lundi 30 novembre 2020

Chat alors !

Anecdote: initialement, à l'occasion de ce dernier jour de novembre et en vue de décembre, j'avais pensé vous reparler du reconfinement et de ses conséquences sur le cinéma. J'ai renoncé: l'heure des bilans n'a pas encore sonné - et je trouvais le sujet un peu trop plombant. Cette chronique ne vous parlera donc que... des chats sur les écrans !

Il me semble que l'on peut dire qu'à l'image de celui d'Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé (cf. ci-dessus), les félins de tous poils tiennent un rôle décisif dans bon nombre de films. J'ai la flemme aujourd'hui: je n'ai pas prévu de rétrospective un tantinet exhaustive liée à cette question importante. Comme un gros matou paresseux avachi sur votre fauteuil préféré, je m'en remets donc à vos lumières pour éclairer ma lanterne. La section des commentaires est ouverte afin que nous parlions des greffiers de VOTRE choix. Après ramassage des copies, je reviendrai, tôt ou tard, détailler ma liste personnelle. Ce sera, évidemment, en fonction des chats que je croiserai d'ici là...

----------
Et décembre, donc ?

Il sera relativement chargé sur le blog, puisque j'ai l'intention d'écrire une chronique (de film) par jour jusqu'à ma pause de fin d'année. Celle de demain est déjà dans les tuyaux, au sujet d'un long-métrage français sorti en 1955. Choix de ma mère pour la Toussaint confinée !

samedi 28 novembre 2020

Le félin philosophe

Et revoilà Joann Sfar ! J'étais décidé à regarder le seul de ses films que je n'avais pas vus: Le chat du rabbin, adaptation de trois tomes de la BD éponyme. Je ne savais pas du tout ce que cela racontait ! Visuellement très agréable, le spectacle était au rendez-vous: plaisir renouvelé que de voir l'animation française au meilleur de ses formes.

Début des années 30. Dans la casbah d'Alger, un chat se met soudain à parler après avoir dévoré un perroquet. Face à ce phénomène incroyable, son maître sépare le matou de sa fille et entame avec lui une conversation théologique d'assez haut niveau. L'influence féline sur les hommes des environs ira croissant, avant le grand départ d'une aventure picaresque conduite à la recherche d'une Jérusalem légendaire, quelque part... en Éthiopie. Je vous épargne les détails car, pour tout dire, je ne suis pas vraiment sûr d'avoir tout compris. Le chat du rabbin est une oeuvre bavarde et érudite: ses références m'échappent un peu. Je précise aussitôt que ce n'est pas déplaisant...

Le rythme de cette pure merveille de dessin animé est si soutenu qu'adopter une posture contemplative s'avère vite assez difficile. J'avoue: j'ai mis du temps à apprécier ce(s) style(s), mais ces images sont vraiment d'une grande beauté ! Mention spéciale pour les plans larges, qui pourraient être exposés sur des murs comme affiches illustrées, tant ils sont riches de mille (et un) détails ! Récompensé d'un César du meilleur film d'animation, Le chat du rabbin s'adresse plutôt à un public adulte, mais les ados séduits par ce graphisme peuvent sans doute - et largement - y trouver leur bonheur. Sceptiques ? Disons que cela vaut au moins le coup de s'y frotter. Dernier atout: l'excellent casting voix, avec le génial François Morel dans la peau du miauleur de service. Un drôle de rôle de composition !

Le chat du rabbin
Film français de Joann Sfar et Antoine Delesvaux (2011)

Je ne parlerai pas de génie, mais Sfar a un talent incroyable et sait s'entourer d'équipes douées pour adapter ses oeuvres dessinées. Précision: Petit Vampire, dont je vous parlais il y a peu, rivalise d'intelligence, tout en étant, de fait, plutôt destiné aux enfants. L'animation française vous intéresse ? D'autres merveilles méconnues valent le détour: Le tableau ou Mune, par exemple. Univers infinis...

----------
Un autre regard sur le film ?
Je vous propose de découvrir également ceux de Pascale et de Lui.

vendredi 27 novembre 2020

Sean

Je n'aime pas les nécrologies: je n'ai donc rien écrit sur Sean Connery aussitôt après l'annonce de sa disparition, le 31 octobre dernier. J'appréciais l'acteur, cela dit, et j'avais du respect pour son esprit patriotique écossais. J'ai très envie de (re)voir certains de ses films !

Quand le ferai-je ? Je ne sais pas... et d'autres viendront s'intercaler. J'ai découvert Sean dans les années 80-90, avec Le nom de la rose, Highlander, Les incorruptibles et À la rencontre de Forrester. D'autres titres me "parlent" encore, mais ceux-là seraient sans doute les premiers que je choisirais pour une rétro (tout à fait personnelle).

Je n'en ai encore pas parlé ici, à l'inverse d'autres opus intéressants:
- Pas de printemps pour Marnie / Alfred Hitchcock / 1964,
- Zardoz / John Boorman / 1974,
- L'homme qui voulut être roi / John Huston / 1975,
- La grande attaque du train d'or / Michael Crichton / 1979,
- Indiana Jones et la dernière croisade / Steven Spielberg / 1989,
- Family business / Sidney Lumet / 1989
- À la poursuite d'Octobre Rouge / John McTiernan / 1990.

So long, Sean, je t'aimais bien. Et je ne souhaite guère en dire plus...

----------
Juste, pour finir, un constat...

Pascale, Dasola et Ideyvonne ont déjà rendu hommage à l'acteur. Princécranoir aussi, avec l'analyse de La colline des hommes perdus. Si vous avez d'autres films à me suggérer, je suis bien sûr à l'écoute !

mercredi 25 novembre 2020

Attrapée au vol

Coïncidence troublante: j'ai regardé Pas de printemps pour Marnie et, le lendemain, appris la mort de Sean Connery. Je me souviens que, longtemps, la présence de l'Écossais dans un film hitchcockien m'étonnait. Je le réduisais à James Bond, qu'il n'avait alors incarné que deux fois (sur sept en tout). Je suis content d'être allé plus loin...

