j'ai trouvé ses images très belles, son montage intelligent et sa bande-son excellente - avec notamment deux titres de Queen et bien sûr de la musique brésilienne. Une idée du plaisir...

Aquarius
Film brésilien de Kleber Mendonça Filho (2016)

En sortant de la salle, avec un ami, nous évoquions Erin Brockovich. Résiste-t-on à l'injustice au Brésil comme aux States ? Pas certain. Montre-t-on les injustices de la même façon ? Pas sûr non plus. Maintenant, si je voulais être objectif, je reverrai au plus vite le film de Steven Soderbergh et j'en reparlerai en connaissance de cause. Disons que j'ai une toute autre priorité, à ce stade. Wait... and see !

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Il vous reste une possibilité pour en savoir plus...
À un clic d'ici, vous pourrez lire l'excellente analyse de l'ami Strum. Eeguab, lui, en parle plus brièvement, mais se montre enthousiaste.

dimanche 20 novembre 2016

Soif de justice

Je crois bien que cela arrive encore: quand on regarde tel ou tel film sur Arte, il est parfois précédé d'une petite présentation. Je crains toujours d'en apprendre trop, mais il se peut que ce soit drôle, aussi. Avant Le dernier train de Gun Hill, le journaliste disait: "Si regarder un western relève du plaisir coupable, alors il est temps de pécher"...

On ne saurait mieux encourager mon reste d'addiction pour le genre ! Je vous l'ai déjà expliqué, pas vrai ? Le western, c'est ma madeleine de cinéma. Des années avant que ce blog existe, j'en ai sûrement vu plusieurs dizaines quand j'étais enfant, dans une sorte de rituel sacré pour cinéphile en herbe. C'est pourquoi, sans aucun doute, je sais reconnaître les motifs classiques, tel celui de la vengeance, une fois de plus à l'oeuvre dans Le dernier train de Gun Hill. Kirk Douglas joue un shérif dont la femme (d'origine indienne, tiens !) a été violée et assassinée par deux bad boys. Il comprend vite que l'un d'entre eux est le fils d'un riche propriétaire terrien, propriétaire qu'il connaît depuis longtemps et dont il fut, en d'autres temps, un très grand ami. L'amitié saura-t-elle résister à cette épreuve ? That is the question...

Dans le camp d'en face, en tout cas, Anthony Quinn permet à l'intrigue de se développer autour de deux excellents comédiens. Il serait idiot pourtant de réduire Le dernier train de Gun Hill à ses protagonistes mâles. Même si une femme vulnérable est à l'origine du noeud gordien, il en est une autre - plus "costaude" - qui tient la dragée haute à ces messieurs. Et le film d'aborder alors des sous-thèmes plutôt rares dans les westerns, comme celui des femmes battues. D'une manière générale, en réalité, le long-métrage m'a paru dominé par l'amertume: les personnages semblent constamment incapables d'apporter une solution consensuelle à leurs différends. La justice paraît un concept fragile, qu'elle soit entre les mains d'un marshall idéaliste ou confiée à un vague fonctionnaire, lâche et corrompu. Ajoutez à cela la bande originale de Dimitri Tiomkin, les jolis décors et les costumes de la grande Edith Head... pas mal, cette madeleine !

Le dernier train de Gun Hill
Film américain de John Sturges (1959)

Un truc qui m'a fait sourire: dans le film, un type explique à Douglas qu'il sera mort bientôt et que, quarante ans plus tard, tout le monde l'aura oublié. Perdu ! Kirk est toujours vivant et devrait donc souffler sa centième bougie le 9 décembre prochain. C'était un bonus insolite et imprévu à ce long-métrage sympa, même si classique. Treize ans après, John Sturges détruisait un train dans Joe Kidd, le mal aimé...

