jeudi 28 février 2013

À bientôt, Leo ?

J'aurais pu saisir une autre opportunité, mais j'ai pensé vous parler de Leonardo DiCaprio après avoir revu Shutter Island. Il y a de cela déjà un bon gros mois, la star a déclaré qu'elle avait l’intention d'effectuer une longue pause loin des écrans. Le héros s'est dit "éreinté", après avoir tourné trois films en deux ans. On devrait d'ailleurs le retrouver devant la caméra de Martin Scorsese d'ici la fin de l’année, dans un film intitulé Le loup de Wall Street. À suivre…

Surmené, Leo ? Avec près de vingt films en quinze ans, d'aucuns jugent ça légitime. D'autres y voient plutôt une manière d'exprimer aussi sa déception de passer encore et toujours à côté de l'Oscar, malgré trois nominations déjà et alors même qu'il tourne régulièrement avec les plus grands réalisateurs. Aujourd'hui, son idée serait d'aller voir ailleurs s'il peut être utile. Le comédien est connu pour ses prises de position environnementalistes: par le passé, il a notamment accepté d'associer son image à une campagne du WWF.

Reviendra-t-il au cinéma ? Pour tout dire, il ne l'a pas encore quitté. Aux films que j'ai déjà cités, il convient d'ajouter un remake (3D ?)  de Gatsby le magnifique, attendu au mois de mai. Chacun reste libre de se dire qu'il ne vaudra jamais l'original avec Robert Redford. Personnellement, je me contenterai d'espérer que la pause de Leo reste d'une longueur raisonnable. À mes yeux, le p'tit gars de Titanic a bien grandi. Il serait dommage que Hollywood fasse indéfiniment l'impasse sur son talent. Je vais tâcher de ne pas l'oublier trop vite.

mardi 26 février 2013

Les choix d'Abraham

Je vous ai parlé du premier long de Steven Spielberg il y a cinq jours. Je compte bien voir un jour les deux films qu'il a réalisés sortis l'année dernière. Aujourd'hui, j'aborde le dernier opus de sa carrière sur les écrans: Lincoln. Une oeuvre à vrai dire tout à fait fascinante !

C'est juste prodigieux: il paraît que le cinéaste portait ce projet depuis douze ans et qu'il en a mis presque autant à convaincre l'Irlandais Daniel Day-Lewis à s'emparer du rôle-titre. Cette patience me paraît récompensée: c'est en effet un très grand film que signe ici le célèbre réalisateur... et une très grande prestation de plus à l'actif de son acteur. Du cinéma à l'ancienne, viscéralement américain, fruit de la plus belle tradition hollywoodienne. Pour le dire vite, j'ai adoré !

L'intelligence de Steven Spielberg se manifeste d'emblée par un choix audacieux: celui de tourner le dos à une biographie filmée et d'offrir deux heures et demie aux quelques dernières semaines de l'existence de son héros. Film anti-spectaculaire, Lincoln ne montre même pas l'assassinat du président américain. Il préfère consacrer ses images aux coulisses du pouvoir, là même où l'ancien avocat a défendu l'abolition totale de l'esclavage sur le sol de son pays. Une plaidoirie construite sur un autre choix: celui de faire durer quelque temps encore une guerre de Sécession supposée lui garantir des pouvoirs exceptionnels et une possibilité unique de donner un prolongement concret à son idéologie égalitariste. Une bonne part de l'intérêt présenté par ce (très) long-métrage vient à mes yeux du fait qu'il dit qu'une avancée majeure ne s'obtient pas sans sacrifice. Bien loin d'être un chef omnipotent, le président est ici, avant tout, un homme qui avance dans le doute. Et que ses convictions inébranlables n'empêchent pas de s'interroger sur ce qu'il adviendra véritablement ensuite, si d'aventure il parvient à obtenir ce qu'il veut dans l'instant.

Il serait fastidieux de recenser l'ensemble des personnages secondaires venus apporter de l'eau au moulin de ces réflexions. Objectivement, le film en regorge, avec 140 autres rôles, ai-je lu. Avoir également filmé le président au coeur de son intimité familiale apporte un vrai plus à l'édifice: ces scènes ne sont jamais de trop, mais illustrent au contraire parfaitement la difficulté qu'un homme peut ressentir à l'heure de choisir un chemin. Lincoln pose forcément la question du devoir et même, au-delà, celle de la responsabilité. Difficile de ne pas comprendre que le destin collectif se joue parfois au détriment des options individuelles. Aussi cruelle que cette leçon puisse être parfois, elle n'en est pas moins juste. Le scénario l'illustre avec brio, porté par une distribution éclatante et la grande beauté formelle d'une remarquable reconstitution. Certes, il a bien également quelques petits défauts, à commencer par un ou deux temps morts. Son aspect prolixe peut aussi sembler pesant quand on ne connaît pas l'histoire américaine. De très belles scènes permettent de contourner cet écueil et, en filigrane, font de la fresque un grand film humain.

Lincoln
Film américain de Steven Spielberg (2012)

Cette page tournée, le réalisateur indique qu'il compte se retourner vers un autre de ses genres de prédilection: la science-fiction. Logiquement, dès cette année, on devrait voir débarquer Robopocalyse, son adaptation d'un roman d'anticipation sur le thème éternel du soulèvement des machines contre l'homme. Je voudrais indiquer à celles et ceux d'entre vous qui préfèrent les films historiques qu'en regardant la dernière oeuvre du maître, j'ai pensé plusieurs fois au récent Clint Eastwood, J. Edgar. Sacré diptyque !

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Pour finir, je le signale également...
On peut aimer Steven Spielberg et Clint Eastwood, sans apprécier Lincoln comme moi. Exemple: Pascale ("Sur la route du cinéma").

Et en toute dernière minute...

J'ajoute que j'ai écrit cette chronique avant de connaître le palmarès des Oscars 2013. Daniel Day-Lewis remporte sa troisième statuette du meilleur acteur, un score sans précédent. Autres artistes récompensés: Rick Carter et Jim Erickson, les créateurs des décors.

dimanche 24 février 2013

Audiard éparpillé

Il n'est pas impossible que j'aie vu un film d'Audiard père, un de ceux qui ont un titre interminable. Je ne m'en souviens guère et connais surtout Michel pour ses talents de dialoguiste. Découvrir Elle cause plus... elle flingue m'a tenté pour mieux juger de la cinématographie du complice récurrent des grands cinéastes français de l'époque dorée des fameux Georges Lautner, Gilles Grangier et Henri Verneuil. Toutefois, déception à l'arrivée. Pas antipathique, ce long-métrage m'a paru un peu bancal, comme inachevé. Il paraît que le réalisateur aimait boire des coups avec ses comédiens, entre deux prises, laissant les techniciens travailler seuls. C'est un peu regrettable...

Le film m'a laissé sur une impression de fouillis. Après un générique sympa sous forme de dessin animé, on entre dans le vif du sujet, mais on ne comprend pas tout de suite de quoi il retourne. On suit simplement les pas d'un journaliste, parti enquêter dans un bidonville de la banlieue parisienne, petite cour des Miracles. Plusieurs hommes y disparaissent sans laisser d'autres traces que leurs objets familiers: montre, chapeau, chaussures ou cravate. On découvrira plus tard qu'ils ont été éparpillés façon puzzle par une drôle de machine. Attention, l'idée est folle: Annie Girardot, alias Clara Trompette, alias Rosemonde du Bois de la Faisanderie utilise cette mécanique improbable pour fabriquer de fausses reliques sacrées, soutenue d'ailleurs par un cardinal paranoïaque. Elle cause plus... elle flingue est un film assez tordu, il faut le dire... et il vaut mieux l'accepter.

