Une chronique de Martin
J'ai déjà parlé de ce phénomène: quand, comme moi, on regarde beaucoup de films, il arrive que, d'une projection à l'autre, apparaissent des similitudes, sans pour autant qu'elles soient préméditées. Ce fut le cas avec Ma part du gâteau, autre histoire illustrant le rapport patron-domestique. Ce n'est que très récemment que j'ai eu une idée de ce que Cédric Klapisch voulait nous raconter cette année. Auparavant, je n'avais pas cherché beaucoup d'infos, motivé par l'idée d'aller voir le film grâce à ce qu'on pourrait appeler la "confiance historique" que j'accorde au réalisateur. Un petit mot quand même sur l'intrigue: mère célibataire d'un trio d'enfants, France a beaucoup de mal à assumer leur train de vie. Elle dispose certes d'une pension alimentaire, mais l'usine où elle travaillait vient de mettre la clé sous la porte. Bienvenue chez les Ch'tis, les vrais, ceux que la crise industrielle du pays a souvent laissé sur le carreau social. À Londres, Stéphane alias Steve, lui, est l'un des traders vraiment efficaces d'une société d'investissements de la City. Arrive un jour où son patron, qui apprécie les requins solitaires, lui propose un poste à Paris pour, un an plus tard, le faire revenir et lui donner les clés de la boîte. Un enjeu qui fait qu'évidemment, le jeune cadre dynamique accepte aussitôt. Contre toute attente, France et Steve vont donc se rencontrer. L'une, déterminée à retrouver un emploi stable, devient l'employée de l'autre, femme de ménage et babysitter pour un homme dont l'horizon se limite aux courbes de la Bourse.
Il y a sans doute plusieurs façons d'appréhender Ma part du gâteau. La difficulté que j'ai aujourd'hui, c'est de vous en donner ma vision sans trop dévoiler la manière dont vont évoluer ses protagonistes. Parmi les analyses que j'ai lues depuis, le constat quasi-unanime consiste à dire que, beau gosse matérialiste, Steve est un sale type et France, maman-courage, une victime. Deux appréciations peuvent alors en découler, diamétralement opposées et débouchant chacune sur un avis bien différent de l'autre. Sur la base de ce que Klapisch a déjà créé ou d'après son discours général, d'aucuns estiment qu'il est ici question de dénoncer un monde de la finance cynique et de livrer un brûlot altermondialiste en bonne et due forme. Constat complémentaire: en général, ceux qui perçoivent ça aiment le film. D'autres déplorent ce qu'ils appellent sa facilité: le long-métrage serait pour eux tout à fait convenu, consensuel et même hypocrite. Une façon d'aller dans l'air du temps et de ramasser l'argent apporté par un public de gogos. Ma lecture à moi s'inspire de la version positive. Sans le porter aux nues, j'ai en effet apprécié de suivre certaines pistes ouvertes par le scénario. J'ai eu comme l'impression que les choses n'étaient pas si tranchées, que le propos général n'avait pas tout à fait ce manichéisme amenant à se placer du côté des gentils ou des méchants. Steve possède en effet quelques failles et France, elle, n'est pas tout à fait la bonté incarnée. Et ce sont leurs ambiguïtés qui m'ont amené à m'intéresser à leur destinée.
Pour prendre du recul et mieux comprendre un film, il me paraît assez enrichissant de le replacer dans son époque, dans son contexte technique, mais aussi dans la filmographie de son auteur. Une fois passé ce triple prisme, Ma part du gâteau me semble finalement plus exigeant que d'autres Klapisch. Le fond des personnages à la fin de l'histoire me paraît bien plus contrasté qu'il ne l'était au moment du début du récit. Après, évidemment, c'est encore et toujours affaire de perception. Je peux comprendre que d'autres que moi voient dans cette oeuvre un film engagé et que d'autres encore puissent ne saisir que quelques bons sentiments. Il y a de toute façon une indéniable patte dans ce cinéma, celle d'un réalisateur resté fidèle à ses idées. Techniquement et jusque dans les choix opérés pour la distribution, c'est flagrant. On retrouve en effet un petit lot d'habitués, Karin Viard ou l'inévitable Zinedine Soualem par exemple, une façon de filmer relativement typée et une bande son familière. Parallèlement, il faut aussi noter que cet univers s'enrichit également par petites et grosses touches. La plus évidente repose sur le choix de Gilles Lellouche pour le premier rôle: je suis d'ailleurs surpris que, dans les critiques que j'ai parcourues pour le moment, il y ait aussi peu de comparaison avec ce qu'aurait pu faire un autre garçon comme Roman Duris du personnage, lui qui reste le plus "attendu" chez Klapisch. L'apport de sang neuf ne m'a pas dérangé, cela dit. Bien au contraire, il m'a plutôt intéressé à un acteur que je connais encore mal et pour lequel, de manière irrationnelle, je n'avais pas franchement un très bon a priori. Les temps changent, n'est-ce pas ? Parfois, c'est bien aussi de réfléchir à deux fois et de s'aventurer hors des sentiers battus. C'est ce que je suis assez content d'avoir réussi à faire avec ce film simple, mais pas nécessairement évident.
Ma part du gâteau
Film français de Cédric Klapisch (2011)
Le puzzle cinématographique du réalisateur prend une vraie ampleur. Une fois encore, le cinéaste a pris tout son temps pour concevoir une nouvelle pièce. Si je lui ai en fait préféré le diptyque L'auberge espagnole / Les poupées russes, je ne l'ai pas détestée. C'est parfois de manière brouillonne, mais, comme d'autres, elle parvient plutôt bien à saisir l'esprit d'une époque. Une chose plutôt étonnante dans l'univers du cinéaste: les occasions de (sou)rire sont rares. Assez sombre à mes yeux, la touche finale ne me semble toutefois pas aussi noire que dans Ni pour ni contre (bien au contraire). Notez qu'il est en tout cas intéressant de comparer l'une à l'autre.
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