Ici, point d'espion au service de Sa Gracieuse Majesté. Sean Connery incarne le patron d'une grande maison d'édition, qui vient juste d'embaucher une nouvelle secrétaire-comptable: c'est elle, Marnie. Véritable personnage principal du film, cette blonde piquante s'illustre d'emblée par ses talents de voleuse, habituée qu'elle est de dérober les richesses de ses employeurs successifs avant de disparaître. Seulement voilà, cette fois, le big boss n'est pas dupe: il est fasciné par son employée et prêt à fermer les yeux sur sa kleptomanie. L'idée serait tout de même qu'elle s'en débarrasse... avant le mariage. Autant le dire: Pas de printemps pour Marnie n'est pas un Hichcock similaire aux autres oeuvres du réalisateur que je connaissais déjà. Le suspense qu'il met en place n'est pas policier, mais psychologique !
 
Tippi Hedren a beaucoup donné pour composer ce personnage tourmenté que celui de Sean Connery essaye de remettre d'aplomb. L'habituelle perversité hitchcockienne est toujours là, en sourdine. L'homme qui prétend sauver la femme de sa névrose obsessionnelle veut aussi la dominer - et semble y parvenir, au moins pour partie. Bref, le film n'est pas féministe et l'est d'autant moins que l'on sait que Tonton Alfred a malmené sa comédienne au cours du tournage. Bref... personnellement, tout cela ne m'a pas totalement convaincu. Attention: les acteurs n'y sont pour rien, qui jouent leur partition dignement et sans que je trouve grand-chose à y redire. C'est juste que j'ai senti ici une volonté de construire une intrigue assez crédible pour paraître vraie... et que je l'ai trouvée quelque peu outrancière. Pas de printemps pour Marnie n'a pas cette dimension "horrifique" d'autres Hitchcock ultérieurs. Je crois que, limite, j'aurais préféré...

Pas de printemps pour Marnie
Film américain d'Alfred Hitchcock (1964)

Un long-métrage un peu "daté", ni mauvais, ni de plus emballants. Sean Connery n'avait que 34 ans et a fait de meilleures choses ensuite. Hitch, je le trouve mieux inspiré dans ses films postérieurs (Sueurs froides ou Psychose) ou plus sobres (L'ombre d'un doute). Ce qui n'enlève rien au talent et au courage de Tippi Hedren, choisie après le refus de Grace Kelly, alors devenue la princesse de Monaco...

----------
Ne vous y trompez: c'est un film dont on peut débattre...

Vous pourrez trouver d'autres éléments chez Dasola, Ideyvonne et Lui.

lundi 23 novembre 2020

Se reconstruire

Une citation pour ouvrir cette chronique: "Le point de départ était l'envie de parler du Paris d'aujourd'hui et de capturer quelque chose de la fragilité, de la fébrilité et de la violence de l'époque". Convaincant ou non, c'est ainsi que Mikhaël Hers parle d'Amanda. Après avoir vu le film, je voulais mesurer les intentions du cinéaste...

Autant vous le dire tout de suite: Amanda est un beau film. Un film intelligent, aussi, sur un sujet difficile (et peu abordé, il me semble). Le personnage-titre est une petite fille, à Paris, dont la mère est tuée dans un attentat. Elle est alors prise en charge par son jeune oncle. C'est autour de ce duo familial que le film développe son sujet connexe: celui de la reconstruction psychologique après une tragédie. C'est une vraie réussite, un trésor de subtilité et de délicatesse. Éprouvant, le long-métrage n'est jamais larmoyant: l'équilibre trouvé me semble juste. Je le dis avec modestie, car je ne sais pas vraiment ce que peuvent éprouver les proches des victimes d'actes terroristes.

Ce que je sais, en revanche, c'est qu'il y a un espoir et de la lumière dans Amanda. Un aspect pour partie porté par le personnage secondaire qu'incarne Stacy Martin (ci-dessus), qui trouve une place intéressante auprès de l'acteur principal, Vincent Lacoste, excellent. La partition la plus impressionnante reste celle de la gamine "adoptée" pour interpréter le rôle-titre: Isaure Multrier est bluffante. J'accorde aussi une mention spéciale à quelques autres comédien(ne)s bien choisis au casting: Marianne Basler, Ophélie Kolb, Greta Scacchi et Jonathan Cohen. Une distribution très harmonieuse pour un film doux: si le sujet ne vous rebute pas, j'ose imaginer qu'il vous plaira. Une précision importante: il n'y a pas d'excès d'hémoglobine à l'image. Juste un fort concentré d'émotions, au cours d'une partie de tennis...

Amanda
Film français de Mikhaël Hers (2018)

On m'avait conseillé de découvrir ce film qui m'attirait déjà: je suis pleinement satisfait de l'avoir vu. Et je me rends compte que j'ai vu d'autres films sur le terrorisme, chacun traitant le sujet de manière différente: cf. côté américain Angles d'attaque, Zero dark thirty et... Fast and furious 8. Ou le thriller Un homme très recherché. Intéressants aussi - et assez polémiques: Le policier et Nocturama...

----------
Pour en revenir au film du jour...

La blogosphère en a largement fait écho: vous le retrouverez donc chez Pascale, Dasola, Strum, Princécranoir, Vincent et Lui. Joli score !

samedi 21 novembre 2020

Instinct paternel

Tarzan est un personnage mythique, apparu d'abord entre les pages d'un roman de l'écrivain américain Edgar Rice Burroughs en 1912. C'est en 1918 qu'il arrive au cinéma, joué par un certain Elmo Lincoln. Aujourd'hui, je rejoins Johnny Weissmuller, le tout premier interprète des épisodes parlants, pour présenter un film sorti... le 16 juin 1939 !
 
