lundi 31 mars 2014

François C.

Bon. J'ai revu Ne le dis à personne avec des amis. Le constat s'impose: comme beaucoup de polars, il passe difficilement le cap d'un deuxième visionnage. Aujourd'hui, je préfère donc vous dire deux mots de l'acteur principal que de revenir sur le film. J'ai réfléchi quand même à ce qui pourrait être intéressant: j'ai failli faire l'impasse, tout simplement, ou évoquer Guillaume Canet réalisateur.

J'ai donc fini par choisir d'évoquer François Cluzet. Je l'aime bien. Longtemps, je l'ai confondu avec Robin Renucci, qui n'est plus jeune que de quelques mois. Au moment d'écrire cette chronique, je vois encore que le tout petit rôle de médecin dans Le hussard sur le toit que j'attribuais à Romain avait été donné à François ! Je suppose donc que cela confirmera que j'ai vu plus de films avec le second qu'avec le premier, son pseudo-sosie. Leurs carrières d'acteur cinéma n'ont commencé qu'à deux ans d'intervalle, mais oublions Renucci ! Cluzet, sur les Bobines, c'est L'été meurtrier, Paris, À l'origine, Blanc comme neige, Les petits mouchoirs et enfin Intouchables. Sans oublier Ne le dis à personne, donc. Je vous laisse cliquer. Sincèrement, je crois bien qu'il y en a à peu près pour tous les goûts.

À ce jour, le dernier rôle dans lequel j'ai vu François Cluzet, c'est celui de président de l'Académie des Césars, cette année. Pour vous dire les choses comme elles sont, il m'a un peu déçu: je l'ai trouvé moyen. Déjà, sur le tapis rouge, son excitation évidente dissimulait bien mal un discours faussement modeste, le comédien annonçant d'avance qu'il aurait ensuite des difficultés à être à la fois drôle et intelligent. Qu'il salue d'emblée les intermittents, j'ai apprécié, même s'il l'a fait de manière un peu poussive à mon goût. En revanche, qu'il débine Alain Delon, en son absence et sans le nommer, j'ai trouvé ça "léger" et assez mesquin de sa part. Cela dit, je ne bouderai pas mon plaisir de le retrouver sur grand écran à l'occasion. Son prochain film l'associera à Sophie Marceau: Une rencontre sort en salles le 23 avril.

samedi 29 mars 2014

Lobby boy

Je suis un admirateur tardif, c'est vrai, mais je crois pouvoir dire honnêtement que Wes Anderson fait désormais partie des cinéastes que je "surveille". Séduit par ses deux précédents films, c'est confiant que je suis allé voir son tout dernier: The Grand Budapest Hotel. L'histoire: dans un pays montagnard imaginaire, au cours des années 1930, Gustave H., chef concierge d'un établissement de luxe, forme un jeune apprenti répondant au nom de Moustafa Zero. Il vient d'hériter d'un tableau de grande valeur, ultime cadeau d'une cliente...

Présenté ainsi, le film peut vous paraître affreusement banal. Pourtant, ce n'est pas le cas. Le legs offert à Gustave H. est contesté avec véhémence par le fils de la défunte, lequel entend faire valoir ses droits, de gré si possible, mais plutôt de force, à dire vrai. Partant de là, le long-métrage passe à la vitesse supérieure. N'insistez pas: je ne dirai rien de plus sur le scénario. Ce qui se passe à l'écran est juste fou, fou, fou. Drôle aussi, parfois. Il demeure toutefois une atmosphère de tension à laquelle le bon Wes Anderson ne m'avait pas encore habitué. The Grand Budapest Hotel repose certes sur la fiction et la fantaisie, mais n'oublie pas son cadre historique en l'édulcorant. L'Europe de pacotille qu'on nous présente ressemble malheureusement à la vraie: la guerre y arrivera bientôt. Vous aviez envie de vous payer une bonne tranche de rire ? Raté ! J'avais encore quelques idées noires à la sortie de la salle de cinéma.

Une chose qui peut, je crois, faire l'unanimité: Wes Anderson demeure l'un des inventeurs les plus dingues du septième art contemporain. Ce nouveau long-métrage multiplie les scènes d'anthologie sur le plan formel. Le travail qu'ont accompli les équipes techniques est exemplaire: on aime ou on n'aime pas, mais il y a là une signature qui ne ressemble à aucune autre - pour ça, bravo ! Autre constance: le réalisateur sait s'entourer. On retrouvera donc avec plaisir quelques acteurs qui lui sont fidèles: Adrien Brody, Edward Norton, Jason Schwartzman ou Bill Murray, par exemple. Allergiques au copinage, notez que ce très cher Wes a confié les rôles principaux à des "petits nouveaux": Ralph Fiennes et Tony Revolori. Le dernier nommé - le lobby boy de mon titre - n'a que 17 ans ! J'ignore quand nous le reverrons, mais il contribue significativement au charme étrange de The Grand Budapest Hotel. À vous de voir...

The Grand Budapest Hotel
Film américain de Wes Anderson (2014)

J'aurais pu mettre quatre étoiles - pour un hôtel, ça se tenait. Finalement, j'ai nuancé parce qu'il me faut admettre que le scénario ne m'a pas totalement convaincu. Il faut bien comprendre aussi qu'avec tout ce qui se passe, l'histoire avance à un rythme effréné. Jamais je ne me suis ennuyé, mais je crois très possible que le film me plaise davantage quand je le reverrai. À ce jour, j'ai un souvenir un peu plus tendre du précédent Wes Anderson: Moonrise Kingdom.

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Et avec ça, qu'en dit-on chez mes "voisins" ?

David ("L'impossible blog ciné") préfère évoquer... son avant-séance ! Parmi les blogs que je cite souvent, "Sur la route du cinéma" en parle avec quelques réserves. "Le blog de Dasola" n'est pas très élogieux non plus. J'ajoute une nouvelle référence: "Ma bulle" - son auteur signe Princécranoir et a laissé un petit mot ici à quelques reprises.

vendredi 28 mars 2014

Sa petite entreprise

Dites... vous le saviez, vous, que Cédric Klapisch préparait un film documentaire sur le champion de saut à la perche, Renaud Lavillenie ? C'est à peu près en même temps que je l'ai appris que j'ai eu l'occasion de découvrir la première fiction du réalisateur français spécialiste des oeuvres chorales: Riens du tout. Je lui courais après depuis longtemps et je suis content d'être parvenu à la découvrir enfin à l'occasion de sa rediffusion sur... la Chaîne Parlementaire. Dans ce long-métrage, une trentaine d'acteurs se trouvent réunis.

Le film est presque un huis-clos: il se déroule dans un grand magasin parisien. Directeur de la structure, Fabrice Luchini / M. Lepetit a été mandaté pour redresser les ventes jugées trop faibles et éviter ainsi la fermeture définitive décidée par les actionnaires. D'un jeu sobre pour une fois, il incarne habilement ce manager moderne qui s'efforce d'inventer mille et une opérations collectives pour fédérer ses équipes et rétablir la situation. Sur un ton resté assez badin, Riens du tout nous promène dans les rayons et expose ainsi de petites situations professionnelles, drôles, ubuesques ou tout à fait concrètes. Voir déambuler toute une troupe de comédiens fait qu'on s'attache finalement à eux et qu'on espère qu'ils s'en sortiront. On reconnaît notamment Karin Viard, Zinedine Soualem, Jean-Pierre Darroussin...