Ce qui le tire vers le haut, d'après moi, c'est l'aréopage de comédiens drolatiques spécialement rassemblés pour l'occasion. Seule star féminine, Annie Girardot est plutôt sympathique à voir jouer: on sent qu'elle s'amuse beaucoup. Mais, pardon mesdames, ce sont avant tout les hommes qui "envoient du lourd". Le meilleur d'entre ces messieurs est sûrement Bernard Blier, excité comme une puce. Dans un rôle assez classique chez lui, mais dont je ne me lasse pas, il est tordant. Elle cause plus... elle flingue donne aussi quelques belles scènes fantasques à Darry Cowl, Jean Carmet, Michel Galabru... et s'emballe d'une gouaille plutôt caractéristique. Ce qui manque pour le porter vers les sommets comiques ? Je ne sais pas bien, sans doute un peu d'unité. En privilégiant le feu d'artifices verbal, pétaradant toujours et en tout sens, Michel Audiard trouve ses limites. C'est dommage.

Elle cause plus... elle flingue
Film français de Michel Audiard (1972)

Puisque j'ai parlé d'emblée des films de Michel Audiard au titre interminable, j'aime autant dissiper tout de suite un malentendu possible: le long-métrage d'aujourd'hui n'est pas la suite d'Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais... elle cause ! sorti seulement deux ans auparavant avec les deux mêmes têtes d'affiche, Annie Girardot et Bernard Blier. Pour retrouver non pas le réalisateur, mais le dialoguiste, je vous renvoie à une chronique antérieure écrite sur sa personnalité. C'est plus que probable que j'y revienne encore.

samedi 23 février 2013

Sans cérémonie

Je vous prie, chers lecteurs, de me pardonner. Je n'ai pas eu le temps cette année de préparer pour vous l'habituelle chronique sur la soirée des Césars. Lundi, je ferai également l'impasse sur celle des Oscars. Vous devrez donc vous contenter des rubriques spéciales et faire éventuellement un tour sur d'autres blogs pour prendre connaissance des résultats. De mon côté, j'essayerai de rattraper le coup en 2014...

Lundi ou mardi, on devrait connaître celui ou celle qui aura l'honneur de présider le Festival de Cannes en mai prochain. Je connais quelqu'un qui dit avoir eu l'info, mais cette personne m'a juste assuré qu'on célébrerait cette personnalité pour l'ensemble de sa carrière. Spontanément, j'ai pensé au réalisateur portugais Manoel de Oliveira, 104 ans, mais désormais, je songe plutôt à Alain Resnais. À suivre...

jeudi 21 février 2013

Un homme, un camion

Il y a bien longtemps que je voulais voir Duel. Sans en faire toutefois mon Graal cinématographique, le film m'attirait de par son statut remarquable de premier long-métrage de Steven Spielberg. Je précise ce que les connaisseurs savent déjà: il s'agit d'abord d'un téléfilm produit par la chaîne ABC dans un format de 74 minutes. J'ai pu voir la version longue, sortie ensuite dans les cinémas, et d'une durée d'environ 86 minutes. Chouette expérience d'ainsi remonter le temps pour mieux appréhender l'oeuvre d'un réalisateur de notre époque...

Il me faut également rendre hommage à Richard Matheson, 87 ans depuis hier, qui signe ici le scénario. Le romancier américain a fait preuve d'une belle inspiration. Ce que j'aime dans Duel, c'est en fait que tout repose sur une idée unique. Elle vient apporter à l'histoire une constance dramatique que des rebondissements exacerbés auraient sans doute affadie. Son "héros" est un personnage franchement ordinaire: David Mann est représentant de commerce. Après une semaine difficile, devinez quoi ? Il rentre chez lui. On sent juste qu'entre sa femme et lui, ce n'est pas l'amour fou tous les jours, mais l'intrigue écarte vite cette digression. Pendant une petite heure et demie, tout le propos des images est de nous montrer comment, au volant de son cabriolet rouge tomate, David Mann devient la cible d'un mystérieux chauffeur de camion. Point barre. Pas de fioriture.

Une telle histoire se passe assez facilement de personnages secondaires. D'où le titre choisi pour ma chronique, "Sur la route", celui auquel j'avais d'abord pensé, étant un peu trop connoté Kerouac pour être honnête. Ici, le bitume n'est pas opportunité: il est menace, d'autant plus évidente que la caméra nous accompagne dans les coins les plus reculés de l'Amérique. Les cinéphiles géographes pourront retenir que Duel a été tourné en douze jours seulement dans le désert des Mojaves, au nord-est de Los Angeles. Le site impose naturellement une ambiance propice au frisson, l'absence de solution face au danger devenant logiquement très angoissante et l'imagerie seventies évoquant quelques autres bons souvenirs d'effroi cinématographique. L'usage de voix off vient un peu altérer l'épure générale, mais, par sa simplicité même, le film est bel et bien réussi.

Duel
Film américain de Steven Spielberg (1971)

Vous avez raison: ça ne nous rajeunit pas ! Je n'étais même pas encore né quand le film est sorti. Steven Spielberg, lui, avait 25 ans quand il l'a tourné. Je vous laisse parcourir l'index des réalisateurs pour (re)découvrir ceux de ses films ultérieurs dont j'ai déjà parlé. Récompensé d'un Grand Prix au terme du premier Festival du film fantastique d'Avoriaz, ce premier opus me semble sans équivalent dans la filmographie du maître. Il m'a fait penser aux longs-métrages d'Alfred Hitchcock ou, pour l'origine du danger, à Christine. Le roman de Stephen King et l'adaptation de John Carpenter datent... de 1983 ! Autre comparaison possible, le Délivrance de John Boorman (1972).

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Si vous souhaitez un autre avis...

Vous lirez la chronique et les commentaires de "L'oeil sur l'écran".

lundi 18 février 2013

Quelques mots d'Amin Matalqa

Souvenez-vous: le 21 janvier dernier, à l'heure de présenter mon top DVD/télé en 2012, j'avais dit que je reparlerai de Captain Abu Raed. Le moment est venu. Grâce à Internet, je suis effectivement parvenu à entrer en contact avec le réalisateur du film, Amin Matalqa. Jordanien d'origine, Amin vit et travaille aujourd'hui aux États-Unis. C'est un vrai amoureux du septième art en général et du cinéma français en particulier. Voici donc ce qu'il m'a si gentiment raconté...

Je voulais tout d'abord parler de vous. Vous êtes né en Jordanie. Y avez-vous passé votre enfance ?
Oui, j'ai grandi en Jordanie et j'y suis resté jusqu'à l’âge de 13 ans. Ma famille et moi avons ensuite déménagé aux États-Unis. Je vis là-bas depuis 1989. J'ai passé quatorze années dans l’Ohio, avant de me décider à venir à Los Angeles pour faire des films. Je laissais alors derrière moi une carrière orientée business…

Vous retournez quand même en Jordanie, parfois ?
Oui. Ma famille vit toujours là-bas. J'essaye donc au moins d'y aller une fois par an. J'ai également tourné deux longs-métrages là-bas, Captain Abu Raed et The United.

