samedi 23 décembre 2017

Je m'en vais...

Chères toutes, chers tous, l'heure est venue de vous dire "au revoir". En effet, le fil de mes chroniques s'interrompt, le temps de passer quelques jours de vacances en famille. Ça devrait me faire du bien...

À vrai dire, un peu comme Ethan Edwards / John Wayne à la toute fin de La prisonnière du désert, je tourne les talons avec le sentiment du devoir accompli. Sans encore dresser de bilan, je dirais que 2017 restera comme une bonne année cinéma, avec des moments forts vécus en salles et... dans mon canapé - avec mes premiers Lubitsch, Wiseman, Cassavetes, Cronenberg, Rouch, Kalatozov, Ophuls, Morder ou Mizoguchi, notamment. J'en reparlerai, non sans avoir évoqué d'abord mes ultimes découvertes du millésime en cours, bien entendu. Sauf imprévu, je serai de retour sur les ondes autour du 6 janvier. D'ici là, je vous souhaite un joyeux Noël et une très belle fin d'année !

jeudi 21 décembre 2017

Romantique ?

Les plus fidèles parmi vous s'en souviendront: ma première rencontre avec le cinéma d'Ernst Lubitsch s'était soldée par une semi-déception. Depuis que j'en ai débattu ici fin septembre, je me disais qu'il fallait que je donne une autre chance à ce réalisateur. C'est chose faite ! Aujourd'hui, c'est avec joie que je vais vous parler de Rendez-vous...

D'emblée, une petite précision s'impose: comme cela arrive parfois avec les films anciens, cet opus produit à la toute fin des années 30 fait désormais parler de lui sous son titre original, titre que je trouve d'ailleurs nettement plus attractif: The shop around the corner. Cette "boutique du coin de la rue" est celle de M. Matuscheck, homme d'âge mûr spécialisé dans les sacs et accessoires de maroquinerie. Elle fait le bonheur de la clientèle des beaux quartiers de Budapest. Tous tirés à quatre épingles, une demi-douzaine d'employés zélés travaillent à la réussite d'un patron à l'ancienne, digne et exigeant. Alfred Kralik est l'un d'entre eux, expérimenté et d'une efficacité redoutable. À ses yeux, c'est ce qui lui permet, en plus d'une position hiérarchique favorable, de prendre de haut la dernière recrue en date. Klara Nowak n'a pourtant pas les deux pieds dans le même sabot ! Rapidement, on apprendra que, sous sa morgue, l'arrogant Kralik dissimule une plus grande fragilité, reliée à son célibat persistant. Miss Nowak arrange-t-elle cette "situation" ? À votre tour d'en juger...

Je vous assure juste que Rendez-vous est un petit film charmant. Cela tient pour beaucoup au duo vedette: j'ai pris un très grand plaisir à découvrir Margaret Sullavan et encore eu une occasion de vérifier tout le bien que je pensais déjà du génial James Stewart. J'ajoute sans hésiter que le reste de la distribution est à l'unisson: il est vrai que les situations et dialogues ciselés font merveille, mais le constat est d'autant plus flagrant que la troupe affiche une belle complicité. Plus de trois quarts de siècle plus tard, c'est très touchant, a fortiori parce que le scénario s'intéresse principalement aux petites gens. L'humanité qui en émane est un peu un cadeau de Noël avant l'heure. Incontestablement, nous sommes ici face à ce que le vieux cinéma hollywoodien offre de meilleur. Un plaisir dont je ne suis pas lassé ! Utiliser le mot "chef d'oeuvre" n'est pas forcément une mauvaise idée. Il faut bien dire que l'on passe par toute une série de jolies émotions. Visiblement sûr de lui, Ernst Lubitsch affirmait: "Pour la comédie humaine, je n'ai rien produit d'aussi bon". Je pense que tout est dit...

Rendez-vous
Film américain d'Ernst Lubitsch (1940)

Après Jeux dangereux, c'était donc une occasion de retrouvailles sympathiques avec le cinéaste. Je suis bien content, désormais ! Cette école de la comédie romantique est celle d'autres réalisateurs que j'apprécie, comme Billy Wilder (cf. La garçonnière par exemple). Longtemps, on a pu en trouver quelques échos chez d'autres artistes de cinéma. Je veux notamment citer Blake Edwards (Victor Victoria).

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Si vous souhaitez en savoir (ou en voir) davantage...

Je vous envoie illico chez Ideyvonne ou du côté de "L'oeil sur l'écran".

mardi 19 décembre 2017

Au fils disparu

On dit parfois qu'il n'y a pas de drame plus effroyable pour des parents que de perdre un enfant. Assez plombant, c'est le sujet d'un film surprenant (et que j'avais laissé passer au cinéma): Valley of love. Contrairement à ce que le titre suggère, il s'agit d'un long-métrage français, tourné dans la Vallée de la Mort, vaste désert de Californie !

Si ce drôle d'objet cinéma a su faire parler de lui, c'est probablement d'abord parce qu'il s'appuie sur Isabelle Huppert et Gérard Depardieu. Incontournable référence du septième art made in France, le tandem n'avait plus joué ensemble depuis... 35 ans ! J'ai trouvé appréciable que, pour ces retrouvailles, il s'attaque à un scénario assez original. Jugez plutôt: Isabelle et Gérard - oui, ils portent ce nom dans le film - forment un couple de parents, mais sont séparés, ayant refait leur vie chacun de son côté. Le difficile et très inattendu voyage qu'ils font ensemble ne tient qu'à leur intention de respecter la dernière volonté de leur fils disparu, qui, par l'intermédiaire d'une lettre, leur a promis qu'il reviendrait brièvement d'entre les morts, pour les revoir réunis une dernière fois. Oui, Valley of love a quelque chose d'ésotérique...

En fait, pour évaluer le spectacle à sa juste valeur, je crois préférable d'oublier un peu notre nature rationnelle et ainsi de se laisser aller. L'oeuvre n'est pas vraiment d'essence contemplative, mais elle offre une expérience sensorielle, en marge des codes du vraisemblable. L'observation de ce deuil nous embarque ailleurs, en nous renvoyant vers nos propres représentations de la mort et de ce qui peut arriver ensuite (ou pas). Sur le plan formel, Valley of love est une réussite incontestable, avec quelques images magnifiques et une bande-son discrètement envoûtante. Je ne suis pas certain qu'une telle création "fonctionne" avec tout le monde: vous n'aurez qu'à essayer, tiens ! Pour ma part, j'avoue que j'ai mis un moment avant de m'y immerger vraiment, mais j'ai alors trouvé sa singularité fascinante. C'est aussi parce qu'il m'emmène en territoire inconnu que j'aime tant le cinéma. Et cette fois, autant le dire: je n'ai pas tenu à revenir tout de suite...

