samedi 30 avril 2011

Le clown prisonnier

Une chronique de Martin

J'aurais aimé qu'il en soit autrement, mais ma troisième rencontre avec Jim Jarmusch ne restera pas parmi mes grands moments cinématographiques. En me prêtant Down by law, Stéphane, collègue de travail comme moi accro au septième art, m'avait annoncé un film pointu. Tourné en noir et blanc, ce long-métrage curieux n'est pas d'un abord facile et paraît effectivement réclamer quelques efforts à ceux qui veulent "entrer dedans". Malgré la fatigue de ce soir-là, j'y suis à peu près parvenu, non sans difficulté, donc, et avec un enthousiasme tout relatif. Pardon pour ce qualificatif redoutable: cette histoire d'évasion m'a paru un peu vaine.

Résumons. En dépit de prénoms presque identiques, Zack et Jack vivent chacun dans leur coin et ne se connaissent pas. Apathique, mutique et chassé par sa petite amie, le premier, DJ au chômage longue durée, se laisse convaincre d'entrer dans une combine douteuse pour gagner un peu d'argent. Le second, proxénète, couche sans enthousiasme aucun avec l'une de ses filles, avant de se voir proposer de "protéger" une petite nouvelle, en fait à peine majeure. Dans cette Nouvelle-Orléans de cinéma, les deux larrons vont passer par la case prison. Entre deux bagarres, ils feront tout pour s'ignorer. Down by law change de ton quand un troisième rejoint la cellule. Roberto ne cache pas qu'il a tué un type qui le poursuivait, lui ayant jeté au visage la boule noire numéro 8 d'un billard américain...

J'ai déjà parlé de film d'évasion: Zack, Jack et Roberto ne croupiront en effet que provisoirement derrière les barreaux. Je vous laisse découvrir ce qui se passera (ou pas) quand ils se feront la belle. Franchement, ça m'ennuie, mais tout cela ne m'a pas passionné. Dans le trio des comédiens principaux - et presque uniques - du film, je ne connaissais guère John Lurie et Tom Waits: je les ai trouvés bons, mais donc pas follement intéressants. La vraie force motrice du métrage s'est en fait pour moi résumée à la prestation décalée offerte par Roberto Benigni, le clown qu'évoque mon titre aujourd'hui. Down by law lui doit beaucoup et notamment son aspect irréel. Ce bout de chemin parcouru à trois emprunte au rêve un peu de son immatérialité. En ce sens, je veux bien comprendre pourquoi et comment, culte pour les uns, ce film peut également séduire.

Down by law
Film américain de Jim Jarmusch (1986)
Étais-je trop fatigué ? Suis-je trop peu réceptif ? Peut-être bien, oui. Au moment du générique final, j'ai eu l'impression d'être passé légèrement à côté. Les (très) bonnes appréciations lues sur le film me laissent penser qu'il y a quelque chose que je n'ai pas su saisir. Tant pis: ça arrive. Il me faudrait revoir Big fish (et voir enfin La vie est belle) pour juger de la pertinence d'une comparaison sur le plan onirique. En attendant, je vous recommanderais deux autres films signés Jarmusch, plus récents: Ghost dog, le premier que j'ai pu découvrir, mais aussi - et surtout ? - le méconnu Broken flowers.

jeudi 28 avril 2011

Juste un père

Une chronique de Martin

Les écrivains font-ils de bons cinéastes ? La question a pu être posée à de nombreuses reprises devant les passerelles entre la littérature et le septième art. Je vous propose d'en arpenter une aujourd'hui.

Bien qu'il porte le nom d'un roman de Bertrand Visage sorti en 1984, Tous les soleils n'en est pas l'adaptation. Il repose sur le travail créatif d'un autre romancier, Philippe Claudel, passé pour l'occasion (et la seconde fois) derrière les caméras. C'est bien lui qui a écrit tout le scénario de ce film sensible et intelligent. L'histoire ? Celle d'Alessandro, professeur italien de musique baroque, qui élève seul sa fille, Irina, dans la belle ville de Strasbourg. La maman ? Elle est décédée peu après la naissance de l'enfant, il y a 15 ans, 15 années que son ex-époux a laissé filer, dans un deuil permanent qui ne dit pas son nom. Dans cette vie, on découvre encore un frère et tonton, lui aussi italien, squattant chez le couple père/fille. Luigi, anar robe de chambre, a fui l'Italie, un pays à la botte de Silvio Berlusconi. Personnage secondaire tout à fait truculent.

Une chose qu'il faut comprendre: bien qu'il parle de la perte de l'être aimé, Tous les soleils n'est pas un drame. Aux matheux, je dirais volontiers qu'il avance sur une sinusoïde, drôle et touchant, les deux en permanente alternance, pour livrer au final un long-métrage franchement réussi. Les acteurs n'y sont pas pour rien. Le père éploré, en peine d'élever convenablement son adolescente de fille, repose sur les épaules de Stefano Accorsi, connu à la ville pour être Monsieur Laëtitia Casta: il est exactement dans le bon ton, sa langue originelle et son accent chantant en français faisant des merveilles pour la musicalité des dialogues. Le constat vaut bien évidemment aussi pour ses deux partenaires principaux, la jeune Lisa Cipriani d'abord, et l'énorme Neri Marcorè. Trois belles révélations, éléments forts d'une distribution encore renforcée par les participations remarquées de Clotilde Courau et, surtout, d'Anouk Aimée.

Alors, bien sûr, les esprits chagrins noteront ce qu'il y a de guimauve dans ce scénario. Malgré un point de départ pas franchement propre à susciter les rires, l'intention première du réalisateur semble pourtant bien de nous amuser et, dans d'autres moments, de susciter assez d'empathie avec les personnages pour qu'on puisse espérer avec eux cette vie meilleure qui finira évidemment par arriver. Comme son nom l'indique plutôt bien, Tous les soleils reste un film lumineux, pas extraordinaire en soi, non dépourvu d'outrances infimes et passagères, mais dont l'idée serait de délivrer un message positif, encourageant. Honnêtement, comme je l'ai déjà eu l'occasion de le dire à d'autres occasions pour d'autres projets sur un concept similaire, ça fait parfois du bien de sortir du cinéma avec le sourire aux lèvres. Je n'en demandais pas plus, l'autre jour, quand je suis entré dans la (petite) salle de projection. Et j'ai vécu ce bon moment porté par une oeuvre intelligente. Il faudrait que je m'offre maintenant un livre de Philippe Claudel pour apprécier ce qu'il écrit.

Tous les soleils
Film français de Philippe Claudel (2011)
Juché sur sa mobylette, l'Alessandro souriant du début du film fait penser à Nanni Moretti et à sa Vespa: je pense que c'est volontaire. Le réalisateur italien a parlé du deuil dans La chambre du fils, Palme d'or à Cannes en 2001. Dix ans plus tard, son confrère français préfère, lui, user de douceur pour faire valoir ses intentions. Le fait qu'il le fasse avec des personnages italiens ajoute au plaisir naïf d'une histoire simple et de ses bons sentiments. Au cinéma, il est évidemment des choses plus profondes, mais aussi d'autres plus sirupeuses encore. Le plan serré-visage de la dernière image m'a fait penser à celui d'Amorosa Soledad. Mais, si vous voulez pousser jusqu'à la comédie romantique, je vous recommande Le come-back.

mercredi 27 avril 2011

Leur harmonie

Une chronique de Martin

Paul Thomas Anderson, deuxième. J'ai vu un autre film du réalisateur américain: Punch-drunk love. Drôle d'histoire. Barry Egan exerce machinalement son métier de vendeur. Ce grand timide, dépressif, est harcelé par ses sept soeurs, toutes ayant décidé de le contacter sur son lieu de travail pour lui ordonner de participer à une réunion de famille. L'une des frangines viendra avec une femme, dans l'idée de faire les présentations. Tout cela crispe Barry, à qui il arrive aussi plusieurs choses curieuses: une voiture fonce et fait des tonneaux sous ses yeux, un harmonium tombe d'un camion, une entreprise offre des bons pour des voyages plus chers que ses puddings...