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Si vous espériez l'unanimité, c'est raté...
Seule Chonchon évoque le film: son texte est bref... et plutôt négatif.

vendredi 18 novembre 2016

Travelling panorama

Les apparences peuvent vous tromper: même si, dès cette chronique publiée, il y aura 1.357 films présentés sur le blog, je me considère toujours comme un cinéphile débutant. D'abord, parce que je suis loin de TOUT connaître et ensuite, parce que j'aime apprendre des goûts d'autrui. Je suis donc allé voir Voyage à travers le cinéma français...

Habituel cinéaste de fiction, Bertrand Tavernier offre ici au public, trois heures et quart durant, un panorama des films qu'il aime le plus dans "notre" production, depuis les premiers parlants des années 30 et jusqu'à l'aube des années 70. Il faut se garder de conclure aussitôt à un regard trop cocardier sur le cinéma: le réalisateur tient un blog qui montre qu'il connaît son métier et a aussi un admiration sincère pour bien des artistes d'autres nationalités. Non... l'idée qu'il paraît développer dans cet incroyable documentaire, c'est que des oeuvres peu connues ou déjà oubliées méritent aussi de rester à la postérité. Et que quelques perles rares n'ont pas usurpé le nom de classiques...

Hôtel du Nord / Marcel Carné / 1938
Voyage à travers le cinéma français nous conduit en Subjectivité. Assez remarquablement, le film est souvent didactique, mais il reste très à l'écart d'un discours sentencieux - et c'est un juste équilibre. Imperceptiblement, toutefois, Bertrand Tavernier ose basculer: l'ado cinéphile qu'il était laisse, progressivement, la place au témoin privilégié de la carrière de quelques-uns des plus grandes signatures du septième art made in France. C'est que le narrateur a collaboré avec eux, sur les plateaux de tournage ou comme attaché de presse. Remonte alors à la mémoire un champ infini d'anecdotes. Je préfère vous laisser la surprise des noms qui sont les plus souvent évoqués...

Pierrot le fou / Jean-Luc Godard / 1965
Une petite indication, tout de même: Bertrand Tavernier ne parle pas que de ses films préférés, des grands réalisateurs et des stars d'hier. En passant, en vrai passionné qu'il est, il évoque aussi l'importance souvent décisive de la technique et, en particulier, le rôle incroyable que peut prendre la musique au service du plaisir et de l'émotion. Limpides, ses analyses nous montrent ce qu'on entend sans le voir réellement et nous aident à ressentir ce que l'on voit dans le silence. Quelle belle leçon et quel professeur, débonnaire et passionnant ! J'aurais bien volontiers repris le cours après un entracte et un eskimo chocolat. La fin du film est belle, mais aussi... un tantinet frustrante.

L'horloger de Saint-Paul / Bertrand Tavernier / 1974
Il ne nous reste alors qu'à admettre - ou pas - les choix du maître. Qu'à s'émouvoir - ou non - avec lui de retrouver le jardin familial, site des débuts qu'il revisita avec Philippe Noiret. D'autres documentaires devraient suivre, toujours dans cette belle logique de transmission. Voyage à travers le cinéma français ne serait dès lors qu'un début. Pour en prendre toute la mesure, je crois qu'il est judicieux de citer quelques chiffres: ce film, c'est six ans de préparation, 80 semaines de montage, 94 oeuvres choisies et 582 extraits, plus de 950 films vus ou revus, mais aussi 700 documentaires d'actualités visionnés. Une tâche qui m'incite à l'humilité... tout en chatouillant mes envies !

Voyage à travers le cinéma français
Documentaire français de Bertrand Tavernier (2016)

À l'origine, il y avait l'espoir d'un enfant de 1941, quand la projection démarrait dans son cinéma de quartier, lui rappelant les lumières joyeuses de la Libération. Attention: cette maladie est contagieuse ! Sorti de la salle, j'avais déjà l'idée de découvrir un autre vieux film. J'avais retenu le mantra de Jean Renoir: "Se juger capable de changer le cours de l'histoire, puis se réjouir d'avoir touché deux personnes"...