Valley of love
Film français de Guillaume Nicloux (2015)
Une précision: on est bien loin ici de l'illustration déchirante du deuil telle qu'elle s'exprime dans La chambre du fils (un autre beau film). Malgré le changement de décor, le côté fantastique de cet opus rappellerait plutôt les moments les plus sensibles de Vers l'autre rive. Comparaison n'est pas raison, mais L'arbre peut être une variation naturaliste. Ou, à la limite, Sous le sable, dans un tout autre genre...

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Vous cherchez d'autres repères ?

La solution la plus simple: faire un tour chez Pascale, Dasola et Tina

dimanche 17 décembre 2017

En territoire indien

Peu avant la première image, on entend le souffle du vent et le bruit des sabots d'un cheval sur un sol pierreux. Cela aura été suffisant pour me plonger dans une ambiance western, même si je savais déjà que le film que j'avais choisi ce soir-là n'en était pas vraiment un. D'emblée, son titre a su me séduire. Et, ensuite, tout le reste aussi...

Découvrir Les chansons que mes frères m'ont apprises, c'est s'offrir avant tout un nouveau (beau) voyage de l'autre côté de l'Atlantique. Filmés sous toutes leurs coutures, les States dévoilent ici un visage méconnu: celui de la réserve amérindienne de Pine Ridge, une terre de quelque 8.900 km² dans le Dakota du Sud, État du... nord du pays. Nous y rencontrons d'abord Johnny, un jeune homme qui en termine avec ce qui ressemble à un lycée et envisage de suivre sa petite amie à Los Angeles, vers une autre vie que tous deux espèrent meilleure. Bien évidemment, les choses ne sont pas si simples: avant de quitter le village où il a vécu depuis sa naissance, Johnny a besoin d'argent. Pour en gagner, il trempe dans de vilaines combines autour du trafic d'alcool - toute vente aux Indiens demeurant strictement interdite. Complexe, sa situation s'aggrave encore après la mort de son père dans l'incendie de sa maison. Je vous passe les détails sur le nombre d'épouses et d'enfants de ce géniteur. Disons simplement que le film est une fiction, mais au ton parfois voisin de celui d'un documentaire.

Toute une galerie de personnages défile à l'écran et le long-métrage parvient joliment à garder son équilibre. Incontestablement explicite sur certains des aspects de cette vie en réserve, il sait aussi ménager de beaux silences dès lors que les situations sont assez éloquentes pour se passer de mots. En somme, Les chansons que mes frères m'ont apprises est un film subtil, qui expose beaucoup de choses sans ressentir le besoin de les surligner. C'est ce qui m'a fait l'aimer. Ce n'est pas tous les jours que le cinéma américain nous propose d'observer les exclus du système sous ce jour particulier. On se sent pourtant toujours en terrain familier, la magnificence de la nature compensant largement l'aspect franchement sordide des situations humaines dont nous sommes les témoins. D'aucuns ont jugé ce récit pessimiste. C'est vrai qu'il est dur, quasi-implacable, mais j'ai décelé quelques notes d'espoir, notamment lorsqu'un dialogue fait référence à la septième génération d'Amérindiens après les guerres anti-Blancs. J'aurais eu plaisir à prolonger cette escapade sur la terre des Oglalas !

Les chansons que mes frères m'ont apprises
Film américain de Chloé Zhao (2015)
C'est plus qu'anecdotique à mes yeux: vous voudrez donc bien noter que le film a été réalisé par une jeune cinéaste d'origine chinoise. Très bon travail, mais ce n'est pas un nouveau Danse avec les loups pour autant, d'accord ? Dans sa manière de nous montrer l'Amérique rurale et pauvre, le long-métrage m'a plutôt rappelé un autre film apprécié cette année: Certaines femmes. Ou Putty Hill, à la limite...

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Info-bonus: en France, le film a comptabilisé 72.924 entrées...

Cela vous permettra de lire - au moins - un autre avis, signé Eeguab.

vendredi 15 décembre 2017

In-cre-vable !

Je ne voulais pas terminer cette année sans donner à mon amie Joss une nouvelle carte blanche pour une chronique de son cru. Son choix s'est porté sur une immense classique du cinéma français: Le viager. Un excellent choix, à mon avis, pour attendre 2018 avec le sourire. Joss, merci et à bientôt ! Les ami(e)s, je vous laisse (re)découvrir...

À Paris en 1930. Le presque sexagénaire Louis Martinet va consulter le médecin Léon Galipeau. Celui-ci conclut à une "usure précoce" et fin prochaine, et lui conseille de vite prendre sa retraite, tandis que le bon M. Martinet lui fait l'éloge d'une modeste maison de pierre, achetée dans un petit village de pêcheurs alors totalement méconnu: Saint-Tropez. Opportuniste autant que mesquin, l'improbable docteur est vite séduit par la belle affaire et persuade son frère Émile d'acquérir la maison en viager. "Faites-lui confiance !".

Pas question de laisser ce blog honorable passer un nouveau Noël sans boudin blanc ! L'occasion d'un réveillon avant l'heure autour de l'un de mes films cultes, chéri dès la première fois, sur le petit écran en noir et blanc de mes parents. Depuis, que ne l'ai-je revu une bonne trentaine de fois ! Chaque détail y raconte quelque chose, sans aucun hasard, pas même dans les patronymes: Louis Martinet porte le nom de la punition à infliger aux Galipeau, synonyme de matières sales. Jubilation.

Le plus ancien souvenir qui m’en revient, c'est justement quand Pierre Tchernia (réalisateur et également voix off) pose le cadre parisien. Dès les premières secondes, l'esprit du metteur en scène me transcendait, sautant comme à guet d'une silhouette noire à une blanche, du curé au pâtissier, de la nonne à la veuve. Il faut dire que pour la deuxième fois, il s'associait à son ami René Goscinny, avec lequel, six ans plus tôt, il s'était déjà surpassé pour L'arroseur arrosé, un documentaire humoristique en hommage aux frères Lumière (Rose d'or et Prix du jury de la presse au Festival de la Rose d'or de Montreux). Entre les deux, en 1961, Pierre Tchernia se lança aussi avec Robert Dhéry et Alfred Adam dans le scénario de La belle Américaine, un beau succès. Dans Le viager, Pierre Tchernia et René Goscinny partagent le scénario, tandis que le premier est le réalisateur et le second, le chef de production. Nous y reviendrons.