Pourquoi et comment êtes-vous devenu réalisateur de cinéma ?
Toute ma vie, j'ai été obsédé par les films. Je pense que c'était incontournable que j'abandonne mon ancienne vie pour poursuivre mon rêve. En 2003, j'ai lâché une carrière sûre, avec un salaire confortable, dans l'Ohio, pour repartir de zéro en Californie. Juste moi et mes chiens, Cello et Oboe. Trois longs-métrages plus tard, ils sont toujours du voyage avec moi aujourd’hui. Nous avons toutefois un autre partenaire dans l'aventure: ma femme, Claire.

Captain Abu Raed était le premier film que vous réalisiez ?
Le premier long-métrage, en fait. J'avais déjà réalisé 27 courts-métrages auparavant, quand j'étais à l'American Film Institute et même avant.

Pourquoi avoir tourné en Jordanie ?
Parce que c'était l'occasion de faire un film dans un pays dont les longs-métrages ne sortent guère dans le monde.

Comment avez-vous pensé à ce scénario ?
Quand j'ai obtenu la réalisation, j'ai progressivement pensé intéressant de démarrer mon film dans un aéroport. J'ai grandi dans une famille de pilotes: mon frère et mon père le sont tous les deux. Quand nous étions dans l'Ohio, nous vivions juste à côté de l'aéroport. Naturellement, j'ai été fasciné par le vol, moins du point de vue technique, mais plutôt comme d'un rêve. Quand j'étais enfant, nous voyagions tout le temps. Le fait de raconter des histoires et celui de voyager ont toujours fait partie de notre culture familiale. J'ai commencé à écrire le scénario de Captain Abu Raed peu de temps après la mort de mon grand-père. C'était un homme d'une grande humilité. Bien qu'il ait été docteur, éduqué en Europe, quand vous le voyiez dans la rue, il avait toujours cette allure simple et humble. Il a inspiré le personnage de Captain Abu Raed.  Avec aussi une influence de Charlie Chaplin.

Est-ce que c'était facile de faire ce film ?
En fait, à chaque fois que vous réalisez un film, vous avez l'impression d'accomplir un miracle. Après en avoir tourné trois, je peux vous dire que réaliser Captain Abu Raed était plus facile que celui de Disney, The United. Cela dit, c'était clairement une expérience épuisante, un travail intense et difficile pendant deux ans, depuis l'écriture du scénario. Il y a tant de pièces de puzzle à mettre en place ! Le job de réalisateur et de producteur consiste à continuer de créer les opportunités qui font que les étoiles s'aligneront en votre faveur. Avec mes comédiens et techniciens, j'ai eu la chance d'être entouré par des personnes d'un talent incroyable. Ils se sont donnés à 200% pour réaliser ce rêve. Pas d'ego sur le plateau ! Tout le monde faisait tout ce qu'il pouvait pour fabriquer un bon film. J'étais moi aussi bien préparé: j'avais passé ma vie à préparer ce moment de faire un film. Tout s'est mis en place favorablement.

Le film a gagné de nombreuses récompenses. Il a entre autres été le premier film jordanien nommé aux Oscars ! Comment avez-vous vécu ces incroyables moments ?
C'était très gratifiant, surtout quand le film est sorti et que vous pouvez voir des larmes dans les yeux des gens. C'était vraiment une période magique ! Observer le public vous rend accro ! Quand les gens rient, vous vous sentez bien. Quand ils pleurent, vous vous trouvez humble. Le film devient sa propre créature. Le moment est venu pour vous de vous asseoir et de sourire. Les récompenses viennent confirmer le difficile travail de toute l'équipe. Avoir remporté un prix à Sundance fut l'un des plus grands moments de ma vie.

Au cinéma ou sur DVD, quand pourrons-nous voir vos autres films en France ?
Bientôt, j'espère.


Que pouvez-vous en dire ? Est-ce que vous les aimez tous autant ?
The United est un film familial sur le football. Disney m'a embauché pour le diriger: je n'ai pas écrit le scénario. C'est le premier film arabe de Disney ! Le tournage a été difficile, à cause du temps glacial en janvier et de la chorégraphie des mouvements du foot sur un grand terrain. En plus de tout ça, il fallait tourner avec une distribution en partie égyptienne... pendant la révolution ! Nous y sommes parvenus et je pense que c'est un peu un autre miracle. Je suis très content du film et j'espère qu'il sortira cette année. Strangely in love, lui, est ma comédie américaine, inspirée des Nuits blanches de Dostoïevski. J'ai également écrit le scénario et je pense que c'est mon meilleur travail à ce jour. C'était vraiment très agréable. Le film parle du tourment que cause un amour non partagé. Vous y trouverez beaucoup de l'influence de Chaplin et Fellini. C'est un film très européen, bien qu'il se déroule à Los Angeles. Nous y apportons la touche finale actuellement. Il devrait sortir dans le monde cette année, d'abord lors de festivals.

IMDb vous présente comme un grand collectionneur de bandes originales. C'est vrai ?
Oui. Quand j'ai grandi, mes héros étaient aussi bien les compositeurs du cinéma que les réalisateurs. Michael Kamen, Basil Poledouris, Gabriel Yared, John Williams, Jerry Goldsmith, Ennio Morricone, James Newton Howard, Danny Elfman, Bernard Hermann, John Barry, Thomas Newman... la liste continue ! Je vis pour la musique de film ! C'était aussi important pour ma vie que... le chocolat !

Pourquoi la musique est-elle si importante au cinéma ?
Parce que, souvent, elle renforce ce qu'on ressent. C'est la manière la plus directe de se lier aux émotions du public. Cela peut aussi compter comme un élément important dans l'art de faire des films. Tout au long de ma vie, mes films préférés ont toujours été ceux qui s'appuyaient sur la musique: E.T. l'extra-terrestre, Superman, Lawrence d'Arabie, Cinema Paradiso, Les lumières de la ville. Essayez seulement d'imaginer ces films sans musique ou même avec une mauvaise musique ! Ils ne seraient pas les classiques qu'ils sont devenus. Je crois vraiment que les grands films savent comment marier l'image et la musique pour améliorer ou contextualiser ce qui est joué. Il y a quelques films qui marchent incroyablement bien sans musique, comme cette année Amour, par exemple. Mais les films que j'aime sont ce qui associent l'ensemble: une grande photographie, de grandes interprétations, une grande histoire et une grande musique.

Y a-t-il d'autres réalisateurs que vous admirez ?
Oui. Spielberg pour son regard, large, magique, merveilleux, et son travail à la caméra. Scorsese pour la manière dont il se sert de la caméra et son travail avec des acteurs majeurs. Chaplin pour son humanité, qui me fait simultanément rire et pleurer. Lean pour sa capacité à capter l'épique et l'intime dans un seul et même film. Hitchcock pour le suspense et la précision. Kurosawa pour la manière dont il compose ses images. Danny Boyle pour le côté viscéral et l'énergie de ses films. Les frères Coen pour leur énergie également, mais aussi la bizarrerie excentrique de leur cinéma, ainsi que son absurdité - ils sont sans doute les meilleurs spécialistes de l'absurde aujourd'hui. Je citerais également Milan Forman, pour la puissance brute de ses films: jalousie, désir et convoitise d'Amadeus, lutte contre le pouvoir et héroïsme de Vol au-dessus d'un nid de coucou. Lasse Hallström, Guiseppe Tornatore et François Truffaut pour avoir su si joliment saisir l'enfance dans Ma vie de chien, Cinema Paradiso et Les 400 coups. Sans oublier Oliver Stone pour sa technique cinématographique et sa parole politique dans JFK.