Dans Tarzan trouve un fils, l'ancien champion olympique de natation reprend le pagne (et le langage "petit nègre" !) du prince de la jungle pour la quatrième fois - il y en aura douze, au total. Sa vie change radicalement quand sa guenon adoptive, Cheetah, découvre un bébé dans la carcasse d'un avion échoué au beau milieu de la végétation luxuriante. Cet enfant tombé du ciel, Jane, la compagne de Tarzan, insiste pour l'adopter. Un flash-forward plus loin, une demi-douzaine d'années ont passé et le petit d'homme est devenu un garçon énergique, copie quasi-conforme de son vrai-faux père sauvage. Constat d'autant moins rassurant pour sa môman que des hommes blancs et - prétendument - civilisés se sont lancés à sa recherche. Nous spectateurs savons que tous ne lui veulent pas que du bien. L'occasion de dire que le scénario peut sembler assez naïf à l'heure actuelle, mais qu'il ne transforme pas les peuples primitifs en idiots...

Arte, qui diffusait le film en fin d'année dernière, indiquait toutefois qu'il était porteur (je cite) "de représentations culturelles datées". Une Afrique réinventée en pacotille: Tarzan est bien sûr un homme blanc, Jane une femme blanche (à la coiffure et aux maquillages impeccables) et leur pseudo-enfant un garçon blanc. Quant aux Noirs visibles à l'écran, ils sont soit à la solde de drôles d'explorateurs venus d'Angleterre, soit des antagonistes belliqueux, plus féroces encore que les bêtes ! Tarzan trouve un fils n'échappe donc pas aux clichés raciaux et spécistes de son temps. On peut le déplorer ou se rassurer en se disant qu'aujourd'hui, le cinéma a tout de même un peu évolué. Pour ma part, j'ai préféré prendre le long-métrage au premier degré. Résolument vintage, il reste un divertissement tout à fait honnête dès lors qu'il est replacé dans son cadre historique - recontextualisé comme certains le disent de nos jours à propos d'autres productions nettement plus sulfureuses ou ambigües. Ce plaisir presque enfantin pris devant ces images, je l'assume et le déclare donc "non coupable".

Tarzan trouve un fils
Film américain de Richard Thorpe (1939)

L'influence de l'auteur originel sur le film ? Il a fait modifier la fin pathétique initialement prévue au scénario au profit d'une conclusion positive (et peut-être un tantinet tirée par les cheveux, à vrai dire). Bref... moi, ça ne m'a pas dérangé et le long-métrage m'a plu autant que le premier: Tarzan, l'homme singe (1932). Le cinéma d'aventure des années 30, c'est aussi... La piste des géants et Capitaine Blood !

----------
Vous cherchez des infos complémentaires ?
Ideyvonne a évoqué Cedric Gibbons, le directeur artistique du film. Quant à Vincent, il a parlé de Maureen O'Sullivan, l'actrice principale.

mercredi 18 novembre 2020

Échapper au pire ?

J'ai tout juste eu le temps d'attraper le nouveau Dupontel en salles avant la phase 2 du confinement ! Ouf: il a bien failli ne pas sortir ! J'espère qu'après le bon départ de ses seuls huit premiers jours d'exploitation, il pourra trouver son public. J'ai préféré d'autres opus de ce cher Albert, mais oui, Adieu les cons vaut largement le détour !

Un médecin peu psychologue annonce à Suze Trappet qu'une maladie auto-immune la condamne, mais ne lui indique aucune échéance. Bouleversée, la jeune femme se décide à retrouver la trace de l'enfant dont elle a accouché - sous X - alors qu'elle était encore adolescente. Dans cette quête ultime, elle va s'appuyer sur l'aide (un peu forcée) d'un fonctionnaire informaticien... qui vient de rater son suicide. Bientôt, ce duo chic et choc sera rejoint par un troisième larron improbable, de profession archiviste, aussi aveugle que beau parleur. Adieu les cons ne ferait pas exception à une règle "dupontelienne" tacite: créer des personnages crédibles, mais un rien décalés aussi...

Fidèle à ce brave Albert depuis quelques années, je dois vous avouer que j'ai été surpris par le ton de ce dernier opus. On dit de l'humour qu'il est la politesse du désespoir: cela me paraît parfaitement juste dans le cas présent, le long-métrage coupant souvent ses scènes cartoonesques par des séquences vraiment mélancoliques - à l'image d'une fin assez belle, certes, réconciliatrice en fait, mais inattendue. Dans ce cadre, l'arrivée soudaine de Virginie Efira dans la troupe habituelle du cinéaste est tout à fait opportune: la très jolie Belge s'intègre merveilleusement bien à ce monde baroque et tourmenté. Adieu les cons fait partie de ces films capables de nous faire passer du rire aux larmes en deux plans trois mouvements: pour ça, bravo. Bonus: la BO au top avec Mala vida, tube imparable de la Mano Negra.

Adieu les cons
Film français d'Albert Dupontel (2020)

Vous l'aurez compris: sous ce titre cynique se cache un film au coeur doux. J'insiste cependant pour vous redire que je n'avais pas imaginé qu'il pourrait, dans le même temps, être aussi désabusé. Ce mix pourrait vous emballer: moi, j'abaisse ma note d'une demi-étoile. Pour décrire la folie d'un monde, Albert Dupontel a des références explicites: il cite régulièrement Chaplin et se rapproche ici de Brazil !

----------
Il n'est pas interdit de s'enthousiasmer...

Vous pourrez vérifier que Pascale a émis moins de réserves que moi.

lundi 16 novembre 2020

Ne pas avaler

Hunter a - terrible expression ! - "tout pour être heureuse": un mari aimant, une maison au bord d'un lac, des beaux-parents accueillants et généreux. Pourtant, malgré tout cela, elle se sent seule et fragile. Pire: tombée enceinte, elle développe une lourde névrose, si sévère qu'elle pourrait devenir un danger pour elle ET pour les autres. Ouille !