L'affaire est grave: c'est un Noël à l'huile de foie de morue, que Louis Martinet ingurgite en ravalant ses larmes et en s'essayant à fredonner son air préféré. Louis Martinet se sent perdu. C'est qu'il nous fait fondre, le jeune Michel Serrault, en papi voûté ! Incroyable jeu d'acteur dans la démarche, les mimiques, le phrasé… sans parler des six autres rôles fugaces que Michel Serrault a pris à son compte (général nazi déguisé en portier d'hôtel, général nazi non déguisé, parachutiste allemand déguisé en religieuse, Allemand infiltré dans l'usine d'armement, instituteur, ou encore dans l’état-major français). Bref, quelques pas de danse, un bouchon de campagne qui saute et nous fait sursauter, le tout avec vue sur... le cimetière !

L'ensemble du film ne sera d'ailleurs pas basé sur un autre schéma que cet incessant va-et-vient entre douceur et explosion, parallèle permanent cousu d'humour noir. La part en revient sûrement pour une large part à René Goscinny, rédacteur en chef de Pilote, habitué à observer ses comparses et à interpeler le monde avec ironie, mélangeant allègrement les rites du monde politique et ceux du petit peuple. Les contrastes, dénouements multiples et effets de surprise cousent le film sans lasser ni alourdir, bien au contraire. Les rebondissements inattendus prennent mieux leur élan à partir d'une trame aux allures linéaires. Sur fond de chœurs antiques, j'en raffole.

Scène jubilatoire lors de la cérémonie de départ du pauvre Louis qui quitte son entreprise de prothèses après de longues décennies de dévotion: discours édifiant du chef de bureau pour évoquer le sous-chef du même bureau, émotion du sexagénaire auquel on remet un trophée innommable, sorte de mini-mannequin portant justement une prothèse. Entre attendrissement et fou rire, nous abordons encore la scène chez le notaire lorsque les deux frères acceptent d'indexer la rente viagère sur le cours d'une valeur qu'ils pensent sans avenir ("les casseroles, vous pensez !"), mais ce sera sans compter sur le développement de l'industrie aéronautique.

Bref, le cours de l'aluminium ne cessera de s'élever, tout comme l'impatience de la famille Galipeau au grand complet, qui choisit de supprimer le bon M. Martinet, alors que celui-ci continue à profiter du bon air méditerranéen. Rythmées par des fêtes immuables comme le Premier mai et Noël, les années se succèdent, portées simultanément par les évènements extérieurs (seconde guerre mondiale, France coupée en deux, résistance, délation), par les générations successives des chiens de Louis Martinet, et bien sûr, au sein de la famille Galipeau, les plans de meurtres échafaudés avec soin et pourtant sans cesse avortés. Trois présidents français, mariage de Brigitte Bardot et Jacques Charriet, épisodes de guerre... les images d'archives ajoutent au tableau un contraste énergisant entre d'une part l’univers des "petits Français" (constitué de douceur chez les uns ou de bassesse chez les autres), et d'autre part la frénésie du reste du monde, avec l'image que les médias veulent bien en donner !

Et tandis que Louis Martinet gagne en dynamisme, les membres de la famille Galipeau disparaissent les uns après les autres. Jusqu'au seul descendant de la famille, le petit Noël devenu trentenaire, tous mériteront l'affection de l'innocent Louis. C'est lui-même qui décrochera la libération de Noël en se présentant comme témoin à la barre pour défendre le seul survivant de la famille Galipeau, déclenchant une vague de mouchoirs blancs jusque parmi les jurés. Juste avant, la scène du plaidoyer par l’avocat commis d'office (Jean Carmet) vaut vraiment son pesant d’or. "Le premier et le dernier procès qu’il gagnera !". On aura rarement généré autant de défilés mortuaires joyeux. Chacun d'eux vient clore une saison de tergiversations dans la famille Galipeau.

"Tu vois Kiki, ça, c’est le bouquet !": la toute dernière phrase culte vient du survivant, le seul, l'honnête et l'innocent. La morale est sauve pour résumer la chronique d'une vie décidément non annoncée !

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Un dernier mot pour un rappel...
Juste pour signaler que, cette année, Joss vous a parlé aussi de films éclectiques comme Les grands esprits, Pain, tupiles et comédie, Paraíso, Dans la chaleur de la nuit, La double vie de Véronique, Artemisia, Dalida et Sing Street. Et sans oublier sa spéciale Vespa !

jeudi 14 décembre 2017

Au plus près de l'enfance

Bon, allez ! J'enchaîne dès aujourd'hui avec un autre film d'animation. Technique exceptée, il n'a toutefois pas grand-chose à voir avec celui dont j'ai parlé hier et met d'abord en avant une certaine mélancolie. Faut-il le déconseiller aux enfants ? Surtout pas ! Mais un mouchoir peut s'avérer bien utile à qui voudra découvrir Ma vie de Courgette...

L'an passé, un peu plus de 770.000 spectateurs ont apprécié en salles cette adaptation du roman de Gilles Paris, Anatomie d'une Courgette. J'ai bien failli en faire partie et me sens désormais incapable d'expliquer pourquoi, finalement, ça n'aura pas été le cas. Mystère ! Bref... je me suis rattrapé et vous présente Icare, un petit garçon que sa mère appelle Courgette. Le père, lui, est parti avec une poule. Le ton du long-métrage est ainsi donné: l'enfant croit son géniteur disparu avec un animal à plumes, tandis que sa mère noie son chagrin dans l'alcool. Un grave accident survient, qui conduira le garçonnet entre les murs d'un orphelinat. Impossible alors de ne pas être ému...

Le miracle de ce film, c'est justement de parvenir à trouver l'équilibre parfait entre l'émotion et le plaisir, les pleurs et le rire. L'humanité qui se dégage de cette histoire fait chaud au coeur. Icare / Courgette rencontre un policier qui, plutôt pudiquement, lui offre une bouffée de douceur et le confie aux bons soins d'autres adultes bienveillants. Parmi les enfants qui l'accueillent dans cette nouvelle maison, il devra d'abord faire profil bas, la troupe étant malmenée par un petit caïd. Mais, petit à petit, ces gosses abîmés par cette chienne de vie révèleront leurs blessures et Ma vie de Courgette prendra son envol. Quelle formidable délicatesse pour parler des choses les plus cruelles !