Bienvenue dans un monde qui ressemble au nôtre, mais s'en décale par quelques détails flagrants et s'avère plutôt onirique. On croit d'abord suivre l'histoire d'un célibataire endurci, adepte du téléphone rose, non pas pour prendre du bon temps, mais juste pour le faire passer, ce même temps. Et Punch-drunk love impose petit à petit une atmosphère de rêve, renforcée encore par la lumière blanche saturée de certains de ses plans ou les dessins colorés et mouvants qui séparent quelques scènes. Et s'il est clair que son héros est perturbé, le film n'apporte aucune réponse définitive aux énigmes qu'il pose, a fortiori quand dans la drôle de vie de Barry débarque Lena, la collègue de travail d'une de ses soeurs, donc. Débute alors, comme le titre du film l'avait laissé supposer, quelque chose d'indéfini qui ressemble à une romance, mais des plus bizarroïdes.

Pour aborder cette oeuvre à nulle autre pareille, il est préférable, selon moi, de ne pas chercher trop de points de repère. Le mieux serait plutôt de se laisser emporter et de remettre à plus tard l'envie de tout comprendre. Punch-drunk love s'apprécie ainsi, et surtout parce qu'il est concentré: le propos du réalisateur tient en moins d'une heure et demie. Parti sur des bases incertaines, l'amour naissant dont il est question replace doucement le film sur les rails d'une certaine rationalité, mais il est bon de se perdre tout à fait dans l'illogisme profond de ce qui est montré. Il est en fait rafraîchissant de constater que le cinéma ne répond pas systématiquement aux interrogations qu'il peut générer. Tout est ensuite question de point de vue. Je dirai pour ma part qu'un film comme ça de temps en temps, ça va, ça évade et, éventuellement, ça ouvre sur autre chose, une perception nouvelle de la chose filmée. Pour autant, je ne me crois pas capable de faire de ce genre d'étranges séances une habitude. Mon avis est qu'il faut aussi savoir garder les pieds sur terre pour, ensuite, mieux parvenir à s'envoler.

Punch-drunk love
Film américain de Paul Thomas Anderson (2002)
Récompensé à Cannes pour sa mise en scène, le cinéaste l'a mérité, tant ce qu'il donne à voir change de l'ordinaire de ce qui fait l'offre quotidienne de nos salles de cinéma. Surpris, je dis moi aussi bravo pour cette audace stylistique. Et bravo aussi aux acteurs d'être aussi volontiers entrés dans le jeu. Pour ce qui est du thème, après y avoir réfléchi, je crois pouvoir dire que le scénario a fait en moi un écho inattendu à celui de deux autres films. Le premier, Les émotifs anonymes, je vous en déjà ai parlé ici il n'y a pas si longtemps. Quant au second, The fisher king, il mériterait lui aussi d'être chroniqué. Je reparlerai un jour de ces autres amours un peu folles.

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Un mot encore:
Ce film est le 400ème long-métrage présenté sur ces pages. Je suis particulièrement heureux d'associer mes amies Killaee, L u X, Moko-B et Silvia Salomé à cette étape symbolique. Nous atteindrons bientôt la 500ème chronique, un vrai petit bonheur. Vers l'infini et au-delà ?

mardi 26 avril 2011

Bollywood première

Une chronique de Martin

Il faut un début à tout. Bénéficiant d'un prêt de DVD (merci Sylvie), j'ai enfin découvert le cinéma indien et Bollywood. Longtemps resté ignorant du phénomène que représentent ces comédies musicales populaires en Asie, je voulais me faire une idée et j'ai en fait choisi de débuter avec Kuch kuch hota hai. Le film ayant déjà été présenté ici même par L u X, je vais la jouer brève et synthétique, en attendant d'autres chroniques de mon amie et échantillons personnels. Une fois n'est pas coutume, permettez-moi de structurer cette analyse d'une manière quelque peu originale. Pour changer.

L'histoire
Comme, je crois, beaucoup d'autres films de cette école de cinéma, Kuch kuch hota hai repose sur une romance. Rahul et Anjali sont deux étudiants de la même université, qui se fâchent régulièrement pour mieux se réconcilier. Ils sont si proches qu'ils pourraient aussi être en couple si la demoiselle n'avait pas des "activités de mec", dont la fâcheuse habitude de gagner chaque match de basket l'opposant à son ami. Mais tout va pour le mieux jusqu'au jour nouveau où débarque une dénommée Tina, la jolie fille du directeur de la fac. L'amour frappe à la porte de Rahul et Anjali reste dehors. Et puis, huit ans et un bébé plus tard...

Les acteurs
Inconnus en Europe, les comédiens ne m'ont pas impressionné - sauf quand ils se mettent à danser, ce qu'à vrai dire, ils font très souvent (au moins six fois... en trois heures de film !). Kuch kuch hota hai n'offre pas un spectacle comparable à ce que nous pourrions connaître en Europe. Nul doute qu'en Inde, ses protagonistes puissent être d'immenses stars. Une fois arrivés jusqu'ici, leur image colorée semble paradoxalement bien terne. Admettons toutefois un bémol pour les néophytes comme moi: si on reste ouvert à une autre façon de faire du cinéma, chacun peut sembler à sa juste place et alors même pourvu d'un certain talent. Il faut replacer dans le contexte.

La réalisation
Comme le long-métrage lui-même, les effets de mise en scène paraissent parfois plutôt kitsch, avec notamment quelques bruitages incongrus qui donnent au film des allures de dessin animé. Il arrive aussi que les dialogues surprennent: parce que, sous des montagnes de guimauve, il y a aussi quelques passages d'une vulgarité crue (effet de traduction ?), mais aussi parce que la version originale mêle allégrement la langue hindi et l'anglais. Kuch kuch hota hai est donc un pot pourri d'influences croisées, mais, en ce sens, je veux bien croire qu'il soit à l'image de son pays d'origine. À vérifier.

Et maintenant ?
J'ai un autre Bollywood sous le coude et l'intention de vous en parler bientôt. Je ne regrette pas d'avoir tenté ma chance avec ce film-là. Kuch kuch hota hai n'est pas une oeuvre à négliger: son scénario familial peut faire pleurer dans quelques chaumières, mais il offre également une première approche d'un style particulier et reste donc digne d'un intérêt certain. J'ai l'intention de voir quelques extraits supplémentaires de ce cinéma avant d'avoir un avis plus définitif.

Kuch kuch hota hai
Film indien de Karan Johar (1998)
Diffusé en France sous le titre Laisse parler ton coeur, le métrage a un point commun avec certains vieux films hollywoodiens: il est découpé en deux parties, séparées par un (bref) intermède musical. J'ai eu moins de scrupules à le regarder en deux fois. Le rapprocher avec les comédies musicales occidentales me paraît hasardeux. Illustrations parmi d'autres, pour parler de deux projets déjà évoqués ici, il n'y a pas lieu de comparer avec Les parapluies de Cherbourg et pas davantage avec Dancer in the dark. Je me répète: j'attends de voir quelques autres Bollywood pour mieux apprécier. Ou pas.

Pour un autre avis sur le même film:
Je vous encourage à aller relire la chronique de L u X publiée ici.

dimanche 24 avril 2011

Faye pour commencer

Une chronique de Martin

Comme désormais chaque année, vous pouvez déjà compter sur moi pour vous reparler du Festival de Cannes en temps et en heure. Aujourd'hui, juste un mot pour dire qu'après Juliette Binoche l'an passé, c'est la belle Faye Dunaway qui reçoit cette année les honneurs de l'affiche. S'il faut à tout prix chercher un paradoxe là où il n'y en a pas forcément, on notera que la comédienne américaine n'a jamais rien gagné sur la Croisette. Ce qui ne l'a pas empêché d'y venir souvent. La photo, elle, date de 1970: la star, 29 ans, tournait alors Portrait d'une enfant déchue sous la direction de Jerry Schatzberg.