On reconnaît également la touche Klapisch. Ce bon vieux Cédric filme intelligemment des choses somme toute banales. Il a toujours plein de petites idées de mise en scène pour rendre son sujet attrayant. Ses explications sur ses observations sont intéressantes: "J'ai essayé de faire un film dont les personnages secondaires sont des héros. C'est en réalisant des films institutionnels que j'ai eu la conviction qu'il fallait parler de ce qui se passe dans les entreprises. La logique des méthodes de management veut que le rendement d'une entreprise est meilleur quand les salariés sont plus heureux dans leur travail. Paradoxe de cette idée parfaitement sympathique: elle est imposée aux gens". Le film a déjà plus de 20 ans, comme cette explication. Sincèrement, les ami(e)s... vous trouvez que les choses ont changé ?

Riens du tout
Film français de Cédric Klapisch (1992)

Même s'ils ne sont pas (encore ?) tous sur le blog, j'ai vu l'ensemble des longs-métrages de fiction signés du réalisateur ! Pour être complet, il me resterait à découvrir Maasaiitis, un documentaire tourné en 1989 pour Canal+ et consacré au peuple maasaï du Kenya. Thématiquement, je dirais que Riens du tout se rapproche d'un film beaucoup plus récent: Ma part du gâteau - avec Karin Viard, aussi. Cédric Klapisch sait parfaitement filmer la vie des gens ordinaires.

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Un constat: ce style ne plaît pas à tout le monde...

Mes amis de "L'oeil sur l'écran" y accrochent bien moins que moi.

jeudi 27 mars 2014

Made in India

En complément à ma chronique de mardi, j'ai envie ce jeudi de dire deux mots sur le cinéma indien. Le sous-continent en laisse peu venir jusqu'en Europe, mais il est réputé être le tout premier pays producteur de films. J'ai trouvé des chiffres d'il y a dix ans: l'Inde aurait possédé à l'époque 13.000 salles de cinéma et 74 multiplex. Trop souvent, j'assimile ces oeuvres à Bollywood: or, j'ai cru comprendre que ce terme ne désignait pas seulement les comédies musicales, mais le cinéma "fabriqué" à Mumbai. Une partie du tout...

Il existe une production cinématographique dans d'autres villes indiennes, celle de Mumbai n'ayant par exemple représenté "que" 206 des 1255 films indiens sortis en 2011. Le septième art demeure là-bas aussi ancien que chez nous: on dit que les frères Lumière s'étaient rendus sur place dès le 7 juillet 1896. Le premier film indien de fiction, Raja Harishchandra, est sorti le 3 mai 1913. De culture hindouiste, il reprenait l'idée d'un cinéma religieux, inspiré en cela par un film occidental lui-même consacré... à la vie de Jésus Christ.

Le cinéma indien s'est beaucoup développé depuis. Il serait aujourd'hui toujours en croissance. Il est étonnant d'apprendre qu'il a parfois bénéficié du soutien du colon anglais. Sous sa forme traditionnelle, il paraissait aux Britanniques de meilleure influence que le cinéma américain, dominateur sur le marché des origines. Aujourd'hui, les films parlent 12 des 14 langues officielles reconnues par la constitution. Pour être diffusées, les productions étrangères doivent également être doublées en anglais, hindi, bengali et tamoul.

mardi 25 mars 2014

Dans la boîte

Cela semble incroyable: si Wikipedia dit juste, la population indienne a été multipliée par 3,3 entre 1951 et 2011. Elle a aujourd'hui dépassé l'impressionnant chiffre de 1,2 milliard d'habitants. Conséquence parmi d'autres de cet état de fait: d'innombrables travailleurs indiens se font envoyer au bureau des repas préparés... par leurs épouses. Certains préfèrent louer les services d'un traiteur voisin. Cet usage génère un ballet quotidien de livreurs. Et c'est en suivant les trajets de certains d'entre eux que The lunchbox développe son argument...

Retenu lors de la Semaine de la critique du Festival de Cannes l'année dernière, ce très beau film titillait ma fibre cinéphile pour une raison simple: je voulais voir un film indien qui ne soit pas un Bollywood. Mission accomplie ! Je suis sincèrement très content de ma décision. Exploration d'une culture bien différente de la nôtre, The lunchbox aborde des thèmes universels: le deuil, l'espoir, l'amour. Il rappelle avec beaucoup de subtilité et de douceur qu'en dépit des apparences superficielles, les êtres humains ne sont jamais très différents les uns des autres. L'idée de base est magnifique: c'est en osant tirer parti d'une erreur dans un système rodé et réputé infaillible qu'un homme et une femme nouent contact et se dévoilent alors progressivement l'un à l'autre. Un long métrage qui, à l'époque des e-mails, imagine une correspondance par gamelle... pour tout dire, ça m'a fait du bien. Quel plaisir que de goûter à du cinéma étranger dans ces conditions !

Attention: souriant et tendre, The lunchbox renferme aussi une part de noirceur. S'il paraît clair que Saajan et Ila se réconfortent réciproquement par l'envoi de leurs lettres cachées, leur échange épistolaire peine à venir à bout de la distance qui les sépare physiquement. Je vous laisse découvrir comment ils s'en affranchiront finalement (ou pas) - et vous faire du même coup votre opinion personnelle sur la morale de cette histoire. Plutôt que de dévoiler ici ce qui arrive, j'entends ici louer le joli travail des deux acteurs principaux, Irrfan Khan et Nimrat Kaur, dont j'ignorais tout jusqu'alors et dont le jeu tout en retenue m'a beaucoup plu. Sans temps mort véritable, le scénario ménage de beaux silences, où leur expressivité fait merveille. Troisième "larron", Nawazuddin Siddiqui ajoute encore à l'émotion avec un personnage exaspérant et... admirable ensuite. Cette histoire est traitée avec une finesse et une délicatesse rares.

The lunchbox
Film franco-germano-indien de Ritesh Batra (2013)

On va dire "film indien" pour simplifier, d'accord ? Même si les nations et leurs peuples sont bien différents, j'ai retrouvé ici la pudeur caractéristique d'un certain cinéma asiatique, telle que je l'ai évoquée chez le Japonais Hirokazu Kore-eda ou le Singapourien Anthony Chen par exemple. Je vous laisse explorer mon index "Cinéma du monde". L'affiche du film fait fausse route, qui parle de comédie romantique. Côté coeurs étrangers, je préfère vous réorienter vers Les acacias...

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Bien qu'assez discret, le film fait positivement parler de lui...

À voir sur deux sites: "Sur la route du cinéma" et "Le blog de Dasola".

lundi 24 mars 2014

En attendant Rackham

J'aime autant vous le dire tout de suite: je n'ai jamais été un dingue de Tintin. J'ai toujours préféré les héros plus complexes. Entouré d'innombrables personnages archétypaux, c'est vrai, mais à mes yeux plus crédibles que lui, le jeune reporter inventé par Hergé me semble en somme "trop beau pour exister" et susciter ma complète adhésion. C'est donc plutôt par respect - et curiosité persistante - pour le travail de Steven Spielberg que j'ai eu envie de voir et me suis fait prêter Les aventures de Tintin - Le secret de la Licorne. Merci à Philippe !

La trame de l'intrigue est sensiblement la même que celle de la BD. C'est mieux de vous renvoyer aux albums originaux que de dévoiler tout du scénario. La première des limites formelles que j'ai perçue tient au fait que ce film, visiblement fabriqué pour un écran cinéma géant, perd une partie de son aspect spectaculaire sur la lucarne réduite d'une télé. Pour autant, Les aventures de Tintin... demeure un spectacle et ne manque jamais d'attrait. Je dois admettre également que je craignais être rebuté par l'image: avec son pote Peter Jackson producteur, "Spielby" s'essaye au performance capture, une nouvelle technologie qui combine la prise de vue d'images réelles et les techniques numériques de l'animation 3D par ordinateur. Passé un temps d'adaptation, ça a fini par me plaire: j'ai passé outre l'oubli du plus élémentaire réalisme et j'ai fini par me dire que l'ami Steven évitait la décalcomanie. Un juste mélange d'humilité et d'intelligence.