Il faudrait être tout à fait cynique pour ne voir dans ce joli récit qu'une projection idéalisée de notre monde. Il me paraît incontestable que ce qui est raconté ici correspond à des tragédies bien réelles. Heureusement, elles sont transcendées par la poésie et l'intelligence avec lesquelles elles nous sont présentées. Aux savoureux dialogues succèdent ainsi de beaux silences, qui savent fort bien nous toucher sans qu'il soit nécessaire d'y ajouter trop de violons en fond sonore. Le choix de l'animation est très pertinent: quelque chose me suggère qu'en images réelles, la même histoire n'aurait pas le même impact. En deux temps trois mouvements, je me suis attaché à ces gamins...

Ma vie de Courgette dure à peine plus d'une heure et j'en suis sorti l'oeil humide, avec aussi un grand sourire aux lèvres. Que du bonheur. Impeccable sur le plan formel, ce (court) long-métrage a, en février dernier, reçu deux César, à savoir celui du meilleur film d'animation, logiquement, et, de façon plus inattendue, celui du meilleur scénario adapté, au crédit du talent de la jeune réalisatrice Céline Sciamma. Derrière elle, c'est toute l'équipe technique que je salue: elle a conçu une soixantaine de décors et 54 marionnettes dans trois costumes différents, réparties sur quinze plateaux. À raison de trente secondes de film par jour, ce travail titanesque a abouti à une vraie merveille !

Ma vie de Courgette
Film franco-suisse de Claude Barras (2016)

Avis aux amateurs: sur un sujet certes bien différent, les techniques du stop motion (ou animation en volume) utilisées ici sont aussi celles qui ont été mises en oeuvre pour Chicken run ou d'autres facéties comme L'étrange Noël de Monsieur Jack. Autant d'excellents films ! Maintenant, sur le thème de la résilience enfantine, il m'est difficile de trouver aussi juste. Je reste donc à l'écoute de vos propositions...

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Il y a d'autres amateurs dans la salle...

Vous avez le choix: Pascale, Dasola, Tina, Sentinelle et/ou Eeguab.

mercredi 13 décembre 2017

Un autre Indiana...

Réfléchissez-y et dites-moi si je me trompe: l'essentiel des films d'animation que nous voyons en France sont américains, japonais et... français. Il y a peu, j'en ai vu un venu d'Espagne, au titre interminable: Tad l'explorateur à la recherche de la cité perdue. L'avantage, c'est qu'on a déjà une petite idée de ce que ça raconte...

Au départ, on découvre un petit garçon dont les parents ont disparu dans un accident et qui vit donc seul chez sa grand-mère. L'amour tendre de cette mamie gâteau lui vaut de vivre à fond ses rêves d'aventures, inspirés par un Indiana Jones qu'il ne connaît même pas. Chaque soir, le gamin est rassuré sur le fait qu'il n'y aucun monstre caché dans le placard de sa chambre ou tapi sous son lit. Avance rapide: on le retrouve devenu adulte et... ouvrier du BTP, licencié pour "oisiveté excessive" sur le chantier d'un métro. Une occasion parfaite, non pour se lamenter, mais pour décoller illico vers la route du Machu Pichu, en quête des derniers vestiges d'une civilisation ancienne et, tant qu'à faire, du secret de l'immortalité. C'est un fait que Tad l'explorateur... ne brille pas par l'originalité de son scénario. Cela dit, malgré donc les réserves d'usage sur ce type de programme familial, je me suis plutôt bien amusé en le regardant. C'est déjà ça !

Au niveau formel, je ne doute pas que vous aurez déjà vu mieux. L'animation reste fluide, mais le dessin manque parfois de finesse. Est-ce la raison ? Je l'ignore, mais j'ai appris qu'après avoir connu d'excellents résultats dans son pays d'origine, le film avait fait un flop en France (avec à peine plus de 280.000 entrées dans les salles). D'après moi, c'est une affaire de promo et peut-être la conséquence directe de la relative pauvreté de ce récit. On pourra apprécier toutefois la belle et louable énergie déployée par les personnages secondaires, et avant tout celle des animaux, qu'il s'agisse du chien gourmand ou du perroquet muet - prénommé Bernardo ! - qui sauve les héros à plusieurs reprises, avec l'aide de panneaux indicateurs. Comme tant d'autres avant lui, Tad l'explorateur... démontre ainsi que tout est possible grâce à l'animation, y compris des situations irréalisables dans la "vraie vie". C'est aussi pour ça que l'on marche...

Tad l'explorateur à la recherche de la cité perdue
Film espagnol d'Enrique Gato (2012)

Il ne me paraît pas utile de chercher dans cette modeste production ibérique un sens caché, destiné aux seuls adultes. Bon... tant pis ! Las aventuras de Tadeo Jones - en VO - a le mérite d'annoncer clairement la couleur et, donc, de ne pas mentir sur son programme. Maintenant, libre à vous de lui préférer les Disney, Pixar ou Ghibli ! Ici, on n'est pas loin d'Atlantide, le monde perdu. C'est "regardable".

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La chasse aux trésors attendra...
Pas de doute: vous pouvez d'abord lire les avis de Pascale et Laurent.

mardi 12 décembre 2017

Les voies de la consolation

Miwa Nishikawa explique que c'est après la catastrophe de Fukushima qu'elle a eu l'idée de The long excuse. Bien qu'elle n'ait pas eu à subir directement les conséquences du tsunami, le drame lui a donné l'envie d'écrire quelque chose sur le processus de reconstruction d'un individu après la brusque disparition d'un proche. Restait à savoir comment...

Parce qu'elle ressent plus de liberté dans l'écriture, Miwa Nishikawa transforme d'abord sa réflexion en roman. Ce n'est qu'une fois achevé ce premier texte qu'elle s'attelle à une adaptation pour le cinéma. Soucieuse de toucher un large public, elle choisit d'évoquer un deuil différent: celui qui accable ceux qui ont perdu un ami ou un parent dans un accident de la route. The long excuse nous donne l'occasion de découvrir deux réactions possibles: celle de Sachio, le personnage principal, écrivain à la mode, qui ne pleure guère son épouse, et celle de Yoichi, chauffeur routier, dévasté dans les mêmes circonstances. Finalement, le hasard va amener les deux hommes à se rapprocher...