J'ignore si je le verrai, mais le film devrait ressortir en France cette année, à l'automne. Il sera d'abord présenté dans une version restaurée lors du Festival. Le compte à rebours a commencé: c'est dans quatre semaines exactement que sera connu le nouveau lauréat de la Palme d'or et le film qui succèdera à l'étrange Oncle Boonmee du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul. Cannes, cette année, j'espère que ce sera également pour moi l'occasion d'une escapade artistique avec l'équipe embobinée de votre blog préféré. Et je veux le redire: promis, cette première chronique n'est qu'un avant-goût.

vendredi 22 avril 2011

Complètement à l'ouest

Une chronique de Martin

Il est sans doute prématuré de parler de grand retour du western. N'empêche: je vais aujourd'hui évoquer un autre film sorti récemment et issu de cette catégorie emblématique de l'âge d'or d'Hollywood. Ce film, c'est une surprise et une production d'après moi à nulle autre pareille: Rango, un dessin animé 2D (*) que j'ai trouvé particulièrement réussi. En selles: je vous emmène au far west !

Les premières scènes m'ont étonné. On y découvre le héros du film, un petit caméléon, s'inventant une autre vie, comme le comédien que son physique particulier pourrait lui permettre d'espérer devenir. Quand le plan s'élargit, on découvre que celui qu'on n'appelle pas encore Rango voit son espace confiné aux parois d'un vivarium, posé sur la plage arrière d'une voiture de tourisme. C'est quand survient un accident que le destin frappe à la porte du reptile: éjecté violemment du véhicule, sans d'autre compagnie que celle d'un corps de poupée et d'un poisson mécanique orange, il se retrouve vite seul sur le bord du chemin. Puis, sous une chaleur de plomb, un tapir sosie de Don Quichotte et à l'accent mexicain l'encourage à aller voir plus loin si le soleil tape moins fort. Et c'est ainsi que, de l'autre côté de la route et après avoir échappé aux attaques d'un rapace particulièrement teigneux, notre verte créature découvre Poussière, joyeuse contrée dont les habitants sont comme lui en manque d'eau.

C'est là que débute véritablement le western que j'évoquais au début de cette chronique. Attiré par la soif, le caméléon se fait aussitôt remarquer comme un étranger et, singeant les drôles d'attitudes d'autres bestioles, tente de se faire adopter par la communauté. Comme l'habitué des lieux qu'il n'est pas, il entre dans le bar du coin, établissement qui, jusque dans ses portes battantes et ses clients joueurs de cartes, ressemble bien évidemment à l'un de ces saloons des temps anciens. Rango s'y présente sous une identité fictive, inspiré soudain par le nom qu'il lit opportunément sur une bouteille de jus de cactus - la seule boisson encore disponible. Bien vite, il va compenser son manque d'assurance par un bagou intarissable, parvenant à se faire passer pour un autre que lui, un justicier solitaire venu pour le poste de shérif et qui, là-bas, dans l'Ouest, a déjà décimé toute une bande de desperados d'une seule balle. Stop ! J'en ai assez dit sur l'intrigue: à vous, comme les personnages improbables de cette histoire, de chevaucher vers le soleil couchant pour y rendre la justice... ou tout simplement sauver votre peau. J'évite sciemment de faire la liste des clins d'oeil du film: il est vraiment agréable de se sentir soudain revenu en territoire familier.

Rango est un vrai western, même si l'humour y tient un rôle objectivement plus important que dans les classiques du genre. Personnellement, je n'ai pas senti de gros temps mort: le scénario m'a paru drôle mais malin, avec assez de rebondissements pour tenir en haleine une bonne centaine de minutes. Un coup de chapeau spécial pour Gore Verbinski, qui signe ici son premier film d'animation et semble déjà en maîtriser les codes à la perfection ! D'après moi, le plus sympa dans tout ça, c'est que le long-métrage, au-delà même de ses grandes qualités graphiques, ne repose pas seulement sur une poignée de personnages, mais bien sur toute une "distribution", haute en couleurs. Il y a là un hommage évident aux grands classiques, mais aussi la juste distance pour suivre quelques scènes mythiques savoureusement décalées - elles-mêmes inspirés par d'autres séquences phares du cinéma, et pas seulement du western. L'affiche cinéma indique aussi que Johnny Depp a participé au projet: c'est lui qui fait la voix du caméléon. J'aurais malheureusement du mal à vous dire comme il s'en sort: n'ayant pas pu entendre la version originale, je souligne toutefois que j'ai apprécié la qualité du doublage. Bref, partagé il y a quelques jours avec trois de mes amis, c'était un bon moment, à tous points de vue.

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(*) Une petite précision...

CgX a raison dans son commentaire. Le terme de "dessin animé 2D" est trompeur. Rango est bel et bien un film d'animation 3D. Cependant, pas d'effet relief et d'usage obligé de lunettes spéciales.

Rango
Film américain de Gore Verbinski (2011)
Vous connaissez bien sûr Johnny Depp. Si le nom du réalisateur, lui, vous est inconnu, je précise que les deux hommes ont aussi collaboré pour créer la trilogie Pirates des Caraïbes. On en retrouve ici le côté franchement décalé, pour le plus grand plaisir des zygomatiques. Honnêtement, je soulignerais toutefois que le long-métrage ne fait pas l'unanimité. Je crois important de plutôt apprécier le western avant de se lancer dans l'aventure. Et pour se rapprocher dès lors d'autres productions du genre, je crois devoir citer deux de mes films culte: Le bon, la brute et le truand et Mon nom est Personne.

jeudi 21 avril 2011

Fresque provençale

Une chronique de Moko-B

Un parfum d'oliviers. Un vent chaud et sec. Les cigales. Le Vert des tableaux de Cézanne, Monet, etc.... et puis l'accent, chantant, derrière lequel se cache joies et drames. Pas de doute, nous sommes en Provence. Quelle Provence, me diront les plus affranchis ? Pas celle de Giono, non... mais celle de Pagnol, Marcel, fils de.

Le 15 mars dernier, soit un peu plus d'un mois avant sa sortie officielle, j'ai pu assister à l'avant-première niçoise de La fille du puisatier, de et avec Daniel Auteuil.
L'histoire est celle de Patricia, fille du puisatier Pascal Amoretti, et de Jacques, aviateur et fils de la riche famille Mazel. Leur rencontre au détour d'une rivière marque la naissance d'une romance interdite.

Le film s'ouvre comme un tableau impressionniste. La fille du puisatier apporte le déjeuner à son père. Patricia a 18 ans. Elle est belle et a reçu une éducation raffinée chez les soeurs à Paris. Jacques est rebelle, beau garçon et séducteur. Il est officier aviateur. Le jour de leur rencontre, le puisatier a accordé à son fidèle employé Felippe, la main de sa fille. Mais le destin en décide autrement. Et au-delà des volontés respectives, les sentiments de Jacques et Patricia se mêlent... et leurs corps aussi.

L'histoire est trop belle et tend une main aguicheuse dont le drame se saisit avec avidité. Jacques est envoyé sans préavis au front (l'histoire se passe pendant la période 1939-1945) sans avoir le temps de prévenir Patricia. La jeune fille se pense abandonnée et seule à aimer avec un futur enfant à naître... qui n'aura pas de père.