Les aventures de Tintin... est a priori le premier épisode d'une série de trois. Le prochain opus devrait débarquer en salles l'an prochain. Sans être impatient, j'attends de voir, tout de même: la conclusion offerte à ce premier volet est quelque peu abrupte. Il est vrai aussi qu'avant cela, le film part dans tous les sens, comme un feu d'artifices visuel (et musical) qui pourra peut-être agacer les puristes. Personnellement, je n'y vois rien de choquant. Je préfère simplement les univers "spielbergiens" un rien plus posés et/ou plus personnels. Je retrouve toutefois le souffle de jeunesse qui s'étend sur l'essentiel de la filmographie du maître, lequel garde indéniablement un talent unique pour trouver mille idées de mise en scène. Les albums adaptés datant des années 40, je crois qu'on peut dire que leur modernisation reste très honorable. J'ai vu mieux, mais j'ai vu bien pire, aussi. Notez que Steven Spieberg espérait faire son Tintin depuis... 1982 !

Les aventures de Tintin - Le secret de la Licorne
Film américain de Steven Spielberg (2011)

Je vous l'ai dit plus haut: je préfère les Spielberg un peu plus posés. Rien de rédhibitoire ici, toutefois: j'ai passé un bon moment. Conclusion: comme moi, je vous conseille de voir ce film en famille. Maintenant, j'imagine que j'aurai davantage de plaisir à revoir ultérieurement un Indiana Jones des années 80 ou une autre oeuvre "old school" du maître américain. Côté belge, je n'ai rien à ajouter...

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Si ! Je peux laisser la parole à d'autres cinéphiles...
Vous verrez: David ("L'impossible blog ciné") a beaucoup aimé le film. Phil ("La cinémathèque de Phil Siné") en dit du bien aussi. Inversement, Pascale ("Sur la route du cinéma") n'a pas accroché...

samedi 22 mars 2014

Bananes

J'ai habité Rouen quelques années. Peu curieux, jamais je ne me suis intéressé au Festival du cinéma nordique qui y était organisé alors. J'ignore à quel point le septième art est développé sur ces terres. Côté finlandais, je connais juste le nom d'Aki Kaurismäki, depuis peu, c'est vrai, mais assez pour avoir de lui une image favorable. Poussé par cet a priori encourageant, je suis allé voir dans une petite salle d'art et d'essai l'un de ses films: Leningrad Cowboys go America. J'affirme donc sans hésiter que ça valait le coup - et mes cinq euros !

Leningrad Cowboys go America: le titre annonce déjà la couleur fantaisiste de cette improbable pochade musicale. Santiags taille XXL et coiffes démesurées, les Leningrad Cowboys sont un groupe de rock finlandais absolument improbable, talent incertain et dégaine impayable. Ils sont tellement mauvais qu'ils répètent dans la toundra, loin de tout lieu d'habitation un peu civilisé. L'un des leurs est mort guitare en mains, de froid, après avoir répété toute la nuit. Je sais que ça a l'air bizarre dit ainsi, mais le groupe existe pour de bon ! Encore récemment, il a rassemblé plusieurs dizaines de milliers d'admirateurs lors d'un concert avec les choeurs de l'Armée rouge ! Honnêtement, dans le film, il a moins de succès: un dignitaire d'apparence soviétique venu l'auditionner déclare au manager qu'il n'a aucun potentiel commercial. Seule possibilité: s'exiler aux États-Unis où, c'est bien connu, les gens écoutent franchement n'importe quoi.

Il faut sans doute être gentiment frappé pour inventer une histoire pareille. Le fait est pourtant qu'en bons losers, les Leningrad Cowboys s'avèrent plutôt sympathiques. Comme beaucoup d'autres émigrants avant et après eux, ils s'attachent mordicus à leur rêve d'Eldorado pour poursuivre leur chemin, encore et toujours. Cette route américaine les conduira jusqu'au Mexique et je vous laisse découvrir les péripéties qu'ils devront traverser - et également ce qui arrivera une fois qu'ils seront rendus. Mine de rien, leur périple permet au film de dire quelque chose de l'Amérique elle-même, dans une facette méconnue, sans doute la moins reluisante. Aki Kaurismäki évite intelligemment le piège du cynisme ou de la dénonciation. Il semble avoir pris le parti d'en rire, mais ce n'est jamais vraiment aux dépens de ses personnages. Leningrad Cowboys go America prête à sourire plutôt qu'à se moquer. Oui, cette odyssée musicale met... la banane.

Leningrad Cowboys go America
Film finlandais d'Aki Kaurismäki (1989)

J'ai vu le film en repensant à The Blues brothers: la comparaison n'est pas parfaite, mais il y a tout de même plusieurs points communs entre les deux longs-métrages, l'importance de la bande originale étant bien sûr le premier. Il y a peu d'oeuvres qui me viennent aujourd'hui à l'esprit pour vous proposer un contrepoint. Je suis donc à l'écoute de vos suggestions. J'espère désormais pouvoir voir un jour la suite de ce "machin": Les Leningrad Cowboys rencontrent Moïse !

jeudi 20 mars 2014

Truqueurs en série

Un petit tour sur mon index des réalisateurs vous le rappellera: j'avais bien aimé les deux derniers films de David O. Russell. Je suis allé voir le nouveau sans grande hésitation et, par un hasard amusant, un an jour pour jour après le précédent. Retour dans les années 70 sublimé par des costumes caricaturaux, American bluff m'avait semblé être une comédie. Ce n'est pas tout à fait ça... mais je ne suis pas déçu. Même si le scénario manque un peu d'épaisseur, les personnages demeurent assez attachants pour qu'on passe un chouette moment.

American bluff, film chic et cool. Le réalisateur a ressorti son carnet d'adresses pour rappeler des comédiens avec lesquels il avait déjà eu l'occasion de travailler précédemment. On serait vraiment mal avisé de s'en plaindre, puisqu'il a rassemblé quelques-uns des acteurs emblématiques du grand Hollywood d'aujourd'hui : un Christian Bale bedonnant partage les projecteurs avec Bradley Cooper, Amy Adams, Jennifer Lawrence et Jeremy Renner. Cette distribution en or massif s'avance légitimement comme le premier atout du film. Elle aura été ma première motivation pour le voir, en tout cas. J'y suis allé confiant en la capacité de tout ce petit monde à m'enthousiasmer.

Bingo ! Pas besoin que j'ajoute le nom de la vedette XXL qui fait également une apparition furtive pour une mini-scène de négociation assez rigolote: American bluff et son casting glamour emportent aisément le morceau. Il est temps désormais de vous dire deux mots de l'intrigue. Sachez donc qu'Irving Rosenfeld exploite efficacement plusieurs commerces respectables, tandis qu'en sous-main, il incite quelques gogos à lui confier l'argent nécessaire à un train de vie confortable. Son petit manège marche d'autant mieux qu'il est associé avec sa copine, le très jolie Sydney Prosser, bien qu'il ait également une épouse officielle et un jeune fils adoptif qu'il aime énormément...

Vous suivez ? Les combines d'Irving sont finalement démasquées. Dans le rôle du vil empêcheur de frauder en rond, un agent du FBI plutôt malin, Richie DiMaso. Pas insensible au charme de la maîtresse du délinquant, le flic propose un arrangement: la liberté en échange d'une formation accélérée aux techniques de l'arnaque. L'ambition qu'il s'est donnée consiste en réalité à attraper des poissons plus gros. C'est presque devenu une obsession: politiciens véreux et chefs mafieux doivent tomber, c'est ainsi ! Parce que sa maman lui a appris à ne jamais mentir, notre homme s'acharne. Et American bluff complète alors une galerie de portraits jubilatoire. Ressort comique !