Pour apprécier la modestie de ce film, il vaut mieux, je crois, oublier toute idée de vraisemblance. Cyniquement, on peut juger improbable l'essentiel de ce qui arrive à Sachio et Yoichi, ainsi qu'aux enfants éduqués par ce dernier. Sans parler de résilience, un bien grand mot pour une si petite histoire, The long excuse évolue objectivement sur la carte du tendre et, pour ainsi dire, du réconfortant. Oui, la vie continue pour les divers protagonistes et, en douceur, elle les accepte tels qu'ils sont et se charge de leur apporter la consolation. L'oeuvre sensible qui en découle pourrait paraître naïve aux plus pragmatiques d'entre vous. Ce n'est cependant pas un reproche que je lui ferai. J'apprécie cette atmosphère cotonneuse faite de grands sentiments pudiquement exprimés. Inutile, à mon avis, d'en dire beaucoup plus...

The long excuse
Film japonais de Miwa Nishikawa (2016)

Pas d'erreur sur la date: le long-métrage a mis presque un an à arriver dans les salles françaises. On a souvent parlé de l'influence artistique de Hirokazu Kore-eda, avec lequel la jeune réalisatrice a collaboré voilà quelques années. Bon... grand fan du cinéaste, je dois admettre que je n'ai pas ressenti l'émotion de Nobody knows ou le doux plaisir de Notre petite soeur. Sur le deuil, il faut (re)voir Vers l'autre rive

lundi 11 décembre 2017

Égalité !

Les idées féministes gagnent du terrain, ces temps-ci: tant mieux ! Cela étant dit, je n'ai pas envie de parler des innombrables rebonds de l'affaire Weinstein, ni d'autres porcs "balancés" sur les réseaux sociaux. Ce n'est pas véritablement le sujet de Battle of the sexes. Laissez-moi vous présenter ce (petit) film, dispensable mais sympa...

Le cinéma américain n'est jamais avare de ce type de productions construites autour d'une histoire vraie et vouées à brosser le public dans le sens du poil, en mettant en avant un personnage-clé, positif car porteur de nobles valeurs. Dans le cas présent, l'archétype choisi est Billie Jean King, une ancienne championne américaine de tennis restée dix-sept ans dans le top 10 mondial et lauréate de 12 tournois du Grand Chelem - et ce sans tenir compte de ses résultats en double. Loin de se contenter d'être une excellente joueuse, Miss King plaidait pour l'égalité totale des droits hommes/femmes, réclamant l'équilibre parfait des primes offertes sur les courts internationaux. Une idée simple que certains jugent outrancière, aujourd'hui encore ! Il est facile d'imaginer combien elle pouvait "secouer le cocotier masculin" au début des années 70. Battle of the sexes le montre avec humour et pertinence. On pourrait donc dire que le film remplit son contrat...

Reste que son argument premier - et la promesse de son titre - reposent d'abord sur la confrontation annoncée entre Billie Jean King et Bobby Riggs, un autre champion, rangé des raquettes et de 25 ans son aîné. Parieur impénitent, ce dernier s'était déclaré prêt à verser la somme de 100.000 dollars à sa compatriote si elle se montrait capable de le battre lors d'un match ultra-médiatisé. Il était persuadé que, dépitée après sa défaite, elle renoncerait à ses prétentions économico-sportives et retournerait faire la popote à son petit mari. Vous imaginez la suite ? Bravo. Je ne dirai rien pour le confirmer. J'ajouterai cependant qu'un autre thème vient compléter l'intrigue principale du film et, ce faisant, le densifier un peu. Je vous conseille de prendre les choses comme elles viennent et Battle of the sexes comme un simple divertissement, sans grande ambition artistique. Emma Stone ajoute une pierre à sa gloire, Steve Carell cabotine comme il le fait (presque) toujours, la reconstitution des seventies est plutôt soignée... et sincèrement, inutile d'aller chercher plus loin !

Battle of the sexes
Film américain de Jonathan Dayton
et Valerie Faris (2017)
Mari et femme, les deux réalisateurs étaient aussi derrière la caméra du très apprécié Little Miss Sunshine... que je n'ai toujours pas vu. Cela dit, je vous conseille leur deuxième film: Elle s'appelle Ruby. Sont-ils au sommet du feel good movie avec ce troisième opus ? Non. Cette année, dans ce registre, j'ai préféré Les figures de l'ombre. Pour le droit des femmes, 20th century women vaut aussi le détour !

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D'autres amateurs dans la salle ?

Oui: notre amie Pascale a, elle aussi, livré un avis positif sur le film. C'est également le cas de Tina, dans sa chronique publiée... ce matin.

Et une petite anecdote pour finir...

À en croire un classement Forbes, Emma Stone est, en 2017, l'actrice la mieux payée au monde, avec un revenu de 26 millions de dollars. Ironiquement, cette somme reste loin de celles allouées aux hommes. Dans l'ordre croissant, Vin Diesel, Dwayne Johnson et Mark Wahlberg occupent cette année le podium "messieurs" - à 54, 65 et 68 millions !

dimanche 10 décembre 2017

Au coeur de l'institution

Pas besoin d'aller chercher très loin: en remontant de quelques jours sur le fil de mes chroniques, vous verrez (à nouveau ?) que j'ai parlé récemment du Mois du film documentaire. Mon association a choisi de s'inspirer de cet événement national pour présenter deux des films de l'Américain Frederick Wiseman, né le 1er janvier 1930. Les voici...

Tititut follies / sorti en 1967
Juriste de formation et ex-professeur de droit, Frederick Wiseman tourne ce tout premier documentaire au pénitencier de Bridgewater. Auparavant, il a déjà tenu à inciter ses étudiants à visiter ce type d'établissements, comme pour encourager les futurs juges et avocats à prendre la mesure de leurs grandes responsabilités. Il se trouve qu'en l'occurrence, l'endroit où il pose sa caméra est aussi un asile psychiatrique. Déjà ancré dans son style caractéristique, le cinéaste propose une immersion directe, sans le moindre commentaire ajouté. Sa caméra et son micro saisissent toute la violence du lieu: la nudité permanente des détenus, le dépouillement extrême de leurs cellules, les pseudo-blagues dont ils sont l'objet de la part des gardiens lorsqu'ils regimbent un peu, la manière dont on les force à manger quand ils ne le font pas spontanément, les fausses fêtes, etc. Un film éprouvant ! Longtemps interdit aux États-Unis, il se termine d'ailleurs avec un carton pour le moins ironique. Que je vous laisse découvrir...