La fille du puisatier n'est pas juste une histoire d'amour impossible sur fond d'huile d'olive et de lavande. Le préjugé sur la nonchalance provençale est souvent fort, pourtant les drames s'y épanouissent autant que le soleil. Le mariage précoce des filles, la honte d'accoucher d'un enfant sans reconnaissance du père ou de sa famille, l'honneur familial et la rudesse du travail, etc... l'histoire des familles de Provence, rudes, fières, sans concession, est peinte avec la franchise la plus pure. La force de l'évidence y fait foi ! Jacques et Patricia ont pêché parce qu'ils ne sont pas tout à fait comme les autres. Ils n'ont pas reçu l'éducation familiale habituelle. Ils sont "différents". La douleur de Patricia, seule, perdue, abandonnée, est-elle la plus forte ? Le puisatier ne souffre-t-il pas encore plus ? On sent l'amour qui le tiraille face à ses convictions. Il exile sa fille parce qu'il l'aime. Il la perd pour son honneur, pour préserver son nom. Les Mazel rejettent l'enfant qui, pourtant, est désormais le seul lien filial présent, au nom de leur fils, de leur famille. Qui saura puiser dans son humanité pour que le soleil entre à nouveau dans le foyer de tous ?



La Fille du puisatier
Film français de Daniel Auteuil (2011)
Les remakes souffrent souvent de la comparaison. Certes, la version de La fille du puisatier offerte par Daniel Auteuil ne propose ni Raimu, ni Fernandel à son casting: et alors ? Authentique amoureux de la Provence et de Pagnol, l'acteur-réalisateur a demandé pendant longtemps les droits de la femme du Boulanger... pour obtenir en fin de compte ceux de La Fille du puisatier. Et quelle réussite ! Les traits d'acteur de génie que l'on a pu voir au travers d'Ugolin dans Jean de Florette/Manon des Sources n'ont jamais disparu. Daniel Auteuil a su prendre une relève empreinte d'émotion et d'authenticité. Et que dire du casting, plus qu'inspiré: Kad Merad dont la bonté naturelle enveloppe le rôle de Felippe, le couple Azéma-Darroussin qui campe à merveille les riches époux embourgeoisés, Nicolas Duvauchelle avec ses faux air de James Dean frenchie, sa séduction en béton et ses intonations sûres qui finissent de nous convaincre de tomber amoureux de Jacques Mazel. Et puis, il y a Astrid Berges-Frisbey: frêle, affirmée, sublime et abîmée d'amour. Daniel Auteuil, présent à la fin de la projection, confiait que Jacqueline Pagnol, femme du défunt écrivain, a vu le film et l'a beaucoup aimé. On le croit sans peine et on se met à espérer qu'il lui/nous soit donné d'autres occasions de nous extasier...

mardi 19 avril 2011

Après la guerre

Une chronique de Martin

Grand merci à Bertrand Tavernier ! En se tournant à deux reprises vers la première guerre mondiale, il m'a offert beaucoup de plaisir cinématographique. Il est juste de dire que, dans La vie et rien d'autre, Philippe Noiret et Sabine Azéma y sont aussi pour beaucoup.

L'histoire du film se déroule en fait deux ans après la fin du conflit. La caméra se pose quelque part sur l'ancien front pour suivre les pas du commandant Dellaplane. Cet officier s'échine à retrouver les corps des soldats disparus pour un compte précis des morts et des vivants. Pas question pour lui de minorer les faits: à ses yeux, la boucherie doit être appelée par son nom, connue pour ce qu'elle a été. L'opinion correspond à la quête de deux femmes, une jeune institutrice renvoyée en ses foyers et une dame de la haute société, respectivement à la recherche d'un fiancé et d'un mari, fortes chacune de l'espoir insensé de retrouvailles futures. D'abord mobile sur les routes picardes, La vie et rien d'autre se stabilise progressivement autour d'un tunnel ferroviaire écroulé et des restes d'un convoi ferroviaire qui passait par là au plus mauvais moment.

En adaptant un roman de son ami et dialoguiste Jean Cosmos, Bertrand Tavernier signe ici une belle reconstitution. Je n'ai pas été surpris: c'est pour lui une habitude. Mes connaissances historiques sont trop faibles pour parler de perfection des costumes et décors, mais je suis bien assez informé pour les juger crédibles. Pour dire franchement les choses, je les trouve, moi, formidablement réussis. Ils sont en fait l'écrin d'un scénario presque parfait, où la rudesse d'une thématique rencontre la finesse des sentiments humains. Humain: c'est le terme qui pourrait au mieux qualifier ce beau film qu'est La vie et rien d'autre. En dehors de quelques explosions tardives et accidentelles, dues aux armes enfouies dans la terre picarde, la guerre n'apparaît que très peu à l'image. Elle est pourtant toujours présente et il est très difficile de ne pas saisir le désarroi profond de tous ces personnages, à l'aube des années 20. Un temps qui, pour eux, n'aura assurément rien d'une Belle époque...

Et puis, évidemment, au-delà de l'excellente réalisation d'un artisan cinéaste parmi les plus remarquables, le long-métrage se distingue aussi par sa distribution, jusque dans ses rôles (très) secondaires. Côté têtes d'affiche, j'ai parlé de Philippe Noiret et Sabine Azéma. Honneur aux dames: la compagne d'Alain Resnais m'a semblé exactement dans le bon ton pour porter ce personnage de femme fière, déterminée à retrouver l'homme qu'elle aime en dépit même des risques patents de désillusion et de toutes les improbabilités. Son partenaire à l'écran n'a besoin que de sa seule voix pour imposer son charisme: sous les traits de ce militaire bourru, à l'humanisme désabusé et à fleur de peau, il est tout simplement parfait, capable d'incarner un être complexe en tout juste deux temps trois répliques. Je me suis ré-ga-lé ! La vie et rien d'autre fait partie de ces films qui font la richesse du cinéma français, pas très spectaculaires certes, mais remarquablement écrits et admirablement interprétés. Bien évidemment, c'est d'abord sa thématique qui m'a donné envie de le découvrir: il rejoint une petite collection d'oeuvres du cinéma ou de la littérature sur le même sujet, et, axé sur ceux qui sont restés, parvient à offrir une perspective inédite sur les événements tragiques de 1914-18. Ce n'est pas la moindre de ses qualités.

La vie et rien d'autre
Film français de Bertrand Tavernier (1989)
Dès le début de cette chronique, j'ai rappelé que le réalisateur s'était déjà intéressé au premier conflit mondial. En fait, ce n'est pas juste dit ainsi: en réalité, après ce premier film, il a de nouveau abordé cette thématique dans Capitaine Conan, une autre oeuvre marquante selon moi. En vous parlant de cette autre production, j'ai aussi évoqué Un long dimanche de fiançailles: il fait aussi partie des longs-métrages intéressants sur cette période. Et pour continuer sur ce thème, j'ai toujours la ferme intention de découvrir un jour prochain Les sentiers de la gloire de Stanley Kubrick, sorti dès 1957.

lundi 18 avril 2011

L'oubli pour thérapie

Une chronique de Martin

La disparition progressive des derniers monstres sacrés d'Hollywood n'est en rien réjouissante pour les amoureux du cinéma. Elle incite pourtant régulièrement les grandes chaînes de télévision à diffuser l'un ou l'autre de leurs films. Très récemment, c'est ce qui m'a permis de découvrir Soudain l'été dernier, avec Liz Taylor, quelques jours seulement après le décès de la star. Mieux vaut tard que jamais.

Cette image est trompeuse. Elle arrive vers la fin de film, à l'heure du flash-back qui révèle tout ce qui restait particulièrement obscur jusqu'alors. Le scénario de Soudain l'été dernier repose en effet d'emblée sur une question: qu'est-il arrivé à Sebastian Venable, poète mort au cours des vacances qu'il passait avec sa cousine Catherine ? Une interrogation qui en soulève une autre: que se cache-t-il derrière l'attitude agressive de cette dernière, dont la famille proche affirme qu'elle a sombré dans la folie ? Ce doute policier assaille le docteur Cukrowicz, chirurgien neurologue, après que la tante de Catherine lui a offert une grosse somme pour financer sa clinique. Il se fait de plus en plus oppressant quand le médecin comprend qu'en choisissant d'accepter le don, il sera redevable d'une contrepartie: effacer partiellement la mémoire de la prétendue malade. Curieuse requête.