Sur le plan technique, bien qu'un peu long à conclure, le film offre suffisamment de belles choses pour "tenir la distance". J'ai déjà parlé des costumes et j'ajoute la musique, du bonheur pour les oreilles. Bavard mais bien écrit, avec des rebondissements sympa, le scénario est franchement séduisant, lui aussi, et pour partie tiré d'une histoire vraie, paraît-il - ce qui reste l'une des grosses tendances du cinéma américain toutes ces dernières années. Il manque un je ne sais quoi pour qu'American bluff soit vraiment un très grand film. Une voix off un peu trop présente a fait écrire à quelques-uns que le réalisateur jouait les Martin Scorsese. Est-ce un reproche ? À vous d'en décider !

American bluff
Film américain de David O. Russell (2013)

Sympa: c'est le qualificatif que je retiendrai, je crois, pour parler objectivement du long-métrage. Parce que je pense que l'objectif poursuivi était de produire un divertissement, je dirais: mission accomplie ! Libre à vous désormais, comme moi, de lui préférer aussi ce que David O. Russell avait créé avant, Happiness therapy notamment ou encore Fighter. Déjà populaire, le réalisateur ajoute son nom à la liste l'un des cinéastes à suivre, pourrait-on conclure. Évidemment, on peut préférer revoir Les affranchis ou Le parrain...

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Avant de passer à autre chose, je souligne un dernier point...

Pascale ("Sur la route du cinéma") a plutôt bien aimé, elle aussi.       

mercredi 19 mars 2014

Au nom du fils

Oscar du meilleur film étranger 1998 et Grand Prix du jury au Festival de Cannes la même année... La vie est belle est un film apprécié. J'aime autant préciser que je parle bien évidemment du long-métrage réalisé par Roberto Benigni - j'espère aussi pouvoir un jour évoquer son homonyme signé Frank Capra, mais ce ne sera pas aujourd'hui. Roberto Benigni, donc: dans un recoin de ma mémoire, j'avais l'image de l'Italien, prosterné devant Martin Scorsese, premier des jurés cannois cette année-là. L'artiste était reconnaissant d'être... reconnu.

Méritait-il cet instant de gloire sur la Croisette ? Très certainement. La vie est belle est un beau film. Il nous embarque dans l'Italie fasciste de la fin des années 30. Guido, garçon tout aussi maladroit que joyeux, souhaite ouvrir une librairie à Arezzo, jolie petite cité toscane. Dans le même temps, pitre au sourire en permanence vissé au visage, il tombe amoureux de Dora, une jeune institutrice. L'ensemble de la première partie du film montre comment, à force d'apparaître inopinément aux yeux de son aimée, le jeune homme parvient à gagner la réciprocité de ses nobles sentiments. Il y a là quelque chose qui ressemble à la douce naïveté de Charles Chaplin. Bonheur de courte durée. Le ton change radicalement par la suite quand, parce qu'il est juif, Guido est envoyé en camp avec son épouse et leur fils. Et c'est précisément dans l'approche de ce drame effroyable que le long-métrage s'avère original et - j'ose le dire - joli.

Je vous laisse le découvrir par vous-mêmes: en fait, Guido va faire en sorte de préserver son enfant du cauchemar. Il lui dira sans arrêt qu'il participe à un grand jeu et que, s'il suit les règles scrupuleusement, il pourra vite rentrer chez lui... en char d'assaut ! Incroyable mais vrai: cet argument obscène en d'autres mains paraît presque poétique avec Roberto Benigni devant et derrière la caméra. La vie est belle est une fable: rien que son titre est trompeur. Curieusement, sans larmes ni violons, le long-métrage convainc parfaitement de sa justesse. La vérité historique demeure, sordide entre toutes, mais elle est on ne peut mieux transcendée par le geste accompli par ce père pour son fils. Bien conscient que son approche de la Shoah ne pouvait pas faire l'unanimité, l'acteur-réalisateur confiait avoir d'abord reculé, sitôt après avoir eu l'idée du film. J'espère, comme lui, vous conseiller de ne rien y chercher de réaliste.

La vie est belle
Film italien de Roberto Benigni (1997)

Ce long-métrage est sorti quatre ans après La liste de Schindler. Comparer l'oeuvre de Steven Spielberg à celle de Roberto Benigni demeure pertinent parce qu'elles traitent des mêmes événements historiques. Elles sont bien différentes et, je crois, sans équivalent l'une et l'autre. À chacun sa façon de répondre au devoir de mémoire. N'hésite pas, ami lecteur, à me faire quelques autres suggestions...

lundi 17 mars 2014

Rêve d'amour

Je n'en éprouve aucune amertume, mais j'ai le sentiment persistant que les films d'animation français sont mésestimés. Je crois le public plutôt tourné vers les oeuvres américaines ou japonaises. J'avoue d'ailleurs que c'est invité par un ami - salut, Jean-Mi ! - que je suis allé voir Jack et la mécanique du coeur. Je n'avais pas lu le roman éponyme, prêt d'un autre pote - hello, Johan ! Même s'il m'a fallu quelques minutes pour accepter cet univers, j'ai aimé ce que j'ai vu. Parti un peu à l'aveuglette, je suis donc plutôt satisfait, pour le coup.

Résumons. Jack et la mécanique du coeur a pour héros un garçon né un jour d'hiver particulièrement froid. Étant acquis que son organe vital n'a pas supporté d'être ainsi exposé au gel, l'enfant a dû subir une greffe dès le premier jour de son existence: son coeur a été remplacé par... une horloge. Trois règles inviolables sont censées garantir l'efficacité de ce dispositif: Jack ne doit en aucun cas toucher à ses aiguilles, céder à la colère ou tomber amoureux. Je confirme que c'est évidemment tout le contraire qui va se produire. Vite lassé du foyer familial, le jeune homme quitte son cocon pour fréquenter l'école de la grande ville. Sa rencontre inopinée avec une chanteuse des rues va le conduire sur de dangereux chemins de traverse. Parti d'Écosse, le film chemine vers l'Espagne, après une étape en France...

J'en ai déjà dit beaucoup trop sur le scénario. C'est à vous désormais d'aller voir - ou de dire - si cette histoire vous plait ou non. On peut apprécier Jack et la mécanique du coeur comme un long clip vidéo. Mathias Malzieu, l'un des réalisateurs, est en effet le leader du groupe français Dionysos et ses chansons forment la bande originale du film. On entendra aussi le timbre particulier d'Olivia Ruiz, collaboratrice patentée et interprète de Miss Acacia, le premier des personnages féminins. Amateurs de slam, vous retrouverez aussi Grand Corps Malade. J'ai eu un plaisir immense à entendre une autre voix encore dans ce concert improbable: celle de Jean Rochefort, qui apporte toute son éloquence à Georges Méliès, pionnier du cinématographe. Au final, qu'avons-nous ? Une oeuvre atypique et d'une grande poésie.

Jack et la mécanique du coeur
Film français de Mathias Malzieu et Stéphane Berla (2014)

Si le titre de ma chronique vous déroute, je vous recommande vivement d'aller voir le film pour mieux comprendre. Il faut savoir donner sa chance au cinéma d'animation français de nous surprendre. Pas sûr que cela soit destiné aux enfants. J'ai lu une comparaison entre ce film et les oeuvres de Tim Burton. Je ne suis pas convaincu. Ce film ou L'étrange Noël de Monsieur Jack ? Je choisis... les deux !

dimanche 16 mars 2014

À l'assaut des salles

Avis aux amateurs: l'édition 2014 du Printemps du cinéma a lieu aujourd'hui, lundi et mardi. C'est une bonne occasion de découvrir un ou plusieurs films en salle: les exploitants participants sont engagés pour pratiquer un tarif - hors supplément 3D - de 3,5 euros la séance. Pas d'exception: les sorties de mercredi sont également concernées !