Quels sont les derniers bons films que vous avez découverts ?

2012 a été une incroyable année de cinéma. J'ai particulièrement aimé Django unchained, Le monde de Charlie et Rango, qui était sorti en 2011.

Et le cinéma français, vous le connaissez ? Vous l'aimez ?
Oui, beaucoup. Au fond de mon coeur, je rêve de vivre à Paris et j'ai d'ailleurs vraiment inclus Paris dans mes trois longs-métrages. Dans Captain Abu Raed et Strangely in love, les personnages espèrent aller à Paris. Dans The United, l'équipe de football joue vraiment sa finale à Paris ! Du coup, quand je regarde des films français, je rêve d'un voyage dans ma ville préférée au monde ! J'adore Les 400 coups et La nuit américaine de Truffaut, Coup de torchon de Tavernier, Les parapluies de Cherbourg, Le fabuleux destin d'Amélie Poulain, L'armée des ombres (Melville), La haine (Kassovitz)... et également des films plus commerciaux comme Hors de prix avec Audrey Tautou et À la folie... pas du tout. Enfin, j'aime également le film d'animation, Les triplettes de Belleville.

Croyez-vous possible que d'autres films jordaniens apparaissent un jour ou l'autre ?

Quelques petits films éducatifs sont tournés chaque année, maintenant. Espérons qu'ils vont s'améliorer au fil de l'expérience. J'ai entendu de bonnes choses à propos de When Mona Lisa smiled. C'est une comédie romantique.

À quoi rêvez-vous désormais ?

J'écris un film ! Inspiré par Don Quichotte, il parle d'un homme qui croit être Ludwig van Beethoven. C'est mon autre obsession.

Et si vous pouviez rencontrer quelqu'un en particulier dans toute l'industrie du cinéma mondial, qui choisiriez-vous ?
Steven Spielberg. Depuis l'enfance, il a toujours influencé mon amour pour le cinéma.

samedi 16 février 2013

Django, à moitié seulement

Je crois bon de le préciser d'emblée: si j'ai vite décidé d'aller voir Django unchained au cinéma, j'étais jusqu'au début de la projection tout à fait sceptique sur sa capacité à me plaire vraiment. J'avais vu quatre des sept premiers films de Quentin Tarantino et restais campé sur une impression mitigée, entre respect pour la vraie personnalité du réalisateur et sentiment de lassitude devant la répétition (éternelle ?) de certaines de ses ficelles narratives. Là où d'autres idolâtrent un style, j'ai vu un peu de facilité, voire de complaisance. Et je craignais donc, encore une fois, de rester sur ma faim.

Et puis, ô bonheur ! J'ai beaucoup aimé le début du film. L'humour cynique des toutes premières scènes m'a vraiment plu. Nous sommes aux États-Unis, en 1858. Django est un esclave noir, qu'un Allemand chasseur de primes libère et prend sous son aile, par pure vénalité d'abord, puis parce qu'il le considère comme un bon associé possible et, enfin, parce que, finalement, ce n'est pas un si mauvais bougre. Devenus d'improbables amis, les deux hommes chevaucheront bientôt ensemble vers la plantation d'un vrai sale type, arrogant, dépourvu d'une once de pitié et par ailleurs coupable de voir la - jolie - femme dont Django est amoureux comme sa propriété. Django unchained ne fait pas dans la finesse, mais ça peut être une qualité. Caricaturaux peut-être, ses personnages restent charismatiques. Franchement, je crois pouvoir dire que le western ne m'a jamais paru être le genre le plus porté sur la nuance, de toute façon. Pas grave.

Au crédit de Django unchained, outre toute une volée de dialogues savoureux, je citerais également le jeu des acteurs. Il m'est difficile de les départager ! Peut-être bien que Christoph Waltz sort légèrement du lot en voyou véritable, mais non dépourvu d'éthique. Jamie Foxx n'est pas mal non plus, aussi crédible dans le côté ingénu de son personnage que dans ses aspects vengeurs. Et j'ai jubilé devant la conviction dont Leonardo DiCaprio et Samuel L. Jackson font preuve pour composer leurs personnages d'ordures intégrales. Personnellement, je n'ai jamais eu la moindre difficulté à admettre l'immoralité de certains westerns - c'est même le contraire. J'aime énormément ce genre quand il est traité classiquement, et ce je crois depuis l'enfance, mais aussi quand il est pris à rebrousse-poil. Filmer à contre-courant est sans doute plus facile pour Quentin Tarantino désormais que pour Sergio Leone dans les années 60, cela dit.

Mon affection pour le maître italien mise à part, c'est probablement ce qui explique que je sois un peu plus dur à l'égard de son disciple américain. Et si j'affirme volontiers qu'il y a de très bonnes choses dans Django unchained, je veux dire que tout ne m'a pas plu. Traiter l'esclavage en dérision, passe encore. Accuser Quentin Tarantino d'être raciste du fait que ses personnages disent "nègre" à tout bout de champ de coton, ça me paraît juste idiot. Ce qui me déplaît un peu plus, c'est que le personnage le plus vil de cette histoire soit demeuré de mon point de vue un esclave noir ébène, un peu plus raciste encore que son maître blanc. Admettons que ce soit de la provoc ! Il reste quand même un petit malaise, le propos du film ne semblant pas toujours très éloigné de l'idée que certains ne méritent rien d'autre qu'un profond mépris, suivi à terme d'une mort violente. J'en sors avec le sentiment désagréable d'une totale absence de point de vue.

Aurait-il alors fallu que je prenne le film comme un divertissement sans prétention pour l'apprécier vraiment ? Peut-être. Il serait juste en pareil cas que je dise que je n'y suis pas entièrement parvenu. Django unchained m'a ainsi semblé trop long: les scènes du milieu m'ont paru étirées, après donc un très bon début et avant un fin imparfaite, mais plutôt efficace. Par chance, j'ai admis la violence des scènes d'action, mais j'ai là aussi un reproche à faire, sur le plan de la cohérence d'ensemble cette fois. Quentin Tarantino opte toujours pour une représentation très directe, chargée de litres d'hémoglobine. Soit. Mais alors pourquoi choisir parfois le grotesque et, à d'autres instants, proposer le plus cru des réalismes ? Il y a là une rupture de ton qui m'a gêné à plusieurs reprises. J'ai eu l'impression un peu confuse que le long-métrage me tenait volontairement à l'écart de quelque chose. C'est bien dommage...

Django unchained
Film américain de Quentin Tarantino (2012)

Je ne mets que trois étoiles, parce qu'en dépit de la vraie admiration que j'ai pour sa culture cinéphile, ce cher QT ne parvient toujours pas à me convaincre de son attachement inconditionnel pour un cinéma de genre qui ne serait pas... le sien. Je conclurai toutefois en disant que j'ai mieux aimé le film d'aujourd'hui que son prédécesseur immédiat, Inglourious basterds. Gardant de bons souvenirs adolescents autour de Reservoir dogs et Pulp fiction, j'ai aussi envie de voir et revoir toute la filmographie pour la confronter désormais au regard de l'adulte que je suis devenu. Mais ça peut attendre...

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Et pour finir, un tout dernier mot...