Soudain l'été dernier, le film, est l'adaptation d'une pièce de théâtre éponyme sortie l'année précédente et signée Tennessee Williams. L'auteur a contribué au scénario du long-métrage: une quinzaine d'écrits de sa main ont ainsi été portés à l'écran. Son style apprécié par la profession, le dramaturge américain fut aussi désigné président du jury du Festival de Cannes - c'était en 1976, soit un an après la sortie de son autobiographie. Celui qui parlait de lui-même comme d'un "vieux crocodile" signe ici un épisode vraiment marquant de la longue histoire du septième art. L'intrigue est en effet originale et, sans rien dire du secret qu'elle dissimule donc finalement jusqu'aux derniers instants, je dirais qu'elle m'a semblé en avance par rapport à son époque. Pas révolutionnaire, non, mais disons suffisamment osée pour bousculer les âmes de la fin des années 50. L'idée n'étant pas de choquer pour choquer, mais peut-être pour jeter le trouble sur le caractère des personnages. Je dirais en fait qu'aucun d'entre eux n'est réellement bon ou mauvais. Tous cachent une part d'ombre, pour une révélation étonnante une fois la lumière venue.

Pour jouer sur ces ambiguïtés multiples, il faut à coup sûr s'appuyer sur d'excellents comédiens. L'aspect théâtral de l'oeuvre originelle ressort tout particulièrement dans de longs dialogues sans coupure, suffisamment complexes pour justifier du spectateur une attention de tous les instants - a fortiori si, comme moi, vous avez la chance de voir la version originale. Pour ce qui est des acteurs, le fait est que Soudain l'été dernier brille aussi grâce à un trio premier choix. J'ai évoqué Elizabeth Taylor: la star n'a ici que 27 ans et, si son jeu peut sembler quelque peu outrancier d'après nos critères contemporains, elle parvient également à incarner une certaine folie et même à faire peur, lors de quelques scènes... de confrontation. Face à elle, Katharine Hepburn est une parente aux petits soins, mais dont les attentes se heurtent rapidement aux convictions humanistes d'un docteur mal à l'aise, joué avec une grande justesse par Montgomery Clift. J'aurais voulu dire un mot de celui qui prête ses traits à Sebastian, mais voilà: on ne le voit jamais que de dos. C'est de ce genre de détails que le long-métrage tire sa force évocatrice. Vieux effets, certes, mais toujours efficaces.

Soudain l'été dernier
Film américain de Joseph L. Mankiewicz (1959)
Sorti près d'une décennie plus tôt, le beau Boulevard du crépuscule est le premier film auquel j'ai pensé en voyant celui-là: dans un cas comme dans l'autre, vous découvrirez une vieille dame solitaire, enfermée dans une austère propriété et ses sentiments contradictoires. Pour parler aussi d'oeuvres plus modernes, le travail de Mankiewicz fait songer à Eternal sunshine of the spotless mind (souvenir effaçable) ou à Shutter Island (ambiguïté de la folie). M'est avis que je pourrai également évoquer Vol au-dessus d'un nid de coucou, mais c'est une oeuvre que je dois encore découvrir...

dimanche 17 avril 2011

Un justicier voyeur

Une chronique de Martin

Fenêtre sur cour, c'est probablement l'un des films les plus connus d'Alfred Hitchcock. Avant d'en reparler un jour, je vous propose aujourd'hui de vous intéresser à son remake télévisé, au titre identique. Pas encore connue comme égérie de Quentin Tarantino, Daryl Hannah y reprend le rôle de Grace Kelly, Christopher Reeve s'inscrivant lui à la suite de James Stewart. Le résultat ne m'a pas franchement emballé, même s'il y a quelques bonnes idées. Rappelons que le scénario repose sur une personne handicapée qui, en espionnant ses voisins depuis son appartement, croit être témoin d'un meurtre. Alors qu'en fait... mais non, pas la peine d'en dire plus.

Je n'ai pas revu le film original depuis longtemps. J'éviterai donc toute comparaison et vais tâcher de faire comme s'il n'existait pas, en analysant cette redite pour elle-même. Ce que je reproche essentiellement à ce Fenêtre sur cour, c'est une sorte de langueur. L'intrigue débute véritablement à partir d'une grosse demi-heure. Comme le métrage total ne dépasse pas les 90 minutes, autant dire que l'histoire progresse à pas d'éléphant. Sensation assez gênante que viennent confirmer des scènes jumelles ou longuettes, au cours desquelles on a envie de dire qu'on a compris. Et, paradoxalement, c'est au moment où on voudrait comprendre que le réalisateur choisit l'ellipse. La première chose qui m'est venue à l'esprit au moment crucial du générique final, c'est: "Ah bon ? C'est tout ?". Décevant.

Peut-être bien que la raison de ces faiblesses est à chercher du côté du casting, et en particulier de Christopher Reeve. Je connais mal cet acteur américain: avant de regarder ce film, je savais simplement qu'il s'était fait remarquer dans le costume de Superman et qu'au beau milieu de sa carrière, un accident l'avait rendu tétraplégique. J'ai du respect pour lui et j'ai d'ailleurs tenu à noter que Fenêtre sur cour était son premier retour devant la caméra après ce cruel épisode. C'est peut-être là que le bât blesse: si le film a pu vouloir jouer sur l'émotion de ce come-back, il néglige alors l'opportunité d'en tirer quelque chose de vraiment touchant. Honnêtement, le comédien n'est pas en cause, bon - et courageux ! - dans ce qu'on lui donne à jouer. Coté thriller, le cahier des charges ne semble pas vraiment respecté: c'est là, je crois, le vrai problème. J'en ressors avec la frustration de ne pas avoir frissonné davantage.

Fenêtre sur cour
Téléfilm américain de Jeff Bleckner (1998)
44 ans séparent les deux versions de cette histoire. C'est peut-être également ce décalage qui explique le peu d'effets que produit finalement le visionnage du remake: ce qui fonctionnait encore dans le cinéma des fifties ne prend plus forcément par la suite. J'attendais des choses plus visuelles pour un film des années 90. À croire en fait que le réalisateur s'est contenté d'un hommage poli, ce qui ne serait pas forcément une mauvaise chose, mais pose la question de l'utilité de la démarche. Bref. J'en ai parlé hier et j'y reviens: en bon film d'angoisse lié au handicap, autant se tourner vers Seule dans la nuit.

samedi 16 avril 2011

Traqué

Une chronique de Martin

Cary Grant courant vers un champ de maïs, aux devants d'un avion qui cherche à l'abattre: c'est sans doute l'un des plans les plus connus de l'histoire du cinéma. C'est au moins une image qui m'est familière depuis longtemps. Je n'ai pourtant vu La mort aux trousses, le film dont elle est issue, qu'il y a deux semaines. N'ayant pu le regarder lors de son dernier passage télévisé, j'ai saisi l'occasion d'un prêt pour enfin le découvrir. J'en suis ressorti avec une impression mitigée, satisfait, en somme, mais pas totalement séduit. Ouais...

Je n'ose tout de même pas parler de déception. Le travail artistique ici accompli est de tout premier ordre. La force numéro 1, c'est celle d'un scénario tout à fait original, signé Ernest Lehman. Six fois candidat à un Oscar, l'homme fut finalement le premier à recevoir une statuette d'honneur pour l'ensemble de son oeuvre, en 2001, quatre ans avant sa mort. La mort aux trousses, c'est aussi bien sûr une réalisation classieuse de Sir Alfred Hitchcock. Il faut expliquer ici que les deux hommes avaient envisagé de tourner un autre film ensemble, finalement abandonné au profit de celui-là. La MGM, maison de production des deux larrons, n'en avait même pas été tenue informée. Cela dit, elle n'a pas eu à s'en plaindre après coup...