Ex libris - The New York public library / sorti en 2017
Si le film précédent était relativement court (1h25 environ), celui-là permet de se plonger plus profondément encore dans la vie quotidienne d'une institution fondée en 1895: la Bibliothèque publique de New York. En 3h17 (!), c'est l'occasion de vérifier concrètement que ce n'est pas seulement une immense collection de bouquins. Chaque jour, l'établissement et ses quelque 90 annexes poursuivent l'objectif d'amener la connaissance auprès du plus grand nombre. Leurs techniques sont nombreuses: prêts de livres et d'équipements informatiques, organisation de conférences, accueil d'enfants scolarisés, cours donnés aux jeunes et moins jeunes... notamment. Assez régulièrement, la caméra s'invite aussi au sein du conseil d'administration, ce qui permet, entre autres, d'aborder les questions financières. C'est souvent intéressant et, parfois, un peu "pointu" pour un public profane. Pour tenir la distance, il faut donc s'accrocher. Cela dit, on ne verra pas tous les jours un reportage comme celui-là !

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Avis aux amateurs...
J'invite ceux d'entre vous qui connaissent Frederick Wiseman à dire quels autres films ils ont vus et à donner leur avis sur son travail. Toujours actif, notre homme compte déjà une quarantaine de sujets. Parmi eux: la Comédie-Française (1996)... et l'Opéra de Paris (2009). 

samedi 9 décembre 2017

L'amour et le virus

J'aime quand, parfois, l'oeuvre artistique naît d'une idée d'urgence. Sans avoir enquêté sur le sujet, je crois pouvoir dire que c'est le cas du film que j'évoquerai aujourd'hui: Les nuits fauves. À la fois auteur du livre originel - du même titre - et réalisateur-scénariste-acteur principal du long-métrage, Cyril Collard était également séropositif...

L'histoire racontée ici est pour beaucoup inspirée de sa vie, paraît-il. C'est celle de Jean, jeune caméraman lui aussi atteint par la maladie et qui, à défaut de pouvoir faire de vrais projets d'avenir, se fait fort de profiter intensément de ces jours qui lui restent. Une volonté nettement contrariée par les circonstances, bien sûr, et des relations amoureuses tapageuses, avec les filles aussi bien qu'avec les garçons. Incapable de choisir, Jean fréquente à la fois Samy, un beau gosse lui-même indécis sur son orientation sexuelle, et Laura, une ado enflammée rencontrée sur un tournage et qui, elle, n'a pas l'intention de partager. Je vous laisse maintenant découvrir la suite, si le coeur vous en dit, évidemment. Les nuits fauves est un film marquant. Témoin d'une époque, c'est même un film générationnel, selon moi...

La fougue du propos est très bien retranscrite sur le plan formel. Concrètement, cela veut dire que les plans sont courts et s'enchaînent à un rythme effréné, ne nous laissant qu'à peine le temps de souffler. Cyril Collard est très bon, devant ou derrière la caméra. Je dois dire toutefois que c'est la jolie Romane Bohringer, alors âgée de 19 ans seulement, qui m'a fait la plus forte impression, tout au long du film. Elle est simplement parfaite en amoureuse éperdue, dans la lignée d'autres grands personnages féminins et pathétiques. J'ai été surpris de constater que Les nuits fauves n'évoquait pas seulement le drame d'un amour condamné, mais qu'il s'agissait aussi d'un film combattif et très direct, porté par l'énergie vitale peu commune d'un homme que j'imagine à fleur de peau. C'est bien en cela qu'il vaut le détour. Vingt-cinq ans plus tard, son discours coup-de-poing et souvent cru garde toute sa pertinence. Bref, il était temps que je l'entende enfin !

Les nuits fauves
Film français de Cyril Collard (1992)

Le 8 mars 1993, au théâtre des Champs Élysées, le long-métrage triomphe et remporte quatre César (dont celui du meilleur film). Hommage est ainsi rendu à Cyril Collard, décédé trois jours plus tôt. J'espère qu'à votre tour, vous aurez droit à une séance de rattrapage ou à une rediffusion. Sur un thème connexe, je crois utile de revenir aussi sur 120 battements par minute, l'un des grands films de 2017.

vendredi 8 décembre 2017

Anatomie d'un couple

Sur l'affiche (française) du film d'aujourd'hui, la mention apparaît clairement: à côté du nom de Peter Falk, il est écrit "Colombo". Oublions l'orthographe erronée... relier l'acteur à ce rôle d'inspecteur de série est facile, mais pas scandaleux: cela m'a étonné, voilà tout. Pour Gena Rowlands, en revanche, aucune autre précision du genre...

Une femme sous influence... c'est pourtant bien d'elle dont il s'agit. C'est avec ce film que, pour la première fois, je découvre le cinéma de John Cassavetes. Une rencontre marquante, pour dire le moins. Dans le cas présent, il est question de Mabel, une femme au foyer jugée instable sur le plan émotionnel, et de son mari, Nick, ouvrier très occupé par ses chantiers. Un soir que Monsieur reste au boulot beaucoup plus tard que prévu, occupé à remplacer une canalisation inefficace, Madame sort, tombe dans les bras d'un inconnu et tente ensuite de faire bonne figure, quand la troupe des travailleurs débarque chez elle au matin sur la promesse d'un plat de spaghettis. C'est donc un couple menacé dans son existence qui est filmé ici, mais aussi et surtout une épouse quelque peu délaissée, qui devient presque folle à force de solitude (réelle ou simplement ressentie). Autant dire qu'on n'est franchement pas là pour s'amuser. Quoique...

Il peut arriver que la prestation de Gena Rowlands soit assez drôle. Même - étonnant - constat pour celle de Peter Falk, en réaction. Respectivement compagne et ami du réalisateur, les deux comédiens s'investissent pleinement et se montrent d'autant plus convaincants qu'ils sont observés au plus près de leurs émotions contradictoires. Certaines séquences sont filmées dans le mouvement et sur la durée, un peu comme si la caméra faisait partie de l'intimité familiale. Résultat: seule la sortie du champ permet aux personnages de trouver un moment de répit. Tout à fait intense, Une femme sous influence n'est pourtant pas réellement un film oppressant pour le spectateur. Placé de fait dans la position du voyeur, je n'ai pas ressenti de gêne particulière et plutôt une forme d'empathie pour ce duo désaccordé. Finalement, j'ai vu de l'amour dans leurs efforts lorsqu'il s'agit d'affronter l'adversité des situations et d'autres personnages, parents ou amis, bien moins compréhensifs. Et quelle justesse sur ce point ! Non, on ne ressort pas tout à fait indemne d'un film comme celui-là...