J'ai écrit cette chronique à chaud, avec la volonté d'être assez nuancé dans mon propos. J'espère avoir pu démontrer que j'ai du respect pour Quentin Tarantino, convaincu d'ailleurs qu'il laissera une trace importante dans l'histoire du cinéma américain. Je vous invite désormais à lire la chronique de Pascale et celle de Dasola. Dasola qui, d'ailleurs, vous propose elle aussi des liens vers d'autres blogs.

Ah, encore un tout petit détail...

Je ne l'ai pas vue, mais il paraît qu'il y a une scène post-générique.

jeudi 14 février 2013

Un plaidoyer marin

Pour autant que je m'en souvienne, je n'avais pas pensé à la forme documentaire quand j'ai ouvert ce blog. Même quand ils sont sortis dans les salles de cinéma françaises, les reportages demeurent rares sur Mille et une bobines. Je n'aurais pas songé en évoquer un le jour de la Saint-Valentin, mais le hasard - ce coquin ! - en a alors décidé autrement: je me suis tout simplement soumis au programme prévu lors d'un après-midi pluvieux chez l'ami Philippe. C'est ainsi que j'ai découvert Les seigneurs de la mer, un film dédié aux requins, venu du Canada anglophone et sorti chez nous il y a déjà cinq ans environ.

Ce plaidoyer marin ne m'a pas convaincu. Comme vous devez sûrement l'avoir compris en lisant ces pages, je marche à l'émotion quand il s'agit de cinéma. Le paradoxe veut toutefois qu'en matière de documentaire, je suis à l'inverse un peu trop cartésien: il me faut des faits, des analyses sourcées et contradictoires et, dans la mesure du possible, une approche dépourvue d'académisme. Les seigneurs de la mer n'a pas franchement répondu à cette attente. Je l'ai trouvé trop orienté sur son réalisateur, sa passion pour la mer, son amour pour les animaux qui y vivent et donc sa fascination pour les requins. C'est bien gentil mais, si j'ose dire, ça manque un peu de fond. Suivre en mer une importante association de lutte contre la pêche clandestine ne m'aura pas empêché de juger le ton un peu lénifiant.

En quelques occasions, d'ailleurs assez répétitives, j'ai même trouvé qu'on s'approchait fort de la caricature. Je ne doute pas de la sincérité de l'auteur, mais pourquoi ne pas dire que la pêche est une manne économique pour les familles modestes ? Pourquoi multiplier à l'infini les plans de massacre animal plutôt que de poser enfin la question pourtant essentielle de l'alternative économique ? Une fois énoncées les idées justes selon lesquelles le requin régule l'écosystème océanique et s'avère moins dangereux pour l'homme que l'éléphant ou... les accidents de la route, Les seigneurs de la mer m'a paru tourner en rond - et je vous passe l'instant où le caméraman, infecté après une coupure, parle de la mort et s'inquiète de ne jamais revoir ses amis poissons. Sincère, sans doute, mais pas très instructif.

Les seigneurs de la mer
Documentaire canadien de Rob Stewart (2007)

Le même jour, j'ai vu aussi un film sur les origines de la vie terrestre diffusé sur Arte, Mémoires de volcans. C'était bien mieux ! Franchement, à ceux d'entre vous qui chercheraient un beau film défenseur des espèces marines, je recommanderais plutôt Océans. C'est vrai qu'on y apprend moins de choses, mais la magie des images est telle que j'ose les croire plus efficaces qu'un documentaire vaguement accusateur. À vous d'en juger selon votre sensibilité.

mardi 12 février 2013

Incertain regard

Saviez-vous que l'autoroute est un vent violent ? Qu'un grand oiseau blanc s'appelle carabine ? Et que les zombies sont de petites fleurs jaunes ? C'est le postulat de Canine, un film étrange que je voulais voir depuis longtemps. J'étais intrigué au départ et un peu dérouté finalement, après une expérience de cinéma qui ne ressemblait à rien de ce que j'aurais vu auparavant. L'histoire elle-même est assez facile à comprendre: un couple maintient ses trois enfants enfermés constamment, à l'écart de la plus petite activité collective extérieure. Les mots censés représenter une menace, il en transforme le sens.

Le point le plus étonnant, c'est en fait que ces enfants ont dépassé l'âge où la protection de leurs aînés est indispensable. Les dialogues ne leur donnent pas de nom, comme si, au fond, ils n'existaient pas. Canine pose frontalement la question de leur sexualité. Une solution a été bricolée pour le fils, qui fréquente une prostituée et exécute mécaniquement des mouvements sans passion, comme d'autres font de la gymnastique. Les filles, elles, sont d'une candeur de gamine. Quant aux parents, pornocrates, ils parlent de l'arrivée possible d'autres frères et soeurs, dès qu'il s'agit de calmer les rares velléités contestatrices de leur progéniture. Formellement, le long-métrage pose un âpre décor, quasi-unité de lieu et absence de toute musique pour égayer ses (belles) images. Vous aurez compris qu'il ne plaira pas à tout le monde. Je me suis longtemps demandé où tout cela allait mener. Je vous laisse donc désormais le découvrir par vous-mêmes.

La distribution de Canine se réduit à six rôles. L'absence d'émotions apparentes rend inquiétant le jeu très maîtrisé des acteurs. Le film enferme également la vue et coupe tout horizon: la villa d'arrière-plan aurait sans doute paru attrayante en d'autres mains, mais apparaît ici comme une prison. L'impact du long-métrage ne repose pas seulement sur l'intrigue et l'énigme qu'il développe, c'est évident. Sciemment, le réalisateur a ouvert quelques portes, mais sans livrer vraiment chacune des clés d'analyse de ce qui est son deuxième film. Dans une interview, il revendiquait clairement cette méthode participative: "Je veux que le spectateur soit actif. Qu'il ne gobe pas un message qui lui dise ce qu'il doit penser. Qu'il aime le film ou pas ne m'importe pas, au fond". L'idée était donc plutôt d'offrir une liberté d'interprétation: "Je ne cherche pas à séduire ou à choquer, et moins encore à donner de la chair à théorie aux intellectuels... simplement à donner une émotion bizarre dans une gamme variée d'émotions". Violence psychologique comprise, le pari n'est pas loin d'être gagné.

Canine
Film grec de Yorgos Lanthimos (2009)

Je connais trop mal le cinéma de Michael Haneke et pas du tout celui d'Ulrich Seidl: impossible de dire si les professionnels qui ont comparé ce long-métrage avec ceux des cinéastes autrichiens ont raison. Admettons: l'oppression paternelle peut effectivement rappeler celle vue dans Le ruban blanc. Mon titre ? Je l'ai choisi parce que le film a été primé à Cannes en 2009, catégorie "Un certain regard". Si je l'ai apprécié, c'est aussi parce qu'il ajoute un pays à mes pérégrinations cinéphiles: la Grèce. C'est le trentième depuis l'ouverture de ce blog !

dimanche 10 février 2013

Sortir et savoir

Plusieurs de mes amis m'avaient parlé de Old boy en termes positifs. L'un d'eux a fini par me prêter le DVD. J'étais à vrai dire plutôt curieux de le découvrir enfin et, en dehors de quelques mots du pitch, j'avais cherché à en savoir le minimum. Pour parfaire ma plongée dans l'inconnu, j'ai même poussé le vice à regarder ce film sud-coréen en VO (sous-titrée, évidemment). Que je vous dise ce que j'en savais avant de le regarder: le film a pour héros un homme emprisonné pendant quinze ans, ignorant tout des raisons de sa captivité. Quelques minutes évoquent cette détention et le long-métrage s'intéresse à la quête de vengeance de son personnage principal.