A fortiori pour un film déjà vieux de plus de cinquante ans, l'histoire est remarquable d'invention. Son personnage principal, un dénommé Roger Thornhill, est un publiciste new-yorkais, débordé par le travail et bientôt... kidnappé par deux tueurs peu loquaces sur le pourquoi du comment. Conduit dans une grande propriété, le pauvre homme se voit proposer - et bientôt imposer - une bonne rasade d'alcool. Avant cela, visiblement pris pour un autre, il aura été invité à livrer des secrets dont il n'a aucune connaissance. C'est alors que La mort aux trousses justifie son titre: ayant échappé à ses ravisseurs, Thornhill est traqué sans relâche. Le début d'une sorte de road movie d'espionnage, du siège des Nations Unies au site du Mont Rushmore et ses têtes de présidents américains gravées dans la roche, passant aussi par un train, le désert californien et un hôtel de Chicago...

Dans La mort aux trousses, le héros ne comprend pas ce qui arrive. D'après ce que j'ai lu, Cary Grant lui-même avait du mal à suivre. C'est assez agréable d'être perdu avec lui. L'un des aspects importants du film, c'est la rencontre de ce personnage à l'humour assez subtil avec une femme qui, mystérieusement, l'aide à prendre la fuite. Hitch y introduit une de ses traditionnelles égéries blondes, Eva Marie Saint alias Eve Kendall. Une "créature" qu'il sera difficile de situer quant à sa loyauté avec le héros. Leur fuite en avant à tous les deux ne manque pas de charme, je l'ai suggéré, et elle est rythmée par une très chouette musique de Bernard Herrmann. Certaines séquences sont vraiment marquantes de par la composition picturale et sonore. En revanche, ce sont peut-être certains trucages un peu voyants qui ont fait que je suis parfois resté "à côté". Honnêtement, ces détails nuisent peu à la qualité de l'ensemble.

La mort aux trousses
Film américain d'Alfred Hitchcock (1959)
Il n'est pas facile de dire du mal d'un tel classique et je n'ai pas l'intention de le faire. J'attendais mieux, mais ça ne veut pas dire pour autant que j'ai passé un mauvais moment. Pour dire la vérité complète, les deux grosses heures du métrage m'ont même paru passer comme une lettre à la Poste. Après, en matière de suspense et pour parler de films tournés quelques années plus tard, je dois reconnaître que j'ai préféré Charade ou bien Seule dans la nuit. Maintenant, que tous ceux parmi vous qui idolâtrent Hitch veuillent bien me pardonner et rester patients: je n'ai pas renoncé à mieux apprécier son oeuvre et, pour cela, j'ai encore plusieurs DVD en stock.

jeudi 14 avril 2011

Un triptyque pour rire

Une chronique de Martin

Deux réalisateurs et deux titres: le film dont je souhaite vous parler aujourd'hui surprend d'emblée. Un grand seigneur, également connu comme Les bons vivants, se découpe en... trois parties, liées l'une avec l'autre par quelques fils scénaristiques. La première évoque d'emblée le tout dernier jour d'une maison close, la deuxième enchaîne avec le procès d'un cambrioleur et la troisième, enfin, parle du développement d'un drôle de club sportif. Vous pouvez être sûrs qu'avec Georges Lautner et Gilles Grangier à la mise en scène, aidés par Michel Audiard aux dialogues, cette étrangeté en noir et blanc prend vite des airs loufoques. Elle le fait d'autant plus facilement qu'elle s'appuie sur quelques grandes stars du genre et de l'époque. Citons quelques noms: Bernard Blier, Louis de Funès, Mireille Darc, Bernadette Lafont, Darry Cowl, Jean Lefebvre, Jean Richard...

Un grand seigneur est un film de son temps. Il faut l'aborder franchement en toute connaissance de cause, car il me paraît clair qu'il s'écarte largement des standards du cinéma d'aujourd'hui. Il faut aussi aimer la langue française pour l'apprécier: c'est par le verbe que vient (ou pas) le plaisir de retrouver cette ambiance caractéristique d'un certain style. Le choix qui a été fait de découper l'intrigue en trois séquences apporte un vrai plus pour le scénario. C'est en fait entre la deuxième et la troisième de ces histoires que la caméra change de mains, sans que cela soit nuisible à la cohésion d'ensemble. Si l'épisode 2 peut être présenté comme le "petit frère" du premier, sa suite et fin serait une sorte de cousine. La parenté d'approche et de ton reste indéniable. Après, bien sûr, il faut aimer !

Le film m'a été prêté pour un échantillon méconnu de la filmographie de Louis de Funès. Bonne pioche: l'excité de service s'avère ici particulièrement convaincant. Il est d'ailleurs assez touchant d'apprendre, grâce aux bonus du DVD, qu'il avait l'habitude de rejouer ses textes plusieurs fois, inventant sans cesse, pour être rassuré quant à son efficacité comique. Sans scène commune, Bernard Blier, lui aussi, est dans son registre habituel et son personnage fait même écho... à celui qu'il jouait dans un autre film ! Un grand seigneur sorti en salles, son affiche annonçait fièrement la participation événementielle de 14 champions du rire. Si tous n'ont pas conservé leur aura du temps passé, il est toujours très agréable de revoir quelques visages connus au temps de leur - relative - jeunesse.

Un grand seigneur (les bons vivants)
Film français de Georges Lautner et Gilles Grangier (1965)
L'autre film de Bernard Blier auquel je faisais référence est Le cave se rebiffe. Même si ce long-métrage plus ancien tient d'un seul bloc, il affiche un lien évident avec celui que je vous ai présenté aujourd'hui - je vous laisse le découvrir seuls. Beaucoup de gens citeraient sûrement Les tontons flingueurs comme autre référence de film porté par les dialogues de Michel Audiard. Ici, on navigue sans nul doute dans le même univers, mais il manque peut-être juste une véritable scène culte à l'image de celle de la cuisine, réunion extraordinaire entre Lino Ventura, Francis Blanche et consorts. Maintenant, pas question pour autant de dénigrer le film du jour sur ce seul critère: sans être mythique, il peut vous permettre de passer un vrai bon moment. Avis tout particulier aux amateurs du genre !

mercredi 13 avril 2011

Ici et ailleurs

Une chronique de Silvia Salomé

Deux qualificatifs pour parler de ce film: déroutant et magique. Enter the Void est un pur bijou grâce à sa réalisation qui frise le parfait tant par son originalité que par les plans choisis ou encore par son rythme. Le voyage effréné a pour cadre la ville de Tokyo: nous allons être les témoins de la descente aux enfers d'un frère, Oscar, et de sa soeur, Linda. L'esthétisme du film et son graphisme sont à couper le souffle. C'est indéniablement la qualité première de cette réalisation signée Gaspar Noé, et peut-être son pari le plus fou. Par exemple, il raconte que les effets psychédéliques du film "ont été réalisés grâce à des caméras suspendues à des grues et à des décors reconstitués en studio". Le cinéaste a reproduit beaucoup de ces décors en studio pour pouvoir mettre en images sa réalisation, mais ce n'est pas la seule raison. Le Void et le Love Hotel ont aussi été créés en studio, car "il y a beaucoup de Love Hotels à Tokyo, mais les étrangers n'y sont pas les bienvenus. Je me suis inspiré des bouquins de photos sur ces lieux, mais en poussant le côté psychédélique", précise-t-il. Pour la petite histoire, sachez que pour une fois dans l'histoire des scenarii, le scénario comportait peu de texte pour les comédiens. En revanche, Noé a détaillé chaque idée folle de sa mise en scène, chaque mouvement de la caméra pour pouvoir les restituer au mieux. Au total, une centaine de pages d'énumérations minutieusement décrites.