Sorti à la mi-janvier, Swallow est le tout premier long de son auteur. Il est littéralement transcendé par la prestation d'une comédienne expérimentée, mais relativement méconnue: Haley Bennett, 32 ans. C'est un film intéressant, mais bien sûr pesant, puisque la caméra colle aux pas d'une desperate housewife sans rien cacher des suites de son mal-être. Sobre et intense à la fois, le récit se découpe en fait en deux parties (d'importance équivalente): la première fait de nous les témoins muets d'une lente chute dans la dépression, la seconde montrant ensuite une héroïne déterminée à en identifier les causes invisibles et profondes. Pas vraiment du cinéma de divertissement...

"Détail" important: la maladie dont souffre Hunter existe réellement. J'ai appris que le réalisateur s'était inspiré de sa propre grand-mère pour donner vie à ce personnage atypique, son actrice principale participant elle aussi à son élaboration, sur la base d'influences personnelles. C'est peut-être bien ce qui rend Swallow si crédible ! Violemment crédible, dirais-je même, car les couleurs désaturées réinventent un univers connu, tout nous entraînant dans un ailleurs angoissant. Le propos est très moderne, autour d'enjeux féministes tout à fait contemporains. Et dans nos vraies vies ? "Les choses commencent à aller mieux, juge Haley Bennett. Il y a de plus en plus de femmes qui parviennent à se faire entendre". Pour elle, le film raconte justement "l'histoire d’une femme qui parvient à s'émanciper d'un système patriarcal et à retrouver le contrôle d'elle-même". Autant le dire: il s'adresse aussi aux hommes. Et ne les ménage pas...

Swallow
Film franco-américain de Carmelo Mirabella-Davis (2020)

Le sujet a de quoi faire peur, sincèrement, mais le traitement narratif au cordeau nous offre un bel exemple de cinéma brut. Répétons-le: Haley Bennett nous offre une prestation mé-mo-rable ! Si la dépression est un sujet de cinéma qui vous intéresse, je crois que vous aurez du mal à dénicher un film plus âpre que Melancholia. Cela dit, du côté mâle, Le complexe du castor est
"solide", lui aussi !

----------
Vous n'êtes pas nécessairement convaincus ?

Bon. Peut-être aurez-vous envie d'étudier les arguments de Pascale...

samedi 14 novembre 2020

Je t'aime mélancolie

Jean Rochefort me manque. C'est donc sans hésiter que j'ai profité d'une diffusion à la télé pour revoir Le mari de la coiffeuse. Un film atypique que Monsieur Jean sublime, à l'écran et en voix off. L'intrigue est minimaliste, mais on s'en moque: tout semble délicieux en si agréable compagnie. On dirait presque une sorte de biographie !

Sexagénaire élégant, Antoine est, depuis sa tendre enfance, fasciné par les femmes les plus mystérieuses. Parce que ses premières envies adolescentes sont nées dans un salon, quand la belle Mme Scheaffer lui coupait les cheveux, il s'est promis qu'un jour futur, il épouserait une coiffeuse. Et c'est justement ce qui arrive après qu'il a demandé sa main à la jeune shampooineuse de son quartier, sans attendre d'être devenu un client régulier ! Il y a de la magie dans ce cinéma improbable, tourné presque intégralement en intérieurs reconstitués. Jean Rochefort compte pour beaucoup, mais l'Italienne Anna Galiena est très bien aussi, soulignant sa pudeur d'un léger accent chantant...
 
Mon titre vous l'aura fait comprendre: si la lumière et les couleurs dominent le film au départ, le récit a une part sombre qu'il dévoile petit à petit. Quelques gros plans (et regards caméra) très expressifs du génial Rochefort laissent supposer un drame à venir, inévitable. Les nombreuses chansons arabes qui parsèment la bande originale agissent comme révélateurs des sentiments, avec quelques scènes dansées à classer parmi les plus envoûtantes de notre cher cinéma français. Le mari de la coiffeuse est un film intemporel: on se dit qu'il pourrait raconter l'enfance de son héros, mais avec un décalage subtil qui, quand Antoine est devenu adulte, nous ramène avec lui vers une époque bien plus indéfinie - ce qui n'a rien de déplaisant. Attendez-vous quand même à verser une petite larme à la toute fin...

Le mari de la coiffeuse
Film français de Patrice Leconte (1990)

J'ai donc beaucoup aimé... et je ne vois guère de film équivalent. C'est vrai: je vous ai parlé récemment de l'amour fou qui s'affirme dans L'écume des jours, mais ce n'est pas véritablement le même. Côté américain, la mélancolie est vraiment le moteur le plus puissant du superbe Le ciel peut attendre, mais là encore, c'est autre chose. Autant de fait rester en France avec Corps à coeur de Paul Vecchiali !

jeudi 12 novembre 2020

Missionnaire

Ma fibre francophone n'y change rien: je connais mal les Québécois. Et l'histoire du Canada français ? Pensez donc: je suis largué à 200% ! Pour autant, je n'ai pas hésité longtemps avant de choisir Robe Noire pour une soirée plateau-télé. Méconnu, le film est récemment passé sur Arte. La petite chaîne franco-allemande me surprendra toujours...

Inspiré d'une histoire vraie, Robe Noire raconte l'histoire d'un Jésuite parti de France dans l'idée d'évangéliser les "sauvages" amérindiens. Sommairement, à l'époque du film (1634), nos compatriotes établis outre-Atlantique commercent avec les Algonquins et ont une relation pacifique avec les Hurons. Les Iroquois, eux, sont moins accueillants et mènent même une véritable guerre. C'est dans ce contexte tendu que, pour fortifier les alliances avec les autochtones, le père Laforgue est chargé d'apporter la bonne parole à quelque peuplade lointaine. Placé sous bonne escorte, l'ecclésiastique se met dès lors en route pour parcourir plus de 2.400 km, dans l'espoir de rejoindre des frères partis avant lui lire les Saintes Écritures aux hommes du Grand Nord. Contempler ces blanches contrées depuis un canapé est un vrai régal !