Quelque 5.400 cinémas jouent le jeu: c'est un joli chiffre, je trouve. Maintenant, c'est à vous de regarder le programme de votre salle préférée la plus proche pour en profiter - à moins que vous ne vouliez enfin donner sa chance au petit cinéma de quartier que vous négligez d'habitude. Le Printemps du cinéma n'altère en rien ma philosophie ordinaire: l'important reste le plaisir à voir ce que vous aurez choisi.

Ce que vous avez peut-être déjà vu, comme moi, c'est la campagne promotionnelle qui, depuis déjà 3-4 semaines, annonçait l'événement. Elle a été conçue en hommage aux fauteuils rouges caractéristiques des salles obscures, avec un clin d'oeil à d'autres sièges "mythiques" apparus à l'écran ces dernières années. Cela aura-t-il permis d'attirer beaucoup de monde ? Désormais, la réponse est en chacun de nous...

samedi 15 mars 2014

Une autre chance

La fascinante beauté d'Eva Green n'explique pas à elle seule l'envie qui était la mienne de découvrir Womb. Si j'ai repéré ce long-métrage quand il est passé sur Arte, c'est d'abord en raison de la nationalité hongroise de son réalisateur. Je me suis dit que c'était l'opportunité de planter un nouveau petit drapeau sur ma page "Cinéma du monde". Me voilà satisfait que ce soit avec un film franchement atypique ! Malgré, donc, la présence de la fille de Marlène Jobert, le film garde un aspect fantastique, comme j'en avais peu vu sur écran jusqu'alors.

Tourné, je crois, sur les rivages du nord de l'Allemagne, Womb présente deux enfants pour personnages principaux, deux enfants d'une dizaine d'années: Rebecca et Tommy s'aiment sans se le dire. Un beau jour, la fillette annonce au garçon qu'elle va partir: sa mère et elle s'installent au Japon. Un ellipse de cinéma et bien des années plus tard, Rebecca revient, retrouve Tommy, s'offre une autre chance de vivre enfin son amour de jeunesse. Tout fonctionne parfaitement. C'est alors que survient une tragédie: l'amant retrouvé est tué, fauché par une voiture sur le bord d'une route. Ce qui ressemblait encore beaucoup à notre monde d'aujourd'hui vire à la science-fiction quand, inconsolable, la jeune femme se décide à avoir un enfant - le bébé qu'elle portera et fera naître n'étant en fait que... le clone du défunt.

Parcouru de longs silences, Womb est sans aucun doute l'un des films les plus froids parmi ceux que j'ai eu l'occasion de découvrir. Tourné au bord de la mer, il en profite pour offrir de magnifiques tableaux paysagers, grandes étendues sablonneuses et ciels menaçants. L'environnement semble lourd de menaces, tant ce qui s'y passe défie les lois de la nature. Cette atmosphère grisâtre en rebutera plus d'un. D'autres, plus hardis ou tout simplement plus patients, trouveront peut-être matière à réflexion au milieu d'idées assez inconfortables. Excepté Eva Green, je ne connaissais aucun des acteurs embarqués dans cet OVNI de cinéma, même pas ce Matt Smith que les amateurs de séries apprécient comme l'une des incarnations de Doctor Who. L'ensemble m'a intrigué. À vous peut-être de vous faire une idée...

Womb
Film franco-germano-hongrois de Benedek Fliegauf (2010)

Comparé à Never let me go dont je vous ai parlé ici même dimanche dernier, ce long-métrage est moins démonstratif, moins tragique aussi. D'aucuns pourront certes juger des plus malsaines la manière dont il s'empare du thème du clonage - c'est vrai que l'idée d'inceste n'est pas loin. On peut aussi voir Womb comme le récit improbable d'un amour impossible. Présenté ainsi, il n'est pas le moins captivant.

mercredi 12 mars 2014

Benoît Mariage (se) raconte

J'aime beaucoup ce que je connais du cinéma de Benoît Mariage. C'est, avec la présence de Benoît Poelvoorde au générique, ce qui m'a incité à aller voir Les rayures du zèbre. Animé par la volonté persistante de mieux connaître le cinéma belge, je me suis dit également que ce serait sympa d'interviewer le réalisateur namurois. Contacté chez lui, il a accepté ma proposition. Et voilà le résultat...

Votre film s'inspire d'une réalité de l'Afrique contemporaine. Comment la qualifiiez-vous, cette réalité ?
Au départ, je ne la qualifiais pas, parce que je ne la connaissais pas. Quand je m'y suis intéressé, j'ai rencontré un agent de joueurs belge, Serge Trimpont, à Abidjan. Il m'a proposé de le suivre dans son travail. J'avais quelques craintes, basées sur le préjugé d'un esclavagisme moderne. J'ai finalement trouvé que les choses étaient beaucoup plus ambiguës et plus complexes. On vit dans le monde de l'argent dans tous les domaines: quand on sait que nos smartphones sont faits en Chine pour des salaires de misère, on se rend compte que l'exploitation de l'homme par l'homme n'est pas un problème propre au football. Elle fait hélas partie du monde contemporain.

Vous parliez d'ambiguïté...
Pour tous ces Africains d'une quinzaine d'années, l'avenir s'annonce plutôt sombre. Les seules icônes auxquels ils peuvent s'identifier sont les Didier Drogba et consorts. Nous, on peut déjà imaginer les salaires de ces joueurs et ils sont énormes. Pour un Africain, ce sont des sommes astronomiques: beaucoup de gamins pensent trouver sur les terrains de football une meilleure solution pour eux et leur famille. C'est en cela que tout devient ambiguïté: les mères de famille retirent leurs enfants de l'école parce que le foot est leur unique planche de salut. Or, l'Eldorado, il sera peut-être pour un gamin sur mille...

De ce terrible constat, vous êtes parvenu à tirer une comédie. C'est quelque chose que vous revendiquez...
Oui. Parler de choses graves avec humour, c'est peut-être aussi ma façon d'aborder la vie, même en dehors du cinéma. Sur ce sujet, il y a déjà eu plein de documentaires d'investigation qui montraient des situations bien plus oppressantes et difficiles que celle que je décris dans le film. Je n'ai pas l'âme d'un journaliste, mais plutôt celle d'un bouffon: j'écris avec mes armes, mes atouts et mes limites. J'ai donc essayé de faire une comédie, mais, comme pour toutes mes comédies, avec un petit côté dramatique, à l'italienne. Faire mourir un protagoniste aux deux tiers du film, ce n'est peut-être pas très conseillé dans les manuels de scénario...

Le film est vide de tout sentiment de culpabilité de votre part. Vous ne vous considérez donc pas comme un "méchant" Européen venu réparer le mal causé à l'Afrique...
Non. Si j'avais eu un sentiment de culpabilité, je n'aurais pas été aussi frontal et parfois politiquement incorrect. C'est peut-être le problème: quand on parle de l'Afrique, le propos est souvent teinté d'une culpabilité diffuse et profonde d'avoir été le colonisateur et l'exploiteur, mais c'est quelque chose que je ne ressens pas. J'ai pu dès lors être aussi bien avec les Noirs qu'avec les Blancs, en me disant que la cupidité peut se trouver dans l'âme européenne et, tout autant, dans l'âme africaine. Là-dessus, je n'ai pas eu de souci du tout.

L'humour est une notion relative. Comment le film a-t-il été perçu dans les différents pays et d'abord chez vous, en Belgique ?
Le film a cartonné en Belgique ! Jamais on ne m'a dit qu'il était raciste. C'est en France que j'ai eu quelques remarques: en référence à une scène du film, on a pu me dire par exemple: "Moi, je connais des Noirs qui savent conduire une voiture avec une boîte automatique". Il y a également, aux États-Unis, des gens incapables de faire un changement de vitesse ! Peut-être les remarques révèlent-elles davantage la personne qui les fait. Cette notion d'éthique, cela se joue de soi à soi. Je n'ai jamais eu de sentiment d'être en porte-à-faux par rapport à ce film. Si ça met les Européens mal à l'aise, parfois, une autre chose qui est vraie, c'est que ça fait beaucoup rire les Africains. Leur rapport au rire me paraît plus sain. C'est un rire beaucoup plus décomplexé.