Autre pari osé: choisir des acteurs inconnus du grand public, ainsi que des comédiens non professionnels. Oscar est interprété par Nathaniel Brown, un ancien vendeur de t-shirt à Brooklyn, et Alex par Cyril Roy, un mec comme tout le monde. Pour Gaspar Noé, le rôle d’Oscar devait être joué par un inconnu, un acteur pro ou pas: "Oscar n’est jamais face caméra. Faire jouer un inconnu évite les crises d’ego des acteurs". Paz de la Huerta est Linda: c’est une véritable actrice car Noé voulait quelqu’un qui soit parfaitement à l’aise dans toutes les scènes. En voyant le film, vous comprendrez pourquoi cette précision a son importance ! Gaspar leur a souvent laissé carte blanche pour leur rôle: il les a laissés improviser "une fois la prise utile tournée". Cela ne vous aura pas échappé, le film est sorti en salle avec un avertissement, interdit aux moins de 16 ans: certaines scènes de sexe peuvent choquer, tout comme les moments où la drogue est ingérée sous les yeux de la caméra.

Et tous ces challenges donnent un résultant époustouflant. J’ai très largement adhéré à l’idée que notre âme reste parmi les vivants pour protéger les siens. Noé a filmé d’une manière inhabituelle. Nous sommes l’âme d’Oscar. C’est assez déroutant comme expérience: on a l’impression que la caméra est dans les yeux d’Oscar, dans son cerveau quand il est vivant. Et quand il trépasse, on vole avec lui au-dessus du monde des vivants. C’est assez amusant, car si l’on plonge à 100% dans le film, on devient Oscar, on devient un spectateur de la vie autour de nous.

Tous les détails ont une grande importance. Par exemple, la musique et la consommation des drogues peuvent être des personnages tant ils sont indissociables du script. La musique accompagne nos héros, principalement les délires d’Oscar, et les stripteases de Linda. Bien sûr, l’usage de stupéfiants est une des parties essentielles du film, car sans leur vente et sans leur absorption, pas de voyage aux frontières de la légalité et du réel. Attention, le film ne fait pas du tout une apologie de la "came". Au contraire, il en montre l’effet de ses abus, la perte de contrôle sur soi et aussi la recherche toujours plus grande de nouvelles expériences. Mais dans Enter the Void, l’usage de la drogue est étroitement lié à l’expérience de la mort. En faisant quelques recherches sur le film, j’ai découvert qu’au moment de mourir, les personnes sont sujettes à de multiples hallucinations. Le coupable: la sécrétion de DMT dans le cerveau. Cette molécule est responsable de nos rêves, et elle est fortement libérée au moment de passer de l’autre côté, ou lors d’un accident. Dans le film, le lien entre les deux est un dernier voyage avant de partir définitivement. C’est d’une grande poésie !

Un autre détail primordial: le choix de la ville de Tokyo, et il était loin d’être une évidence, du moins au début ! Une première version du scénario se déroulait dans la Cordillère des Andes. Une autre en France. Et Gaspar Noé a aussi écrit une version dont l’action se passe à New York. Mais c’est Tokyo qui aura finalement sa préférence car il a toujours eu envie d’y tourner, mais aussi car "Tokyo est une des villes les plus colorées et avec le plus de lumières clignotantes". Quelques semaines de tournage ont été nécessaires au Japon. C’est peu, mais le reste des scènes nippones ont été tournées en studio. L’illusion est parfaite, je suis persuadée que, même les amoureux les plus chevronnés de la capitale japonaise n’y verront que du feu. Au total, entre le tournage et la postproduction, sept mois de travail ont été nécessaires dans un univers tokyoïte plus vrai que nature ! Quelques scènes ont mené l’équipe en Amérique du Nord, à Montréal, plus précisément. C’est là où les scènes de la petite enfance ont été mises en boîte. L’éclairage choisi pour ces souvenirs est teinté de rose: les souvenirs sont aussi chers que la prunelle des yeux de nos deux jeunes adultes. Ils ont été préservés dans leur écrin !

Et quand on connaît le destin d’Oscar et de Linda, on comprend pourquoi le réalisateur a voulu chérir une partie de leur enfance: très jeunes, ils perdent leurs parents dans un tragique accident de voiture. Dans la minute, on se rallie à ce grand frère, qui, en l’espace de quelques secondes, est devenu un petit homme. Sa mission: veiller sur sa fragile petite sœur. Et la réciproque est aussi vraie. Leur lien est très fort, c’est un pacte de sang, comme on en a tous fait quand on était petits ! Les années passent, et ils mènent leur jeunesse en brûlant la chandelle par les deux bouts ! Peut-être que je m’avance un peu, mais lorsqu’un événement tragique surgit dans nos vies, parfois, pour le surmonter, on est pris d’une terrible envie de vivre, d’une fureur de vivre même, ne voulant gâcher aucun instant, car tout, tout peut s’arrêter d’un moment à l’autre. Vivre à fond pour ne rien regretter, voilà une jolie devise à laquelle j’adhère ! Bien sûr, le cas d’Oscar et Linda est extrême: ils ne connaissent plus aucune limite. Le couple fraternel trouvera-t-il le salut ?

C’est à vous maintenant d’embarquer pour cette étrange expérience qui ne vous laissera pas de marbre. Impossible ! Ou vous allez adorer, ou vous allez détester !

Enter the Void
Film français de Gaspar Noé
(2010)
C’est peut-être l’une des rares fois où je suis allée voir un film, sans rien savoir sur lui, à part une affiche à la fois attrayante et énigmatique. La curiosité l’a emportée malgré les 2h34 que dure Enter the Void ! Une réalisation étrange, crue, à ne pas mettre entre toutes les mains, mais qui moi, m’a séduite ! Petit détail intéressant: au moment où je tends mon billet à l’ouvreur, celui-ci me souhaite un «bon voyage». Pour vous, le voyage sera dans votre salon. Le DVD est sorti en décembre dernier !

mardi 12 avril 2011

Le trader et la boniche

Une chronique de Martin

J'ai déjà parlé de ce phénomène: quand, comme moi, on regarde beaucoup de films, il arrive que, d'une projection à l'autre, apparaissent des similitudes, sans pour autant qu'elles soient préméditées. Ce fut le cas avec Ma part du gâteau, autre histoire illustrant le rapport patron-domestique. Ce n'est que très récemment que j'ai eu une idée de ce que Cédric Klapisch voulait nous raconter cette année. Auparavant, je n'avais pas cherché beaucoup d'infos, motivé par l'idée d'aller voir le film grâce à ce qu'on pourrait appeler la "confiance historique" que j'accorde au réalisateur. Un petit mot quand même sur l'intrigue: mère célibataire d'un trio d'enfants, France a beaucoup de mal à assumer leur train de vie. Elle dispose certes d'une pension alimentaire, mais l'usine où elle travaillait vient de mettre la clé sous la porte. Bienvenue chez les Ch'tis, les vrais, ceux que la crise industrielle du pays a souvent laissé sur le carreau social. À Londres, Stéphane alias Steve, lui, est l'un des traders vraiment efficaces d'une société d'investissements de la City. Arrive un jour où son patron, qui apprécie les requins solitaires, lui propose un poste à Paris pour, un an plus tard, le faire revenir et lui donner les clés de la boîte. Un enjeu qui fait qu'évidemment, le jeune cadre dynamique accepte aussitôt. Contre toute attente, France et Steve vont donc se rencontrer. L'une, déterminée à retrouver un emploi stable, devient l'employée de l'autre, femme de ménage et babysitter pour un homme dont l'horizon se limite aux courbes de la Bourse.