Je ne pense pas vous surprendre si je vous parle d'un environnement franchement inhospitalier: en ce temps-là, je suis bien sûr convaincu qu'il fallait avoir du cran (ou la foi !) pour l'affronter. Mais Robe Noire ne fait pas de son personnage principal un héros: Laforgue est d'abord et avant tout un homme déterminé, en outre persuadé du bien-fondé de sa mission - même s'il doute parfois de sa... légitimité, disons. Ainsi que j'ai pu le lire après coup, le long-métrage a l'intelligence d'être nuancé: il ne laisse aucune place au prosélytisme de bas étage. Je vous le confesse: j'avais initialement opté pour la V.O. en langue anglaise, avant de me rabattre sur le doublage en français par souci d'authenticité. Mon bilan sur ce point précis serait mitigé, mais le jeu des acteurs est assez solide pour que je fasse preuve d'indulgence. Vous en avez vu d'autres, des films qui parlent de la Nouvelle France en Amérique ? Moi, je crois que c'était mon premier ! Un choix malin !

Robe Noire
Film (australo-)canadien de Bruce Beresford (1991)
Le sujet peut paraître austère, mais le résultat est plutôt probant. Dans un cadre contemporain, le rôle de ministres du culte sur un sol étranger est aussi le sujet du superbe Des hommes et des dieux. Notez que Silence restera ma référence pour les missions anciennes. Et aussi que mon film d'aujourd'hui a quelque chose qui le rapproche d'un chef d'oeuvre sorti moins d'un an plus tôt: Danse avec les loups !

lundi 9 novembre 2020

Le choix de Nelly

31 ans aujourd'hui que le Mur de Berlin est tombé ! Je marque le coup en ouvrant la semaine avec un film allemand sur ce sujet historique majeur: De l'autre côté du mur. L'histoire se passe dans l'Allemagne de la fin des années 70, quand Nelly, une jeune veuve, passe à l'Ouest avec son jeune fils, Vassili. Ce qui était plus facile à dire qu'à faire...

Faute d'évoquer les essais clandestins réprimés à l'époque, le scénario aurait pu se focaliser sur les mille et une difficultés bureaucratiques naguère imposées aux Allemand(e)s de l'Est pour franchir la frontière. Mais non: De l'autre côté du mur choisit en fait d'inverser le  propos. Arrivée dans un pays prétendument libre, l'héroïne qui a fui le régime autoritaire socialiste est accueillie dans un foyer et doit prouver qu'elle n'est pas... une espionne ! Pire, on l'interroge avec insistance sur les conditions exactes du décès de son mari, que les autorités suspectent d'être, lui aussi, un agent à la solde des Soviétiques. Résultat: Nelly devient parano et nous, spectateurs, commençons comme elle à douter de tout. Une très efficace montée de suspense ! Tout cela est vraiment bien ficelé, malgré quelques (petits) défauts...

J'ai notamment apprécié que le film ne néglige pas ses personnages secondaires. L'enfant de Nelly a un rôle important dans le déroulement de l'intrigue, ainsi que les deux hommes qu'elle rencontre, l'un réfugié dans le même centre de rétention, l'autre agent du contre-espionnage américain. Un atout: De l'autre côté du mur n'est pas manichéen. Par ailleurs, il est plutôt bien interprété: Jördis Triebel, l'actrice principale, a d'ailleurs décroché un Filmpreis - le César allemand - pour son rôle, mais elle n'est pas la seule à s'illustrer positivement. Pour l'anecdote, on notera qu'un comédien noir livre une prestation épatante: il est burkinabé, s'appelle Jacky Ido et est aussi slameur. Bon... je me tais afin de préserver votre (probable) bonne surprise. Seuls 73.262 Français ont daigné aller voir ce long-métrage en salles !

De l'autre côté du mur
Film allemand de Christian Schwochow (2013)

Quatre étoiles enthousiastes pour ce récit sérieux: il a su m'intéresser et m'ouvrir les yeux sur une facette assez méconnue de l'histoire allemande, ce qui est doublement bénéfique à ma "germanophilie". Plus dur, mais très instructif aussi, je recommande La révolution silencieuse.... où il est question du soulèvement hongrois de 1956. Pour le souvenir de l'après mur, mon chouchou reste Goodbye Lenin !

----------
NB: mon film du jour ne fait pas l'unanimité...

Vous pourrez donc lire d'autres avis chez Pascale, Dasola et Sentinelle.

vendredi 6 novembre 2020

Sfar en toute franchise

Une rencontre mémorable ! J'ai vu Petit Vampire en avant-première et eu la chance d'échanger avec Joann Sfar en cette même occasion. Je craignais qu'il soit très sollicité et... ça a bel et bien été le cas. Cependant, il s'est également montré plutôt généreux de son temps. Voici donc tout ce qu'il m'a raconté, à propos du film (entre autres)... 
 
Petit Vampire est né dans une BD en 1999 et a grandi en série d’animation à la télé en 2004. Joann, a-t-il toujours été évident pour vous qu’il arrive au cinéma, un jour ?

Pas du tout ! Ce personnage a le privilège de préexister à ma carrière d’auteur. Quand j’étais gamin, il faisait vraiment partie de mes amis imaginaires, nourri par les revues de films d’horreur que m'offrait mon grand-père, revues dont je modifiais le sens: ayant perdu ma mère très petit, la perspective d’un monde où les morts reviennent et peuvent parler relevait pour moi beaucoup plus du merveilleux que de l'horreur. Je me suis emparé de ces figures monstrueuses: elles ont fait mon initiation. D’une certaine façon, je crois qu'on peut dire que ce sont les monstres qui m’ont appris à dessiner. L'envie de faire vivre des créatures surnaturelles m'a permis de surmonter toutes les difficultés de l'apprentissage du dessin et de l'écriture.