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Envie, comme moi, de jouer les prolongations ?
Je vous recommande sans plus attendre de vous rendre chez Pascale

mercredi 16 novembre 2016

Trois jours pour survivre

Le comble du snobisme ? Pour moi, c'est de penser qu'il y a des films qu'il faut forcément aimer pour être digne d'être appelé "cinéphile". Pour ma part, je m'efforce d'être dans la posture inverse, qui consiste à respecter le goût des autres et à apprécier aussi le plaisir simple d'un film peu innovant, mais bien ficelé. Un exemple: Comancheria !

C'est évident: des histoires de braqueurs de banques dans le cinéma américain, vous en trouverez des caisses entières. L'usage du Sud pauvre des States comme décor, ça n'est pas non plus une idée révolutionnaire. Reste qu'à partir de ces deux éléments scénaristiques seulement, Comancheria a su m'embarquer, sans le moindre soupçon d'ennui pendant l'heure et quarante minutes de projection. Il faut chercher l'explication dans le joli équilibre trouvé par ce long-métrage au timing serré, sans fioriture. Le casting, d'abord, est impeccable. Aucun comédien ne tire la couverture à lui. Ben Foster et Chris Pine sont mieux que des beaux gosses, il y a aussi l'excellent Jeff Bridges en flic sexagénaire, toujours flamboyant, et d'autres personnages secondaires soignés. De bonnes bases pour les réjouissances à venir.

Comancheria, c'est aussi des dialogues aux petits oignons, un cadre naturel très bien photographié, un arrière-plan politico-contemporain discret mais bien présent, une musique au top... autant d'éléments formels qui, mis bout à bout, assurent le spectacle et m'ont fait adhérer à 100%. Le plus beau, c'est qu'il n'y a aucun manichéisme. Assez vite, on va trouver les "criminels" plutôt sympa et le vieux mec lancé à leur poursuite beaucoup trop obstiné, même pour un ranger fier de porter l'uniforme et de défendre la loi. Ensuite, et à vrai dire jusqu'au bout de la route, ça part dans l'autre sens, les contradictions intimes des uns et des autres nous laissant nous dépatouiller seuls avec nos préjugés sur la moralité. En un mot: à chacun sa vision. J'aime de plus en plus ce cinéma d'action qui ne choisit aucun camp. Sous la conduite d'un réalisateur écossais, l'équipe a trouvé le bon ton sur les doutes et paradoxes de l'Amérique d'aujourd'hui. Je dis bravo !

Comancheria
Film américain de David Mackenzie (2016)

Nous ne sommes ici pas très loin du cadre déjà aperçu récemment dans Shotgun stories (où la violence semble plus dérisoire encore). Vous appréciez les pseudo-polars ? Je vous recommande ce beau film méconnu qu'est Sugarland express - le premier Spielberg - ou encore le très décontracté Bandits. Drive me parait un peu trop sophistiqué. Et j'ai toujours une petite larme à la fin de Butch Cassidy et le Kid...

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Une précision sur le titre du film du jour...
En version originale, le film s'appelle Hell or high water, une mention portée sur certains contrats américains pour renforcer leur caractère obligatoire (et, en traduction, malgré l'enfer ou la montée des eaux).

Allons au terme de l'explication, voulez-vous ?
Aux États-Unis toujours, le Comancheria du titre retenu en France désigne une zone habitée par les peuples comanches jusqu'en 1860 environ. Citoyens du Texas et du Nouveau-Mexique, Indiens, Latinos et Blancs se la partagent aujourd'hui. Selon Wikipédia, c'est une terre pauvre et victime des trafics de drogue. L'Amérique profonde, oui... 

Sur ce, je vous laisse reprendre votre route...

En panne d'essence ? Faites le plein chez Pascale, Dasola et/ou 2flics !

lundi 14 novembre 2016

Nanni en liberté

Nous voilà presque à la mi-novembre. La parole à mon amie Joss...