Il y a sans doute plusieurs façons d'appréhender Ma part du gâteau. La difficulté que j'ai aujourd'hui, c'est de vous en donner ma vision sans trop dévoiler la manière dont vont évoluer ses protagonistes. Parmi les analyses que j'ai lues depuis, le constat quasi-unanime consiste à dire que, beau gosse matérialiste, Steve est un sale type et France, maman-courage, une victime. Deux appréciations peuvent alors en découler, diamétralement opposées et débouchant chacune sur un avis bien différent de l'autre. Sur la base de ce que Klapisch a déjà créé ou d'après son discours général, d'aucuns estiment qu'il est ici question de dénoncer un monde de la finance cynique et de livrer un brûlot altermondialiste en bonne et due forme. Constat complémentaire: en général, ceux qui perçoivent ça aiment le film. D'autres déplorent ce qu'ils appellent sa facilité: le long-métrage serait pour eux tout à fait convenu, consensuel et même hypocrite. Une façon d'aller dans l'air du temps et de ramasser l'argent apporté par un public de gogos. Ma lecture à moi s'inspire de la version positive. Sans le porter aux nues, j'ai en effet apprécié de suivre certaines pistes ouvertes par le scénario. J'ai eu comme l'impression que les choses n'étaient pas si tranchées, que le propos général n'avait pas tout à fait ce manichéisme amenant à se placer du côté des gentils ou des méchants. Steve possède en effet quelques failles et France, elle, n'est pas tout à fait la bonté incarnée. Et ce sont leurs ambiguïtés qui m'ont amené à m'intéresser à leur destinée.

Pour prendre du recul et mieux comprendre un film, il me paraît assez enrichissant de le replacer dans son époque, dans son contexte technique, mais aussi dans la filmographie de son auteur. Une fois passé ce triple prisme, Ma part du gâteau me semble finalement plus exigeant que d'autres Klapisch. Le fond des personnages à la fin de l'histoire me paraît bien plus contrasté qu'il ne l'était au moment du début du récit. Après, évidemment, c'est encore et toujours affaire de perception. Je peux comprendre que d'autres que moi voient dans cette oeuvre un film engagé et que d'autres encore puissent ne saisir que quelques bons sentiments. Il y a de toute façon une indéniable patte dans ce cinéma, celle d'un réalisateur resté fidèle à ses idées. Techniquement et jusque dans les choix opérés pour la distribution, c'est flagrant. On retrouve en effet un petit lot d'habitués, Karin Viard ou l'inévitable Zinedine Soualem par exemple, une façon de filmer relativement typée et une bande son familière. Parallèlement, il faut aussi noter que cet univers s'enrichit également par petites et grosses touches. La plus évidente repose sur le choix de Gilles Lellouche pour le premier rôle: je suis d'ailleurs surpris que, dans les critiques que j'ai parcourues pour le moment, il y ait aussi peu de comparaison avec ce qu'aurait pu faire un autre garçon comme Roman Duris du personnage, lui qui reste le plus "attendu" chez Klapisch. L'apport de sang neuf ne m'a pas dérangé, cela dit. Bien au contraire, il m'a plutôt intéressé à un acteur que je connais encore mal et pour lequel, de manière irrationnelle, je n'avais pas franchement un très bon a priori. Les temps changent, n'est-ce pas ? Parfois, c'est bien aussi de réfléchir à deux fois et de s'aventurer hors des sentiers battus. C'est ce que je suis assez content d'avoir réussi à faire avec ce film simple, mais pas nécessairement évident.

Ma part du gâteau
Film français de Cédric Klapisch (2011)
Le puzzle cinématographique du réalisateur prend une vraie ampleur. Une fois encore, le cinéaste a pris tout son temps pour concevoir une nouvelle pièce. Si je lui ai en fait préféré le diptyque L'auberge espagnole / Les poupées russes, je ne l'ai pas détestée. C'est parfois de manière brouillonne, mais, comme d'autres, elle parvient plutôt bien à saisir l'esprit d'une époque. Une chose plutôt étonnante dans l'univers du cinéaste: les occasions de (sou)rire sont rares. Assez sombre à mes yeux, la touche finale ne me semble toutefois pas aussi noire que dans Ni pour ni contre (bien au contraire). Notez qu'il est en tout cas intéressant de comparer l'une à l'autre.

dimanche 10 avril 2011

Révélation féminine

Une chronique de Martin

Suzanne et Jean-Louis Joubert forment un couple bourgeois, typique des années 60. Ils vivent dans un bel appartement parisien, ont mis leurs deux fils en pension et font appel à une bonne pour les tâches quotidiennes. Quand cette dernière claque la porte, les deux époux sont pris au dépourvu. Oh, pas longtemps ! Le temps de se laisser convaincre que le travail peut aussi être fait par l'une ou l'autre parmi ces Espagnoles qui louent leurs services deux francs six sous. Les femmes du 6e étage, ce sont elles, venues d'un pays frontalier, travailleuses immigrées poussées par le désarroi économique. Évidemment, il en existe d'autres aujourd'hui, même si leur origine a changé. Par les temps actuels, le film peut sembler oeuvre engagée.

Le terme est un peu fort, cela dit. Si Les femmes du 6e étage pose quelques jalons d'oeuvre sociale, c'est d'abord une comédie, pleine d'innombrables bons sentiments, sans doute, mais d'une efficacité certaine pour qui voudra bien se laisser convaincre. Le mérite revient d'abord à l'image. Costumes, objets et lieux: la reconstitution du Paris de 1963 paraît tout à fait convaincante. C'est visiblement moins étudié ici qu'ailleurs, mais je n'ai pas décelé d'erreur: tout paraît franchement naturel. Naturel, le jeu des comédiens l'est également: le couple vedette est parfait. Sandrine Kiberlain est naïve dans son rôle de pimbêche, au point qu'on ne parvient jamais vraiment à lui en vouloir de ne pas dépasser le bout de son nez. Et Fabrice Luchini, qui m'agace parfois par ses outrances, est ici particulièrement touchant: en fait, il n'y a plus l'ombre d'un cynisme dans son personnage, mais plutôt de la tendresse et, à l'évidence, quelque chose comme un fort besoin d'affection. C'est ce que révèle sa cohabitation avec sa nouvelle domestique. Agréable surprise.

Bien évidemment, le propos est soft. Les femmes du 6e étage, c'est un bonbon cinématographique, une vraie petite bulle de douceur. Pareille sucrerie peut déplaire. Honnête au plan formel, le métrage ne s'impose pas en incontournable. Il respire toutefois la sincérité et, avec quelques répliques bien senties, cela joue à son avantage. Impossible bien sûr de faire l'impasse sur ses héroïnes: ces femmes espagnoles sont très joliment campées et leurs qualités de coeur donnent envie d'aller faire un tour de l'autre côté des Pyrénées. Revenu à la réalité, on se dit aussi que l'Espagne d'aujourd'hui est sans doute bien différente. Plus individualiste, peut-être. Qu'importe: comme on est dans le registre de la fiction, l'espoir reste permis que la solidarité décrite garde du réalisme. Moi, je suis sorti du cinéma avec l'envie d'y croire un petit peu et le sourire aux lèvres.

Les femmes du 6e étage
Film français de Philippe Le Guay (2011)
Après y avoir réfléchi, je crois que l'un des films susceptibles d'être comparés à celui-là pourrait être We want sex equality, dont j'ai parlé ici même très récemment. C'est une autre façon de représenter le travail des femmes et leur combat pour la dignité. À ce titre, et pour parler toujours de ce qui s'est passé dans ce domaine au cours des années 60, il peut aussi être intéressant de revoir Potiche, comme un contrepoint en somme, plein lui aussi d'une vraie drôlerie. Chacune de ses oeuvres est d'ailleurs portée par un arrière-plan graphique. S'ils s'y intéressent un tant soit peu, les connaisseurs devraient, comme les curieux, apprécier le jeu des sept différences.