lundi 14 février 2011

Noir désir

Une chronique de Moko-B

Un jour, j'ai fait la connaissance d'un petit canard nommé Mathilda.
L'animal était plutôt mignon, de pelage noir et brillant, l'oeil vif. Mathilda était surtout très intéressante pour sa prestance, son jeu de scène et sa prose. Elle eut la folle idée de s'offrir en première pâture au spectateur, sous le costume d'une jeune fille issue d'un milieu difficile et s'amourachant d'un tueur à gage solitaire au charisme charbonneux (Léon - Luc Besson, 1994). Ce fut alors une révélation ! Le petit canard n'était petit que dans sa taille, pas dans son talent. Et l'image qu'elle donna resta gravée en moi...


Et puis les années ont passé et le canard a grandi. Il s'est glissé dans d'autres personnages comme des plumes sur l'eau. Mathilda s'est finalement appelée Natalie et elle s'est payé le luxe d'être la belle-fille d'Al "Parrain" Pacino (Heat - Michael Mann, 1996), puis la fille de Jack "Shining" Nicholson (Mars attacks - Tim Burton, 1997). Par la suite, elle s'est mise à faire des aller-retour entre deux mondes: l'un où elle oscillait entre une variété de rôles au cinéma et au théâtre et ses études (jusqu'à Harvard), l'autre peuplé d'étranges créatures et où elle devint tour à tour reine et sénatrice (Star wars épisodes I, II et III - George Lucas, 1999/2004). Enfin, elle entra dans le monde adulte en posant un premier pied un peu timide sous le nom d'Alice (Closer, entre adultes consentants - Mike Nichols, 2005), suivi d'un autre plus affirmé sous le nom de Leslie (My blueberry nights - Wong Kar Wai, 2006). Et puis, cinq ans plus tard, le petit canard aux plumes noires est devenu un cygne.

Cette entrée en matière peut paraître longue, mais il vous fallait comprendre qu'avant d'être choisie pour ce rôle, Natalie Portman a en elle-même fait la métamorphose nécessaire pour "comprendre" le dilemme et la fragilité qui font l'aura d'un cygne.


Il y a quelques semaines, j'ai eu la chance - je pèse mes mots - de pouvoir assister à l'avant-première niçoise de Black swan, le nouveau film du sombre Darren Aronofsky, mettant en scène dans le rôle principal Natalie Portman. Thriller glacial ayant pour décor l'antre du New York City Ballet, Black swan nous plonge dans les tourments de Nina Sayers, danseuse appartenant au corps du ballet depuis quatre ans, autrement dit à la troupe des bons petits soldats qui contribuent à gonfler les plumes du spectacle. Nina vit seule avec sa mère, Erica, une ancienne danseuse ayant abandonné sa carrière pour s'occuper de sa fille. Elles passent leurs soirées ensemble, reprisant les chaussons de Nina, parlant de la danse et de son envie d'être choisie, un jour pour jouer un grand rôle. Et pourquoi pas la Reine des Cygnes justement ? Voilà tout l'enjeu de ce film: gagner, vaincre, vivre et survivre au double rôle Cygne blanc/Cygne noir du célébrissime Lac des cygnes de Tchaïkovski !


Darren Aronofsky a choisi de braquer sa caméra sur la petite oie blanche de la troupe. Nina est fragile, en quête de perfection permanente, allant jusqu'à oublier l'essence même de toute profession artistique: le plaisir. Nina ne danse pas avec son âme, mais avec sa souffrance. Elle n'évolue pas avec son coeur mais avec sa peur, son inquiétude constante. Black swan n'est pas un "petit illustré" sur le monde de la danse. Nous n'assistons pas à des querelles de tutus façon "club Dorothée". Non. Black swan nous parle du perfectionnisme, de l'amour de la beauté artistique et de la dépendance qu'elle impose à l'âme. Nous sombrons avec Nina à chaque minute du film. Natalie Portman emporte le rôle loin au firmament. Passionnée et torturée par la danse et par ses émotions, elle nous livre une prestation en noir et blanc finement travaillée. Étoile frigide, retenue, glacée, elle s'embrase et endossant le costume du Cygne noir. Poussée dans ses retranchements par Thomas Leroy (Vincent Cassel, époustouflant), directeur charismatique du ballet, par sa propre personnalité troublée et par l'arrivée de Lily (Mila Kunis), une jeune danseuse "débridée", Nina exulte et crache la noirceur qui est en elle en se rapprochant peu à peu de son rêve. Dans un inexorable et fatal déroulé, elle danse à corps perdu jusqu'à la dernière minute du film.



Black swan

Film américain de Darren Aronofsky (2010)

On a beaucoup parlé des "transformations" d'actrice dans ce qui pouvait devenir pour elles des rôles à Oscar. Dans Black swan, Natalie Portman n'a rien modifié de son joli minois. Cependant, ses traits sont changés, tirés, fatigués et exaltés. Son corps, travaillé à la dure discipline des danseuses, est amaigri, musclé, souple. Le spectateur est halluciné, captivé par la fluidité de ses mouvements et par son inquiétante et troublante grâce. Sa paranoïa s'infiltre en nous, devient nôtre. Notons qu'elle est très bien accompagnée par Mila Kunis, sensuelle et libérée à souhait, et par Vincent Cassel, qui offre ici une prestation mêlée de virilité, de sensibilité et de mépris enroulé en écharpe. Notons aussi la présence au casting de Winona Ryder (méconnaissable) dans le rôle d'une danseuse en fin de carrière et de Benjamin Millepied (dans le rôle de David), danseur et chorégraphe français talentueux et désormais fiancé et père du futur enfant de Natalie Portman. Amateurs de grand cinéma, je ne saurais que trop vous conseiller d'aller voir Black swan. Si vous aimez les thrillers sombres taillés dans la chair et la sensualité artistique écorchée vive, courez et virevoltez et laissez-vous être étonné !

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je ne peux qu'être d'accord avec toi ! Je suis allée le voir aujourd'hui... EPOUSTOUFLANT !!! J'ai eu beaucoup de mal à sortir du film...

Silvia