La première fois que j'ai vu Journal intime, c'était au cinéma à Paris pour sa sortie en salles. Transcendée. Et vingt-deux ans après, il me fait toujours le même effet. À tel point que pour mieux connaître une personne, j'ai longtemps usé de la cassette VHS - puis du DVD - à refiler sournoisement avec l'obligation de me donner un avis ! Autant vous dire que la conclusion s'est parfois imposée d'elle-même...

Si vous n'aimiez pas Journal intime, mieux valait passer votre chemin ! Réalisant que ce blog performant n'ouvrait aucune lorgnette dessus, il était inconcevable de laisser l'affaire en l'état. Donc, cette fois, je ferai montre d'une diplomatie à toute épreuve et m'engage ici à accepter vos critiques d'un bon pied (côté oeil, j'aviserai !)...

Trois épisodes autobiographiques dans lesquels le réalisateur italien joue son propre rôle et qui lui ont permis de se faire connaître internationalement avec le Prix de la mise en scène au Festival de Cannes. Une balade en Vespa à travers Rome en plein été, un voyage dans les îles éoliennes avec son ami Gerardo, et enfin la tournée des médecins aux prises avec un lymphome de Hodgkin: chacun de ces trois chapitres ouvre une multitude de regards, attitudes, constats, réactions, réfléchis ou épidermiques, sur la société. Avec une légèreté toute en apparence, Nanni Moretti nous sert des portraits cinglants qu'il fait passer avec franchise, grâce, romantisme et humour. Parfois même les quatre réunis.

Dans la première partie, la caméra nous emporte tour à tour sur la Vespa et à côté de la Vespa, comme deux amis qui se déplacent en toute complicité, et surtout en pleine liberté. Nanni se régale à zigzaguer et... nous aussi ! Dans la ville quasi-déserte, il est bon de prendre l'air et d'errer. Même si dans ce cas, il n'y aura pas de hasard. Le promeneur nous présente quelques quartiers de la périphérie comme de grands crus: "Garbatella 1927, Tufello 1960...". Il aime les panoramas et il en fait un ! Le réalisateur ne se prive de rien. Il en dit long le plan en contre-plongée où on le voit de dos avec sa petite amie, admirant le bâtiment où il leur plairait fort de louer. Mais voilà que l'homme a envie de danser et saute sur l'estrade se joindre à l'orchestre d'un bal de quartier (irrésistible). Il évoque sa passion pour le film Flashdance et aborde sur le trottoir la vraie Jennifer Beals pour ne parler avec elle que du confort des chaussures (hilarant)...

Portrait encore de Nanni, cinéphile réduit à un choix estival fort pauvre, outré du peu d'adéquation entre le film qu'il a choisi et la critique. Capable de colère (tordant) quand il harcèle le critique en question jusqu'aux larmes dans son propre lit, ou qu'il refuse de s'assimiler à ses congénères aigris, qui se disent laids et anciens menteurs de manifs: "Moi, je criais la vérité et je suis un splendide quadragénaire, voilà !". Autodérision réussie quand à plusieurs reprises, il adopte un comportement d'enfant, spontané, sans complexes, et que ses interlocuteurs le déclarent "zinzin". Il adore Rome et nous en fait connaître les recoins, sans hésiter à convoquer le passé (sans aucune lourdeur), les différents types d'architecture (on l'a vu) et parfois même la tragédie. Il nous emportera sur des sites qu'il ne connaissait pas lui-même auparavant pour une découverte encore plus forte, comme la plage d'Ostie où Pasolini fut assassiné (l'errance de la musique de Keith Jarrett en phase avec celle de la Vespa longeant rochers et voitures abandonnées, vue au loin sur les baigneurs, vaut le déplacement). Sublime travelling qui s'étire - 45 secondes ! - et nous fait toucher la mort de près, sans immobilité.