Sortir et savoir, c'est bien ce qui intéresse Dae-soo. Je crois devoir dire que je m'attendais à autre chose, sans savoir quoi exactement. J'ignore s'il faut y voir une conséquence de l'origine asiatique du film, mais les développements de l'intrigue ne m'ont pas semblé correspondre aux images que j'avais anticipées. Et c'est tant mieux ! Old boy m'a offert une expérience de cinéma différente, à partir d'une imagination aussi étrange qu'originale. Âmes sensibles s'abstenir: le récit qui défile sous nos yeux n'est pas confortable. Remarquez, le ton est donné assez rapidement, quand le prisonnier est la victime d'hallucinations cauchemardesques. Le scénario tutoie la folie et s'en approche parfois de très, très près. Et l'imagerie glaciale de l'ensemble n'arrange rien: le ton est pour le moins glauque.

Pour résumer, je dirais que Old boy est un film sous tension permanente. A fortiori dans sa langue, il mobilise les sens et scotche au fauteuil. Le spectacle n'a rien de plaisant. Et quand la vérité émerge enfin, elle vient ajouter une noirceur supplémentaire. Il est permis de trouver le fin mot de l'histoire trop improbable pour être honnête. La forme retenue pour la réalisation peut aussi rebuter. Personnellement, sans en faire ma nouvelle référence, j'ai bien aimé m'y confronter. J'ai appris depuis qu'il s'agit également du deuxième volet d'une trilogie thématique, mais je crois qu'on peut la prendre comme un bloc unique - sans rien y perdre en compréhension. Récemment, j'estimais ne pas voir assez de cinéma venu d'Asie. J'ai l'impression que je viens de m'offrir une sacrée entrée en matière !

Old boy
Film sud-coréen de Park Chan-wook (2003)

Est-ce que ça tient la route ? Par certains aspects, j'ai senti ici quelques analogies avec Drive, plutôt formelles que scénaristiques. Attention: la violence demeure, portée cette fois par un héros franchement torturé. Je ne suis pas sûr que le monde dit occidental puisse accoucher d'une telle imagerie. Notez que le réalisateur noir-américain Spike Lee pourrait nous donner une réponse: il devrait signer un remake du film cette année. L'original semble avoir emballé Quentin Tarantino: c'est en tout cas sous sa présidence (éclairée ?) qu'il a reçu le Grand Prix du jury à l'issue du Festival de Cannes 2004.

vendredi 8 février 2013

Le prince fataliste

J'avais oublié à quel point Le guépard est un beau film. Je l'avais découvert il y a quelques années, avant l'ouverture du blog, et je l'ai revu en janvier, en copie restaurée et sur un écran cinéma de taille raisonnable. Au deuxième rang, j'en ai pris plein la vue. Sorti il y a cinquante ans, Palme d'or du Festival de Cannes, il a certes pris quelques rides, c'est assez logique, mais n'a rien perdu de son intérêt.

L'histoire nous conduit, trois heures et quart durant, sur les terres bientôt italiennes de la moitié du 19ème siècle. Auprès d'une famille de la noblesse sicilienne, on vit les soubresauts de l'histoire, la fièvre unificatrice de Garibaldi et la remise en cause de la féodalité. Mais…

Il faut que tout change pour que rien ne change. La phrase résume presque parfaitement le film et en semble indissociable. Le guépard est aussi le portrait d'un homme, aristocrate non pas acquis aux idées nouvelles, mais qui a compris que le monde va évoluer et tente de s'y adapter, sans se compromettre. Le prince de Salina pressent qu'après la révolution viendront les hyènes et les chacals. Remplaçants des lions, ils reprendront invariablement la même organisation sociale. Par le biais d'un personnage de neveu tapageur magnifiquement joué par Alain Delon, le film montre bien qu'abattre un monde n’est pas forcément en bâtir un nouveau. Et le regard que porte le "héros" interprété par Burt Lancaster sur la société vieillissante de son époque s'avère finalement plus que désabusé, comme si les hommes ne devaient jamais progresser. C'est user d'un euphémisme que de le dire: plutôt que nostalgique, le long-métrage s'avère en réalité franchement désabusé. Assurément, il l'est en toute magnificence.

Adapté d'un roman de Giuseppe Tomasi di Lampedusa, Le guépard luit réellement de mille feux. C'est presque un opéra: la musique composée par Nino Rota pour le film magnifie une photographie somptueuse. Devant certains plans, j'ai eu l’impression de contempler des tableaux. La découverte de ces costumes et décors flamboyants est une expérience cinéphile en soi. Je ne parle même pas du cadre naturel dans lequel s’inscrit cette histoire ! Lui aussi est d'une grande beauté et, dès les premières images, on se sent embarqué vers la Sicile, aux côtés des personnages – je me réjouis d'avoir pu revoir le film dans une version italienne. Avec tout ça, je n'ai finalement dit que peu de choses des acteurs et rien sur la belle Claudia Cardinale, parfaite dans un rôle de femme fatale, farouchement opportuniste. Elle n'apparaît pas tout de suite, mais brille aussitôt, tête d'affiche d'une distribution italienne moins connue, bien que de premier rang.

Le guépard
Film italien de Luchino Visconti (1963)
La preuve par l'exemple qu'Hollywood n'a pas l'exclusivité des fresques historiques ! Un demi-siècle après sa sortie, le long-métrage conserve un écho actuel à la vanité des hommes. Et s'il connaît peut-être quelques minuscules temps morts, sa beauté formelle fait qu'on les oublie au profit d'un sentiment d'admiration. J'en fais donc l'égal d'autres films de la même époque: pour évoquer également l'histoire en marche, Le docteur Jivago est l'un des meilleurs exemples.

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Vous avez dit incontournable ?
Pascale ("Sur la route du cinéma") évoque le film avec les mots choisis d'une amoureuse du cinéma. Les rédacteurs de "L'œil sur l’écran", eux, n'en livrent qu'un court résumé et l'ont visiblement moins aimé.

mercredi 6 février 2013

Philippe Bourgueil aux commandes

Si Une histoire d'amour m'a fait forte impression, c'est notamment par et pour sa qualité photographique. Le cinéma étant par essence un art du mouvement, il m'a semblé intéressant d'interroger quelqu'un qui aurait directement été placé en face de ces images. Le monteur du film, le Belge Philippe Bourgueil, a accepté ma demande d'interview. Je l'en remercie chaleureusement et lui laisse la parole.

Comment et pourquoi êtes-vous devenu monteur de cinéma ?
J'ai commencé par faire des études artistiques vers l'âge de 15 ans. J'étais plutôt orienté dessin et peinture. À l'école, l'un des professeurs nous emmenait souvent au ciné-club: c'est un peu comme ça que j'ai découvert le cinéma. Auparavant, je connaissais surtout James Bond, la septième compagnie ou les films de Pierre Richard. J'allais les voir avec ma mère. Et soudain, j'ai découvert un autre type de cinéma, qui m'a vraiment passionné. Je me souviens du choc qu'avait provoqué en moi Le mépris, de Jean-Luc Godard, mais je ne suis pas vraiment sûr d'avoir tout compris à ce que je voyais. Je me suis dit alors que c'était par là que se trouvait ma voie.