Une longue histoire...
Petit Vampire me tient donc le crayon depuis toujours. Je n'en suis pas revenu quand j'ai pu en faire des albums de BD. Même chose quand c'est devenu une série télé ! Après le succès du Chat du rabbin, on m'a dit de me lâcher et de faire une grande histoire pour les enfants. Il a alors été évident pour moi de prendre Petit Vampire. La difficulté, c’est qu’il s’était toujours exprimé dans des récits courts. Il a fallu que je change non pas le ton, mais sans doute la profondeur des personnages et des arcs narratifs, tout en se posant la question de la motivation de chaque personnage. Avec Sandrina Jardel, ma première femme et la mère de mes deux premiers enfants, avec qui j'ai créé tout cet univers depuis le début, on a essayé d'en revenir aux sources, tout en lui donnant l’intensité dramatique que l’on peut trouver dans les longs-métrages chez Ghibli, Pixar ou Disney. Je ne dis pas que j'y suis parvenu, mais c'était en tout cas l'objectif qu'on s'était donné: offrir un grand spectacle émouvant aux enfants.
 
Vous aviez déjà une certaine maîtrise des codes du cinéma…

J’apprends toujours ! Sur Le chat du rabbin, j’avais souhaité que le résultat final soit le plus proche possible des cases de la BD. Il y a donc presque un travail de recréation à l'identique. Mais pour Petit Vampire, en revanche, il y avait cette volonté consciente de modifier le design des personnages et la peinture des décors, pour être dans la tradition des longs métrages animés comme, chez Disney, Les 101 dalmatiens ou Robin des bois. On s'est demandé ce que seraient devenus mes personnages s'ils avaient été dessinés par un artiste japonais pour certains, soit par un dessinateur classique de chez Disney pour d'autres. Je crois que c’est un projet plus ambitieux encore, du fait de cette idée de réinvention des personnages.

Vous deviez être bien entouré...
Oh oui !

Votre équipe était là, je suppose, pour vous dire ce qui était impossible, et vous conseiller, au contraire, sur ce qui était envisageable...
Exactement. Je me suis entouré de gens extrêmement différents et tous plus talentueux que moi, à l’image de mon directeur d’animation, Adrien Gromelle. D'abord, ce ne sont pas des gens de ma génération: pour la plupart, ils sont plus jeunes que moi. Puisqu’ils avaient d’autres références que les miennes en termes artistiques ou d'animation, ça a été un dialogue extraordinaire. J'aime beaucoup ce rôle de réalisateur: une fois que tout le monde a compris que vous l'étiez, vous pouvez laisser à votre équipe le plaisir de vous dire non. En tant que tel, j’adore provoquer mes équipes en leur disant ce que je souhaite faire, en montrant de petits dessins, et attendre avec gourmandise qu’elles les démolissent pour suggérer autre chose. Mon rôle central, c'est de raconter l'histoire, d'anticiper chaque plan en dessin... et ensuite de me délecter de tout ce que l'équipe avance pour améliorer ma proposition.

Avec ces monstres et ces pirates, je me dis malgré tout que vous avez un vocabulaire commun…

Oui, mais pas forcément avec les mêmes entrées. Quand je parle de films de pirates, par exemple, je vais faire référence aux films d’Errol Flynn ou penser à Ava Gardner dans Pandora, et je connais un peu l'escrime. Adrien Gromelle, lui, est presque professionnel de capoeira. Il arrive avec sa science du corps et sa passion des arts martiaux pour apporter des réponses très concrètes. On avait aussi de vrais comédiens. Pour les combats à l’épée de Petit Vampire, on a fait appel à de vrais cascadeurs, Dominique Fouassier et son fils, qui sortaient de Rogue one, l’un des derniers Star Wars. On les a filmés avec une excitation de gamins pendant une semaine et ensuite, on a mis le résultat en animation. L’idée d’un film, c’est de faire chanter ensemble les passions des uns et des autres. Autre point: dans Petit Vampire, il y a un fond, non pas politique, mais éthique. Tout le récit parle de sentiments, avec un méchant (le Gibbous) qui ne comprend pas quand quelqu'un lui dit non et cause le malheur de tout le monde pour cela. 
 
Et vous parlez donc du consentement...
Avec la figure de proue, il y a une histoire de Belle au bois dormant. Dans le conte, le personnage doit se réveiller quand on l’embrasse. Mes animateurs sont venus me voir pour me dire que ça n’irait pas avec ma notion du consentement. On a donc décidé de raconter l’histoire autrement, avec une histoire de souffle pris et rendu, et où le personnage féminin prend la main de la lune pour lui rendre son apparence humaine. Mon équipe n'est pas là que pour dessiner ou animer: ils sont aussi les premiers spectateurs. Leur ressenti compte. Autre exemple: la maman de Petit Vampire ressemble à une star des années 50-60. Si je la fais parler de cette façon, je suis dans le fétichisme. Camille Cottin la transforme en une femme moderne avec une charge mentale, qui doit se cogner sa famille et prendre les décisions seule pour le bien de l'équipage, vu que son mari capitaine pirate a du vide dans le crâne. Elle devient donc une femme qui doit tout faire et quelqu’un avec qui on peut sympathiser. Je sais qu'aujourd'hui, il y a une querelle entre jeunes cons et vieux cons qui consiste à se demander ce que l'on doit faire des contes traditionnels. D'après moi, c'est une chance de les moderniser dans ce monde où les représentations du masculin et du féminin ont beaucoup changé. On peut ainsi revivifier les vieilles histoires…

Je suppose que vous vous identifiez à Petit Vampire. Lui s'ennuie d'avoir dix ans depuis trois siècles. Vous, ça fait à peine une quarantaine d’années…

Oui, mais moi, je suis heureux tout le temps – et surtout quand je dessine. S’il peut sembler représentatif d'un type d'enfance que j'ai pu avoir, c’est parce qu’on lui interdit des choses, qu'on l'oblige à en faire d'autres et qu'on lui dit que le monde est dangereux. C'est vrai qu'il l'est, mais on ne mesure pas à quel point on rend les gamins tarés en leur disant que tout fait peur. L'une des entrées du ce récit, c'est justement que l'on y parle d’un enfant qui a décidé de ne plus rester enfermé devant un écran. Le côté imaginaire, c’est que ce sont ses parents qui l’obligent à aller au ciné-club, quand lui ne rêve que de sortir pour aller à l’école !