Dans la seconde partie, il n'erre plus de quartier en quartier, mais d'île en île, à la recherche du calme pour écrire. En vain. Dans chaque île, l'attend une caricature épouvantable qu'il fuit comme un beau diable: circulation urbaine, enfants-rois et leurs parents martyrs, communication événementielle à outrance, jusqu'au délire de son ami, intellectuel universitaire qui se cache de raffoler des séries américaines pour finalement craquer sur les flancs du volcan et quitter en courant un quotidien pur mais sans poste de télévision ! Nanni vous décidément dans ses contemporains de bien étranges animaux. Il en reproduit d'ailleurs les cris sur l'île aux enfants-rois: fable pas si absurde que ça. De plan en plan (le scénario s'impose au montage), de musique en musique, cohérence et harmonie se renverront la balle pour gagner en puissance jusqu'à la dernière image. Dans ce film, on ne tourne pas les volets comme des épisodes sans lien, on vit, on grandit toujours sur le même fil de notre passage sur Terre.

Enfin, dans la dernière phase, la course reprendra, cette fois de médecin en médecin après la sortie d'un prurit de plus en plus gênant. Traitements infinis, de la prescription à rallonge jusqu'au simple bain de son, overdose d'examens et de diagnostics hétéroclites jusqu'à l'ultime verre d'eau. Ingurgité avec délectation comme une source de vie. Dans ce plan zoomé très rapproché, les yeux pétillent de bulles ou d'étoiles. Alors, après l'annonce de la probabilité d'un cancer incurable, s'agit-il d'un concentré de rédemption joyeuse ou simplement l'espoir d'autres promenades ? Du grand Nanni.

samedi 12 novembre 2016

Le tourbillon d'une vie

Mon envie de découvrir le cinéma d'Alejandro Jodorowsky ne date pas d'hier. C'est mon association qui m'en a donné l'occasion, en projetant son dernier film: Poesía sin fin. J'indique à ceux qui s'étonneraient d'un titre en espagnol que "Jodo" - comme son nom ne l'indique pas - est chilien. Même si, depuis les fifties, il a souvent vécu en France...

Poesía sin fin fait justement le récit de sa vie d'avant l'exil. Histoire de camper le personnage, je peux déjà préciser qu'il a pris le bateau vers l'Europe pour vivre son inspiration de poète, tâcher de rencontrer rapidement André Breton et... revivifier le mouvement surréaliste ! Pour le jeune homme qu'il était alors, l'idée était un peu folle sûrement, mais aussi courageuse, acte de rébellion à l'égard d'un père commerçant qui voulait voir son fils devenir médecin. Cette histoire incroyable, Jodo nous la raconte de manière incroyable. Il m'a été difficile de trouver des images qui rendent compte de la frénésie visuelle qu'est ce long-métrage. Dans un style baroque qui rappelle parfois ceux de Buñuel et Fellini, le réalisateur - à 87 ans ! - déploie toute son imagination pour rappeler ce qu'il a vécu sous une forme hautement imagée et symbolique. Et, au passage, il apparaît à l'écran comme le narrateur de sa propre destinée, met le rôle de son père entre les mains de Brontis, son talentueux fils aîné, tout en confiant évidemment son propre rôle à Adan, son benjamin. Et... ça marche !

C'est vrai aussi qu'il y a sans doute mille choses à raconter sur la vie et la longue carrière d'Alejandro Jodorowski, cinéaste et poète donc, mais aussi fabuliste, dramaturge, romancier et scénariste de bandes dessinées. Si le film remonte à la source, je crois utile de préciser qu'il s'inscrit dans une logique de trilogie, après un opus déjà sorti sous le titre La danza de la realidad et en attendant une conclusion encore très hypothétique, semble-t-il. Jodo n'a pas toujours l'argent nécessaire pour lâcher la bride de ses muses et passe désormais souvent par l'utilisation du financement participatif pour en réunir assez. Au vu du résultat, j'espère vraiment que ce vieux monsieur parviendra finalement à se raconter "jusqu'au bout". Si j'ai mis quelque temps à y rentrer vraiment, le tourbillon de son long-métrage m'a ensuite embarqué pleinement, plaisir et émotion mélangés. Derrière l'aspect foutraque de ce cinéma se cache à mon sens un film d'apaisement et de réconciliation avec le passé. Mais un film tourné vers l'avenir aussi, qui incite la jeunesse à aller de l'avant. La classe !