Une femme sous influence
Film américain de John Cassavetes (1974)

Pas facile de trouver un autre film "comparable". Les noces rebelles de Sam Mendes évoque la déliquescence du couple, mais je crois bien qu'il ne le fait pas de la même façon - à vérifier. C'est aussi le sujet d'À perdre la raison. Allociné suggère Laurence anyways (oui !) et, du côté classique, Voyage à deux, de Stanley Donen, que je veux voir depuis longtemps. Dans le mouvement, il resterait Voyage en Italie...

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Pour en savoir (un peu) plus sur le film...

Je vous signale que Lui propose une chronique au format "ordinaire". Eeguab, lui, en dit deux mots, tel un hommage à un couple mythique.

mercredi 6 décembre 2017

Un peu d'animation

J'aurais dû vérifier ! Je croyais que Blanche Neige et les sept nains était le premier long-métrage d'animation de l'histoire du cinéma. J'étais d'ailleurs content de lui consacrer un nouvel épisode de mon fil rouge historique, puisque nous pourrons fêter le 80ème anniversaire de sa première projection le 21 décembre prochain. Oui, mais voilà...

Blanche Neige et les sept nains n'est "que" le premier long-métrage d'animation... sonore et en couleurs ! C'est déjà bien, me direz-vous. L'histoire retient également qu'il a lancé le studio Disney sur les rails d'un succès si durable que, bon an mal an, il se prolonge encore aujourd'hui. Dès les années 40, il servit aussi de source d'inspiration pour d'autres productions du genre, et ce dans de nombreux pays comme la France, l'Italie, l'URSS, la Chine ou le Japon. Un succès mérité, d'autant qu'il repose sur une indiscutable maîtrise technique. C'est vrai que le film aura aussi coûté beaucoup plus cher qu'envisagé au départ: près d'un 1,5 million de dollars - contre 250.000 budgétés !

Il en rapportera évidemment bien plus encore. Et tout cela continue ! Le vrai premier long-métrage d'animation ne peut pas en dire autant. C'est vraiment malheureux, mais c'est un fait: El apostol est tombé dans l'oubli. Oeuvre d'un dénommé Quirino Cristiani, ce film argentin était sorti en... novembre 1917, il y a donc à peine plus d'un siècle. Apparemment, il s'agissait d'une satire sur l'homme qui allait devenir le premier président démocratique à Buenos Aires, Hipolito Yrigoyen. Il n'est cependant plus possible de le vérifier, l'intégralité des copies ayant été détruite par un incendie survenu au domicile du producteur. Seuls quelques dessins préparatoires sont donc parvenus jusqu'à nous.

Disney se consolera dès lors avec sa longévité. Une question demeure toutefois: comment le studio peut-il écrire l'histoire à son avantage ? En allant plus loin avec l'usage des images de synthèse ? Mouais. Objectivement, ce n'est pas garanti que ça plaise aux cinéphiles chevronnés, mais bon... on notera qu'en 1995, Disney était titulaire exclusif des droits de diffusion de Toy story, le premier long-métrage entièrement conçu en numérique. Aujourd'hui, et depuis onze ans déjà, Mickey et consorts vont plus loin: ils sont en effet propriétaires de Pixar, le studio derrière ce premier succès et de nombreux autres. Nous avons du coup le droit d'espérer de nouvelles - belles - surprises.

En attendant, j'ai trouvé intéressant de me pencher sur les origines du cinéma d'animation. Et c'est ainsi que j'ai découvert quelque chose d'inattendu: il est pour ainsi dire plus vieux que le cinéma en images réelles ! Au 19ème siècle, un certain Émile Raynaud (1844-1918) invente ainsi le Praxinoscope et réalise les premiers dessins animés projetés sur écran géant, qu'il appelle ses "pantomimes lumineuses". Une séance publique inaugurale peut être organisée au Musée Grévin dès le 28 octobre 1892, soit plus de trois ans avant l'entrée en scène des frères Lumière. Seul inconvénient: aucune copie n'est possible. Face à la rude concurrence du cinématographe, le génial inventeur finira par détruire la plus grosse partie de son oeuvre. Les bandes "rescapées", au nombre de... deux, ont été restaurées en 1992. Ouf !

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Et si on allait plus loin ?

J'ai conscience qu'il y a mille autres choses à raconter sur le sujet. Ces anecdotes vous ont plu ? Vous voudriez me voir les prolonger ? Vous en avez d'autres à proposer ? On se retrouve côté commentaires.

mardi 5 décembre 2017

Une fille de la campagne

Guillaume Gallienne explique que cela faisait quinze ans que l'histoire de Maryline - le prénom a été modifié - lui trottait dans la tête. D'après lui, donc, le scénario de son nouveau film s'appuie avant tout sur le souvenir d'une rencontre avec une femme, qui l'avait marqué. Est-ce que cela "marche" au cinéma ? Je vais vous donner mon avis...

Commençons par le commencement. Au début du film, cinq femmes sont réunies dans un champ, avec pour but de disperser les cendres d'un homme, qui se trouve être le père de l'héroïne. Problème: l'urne funéraire résiste à l'ouverture ! Est-ce que c'est drôle ? Pas vraiment. En tout cas, si on veut la considérer comme cocasse, il me semble que cette étrange scène de lancement s'inscrit en profond décalage avec ce qui arrive ensuite. La fameuse Maryline du titre s'émancipe en quittant son petit village reculé, dans l'espoir de devenir actrice. Bientôt, on la voit passer un casting très éprouvant et on la retrouve sur un plateau, bien incapable de jouer et humiliée jusqu'aux larmes. Personnellement, je crois impossible qu'un réalisateur puisse accorder quarante prises à une comédienne débutante pour faire ses preuves. C'est pourtant le cas ici. Passons: le réalisme, je m'en fiche un peu. Mais tout cela est tout de même un peu lourdingue, pour être franc...