Comme vous, finalement !
Voilà, oui...

Il semble que ça vous ait réussi, au fil des années...
En fait, moi, j'ai compris une chose: dès que l'on peut partager des angoisses avec les autres, ça va mieux. On cesse d'être un monstre lorsqu'on s'aperçoit que tout le monde est monstrueux. C'est un peu une morale à la Disney, mais ça me semble utile de le dire. On ne mesure pas à quel point nos terreurs sociales nous brident. C’est bien aussi de dire à nos enfants que nous sommes tous bizarres et que l'on peut tous rigoler ensemble.

Des enfants, lors des avant-premières, vous devez en rencontrer beaucoup...
Oui, et ils sont sans filtre: qu'ils aiment ou pas, ils me disent tout. C'est très amusant. Je suis toujours surpris par leurs réactions. Vous aurez beau écrire depuis des années, les enfants transformeront systématiquement vos histoires et lui donneront le sens dont ils ont envie. Il n’y a pas deux qui verront la même chose !  C’est une leçon d’humilité passionnante: ils m'apprennent des choses. Petit Vampire est de fait un terrain de jeu pour les enfants: à eux, donc, de se l’approprier.

Une anecdote ?
Dans toutes les projections déjà organisées, il n'y a eu qu'une seule fois une petite fille de 4 ans qui a eu peur. J'étais très ennuyé: ce n'est pas ce que je cherchais. Elle m'a expliqué qu'elle avait eu peur que le méchant attrape la maman de Petit Vampire. J'ai trouvé cela lumineux qu'elle ne s'inquiète pas un instant pour Petit Vampire ou d'autres enfants, en ayant manifestement intégré l'idée qu'ils allaient s'en sortir, mais qu'elle se soit inquiétée pour les grandes personnes. C'était très touchant. Petit Vampire est peut-être aussi un long-métrage où l'on voit un peu la fragilité des figures parentales. Cela a été fait consciemment. Si on comprend qu'avec la meilleure volonté du monde, les parents ne contrôlent pas tout, je suis assez content.

Et cela vous donne des idées pour d’autres aventures de Petit Vampire ?
J’en réalise actuellement une toute nouvelle série, sous la forme de romans illustrés. Je vais tenter de faire revivre mes grands-parents en revisitant mon enfance niçoise. Sans le faire exprès, et avec un peu d'amertume, je m’aperçois en fait qu’à 49 ans, elle fait déjà partie des livres d’histoire, parce qu’elle se situe dans une France qui n’existe plus, avec des moyens de communication et de transports différents. Mes grands-parents ne sont plus là, bien sûr, mais je les trouve tout aussi fantastiques que Petit Vampire...

Reviendrez-vous au cinéma en images réelles ? Cela fait cinq ans déjà que l'on a vu La dame dans l'auto...
Ah, c'était donc vous ? C'est un film que j'ai adoré faire. J'ai appris beaucoup de choses. J'ai moins aimé le nombre d'entrées qu'il a fait ! Le roman était formidable, mais pas le scénario. Aujourd'hui, j’ai encore plein de projets, en animation et en prises de vues réelles, des longs métrages ou des séries. Avec mon camarade Aton Soumache, qui a produit Petit Vampire, on a créé Magical Society et on a beaucoup d’autres projets sur le feu. On en reparlera au cours des mois qui viennent: beaucoup de choses deviendront publiques bientôt.

Vous donnez l'impression de ne jamais vous arrêter. Chaque fois qu'on parle de vous, c'est pour un projet différent...
Parce que ce sont des projets amusants. Si je travaille autant, c’est simplement parce que ça m’amuse !
 
Comment vivez-vous cette période difficile pour les artistes ? Et comment avez-vous traversé le confinement ?

Si je n'avais pas eu de bébé, je vous aurai répondu que, comme d'habitude, j'ai fait mes bandes dessinées. Notre bébé est né sans visite de la famille ou des amis. Il a vécu ses deux premiers mois seul avec sa maman et son papa... et notre chien. C'était à la fois très émouvant et assez anxiogène quand même. Cela lui donne un kharma assez étrange, à ce bébé. J'étais très heureux, mais il y a une certaine lourdeur. Sans la naissance, en fait, j'aurais vécu cet épisode en me disant qu'un auteur de BD est toujours enfermé, de toute façon. Cela n'aurait pas changé grand-chose.

Sauf pour la promo cinéma, peut-être ?

Effectivement. D'ailleurs, il vaudrait mieux qu'on ne reconfine pas, compte tenu de l'ambition que l'on a pour ce film ! Petit Vampire est conçu pour être vu sur grand écran, avec plein de gamins dans la salle. C'est un sujet qui me fait peur. Après avoir travaillé pendant six ans, j'espère que les cinémas vont rester ouverts...

Vous avez eu un César pour Le chat du rabbin, un autre ensuite pour Gainsbourg (vie héroïque). À part donc La dame dans l'auto... en 2015, on a l'impression que tout vous réussit !
Encore une fois, ce dernier film, cela avait été une vraie école de réalisation pour moi, avec un petit budget et des choses très difficiles à faire techniquement parlant. J'ai l'impression d'avoir énormément perfectionné mon travail de réalisateur à cette occasion. Rien que pour cela, je ne regrette donc pas de l'avoir fait. Après, j'ai une certitude: c'est la dernière fois que je fais un film que je n'ai pas écrit. Il y a une forme d'aberration là-dedans: je suis avant tout un auteur. Si on m'avait demandé d'adapter le roman de Sébastien Japrisot, j'aurais été très content de faire du Joann Sfar ! M'engager pour me demander de faire autre chose, c'est dommage parce qu'en fait, je ne sais faire que ça !