Poesía sin fin
Film chilien d'Alejandro Jodorowsky (2016)

Même s'il est un second volet, ce film m'a paru aussi une introduction parfaite dans l'univers de son créateur - et j'y reviendrai un jour. Après avoir songé à Buñuel et Fellini, donc, j'ai repensé également aux outrances d'un certain Kusturica (une comparaison imparfaite). Jodo n'appartient qu'à lui-même et c'est très bien ainsi. L'émotion finit par prendre le dessus... une vraie grande expérience de cinéma !

vendredi 11 novembre 2016

Ennemis forcés

Mardi, je n'ai pas tout à fait réussi à évoquer l'élection américaine. Mercredi, j'ai manqué l'anniversaire de la chute du mur de Berlin. Voilà pourquoi, aujourd'hui, je voulais célébrer celui de la fin officielle de la Première guerre mondiale, en chroniquant La grande illusion. Le vrai plaisir: j'en savais bien peu sur le film avant de le regarder...

Ce que je savais, c'est que le temps passé - bientôt 80 ans ! - a donné à ce classique la réputation d'être parmi les meilleures productions françaises de tous les temps. Bon... pas sûr cela dit qu'il puisse faire l'unanimité. C'est un grand film, assurément, mais il est très daté. D'abord, bien entendu, de par ce qu'il raconte: en 1916, deux officiers français sont abattus alors qu'ils volent au-dessus des lignes ennemies et, rescapés, sont alors envoyés en Allemagne comme prisonniers. Allez... je n'en dirai pas plus, mais il y a bien de véritables surprises et quelques rebondissements au cours de la suite de cette histoire. L'idée clé, c'est que la guerre est une saloperie et que, si les hommes la font, c'est simplement parce qu'ils y sont obligés. Le plus marquant dans le scénario de La grande illusion, c'est ce que j'oserai appeler son courage: s'il livre une certaine vision du patriotisme, il se garde consciencieusement de tout manichéisme. Et j'ai trouvé ça blu-ffant !

Après, bien évidemment, il y a plein de bons acteurs, dans ce film ! Pas question de vous dire que je maîtrise le sujet: je connaissais déjà Jean Gabin, Pierre Fresnay, Erich von Stroheim... pas les autres. Pas sûr que faire une liste soit pertinent: La grande illusion ressemble plutôt à une réussite collective. Il faut sans doute saluer plutôt la très sûre direction d'ensemble de Jean Renoir, qui en était certes à son 22ème film, à l'âge de 43 ans "seulement". Quel brio ! Même quand le nombre de personnages se restreint, pour des raisons que je vous laisserai découvrir, le talent demeure: le film intéresse d'abord parce qu'il étudie un groupe, mais parvient à émouvoir aussi quand il se transforme en observateur (délicat) de la personnalité intime de chacune de ses composantes. L'équilibre est parfait. Maintenant, je vais me répéter: il faut parvenir à entrer dans ce récit d'un autre âge. J'espère vous avoir encouragés à essayer, au moins...

La grande illusion
Film français de Jean Renoir (1937)

L'avez-vous remarqué ? Je n'ai rien dit sur la signification du titre. C'est juste qu'il me semble qu'il y a plusieurs interprétations possibles. J'en ai une, oui, mais je préfère ne pas vous l'imposer. Après, au petit jeu des comparaisons, j'ai ressenti plus d'émotions encore devant Les sentiers de la gloire. Mais, malgré la même toile de fond, les deux films sont très différents. Le mieux: voir les deux !

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Et si je vous parlais de la fin ?