Je ne vais certes pas tout vous révéler, mais ces séquences initiales donnent le ton: ce qui va nous être raconté, c'est le chemin de croix d'une jeune femme vers l'accomplissement et un succès aléatoire. Pourquoi pas, d'ailleurs ? Bien qu'il ne soit pas d'une originalité renversante, ce sujet a déjà pu me séduire. Encore faut-il pour cela qu'il soit traité avec délicatesse et de manière assez é-qui-li-brée. Pour moi, c'est bien là que le bat blesse, en l'occurrence: Maryline croule sous des tonnes de pathos. C'est d'autant plus horripilant qu'aucune explication n'est donnée pour justifier le comportement erratique de la jeune femme. Par chance, quelques aspects du film parviennent à le sauver du naufrage: je pense surtout à une échappée nocturne sur des chemins de terre et à l'apparition quasi-miraculeuse d'une consoeur d'une juste empathie, jouée par Vanessa Paradis. Passés ces deux points, je tiens à dire également qu'Adeline d'Hermy m'a pleinement convaincu dans le rôle-titre - j'espère donc la revoir. Quelque chose me dit qu'elle serait très bonne dans d'autres registres.

Maryline
Film français de Guillaume Gallienne (2017)

L'avant-dernière (longue) scène du film, où Guillaume Gallienne ajoute une couche d'horreurs sur son personnage et joue allégrement avec nos émotions, m'a presque fâché définitivement. Il montre davantage de pudeur pour préserver l'anonymat de sa source d'inspiration. Sur le thème - éternel - de l'artiste consumé par les feux de la rampe, j'aime autant revoir Black swan, voire même Chocolat !

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Et si vous alliez voir ailleurs ?
Vous pourriez constater que Pascale est sensiblement du même avis.

lundi 4 décembre 2017

Souvenirs d'Afrique

Le saviez-vous ? En novembre dernier, les salles de quelques villes françaises ont fêté la 18ème édition du Mois du film documentaire. Oui, j'arrive après la bataille, mais j'ai pu découvrir, à la bibliothèque où j'interviens parfois, un peu du travail de Jean Rouch (1917-2004). Zoom, donc, sur deux films de cet ethnologue et cinéaste méconnu...

Moi, un Noir (Treichville) / 1958
Treichville est un quartier d'Abidjan, capitale économique de la Côte d'Ivoire. Restés en bande, les jeunes Nigériens que nous rencontrons cherchent une meilleure situation sociale, loin de leur pays d'origine. Chacun porte un surnom, issus du monde du cinéma ou de la boxe professionnelle, et tous peinent visiblement à joindre les deux bouts. Avant de les filmer, Jean Rouch a tenu à passer six mois avec eux. Résultat: un film étonnant, qui capte un peu du réel, mais le complète avec des images inventées de toutes pièces et des dialogues libres entre les protagonistes, ajoutés en post-production. Les amateurs reconnaîtront certaines techniques réutilisées par la Nouvelle Vague. Jean-Luc Godard, notamment, trouve ici la matrice de son film sorti deux ans plus tard, À bout de souffle. J'ai été surpris... et j'ai aimé !

La chasse au lion à l'arc / 1967
Nous tenons ici un documentaire de forme - un peu - plus classique. Au cours de sept missions ethnographiques, financées par le Centre national de la recherche scientifique et l'Institut français d'Afrique noire, Jean Rouch rencontre les chasseurs gaos et filme leurs rituels. Dans une vaste zone inhabitée entre le Niger et le Mali, ces hommes sont les seuls autorisés à traquer les bêtes fauves. Ils parcourent d'abord des centaines de kilomètres pour récupérer les matériaux nécessaires à la conception de leurs armes. En habitants raisonnables d'un environnement hostile, ils ne tuent jamais un animal si celui-ci n'est pas, préalablement, apparu comme une menace, en attaquant leur troupeau, par exemple. Derrière la caméra, l'homme blanc expose cette façon d'être sans porter de jugement et, à partir de ce constat objectif, offre aux enfants d'Afrique et d'ailleurs une sorte de conte. Ce qui lui a valu d'obtenir le Lion d'or de la Mostra de Venise, en 1965.

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Un tout petit mot encore...
Cette courte chronique n'a pour objectif que de vous rendre curieux. S'il y en a parmi vous qui veulent en dire davantage, pas d'hésitation !

dimanche 3 décembre 2017

Immortels... ou pas

Du casting et de la valeur relative des films, épisode 3. C'est d'abord pour le trio Catherine Deneuve, Susan Sarandon et David Bowie (!) que j'ai voulu voir Les prédateurs. Du scénario, je ne savais en fait qu'assez peu de choses, si ce n'est qu'il tournait autour de vampires. Restait donc à voir comment il abordait ce genre plutôt... "classique".

Les prédateurs dont il est question occupent un grand appartement new-yorkais, visiblement éloignés de toute préoccupation matérielle. Madame Blaylock est très belle, mais Monsieur, lui, s'abime le moral avec diverses pensées macabres liées à son possible vieillissement accéléré. Ce qui le conduit un beau jour à consulter un chercheur spécialisé, le docteur Sarah Roberts, qui étudie justement le moyen de freiner - ou d'arrêter - l'inéluctable course de l'évolution biologique vers le déclin et la mort. Je vous passe les détails. Je crois en fait qu'il faut savoir entrer dans ce type de films pour les apprécier vraiment à leur juste valeur. Et de fait, tout cela est un peu kitsch...

Disons-le autrement: l'esthétique du long-métrage est assez chargée. Parfaitement raccord, je pense, avec l'époque de la sortie en salles. Voilà... pas question pour moi de dénigrer cet aspect des choses. D'ailleurs, je crois bien qu'en son temps, le film avait fait parler de lui positivement et avait été vu à Cannes - hors-compétition, toutefois. Aujourd'hui, il peut sûrement être rangé au rayon des oeuvres cultes pour les amateurs de ce type de productions. Je l'apprécie moi-même comme une pièce de musée, kitsch, donc, ou gentiment démodée. Chacun des trois protagonistes principaux a su faire mieux ailleurs. Ce n'est en aucun cas une raison pour bouder votre (éventuel) plaisir !

Les prédateurs
Film américano-britannique de Tony Scott (1983)

Avis aux curieux: tiré d'un roman, dont la VO reprend d'ailleurs le titre originel (The hunger), le long-métrage connut aussi une déclinaison télévisée sous la forme d'une série, entre juillet 1997 et mars 2000. Bon... j'étais à deux doigts de vous dire que les histoires de vampires ne m'intéressent que moyennement, mais je ne peux pas démentir mon intérêt affirmé pour Nosferatu, Morse et Only lovers left alive !

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Je n'ai pas trouvé d'autre avis sur le film...

Lot de consolation: une chronique d'Ideyvonne sur la chef costumière. Précision: ceux de Catherine Deneuve sont signés Yves Saint-Laurent.