Le film a-t-il été vu en Afrique ?
Il le sera au mois d'avril, avec une avant-première à Abidjan.

S'il marche moins bien en France, c'est peut-être lié au passé colonial, non ?
Non, je ne pense pas. Les gens nous connaissent mieux en Belgique. Je ne sais pas... c'est comme ça.

Dans votre film, on voit le club de Charleroi, qui existe réellement et s'appelle vraiment les zèbres. Les joueurs l'ont-ils vu ?
Tout le club était invité à l'avant-première. Je n'ai pas parlé avec tout le monde, mais je pense que ça a fait rire les footballeurs. Ils étaient contents de se voir, aussi. J'ai choisi ce club de milieu de classement du championnat belge de première division, parce qu'il y a beaucoup d'Africains qui y jouent et qu'on ne les connait pas nécessairement. C'est vrai que je n'ai pas pris de club-phare. Je ne voulais pas écrire une success story à l'américaine: Charleroi, c'était juste le bon club pour ça. Et c'est là aussi, à Charleroi, que j'ai tourné Les convoyeurs attendent et Cowboy. Il y aussi un peu de tout ça dans ce choix...

Un mot sur votre distribution ? On commence avec Marc Zinga ?
Le paradoxe, c'est qu'il n'est pas du tout ivoirien ! En allant en Afrique sur les terrains de football, on découvre des lieux très chargés et plein de visages: pour s'en sortir, les gamins y mettent tout leur coeur. Je travaille souvent avec des non-professionnels. J'avais donc le choix: soit je prenais un vrai footballeur à qui j'apprenais à jouer, soit je prenais un vrai bon acteur à qui j'apprenais le football. J'ai choisi la deuxième solution. Marc est un acteur belge d'origine congolaise. Il a fait le conservatoire de Bruxelles. C'est son premier grand rôle au cinéma. Depuis, il a fait le biopic d'Abd Al Malik, joué Patrice Lubumba dans une pièce de théâtre à Lyon... il commence vraiment à émerger. Je l'avais repéré car je suis professeur dans une école de cinéma. L'un de mes élèves était venu avec lui pour faire un court-métrage, il y a six ou sept ans maintenant. Il m'avait déjà tapé dans l'oeil. Il a dû apprendre à jouer au foot pendant plusieurs mois...

La méthode Actors Studio !
Tout à fait ! Marc est un vrai acteur à l'anglo-saxonne. Un bosseur.

Il a des origines congolaises, dites-vous. Ironiquement, je crois bien me souvenir que, dans le film, vous lui faites dire qu'il faut se méfier des Congolais...
Le Congo est une ancienne colonie belge, en fait. Oui, c'est également la réputation des Congolais en Afrique de l'ouest. On est toujours le Congolais d'un autre ! Cela m'amusait: le racisme ou disons une certaine forme de sectarisme n'est pas propre à l'âme blanche. On peut en retrouver dans toutes les cultures.

J'en viens à Benoît Poelvoorde, que vous connaissez bien. Pourtant, ce n'est pas lui que vous aviez choisi, au départ...
Effectivement, j'avais d'abord retenu François Damiens, un ami aussi. On a fait des essais avec Franz, mais le problème est qu'il n'est pas assez vieux. Quand il était avec Marc, ça faisait "pote", pas "père". Je tenais à cette relation paternelle - inconsciente - entre les deux. Avec Ben, ça marchait: il a dix ans de plus qui ont fait la différence.

C'est un peu votre acteur-vedette, également...
J'ai dû insister pour qu'il accepte ce rôle-là. Je crois lui donner des personnages avec toute une palette, du rire aux larmes: je veux jouer toutes les notes de piano. Benoît est un Steinway: il a une gamme très large, que j'essaye d'utiliser au maximum.

Comment avez-vous tourné ? En respectant la progression dramatique ? Ou, au contraire, arrive-t-il à passer ainsi facilement d'un sentiment à l'autre ?
On a tourné le retour en Afrique avant la Belgique: Benoît a donc adopté de nouveaux sentiments du jour au lendemain, alors que nous n'étions pas dans la continuité du film. C'est précisément ce qui m'épate chez lui. C'était formidable ! Il m'a vraiment impressionné. Bien sûr, ce n'est certainement pas à moi de le dire, mais je pense que c'est quand même un très beau rôle...

Vous parliez du côté "amateur" de votre distribution. Il y a aussi dans le film des Africains qui jouent leur propre rôle...
Oui, et par exemple Bibo, le recruteur qui porte le maillot d'Arsenal. C'est avec son club qu'on a travaillé. Il y a aussi le chauffeur, Franck, qui a le même rôle et s'appelle d'ailleurs bien Franck dans la vraie vie, et Nadia, qui joue la copine de Tom Audenaert, cette petite Africaine qui vient en Belgique ensuite, qu'on a trouvée dans une boîte de nuit. On a fait des castings africains pour les petits rôles comme celui du ministre, pendant des journées entières, en voyant des centaines de personnes, en organisant avec eux des ateliers de jeu. C'était en fait pour moi la partie la plus intéressante du film, un grand moment. Tout était à faire. Le pays sortait juste d'une guerre civile. En Côte d'Ivoire, il n'y a pratiquement pas de cinéma.

Tous ces gens ont-ils apporté quelque chose à leurs rôles ?
Oui. Ils ont toujours apporté la vérité de leurs personnages. Une sorte d'ancrage naturaliste au film. On n'est pas dans une simple comédie codée, où tout le monde joue. Il y a quelque chose qui se rapproche du documentaire. L'Afrique n'est pas une toile de fond anecdotique. Avec sa véracité, elle fait partie de la narration et de la dramaturgie.

Autre aspect marquant du film: tout le monde y parle français...
Oui, chacun avec une langue qu'il se réapproprie. Les Ivoiriens d'abord, le Belge comme un vieux Bruxellois, le Kosovar avec l'accent des Balkans... la symphonie d'une francophonie métissée. J'ai toujours aimé Western, le film de Manuel Poirier, avec Sacha Bourdo et Sergi Lopez. Ces deux non-Français pérégrinent en France, l'un parlant français avec l'accent russe, l'autre avec l'accent espagnol. Je trouve que la poésie de ce film tient beaucoup à cette réappropriation de la langue française. C'était resté dans un coin de ma tête...

Un mot sur la technique: vous avez un nouveau directeur photo sur ce film. Et c'est encore un Benoît...
Oui, Benoît Dervaux, qui est l'habituel cadreur des frères Dardenne. Je l'ai justement choisi pour retrouver cette manière de filmer naturaliste. Par ailleurs, c'est mon collègue de travail: il enseigne dans la même école que moi.

Et qu'en est-il des autres techniciens ?
Cette fois-ci, j'en ai pris beaucoup de nouveaux. Toute la filière son était faite en Suisse, par exemple, pour des raisons de coproduction. J'ai pris un nouveau chef décorateur, également. Je me suis mis un peu en danger, en fait. J'avais presque gardé les mêmes techniciens pour mes trois premiers films et m'étais dit qu'à la fin, je n'étais plus forcément surpris ou surprenant pour eux. Je voulais quelque chose de nouveau...

C'est aussi parce que vous changiez de continent, peut-être ?
Non. Je voulais juste une autre approche.

