mercredi 27 mai 2015

La vérité en face

C'est marrant, le cinéma: il y a de nombreux films que l'académisme rend lourdingues et d'autres pour lesquels il paraît tout à fait adapté. Dans Le labyrinthe du silence, c'est (heureusement) le deuxième cas de figure qui s'impose. Oui, j'ai vraiment apprécié que le réalisateur italien de ce film allemand reste sobre. Son sujet l'imposait, je dirais. J'en sais gré au cinéaste, qui signe ici son tout premier long-métrage.

Nous sommes de retour dans l'Allemagne de 1958: un artiste juif rescapé des camps de la mort reconnaît soudain l'un de ses bourreaux parmi les enseignants d'une école proche de chez lui. Les autorités judiciaires sont alertées, font état de la situation à l'administration scolaire et, contre toute attente, ne cherchent pas à punir l'ex-Nazi repenti. D'ailleurs, cet homme est-il réellement un criminel ? A-t-il vraiment du sang sur les mains ? Est-il déjà coupable du simple fait d'avoir fréquenté Auschwitz du côté des gardiens ? Ces questions froidement juridiques n'étaient pas résolues alors. Les grands procès de Nuremberg orchestrés par les Alliés avaient laissé les Allemands tourner la page. Le labyrinthe du silence nous rappelle avec force qu'il aura fallu toute l'opiniâtreté de quelques magistrats et le courage d'un certain nombre de survivants pour rouvrir les dossiers et juger enfin une partie de ceux qui devaient l'être. Cela mérite d'être redit !

Et donc, encore une fois, c'est incontestable: le film est académique. Cette retenue formelle rend hommage à un scénario intéressant, porté par des dialogues soignés et emballé par des interprétations impeccables. J'ai apprécié que le récit soit parvenu à éviter les pièges du sentimentalisme et du manichéisme. Des questions importantes sont posées, mais avec une pudeur remarquable: pour ne donner qu'un seul exemple, je citerai la scène où les premières victimes identifiées commencent à venir témoigner de ce qu'elles ont vécu. Plutôt qu'une longue litanie d'horreurs, il nous est donné à entendre quelque musique, tout en regardant défiler les visages aussi dignes qu'ordinaires de ces miraculés, avec parfois de beaux contre-champs sur les juges, attentifs et bouleversés. Le labyrinthe du silence s'inspire de personnes ayant existé, bien sûr, mais en associe parfois plusieurs en un seul et même personnage. C'est intelligent: le propos n'est que plus fort d'être ainsi concentré. Seul petit regret: que le film soit resté muet sur les très nombreux martyrs non-juifs de la Shoah...

Le labyrinthe du silence
Film allemand de Giulio Ricciarelli (2014)

J'aime les gens qui regardent la vérité en face. J'aime les pays capables de considérer les fautes de leur passé, aussi lourdes puissent-elles être, pour s'amender et aller de l'avant, de nouveau. Pour un peu plus de légèreté, j'aime aussi ce cinéma historique allemand, depuis Good bye Lenin à La vie des autres, en passant éventuellement par Phoenix ou Oh boy... et c'est sûr: j'en reparlerai.

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Si vous voulez d'autres avis...
Je vous signale que Dasola et Pascale parlent également du film.

10 commentaires:

dasola a dit…

Bonsoir Martin, j'ai surtout apprécié que ce film soit parlé en allemand. Cela donne une vérité plus grande au propos. Bonne soirée.

Martin a dit…

Germanophile convaincu, je partage tout à fait ton point de vue sur ce point, Dasola.

ChonchonAelezig a dit…

Je note ça sur mes tablettes. J'adore découvrir les films étrangers et moi aussi je suis germanophile !

Pascale a dit…

A rapprocher sans doute de ceci
http://www.surlarouteducinema.com/archive/2013/04/30/hannah-arendt-de-margarethe-von-trotta.html

qui évoque aussi la banalité du mal !

Martin a dit…

@Chonchon:

Tu fais bien de noter sur je-ne-sais-quelles tablettes. Je suis quasiment convaincu que ce film te plaira.

Martin a dit…

@Pascale:

Je l'ai loupé, celui-là. Je fais comme Chonchon: je note sur mes tablettes.
Merci et p'tite précision: je me suis permis d'effacer ton commentaire-doublon.

ceda a dit…

Ich denke auch an den Film "Zwei Leben" ("d'une vie à l'autre" en français) von Judith Kaufmann und Georg Maas (die Frau wird in Frankreich einfach nicht erwähnt, obwohl sie genauso wie der Mann daran teilgenommen hat !...) Kennst du ihn? Ich hab's, wenn du willst.

Für deine "germanophiles" Freunde stehe ich auch gern zur Verfügung, wenn sie mal ihr Deutsch verbessern wollen !!!

Martin a dit…

Hallo Ceda ! Wie geht's ? Ich werde deine Filme bald gucken, danke ! Etwas gutes für meine "Germanophiles" Freunde, die nicht bei uns leben...

princécranoir a dit…

J'ai découvert il y a peu ce film, et en même temps cet épisode des procès de Francfort sur lesquels mes cours d'Histoire ne s'étaient pas assez attardés. Le film vient en amont de celui consacré à la traque d'Eichmann par Fritz Bauer. Les deux histoires se recoupent. Belle idée que de mêler le fond historique à des éléments de fiction (le personnage principal qui concentre le travail des trois procureurs chargé de l'enquête). Manque effectivement une petite touche de personnalité dans cet exposé parfois un peu scolaire. Bis bald.

Martin a dit…

Tiens, un autre germaniste par ici ? Danke sehr, mein Herr ! J'aimerais bien voir le film sur Fritz Bauer et constate (avec plaisir) que nous sommes du même avis sur celui-là. Le petit manque de personnalité s'oublie vite face à l'importance du sujet abordé. Je préfère toujours la modestie que l'esbroufe, au cinéma comme dans la vie.