Et ensuite ?
J'ai fait l'Institut national supérieur des arts du spectacle, à Bruxelles. Je me suis inscrit au concours, à la fois en réalisation et en montage. La première année où j'ai passé l'examen, une vraie cata: on m'a même conseillé de ne pas me représenter, m'affirmant que je n'étais pas fait pour ça. Je ne me suis pas découragé pour autant et j'ai passé l'année à fréquenter la Cinémathèque, à lire des livres sur le cinéma... pour échouer de très peu la deuxième année. Je devais être 14ème ou 15ème alors qu'ils n'en prenaient que douze. On m'a proposé d'entrer en montage. Je ne savais pas trop ce que c'était exactement: à 18 ans, un métier de cinéma, on imagine surtout ça devant ou derrière la caméra. Il n'était pas question que je sois devant ! Le reste des métiers, je ne connaissais pas trop, mais comme beaucoup de réalisateurs disaient que le montage est l'art essentiel du cinéma, j'ai accepté la proposition. Je me disais en fait qu'une fois le pied dedans, je pourrai enfin expliquer que le montage ne me plaisait pas trop et que je voulais faire de la réalisation.

Mais finalement, vous êtes resté monteur...
Oui. Le premier exercice a achevé de me convaincre. De manière assez formidable pour commencer des études de montage, nous avions travaillé sur des rushs de Garde à vue. Le monteur du film, Albert Jurgenson, était notre professeur ! Même si nous travaillions sur du 16mm en noir et blanc, j'ai eu le coup de foudre, un vrai plaisir à faire ce montage. Grâce en outre à une petite expérience acquise du court-métrage, je commençais également à sentir que le travail en équipe était un peu moins mon truc. Le montage me ramenait à la solitude et au plaisir que j'avais à peindre. J'ai donc continué, fini mes études et j'ai saisi les premières opportunités, sans passer par l'étape assistant. Rapidement, un peu trop peut-être puisque j'avais 23 ans, je me suis retrouvé chef-monteur de longs-métrages...

Il ne semble y avoir aucune frustration en vous...
Par rapport à la réalisation ? Pas du tout. Encore moins du fait que, depuis 2-3 ans, quand j'ai un peu de temps, je m'amuse à réaliser de petites choses également. C'est vrai que ça me titillait un peu. Avec 25 ans d'expérience dans le montage comme moi, on est quand même bien placé pour savoir comment réaliser. Jeff Bodart, un de mes amis, décédé depuis, préparait un album et avait besoin de faire un clip. Je me suis lancé et j'ai vite vu que mon expérience de monteur me servait vraiment. Je savais d'emblée s'il fallait une deuxième prise. M'étant un peu préparé à l'avance, j'étais rassuré. Aujourd'hui, je n'ai pas du tout envie d'arrêter mon métier, mais j'ai parfois un peu de temps entre deux longs-métrages. Je trouve alors rigolo de créer de petits programmes comme ça. J'ouvre des portes différentes. Avec un autre ami, Charlie Dupont, on a aussi créé un programme sous forme de petites capsules de 15 secondes, qui s'appelle Qui est là ?

Nous en reparlerons plus tard, si vous voulez bien. Pour rester d'abord sur une question assez générale, diriez-vous qu'il existe une école belge du montage ?

S'il y a une vraie école du montage, elle est pour moi américaine. Les films du haut du panier sont si bien montés que j'ai l'impression que c'est à chaque fois par la même personne. Je ne crois pas qu'il y ait une école en Belgique. Pour ça, il faudrait encore qu'il y ait du style ! Au risque de me faire quelques amis, je n'en perçois pas beaucoup dans les montages que je peux voir.

C'est sévère !
Oui, sans doute. Quand j'étais à l'école, j'ai croisé deux professeurs fondamentaux pour ma formation: Alain Jurgenson dont on parlait tout à l'heure, capable de monter aussi bien les films de Gérard Oury que ceux d'Alain Resnais, et Henri Colpi, qui a travaillé avec Resnais également et eu une Palme d'or comme réalisateur. Je ne veux pas aller trop loin: faire un blind test de monteur, c'est difficile ! Mais ces deux-là avaient une patte, une cohérence dans l'ensemble de leur travail. Je n'en vois pas autant dans le cinéma belge et je n'en vois que peu souvent dans le cinéma français.

Venons-en à Une histoire d'amour, premier film d'Hélène Fillières. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Tout à fait par hasard. Je suis très ami avec Benoît Poelvoorde. C'est le parrain de mon fils. Un jour où j'étais à Paris et que nous avions prévu de nous voir, il devait dîner avec une réalisatrice et m'a proposé de les rejoindre. Il y avait donc Benoît et sa femme, Hélène et son compagnon Mathieu Tarot... on a juste passé une soirée à boire des coups et à rigoler, sans parler de montage. Il y a eu un bon feeling. Hélène n'ayant pas de monteur, elle m'a rappelé, on a mangé ensemble... la manière dont elle a parlé de son film, habitée d'une réelle passion, m'a beaucoup plu. Un premier film, qui plus est sur un tel sujet, c'est un énorme risque, et j'ai eu envie de parier là-dessus. Je me suis dit que, si Hélène parvenait à faire le film dont elle me parlait, ce serait une superbe expérience. Et ça l'a été ! Hélène est quelqu'un de bien. Elle avait une idée précise de ce qu'elle voulait, mais restait à l'écoute. Quand un réalisateur dit qu'il faut faire comme ça et pas autrement, c'est frustrant pour un monteur, mais aussi dommage pour lui: il s'empêche d'avoir un premier avis extérieur. Hélène a rendu la partie créative du travail très agréable. Et puis, je n'avais jamais vu Benoît comme ça ! J'ai plaisir à monter une matière avec des comédiens qui jouent bien ! La figure classique du champ/contrechamp, si elle ne paraît pas la plus passionnante, permet au monteur de devenir le vrai metteur en scène.

Aviez-vous lu le scénario avant d'accepter de monter le film ?
Oui, bien sûr. Surtout sur un premier film, c'est important de savoir un peu où on met les pieds. Il m'est arrivé une fois de ne pas le faire. C'était pour Les convoyeurs attendent. Je n'avais jamais essayé et je voulais savoir ce que ça faisait. Le réalisateur, Benoît Mariage, étant un ami, je n'avais aucun doute sur mon envie de faire le film. Mais autrement, je le fais toujours. Sinon, c'est un peu compliqué: je n'ai pas envie de partir à l'aveugle sur un film. Et il m'est déjà arrivé de refuser un projet après avoir lu le scénario. Il est d'ailleurs fréquent que les réalisateurs demandent un premier avis. Comme les budgets demandent souvent aux réalisateurs ou scénaristes de resserrer les boulons avant le tournage, ils aiment bien avoir l'opinion du monteur, susceptible de repérer quelques moments un peu mous et de dire que telle ou telle scène n'est pas forcément très utile.

Le fait qu'Hélène Fillières fasse ses débuts comme réalisatrice vous a-t-il inspiré une approche un peu différente ?
Non, pas du tout. Je n'ai pas le sentiment qu'il puisse y avoir des approches différentes. Il y a des scènes à mettre en place, pour voir ensuite ce que ça donne, organiser l'histoire... c'est un peu la même méthode de travail à chaque fois, que le réalisateur soit débutant ou confirmé. Peut-être qu'il y a juste un peu plus de tâtonnements quand il s'agit d'un premier film, des choses moins bien prévues, moins clairement imaginées. Cette fois, nous avions une belle matière. Hélène s'était couverte. Nous en avions parlé avant. Elle m'avait posé beaucoup de questions et je lui avais conseillé de se laisser un maximum de portes ouvertes, de ne pas faire que des plans uniques. Les plans séquences, c'est bien, mais l'ennui est qu'on se retrouve vite coincé s'ils ne sont pas bons.