Il y a toutefois beaucoup de musique africaine dans le film...
Oui, mais je ne l'ai pas faite seul: je ne suis pas un grand spécialiste. Mon producteur est passionné de musique et j'étais entouré par un conseiller musical. On en a testé beaucoup, en pêchant dans le patrimoine de la musique ivoirienne contemporaine. On voulait mettre des sonorités africaines, mais aussi de la musique qui reflète l'âme des personnages et leur évolution. Cette musique-là a été composée par un Français, Emmanuel d'Orlando. Tout a été fait après: je n'avais pas de musique en tête pendant le tournage.

Au final, que retenez-vous de cette aventure africaine ?
Que c'était assez difficile ! On ne tourne pas en Afrique comme on peut le faire en Europe. Nous n'avions pas beaucoup d'argent et devions faire les choses assez vite. Cela dit, le plaisir aura également été de travailler avec une équipe mixte. Ce qu'il y a de plus chouette maintenant, c'est qu'avec les gens qui ont bossé sur le film, mon producteur a créé une structure de production exécutive là-bas. Quelque chose perdure: c'est ce qui me fait le plus plaisir. Au cinéma, en général, on arrive, on fait le film et on repart. Là, des gens ont appris un métier et on sent une grande envie de cinéma en Côte d'Ivoire. Je vais peut-être aller y donner des cours. Je ne vous dis pas que je referai un film africain, mais l'histoire pourrait se poursuivre autrement, à un niveau pédagogique.

Ceux que vous avez rencontrés sont avides de mieux comprendre le cinéma...
Certainement. Nous nous sommes aperçus qu'il y a environ 7 millions d'habitants à Abidjan, dont près de la moitié a moins de vingt ans, mais pratiquement pas de salles de cinéma. Bien que le personnage principal ne soit pas africain, les gens que nous avons rencontrés s'identifient pourtant à ce film. Ils en voient tellement peu: l'Afrique est un vrai continent d'avenir pour le cinéma, tandis que nous avons du mal à choisir que faire ou que voir. Nous, les Européens, sommes au contraire dans une sorte d'obésité culturelle...

Et sinon ? D'autres projets pour la suite ?
Oui, mais je ne veux pas en parler pour l'instant. C'est encore fragile. J'ai pris quelques notes...

Vous avez également une expérience de "non-fiction". Vous avez travaillé pour l'émission Strip-tease, par exemple. Page tournée ?
Oui, parce que je me suis trouvé une passion pour l'écriture. Écrire me plaît presque plus que tourner, alors que, c'est marrant, je viens du documentaire. Je crois également que c'est en tournant des films que je vais me perfectionner. À 52 ans, j'ai l'impression d'être presque au début d'une carrière. Je me contredis un peu: j'ai tourné un documentaire sur Bouli Lanners pour la Cinémathèque, par ailleurs, mais je crois qu'il faut donner toute son énergie à la fiction. J'ai envie en tout cas de consacrer mon énergie à l'écriture d'un nouveau film. Pour le faire du mieux possible...

Et par ailleurs, vous restez toujours enseignant...
Oui, à l'Institut des Arts de Diffusion, une école de cinéma située à Louvain La Neuve. Je fais un atelier d'écriture et de réalisation. On écrit pendant deux mois et ensuite, on réalise des court-métrages. Cela me prend quelques mois sur une année. J'adore faire ça: j'ai plus d'aptitudes à révéler le talent de mes élèves qu'à confirmer le mien.

On retrouve un peu de cette logique pédagogique, de transmission ou d'échange dans vos films...
Oui ? Cela me fait plaisir !

Je lisais dernièrement un article sur vous, où on parlait également de votre père. Il était notaire et, même s'il est fier de vous aujourd'hui, il n'imaginait pas avoir un fils cinéaste...
J'étais un peu censé faire comme lui, au départ. Mon père était orphelin à dix ans. N'ayant plus de parents, il a voulu être notaire, alors qu'il venait plutôt d'un milieu modeste. Comme il a dû "mouiller le maillot" pour en arriver là, il espérait que le fils aîné reprenne l'étude. J'ai fait mon doctorat en droit, mais ça ne m'a pas intéressé. Je lui ai donné mon diplôme, simplement. Je suis venu au cinéma par la photographie: j'ai été photographe de presse pendant un moment. Je ne fais plus beaucoup de photos, désormais. C'est étonnant et marrant: ce qui me plaît le plus aujourd'hui, c'est d'écrire. J'ai fait mon premier court-métrage, Le signaleur, que j'avais déjà 35 ans. Avant, j'imaginais simplement faire un métier lié à l'image...

D'où est venu le déclic pour le cinéma ?
J'ai d'abord vu les limites de Strip-tease. Quand j'observais une réalité, j'en imaginais une autre, au-delà de la réalité apparente. Je mettais beaucoup d'énergie pour aller vers cette vérité-là, mais pour des raisons de respect de la vie des gens, on ne peut pas les emmener là où on pense être la vérité. Dans le documentaire, il y a cette barrière de l'intimité qui nous oblige à nous arrêter avant, sous peine de se mettre en porte-à-faux par rapport au sujet. Cette barrière, je l'ai enfreinte une fois, avec un sujet sur un petit gamin qui fait de la moto, assez spectaculaire d'ailleurs et qui a fait le tour du monde. Je m'en suis voulu, je me suis dit: "Benoît, tu as dépassé la limite". C'est là que j'ai pris la plume pour raconter une vérité en payant des comédiens et en les emmenant là où je voulais les emmener. Les convoyeurs attendent parle du même sujet, mais j'avais retrouvé une autonomie pour aller là où je voulais aller. Débarrassé des problèmes d'ordre moral avec une histoire inventée...

Je me souviens aussi de Cowboy et de ce personnage de journaliste qui se remet en question...
Oui, c'est quelque chose qui m'obsédait. Tout ça m'a fait réfléchir.

Benoît Mariage, Daniel Piron, même combat ?
Oui, voilà.

La période de promotion de votre film est désormais terminée. C'est pour vous l'occasion de prendre un peu de repos ?
Oui. Ce matin, j'ai allumé un feu dans mon poêle à bois. Je réfléchis aussi à des sujets. Je prends le temps. Je lis. J'aime bien cette vie monacale: elle me convient mieux que l'énergie d'un tournage.

lundi 10 mars 2014

Noirs et blancs

Les rayures du zèbre... quand j'ai appris que Benoît Mariage préparait un nouveau film, il s'appelait encore Akwaba, ce qui veut dire "bienvenue" en baoulé, l'une des langues de la Côte d'Ivoire. L'explication vient à la toute fin de l'histoire. En attendant, je veux dire que l'image de comédie susceptible de coller au long-métrage s'avère un tantinet trompeuse. Son affiche l'est aussi. Le casque colonial d'un Benoît Poelvoorde tout sourire tient de la caricature. Comme je l'espérais, le scénario, lui, est déjà nettement plus subtil...

Le film commence par un atterrissage d'avion. José Stockman débarque à Abidjan: il est agent de joueurs de foot. Le continent africain est son terrain de chasse: bien trop arrogant pour convaincre le ministre des Sports de lui confier la sélection ivoirienne, l'homme blanc n'en a pas moins fait son beurre en ramenant en Europe quelques garçons devenus stars du ballon rond. Et une fois encore, alors que beaucoup pensent qu'il n'a plus de flair, ce "gros nez" va dénicher une nouvelle pépite en la personne du dénommé Yaya Koné. Le manager et son poulain s'envolent pour Charleroi, un club ordinaire du championnat belge, dont les joueurs, affublés d'un maillot rayé noir et blanc, sont surnommés les zèbres. Je vous passe le descriptif des péripéties avant et après le départ. Les quelques répliques amusantes du film s'effacent vite devant les grincements de dents que, rapidement, elles suscitent. Les rayures du zèbre vise juste.