Je veux juste vous assurer que j'y ai vu un petit message d'espoir. Une autre version fut envisagée, avec, aux temps de la paix revenue et des possibles retrouvailles, la simple image de deux chaises vides.

Je ne vous ai pas convaincu ? Bon...
Peut-être que vous suivrez Chonchon... ou Elle et Lui, au choix. Fidèle à elle-même, Ideyvonne, elle, préfère laisser parler les images.

jeudi 10 novembre 2016

Un avis sur la violence

D'avoir visionné successivement trois films américains m'a rappelé soudainement l'importance de la violence dans le cinéma hollywoodien d'hier et d'aujourd'hui - et peut-être bien dans le cinéma "tout court". Quand je prends du recul, je constate que les flingues sont de sortie dans une majorité des films que je vois. Et ça me pose question(s)...

La question de la représentation de faits violents dans une dynamique de divertissement doit être aussi ancienne que les arts représentatifs eux-mêmes. Quand, en 1903, Justus D. Barnes pointa son revolver vers le public et fit feu, l'acteur du fameux The great train robbery suscita paraît-il un mélange d'enthousiasme et de crainte. Je me dis que la peur n'est pas venue parce qu'il tuait quelqu'un, mais plutôt parce que son canon était pointé directement vers le spectateur anonyme... et vulnérable ! Au cinéma, la mort avait déjà frappé avant. Depuis ? J'ai l'impression qu'elle ne s'est jamais arrêtée. Notez qu'en ce sens aussi, le septième art fait juste écho... à la "vraie vie".

Pour être honnête, je dirais que la violence n'est pas quelque chose que je réprouve au cinéma. Quand le scénario la justifie, j'admets même que je l'accepte sans sourciller. J'ai plusieurs fois constaté qu'elle me paraissait plus "efficace" quand elle n'était que suggérée. Ainsi, alors que je tique très régulièrement devant les films récents de Quentin Tarantino, je me souviens d'avoir connu une émotion forte devant le tout premier, Reservoir dogs, quand Michael Madsen torture son otage, hors-champ. Le paradoxe veut que je reproche aujourd'hui au même QT de tomber dans le systématisme outrancier. Je ne le qualifierai pas d'irresponsable, mais j'ai du mal à apprécier réellement ses manières cartoonesques de représenter la mort donnée à autrui. Surtout dès lors que, dans un même film, la même situation peut être filmée de façon beaucoup plus crue et frontale. Cela revient pour moi à orienter l'opinion du spectateur - et non, je n'aime pas ça !

Je ne crois pas pour autant être un Bisounours. Même si l'acte réel mérite à mes yeux un très sévère châtiment, le fait que Jan Kounen ait osé filmer le pseudo-viol de Monica Bellucci dans Irréversible aurait plutôt tendance à me rassurer sur l'avancée réelle de la société démocratique. Je n'ai pas vu le film, je n'ai pas spécialement envie d'ailleurs de le rattraper, mais je suis content qu'il puisse exister. D'une manière générale, il me semble positif que le monde du cinéma soit en mesure de tout montrer, en laissant alors chaque spectateur libre de découvrir et de ressentir ce qu'il veut. Dans le septième art comme ailleurs, je ne crois ni aux interdits, ni aux obligations. Définir ce qu'il sera acceptable d'exprimer, ça me paraît dangereux. Plus que des limites, je crois que la raison doit mettre des bornes. Une société responsable ne devrait pas censurer, mais plutôt inventer un système qui permette à chacun de ses membres d'anticiper facilement la violence à laquelle il risque de s'exposer. C'est l'objectif des classifications "Déconseillé aux moins de...". Enfin, je l'espère...