Et ce n'est déjà pas si mal...
Je ne sais pas. Mais je ne saurai pas être quelqu'un d'autre !

----------
Vous êtes arrivés là après avoir lu tout le reste ?

Un très grand merci ! Vous l'aurez compris: l'interview a été réalisée avant le reconfinement. Et depuis, Joann Sfar a exprimé son soutien aux libraires. J'espère donc que son film aura une belle seconde vie...

mercredi 4 novembre 2020

Un rêve d'enfant ?

C'est drôle: je connais le nom de Joann Sfar depuis longtemps, j'ai vu trois de ses quatre films, mais je "sèche" sur ses bandes dessinées. L'auteur niçois - qui est aussi écrivain ! - en a publié des dizaines. C'est par le cinéma que j'en rattraperai peut-être... quelques-unes. Petit Vampire, sorti sur les écrans il y a peu, m'en a redonné l'envie !

Soyons clairs: ce dessin animé sympa s'adresse plutôt aux enfants. L'histoire nous parle d'un petit garçon devenu... un vampire, oui ! Désormais, avec sa maman, il vit auprès d'une bande de monstres gentils et sous la menace d'un très vilain personnage à face de lune. Seulement voilà, ça fait 300 ans que ça dure: comme tous les gosses de son âge, immortels ou non, il irait bien voir dehors si l'herbe apparaît plus verte.Il veut aller à l'école pour ENFIN avoir des amis. Oui, mais n'est-ce pas trop dangereux ? Le film saura vous répondre. Quant à moi, je vous dirai que je l'ai donc trouvé efficace en termes d'action et sensible en termes d'émotion ! Réussi, pour me résumer...

Les images du long-métrage semblent assurément un peu plus "lisses" que leurs équivalentes dans les BD: une simple question de lisibilité. L'animation, elle, est excellente et, avec une jolie bande originale évoquant les grands films d'aventure à l'ancienne, tout est en place pour passer un bon moment. Au public adulte, Petit Vampire offre aussi bon nombre de clins d'oeil à une certaine pop culture cinéma. Pas de deuxième niveau de lecture, non, mais quelques références classiques que j'ai pris plaisir à relever ici et là, en plus du reste. Certain(e)s d'entre vous pourraient également rire de voir les valeurs éducationnelles renversées: ici, la mère du p'tit héros exige qu'il reste toute la journée chez lui (et le place très souvent devant un écran) ! Par ailleurs, le récit sait se montrer touchant dans ce qu'il contient d'autobiographique pour Joann Sfar. Jeune papa, ce grand garçon bientôt quinqua fourmille de projets et devrait encore nous étonner...

Petit Vampire
Film français de Joann Sfar (2020)

Une bonne illustration de ce que le monstrueux peut aussi être cool. Comme je le dis parfois, le freak, c'est chic ! Une grande source d'inspiration pour Joann Sfar, en tout cas, qui signe ici une réussite très personnelle. Je finirai bien par fréquenter son Chat du rabbin ! Avant cela, face à mon film du jour, je conseille Hôtel Transylvanie. Ou les créatures merveilleuses de King Kong, de La forme de l'eau...

lundi 2 novembre 2020

Le piège

Hélène, femme libre, est délaissée par Jean, qui n'est plus amoureux. Elle feint l'indifférence et fait même comme si la rupture l'arrangeait. Pourtant, en son for intérieur, elle rumine et prépare sa vengeance. Son idée: rendre son ex-amant amoureux d'une autre et s'arranger pour que cette dernière lui batte froid. Soyez-en sûrs: c'est possible...

Comment ? Vous le saurez devant Les dames du bois de Boulogne. Sorti peu après la fin de la dernière guerre au terme d'un tournage franchement compliqué, le film s'axe d'abord autour du personnage d'Hélène, admirablement interprété par Maria Casarès, alors au début de sa carrière. Le rôle est plus qu'intéressant tant il est ambivalent. Mais chut ! Je ne veux surtout pas trop en dévoiler sur l'intrigue ! Notez que la comédienne a eu ensuite des mots extrêmement durs pour décrire l'ambiance sur le plateau et les exigences du réalisateur. Elle et lui, à l'évidence, ne se sont pas entendus sur leurs attentes respectives. Heureusement, à mes yeux, ça ne se voit pas à l'écran...

Robert Bresson, le fameux réalisateur, signait alors le deuxième film d'une liste qui allait se prolonger une petite quarantaine d'années supplémentaires (jusqu'en 1983, pour être précis). J'ai été surpris d'apprendre qu'il finit par désavouer ce travail ! J'ai pourtant vu quelques très belles choses, dont le plan - presque final - dont l'image ci-dessus est tirée, avec cette fois Élina Labourdette en vedette. Notez bien que je n'oublie pas Paul Bernard, premier rôle masculin marquant, dans ce qui est surtout... une grande histoire de femmes. Les dames du bois de Boulogne est plutôt moderne, en ce sens. Cerise sur le gâteau: des dialogues signés d'un certain Jean Cocteau !

Les dames du bois de Boulogne
Film français de Robert Bresson (1945)
Je n'en ferai pas un incontournable, mais je suis content de l'avoir vu. En son temps, je remarque que le film n'avait pas connu un succès important. Le public rêvait peut-être de spectacles un peu plus légers que l'adaptation d'un extrait de Jacques le fataliste (Diderot / 1765). Détail que je juge amusant: le récent Mademoiselle de Joncquières reprend cette histoire et la ramène au 18ème siècle ! Boucle bouclée !

----------
Vous avez dit "classique" ?
Oui, peut-être... en tout cas, Sentinelle et Lui ont déjà parlé du film. Dasola et Vincent le mentionnent aussi, mais sans l'analyser en détail.