"Le football était un prétexte pour parler des relations Nord/Sud". C'est Benoît Mariage qui le dit. Très bonne idée. Sa vieille complicité avec Benoît Poelvoorde fait merveille: les deux Belges ont eu envie d'unir leur talent pour la quatrième fois déjà, l'acteur prenant un rôle d'abord envisagé pour François Damiens. Les rayures du zèbre revisitant à sa manière le thème du désir de paternité, je crois toutefois que le choix final était le bon. L'intérêt du film, lui, dépasse la pertinence de la distribution - et ce même si Marc Zinga convainc pleinement dans le rôle de Yaya. Louables, les intentions de départ sont mieux que respectées. Les films occidentaux montrant l'Afrique aussi directement ne sont pas légion: celui-là l'aborde avec empathie et respect, ce qui n'est pas sa dernière qualité. La réalisation crée l'émotion sur les variations de ton: de la couleur, mais rien d'édulcoré. Beau témoignage artistique: rien n'est jamais tout noir ou tout blanc.

Les rayures du zèbre
Film belge de Benoît Mariage (2014)

Même si je peux regretter que le titre initial n'ait pas été conservé pour la sortie en salles, le long-métrage frappe et laisse plutôt pensif quant aux méthodes des recruteurs du foot pro - toute ressemblance avec la réalité de la profession n'étant probablement pas fortuite. J'imagine que, sur un thème similaire, l'autre sortie cinéma récente qu'est Le crocodile du Botswanga n'a pas cette finesse d'observation. Avec L'enfer du dimanche, Oliver Stone avait parlé de la formation des jeunes sportifs, lui aussi, mais sous l'angle de la compétition. Benoît Mariage, c'est tout autre chose. J'aime décidément beaucoup.

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Je crains que le film soit passé assez inaperçu en France...
En tout cas, Pascale ("Sur la route du cinéma") l'a plutôt bien aimé.

dimanche 9 mars 2014

Condamnés d'avance

Le moins que je puisse vous dire, c'est que Never let me go n'a rien d'un concept rigolo. Voilà. Je vous encourage désormais à arrêter aussitôt la lecture de cette chronique si vous ne voulez pas découvrir trop d'aspects importants du film. Je ne vois pas comment en parler sans révéler le fin mot de l'histoire. Vous êtes encore là ? Bon. Sachez donc que le long-métrage a pour héros trois jeunes adultes, élevés dans une école privée attentive à leur santé. Ruth, Kathy et Tommy sont... des clones, conçus comme simples réserves d'organes vitaux.

Science-fiction ? Pas tout à fait. Inspiré d'un bouquin, le film respecte son cadre: l'Angleterre des années 70-80-90. J'ai trouvé futée l'idée d'imaginer une intrigue futuriste dans un décor du passé. C'est vrai que d'autres artistes avaient déjà utilisé cette astuce, mais elle est toujours bonne, alors pourquoi s'en priver ? J'ai même l'impression qu'elle m'a permis d'entrer en douceur dans Never let me go, offrant un cadre pour soutenir mon imagination parfois trop cartésienne. Étant donné que, par ailleurs, je connaissais déjà les trois comédiens principaux, Keira Knightley, Carey Mulligan et Andrew Garfield, il aura suffi que je me laisse aller pour être tout à fait embarqué. Et ému bien sûr, parce que le scénario se développe vraiment de manière touchante. Bien que condamnés d'avance, les trois personnages prennent goût à la vie: il est aussi question d'amitié et d'amour. Ami(e)s sensibles, gardez quelques mouchoirs à portée de main...

Chose étonnante: assez bien joué et bien filmé, Never let me go reste visiblement un film très peu vu. En France, si ce que j'ai pu lire est exact, il n'a fait qu'un peu plus de 74.500 entrées, un score vraiment très bas. Pire, il semble qu'il ne soit pas parvenu à être rentable, ne remboursant qu'à peine deux - petits - tiers de ses coûts de production. C'est certain qu'il y a de bien meilleures choses à voir pour se changer les idées et, a fortiori, pour se remonter le moral. Cela étant, le long-métrage fait réfléchir. Des questions difficiles puisqu'assez intimes sont posées jusqu'au l'ultime ligne de dialogue. Chacun reste bien sûr libre de ne pas répondre, voire de se détourner. La qualité du propos tient d'après moi à sa pudeur. Le manichéisme n'a pas voix au chapitre. Nous, spectateurs, ne sommes pas sommés de choisir un camp: chacun jugera selon sa sensibilité. À la condition de se laisser prendre, difficile à vrai dire de demeurer indifférent...

Never let me go
Film anglo-américain de Mark Romanek (2010)

J'ai vu si peu de films de ce genre qu'il m'est difficile de comparer. Simple impression: au début du métrage, les principaux protagonistes sont encore des enfants et la façon dont ils sont coupés du monde sous couvert d'éducation m'a rappelé le très glauque Canine. D'aucuns dressent des parallèles avec Bienvenue à Gattaca ou The island. Constat d'évidence: j'ai encore toutes sortes de lacunes à rattraper !

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Notez que le film plaît aux amateurs de palmarès à étoiles...
- "L'oeil sur l'écran".
- "Sur la route du cinéma".
- "La cinémathèque de Phil Siné".

Il rencontre un même succès sur d'autres blogs cinéphiles...
- "Deuxième séance".
- "Mon cinéma, jour après jour".

samedi 8 mars 2014

Gros chat

Aimer le cinéma me fait inévitablement passer par des anticipations positives quant au(x) prochain(s) film(s) que j'aurai l'occasion d'appréhender. Je n'ai su qu'après l'avoir vu que Track of the cat n'était jamais sorti dans les salles françaises. Aurais-je plutôt regardé autre chose si je l'avais appris plus tôt ? Probablement pas. Reste désormais un peu de déception sur ce long-métrage de soixante ans. J'attendais un western, j'ai vu une sorte de pièce, un huis clos théâtral au Far West dont les personnages m'ont laissé indifférent...

J'avais fondé des espoirs sur deux points: 1) la présence au générique de Robert Mitchum et 2) le scénario lui-même. L'intrigue principale repose sur l'idée qu'une mystérieuse panthère des montagnes décime le troupeau de modestes éleveurs. Deux frères défient la nature hostile pour lui donner la chasse. Bon. Sur cette base, j'espérais parcourir à cheval des sites enneigés, vivre mille et une péripéties, croiser des Indiens peut-être, prendre le risque de ne jamais rentrer au foyer. Il y a bien un Indien, dans Track of the cat. Joe Sam (!) n'est que l'employé du ranch, personnage mutique et superstitieux. C'est dur, mais je l'ai trouvé un peu ridicule. Une déception, là aussi.

Je suis donc largement passé à côté du charme de Track of the cat. D'autres que moi l'apprécient sur le plan artistique formel. Il est vrai que certains plans sont audacieux, à l'image d'une scène d'enterrement filmée entièrement depuis la fosse funéraire. Le film m'est apparu très terne, mais il est dit que c'est voulu pour donner l'impression d'un "noir et blanc en couleurs" - je reste très sceptique quant au procédé lui-même, à vrai dire. D'accord, l'absence de teintes vives fait ressortir la veste rouge de Mitch', mais j'avais déjà compris qu'il dominait le petit groupe de fermiers. Après quoi, les règlements de compte familiaux m'ont vite lassé. J'attendais tout autre chose.

Track of the cat
Film américain de William A. Wellman (1954)

Très largement tourné en studio, le film oublie vite la chasse au félin pour concentrer son propos sur la responsabilité des uns et des autres face au danger. Mouais. Le scénario offre quelques saillies comiques avec le vieux père, jamais bien loin... de sa bouteille de whisky. Quand viendra l'heure du générique final, on aura passé plus de temps à l'intérieur que prévu. Autant repartir avec Jeremiah Johnson...