La question de l'âge me paraît tout à fait centrale: accepte-t-on mieux la représentation de la violence dès lors que l'on est plus âgé ? N'ayant pas encore d'enfants, je n'ai pas réellement d'opinion argumentée sur ce point, ce qui ne m'empêche pas d'en faire aussi une source régulière d'interrogations - et en particulier pour inciter les jeunes parents que je côtoie plus ou moins régulièrement à tester la fibre cinéphile de leurs marmots ! La violence fait mal ? Elle rend triste ? Il vaut mieux s'en garder tant qu'elle ne nous est pas infligée ? Possible. Moi-même, je préfère la tendresse... et j'apprécie les films qui jouent allégrement sur le bon sentiment. Je ne me souviens plus si j'ai pleuré ou non quand le chasseur a tué la maman de Bambi. J'imagine que c'est parce que j'ai reçu de solides repères éducatifs que le cinéma ne m'a JAMAIS traumatisé - et aussi que j'en parle parfois sur un ton aussi sentencieux ! Notre rapport à ce que l'art comporte de violent tient, je crois, à notre capacité de confrontation. Au sens premier: de notre force pour "aller voir". À chacun la sienne.

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Bien sûr, votre avis m'intéresse...
Sur ce point comme sur tous les autres, je n'ai pas la science infuse. Autant dire que j'espère vos impressions, avis... et contradictions ! 

mercredi 9 novembre 2016

Faux cowboys, vrais ennuis

Vous le vérifierez aisément: j'ai déjà parlé ici de Michael Crichton. C'est donc sans hésiter que je m'affranchis des présentations d'usage pour vous parler de Mondwest (une traduction, si, si ! de Westworld). Ceux d'entre vous qui connaissent la chaîne américaine HBO y ont vu débarquer récemment une série homonyme. Ce n'est pas mon sujet...

Mondwest est le premier film cinéma de son auteur. Je me trompais quand j'imaginais qu'il pouvait être l'adaptation de l'un de ses romans. Non: il s'agit bien d'apprécier ici un scénario à 100 % original. Embarqués vers le futur, nous sommes invités à y découvrir le jeu nouveau destiné aux plus riches: la vie dans un passé reconstitué. Moyennement 1.000 dollars par jour, tout vacancier lassé des congés ordinaires peut ainsi s'aventurer dans la Rome antique, au Moyen-Âge ou au Far West. Vous aurez bien sûr compris que l'option numéro 3 est celle que retiennent les principaux protagonistes du film. Un choix audacieux pour grands garçons alors armés et déguisés en cowboys...

Ni une ni deux, le long-métrage emprunte au western pour laisser croire à cet imaginaire de l'Ouest sauvage. Le truc, c'est que l'illusion s'appuie sur des robots et qu'un matin, les machines se détraquent ! Partant de là, franchement, je n'ai pas vu un film très excitant. Beaucoup trop de temps est pris pour exposer les enjeux dramatiques de Mondwest, mais quand l'élément perturbateur survient, la tension attendue n'est pas véritablement au rendez-vous. Las ! J'avais espéré quelque chose qui me tienne en haleine, mais j'ai dû me contenter d'un thriller assez ordinaire, filant tout droit vers une conclusion intelligente, certes, mais très prévisible. Vous me connaissez assez pour savoir que je n'aime pas "détruire" un film: celui-là a le mérite tout de même d'être un peu en avance sur son temps et précurseur sans doute d'autres productions, mieux abouties. Revoir Yul Brynner m'a fait plaisir, aussi. Disons juste que j'attendais (un peu) mieux...

Mondwest
Film américain de Michael Crichton (1973)

C'est un fait: ce film assez malin ne m'a pas tout à fait convaincu. Même en tenant compte son âge "avancé", je crois qu'il passe à côté d'une partie de son potentiel. Le verre est à moitié plein: on peut dire aussi qu'il rappelle La planète des singes et Les sept mercenaires ! Plus évident encore, il anticipe d'une certaine façon les blockbusters cultes encore à venir, tels que Terminator et bien sûr Jurassic Park.

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Désormais, le film suscite des réactions contrastées...

Vous pourrez le constater chez Elle et Lui, Laurent et Princécranoir