Ce qui veut dire que vous aviez beaucoup de rushs ?
Oui, pas mal, en effet. Maintenant, les tournages en numérique font qu'on est un peu plus souple de ce point de vue. Auparavant, les productions déterminaient souvent une quantité de pellicule vierge disponible avant le tournage et il fallait s'y tenir. Désormais, c'est moins souvent le cas et, en plus, on tourne souvent avec plusieurs caméras. Cela coûte moins: une carte numérique et voilà ! Comme c'était prévisible, on se retrouve avec davantage de matière.

Et vous, semble-t-il, vous préférez donc en avoir beaucoup...
Effectivement ! Plus c'est le cas, plus le champ des possibilités est vaste. Quitte d'ailleurs à ne garder qu'un plan à la fin, il est possible de chercher un peu plus. Le passionnant de ce métier, c'est justement toute cette recherche: comment raconter les choses, ce qui se passe si on met telle prise avec telle autre, toutes ces combinaisons...

À qui rendez-vous des comptes ? Au réalisateur ? À la production ? Aux acteurs, un peu ?
Ah non, sûrement pas aux acteurs ! On en rend d'abord à soi. Je suis le premier spectateur de mon travail. Avant de le montrer au réalisateur, je le regarde encore une fois et procède alors à quelques ajustements. J'en discute ensuite avec le réalisateur, qui peut être agréablement ou désagréablement surpris. On fait alors en sorte d'être bien d'accord sur la vision du film. On voit ensuite avec le producteur. En fin de travail, on peut aussi passer le film en salles, auprès d'amis et de spectateurs qui ne sont pas directement impliqués dans le processus de fabrication. C'est l'occasion d'identifier d'éventuelles faiblesses du récit. Il faut filtrer, ne pas tout prendre pour argent comptant, mais, notamment sur une comédie, c'est bien de savoir comment une salle entre dans le film. Après ça, le film vit sa vie et on découvre alors si les gens vont le voir... ou pas.

Y a-t-il une part personnelle que vous revendiquez, y compris d'ailleurs dans Une histoire d'amour ? Un petit côté Bourgueil ?
Je pense avoir une cohérence dans mon travail, une logique entre les différents films. Je ne coupe pas là où je coupe par hasard. Je recherche la plus grande souplesse possible. Sans vouloir paraître prétentieux, je dois dire que je m'habitue à entendre ce terme: on a souvent dit de moi que je recherchais une certaine élégance.

Ce film porte un regard particulier sur Benoît Poelvoorde. On a l'habitude de le voir s'exposer, mais là, il y va particulièrement !
Tout à fait. J'ai l'impression que de le connaître très bien, à la fois personnellement et comme comédien, rend mon regard un peu plus aiguisé. J'ai donc plutôt tendance à enlever des choses qu'on aurait déjà vues de lui. Notre relation me permet de conserver le meilleur de ce qu'il peut donner. Je crois que le film d'Hélène Fillières en est un peu la preuve. Son niveau de jeu est très haut. Je le dis là encore sans vouloir tirer la couverture à moi, mais le travail fait au montage sur la justesse du jeu des comédiens n'est pas négligeable.

Vous n'aviez pas peur d'aborder ce nouveau visage de votre ami ?
Honnêtement, la première fois que je l'ai vu se faire fouetter, ça m'a fait rire ! En même temps, c'est assez impressionnant, c'est vrai, parce que ce n'est pas faux: les coups de fouet, il les prend vraiment. Blague à part, ces choses-là, je ne les avais jamais vues. Il a encore sorti quelque chose de nouveau et, moi qui le connais pourtant vraiment bien, il m'a scotché !

Et Lætitia Casta, vous la connaissiez déjà ?

Non. Je n'avais jamais monté de film avec elle. Mon avis ? J'ai trouvé qu'il y avait de très belles choses dans son jeu d'actrice, que nous avons d'ailleurs essayé de mettre en avant. La qualité de son travail a été reconnue. Ce qu'il y a dans le film, ce n'est pas moi qui l'ai inventé, c'est bien elle qui l'a fait. Le montage sert à dégager certaines choses à mettre en avant, mais je trouve qu'elle s'en sort plutôt vachement bien. Le niveau entre Benoît et elle est élevé. Avec Richard Bohringer aussi, d'ailleurs. Maintenant, sans dire que c'est la moindre des choses, ce n'est pas non plus très étonnant pour un film réalisé par une comédienne. Hélène Fillières est forcément attentive à ça sur le plateau.

Question de regard féminin ?
Oui, en plus ! C'est une femme, une comédienne... si les comédiens sont si bons dans son film, ce n'est certainement pas un hasard.

D'autres originalités dans le film, de votre avis de monteur ?
C'est difficile à dire: un film n'en est pas un autre. Il y a assurément une ambiance, liée notamment aux décors et à la lumière, au travail somptueux de Christophe Beaucarne. Il y a également la manière dont la caméra circule au milieu de tout ça. J'y vois une écriture, une patte assez particulière. Je n'avais jamais vu ça ailleurs, parce que jamais fait de film d'Hélène Fillières, et pour cause ! J'ignore s'il elle va transporter cette ambiance de film en film ou bien complètement changer pour le prochain, mais tout ça m'a eu l'air assez personnel.

J'ai pour ma part relevé un gros travail autour de la musique. Avec une interpénétration musique/image assez importante...
Je n'ai pas encore entendu le mixage définitif du film, mais je sais qu'Étienne Daho avait été contacté très tôt, avant même le tournage. Ce que je lui ai demandé, c'est de nous envoyer toutes les pistes séparées de ses musiques. On a alors pu faire un travail passionnant autour de la décomposition de ses morceaux. J'ai parfois sélectionné un instrument particulier, j'ai mis une musique à l'envers, j'en ai ralenti une autre... bref, un travail de sculpture, en quelque sorte. C'est assez chouette et inédit pour moi. Il est rare de disposer de ce genre de matière. Cette fois, la musique existait avant le film... c'est un peu l'inverse de ce qui se passe d'habitude, où le compositeur crée quelque chose à partir de l'image.

J'aimerais maintenant évoquer vos oeuvres passées. Vous avez notamment monté les deux derniers films de Jean-Pierre Améris, Les émotifs anonymes et L'homme qui rit. Qu'en retenez-vous ?
Que ça restera parmi mes plus belles expériences de montage ! Jean-Pierre est un mec formidable, un passionné de cinéma avec un vrai point de vue. Et en même temps, il reste à l'écoute. Je me suis senti très à l'aise au moment de lui proposer d'essayer certaines choses. Il était toujours le premier à vouloir y aller, tout en gardant un cap. Le montage, c'était donc un régal du début à la fin, avec la sensation de partager un objectif commun. Sur L'homme qui rit, on voulait éviter tout ce qui pourrait paraître trop littéraire et faire le film le plus court possible. C'est une bonne façon d'attaquer un montage que de se dire que le parcours le plus court entre deux points est souvent la ligne droite. On a voulu faire un film nerveux, ramassé, qui va droit au but. J'ai rarement été autant en symbiose avec quelqu'un dans le travail. C'était passionnant !

Le fait est que les films de Jean-Pierre Améris sont assez courts, en règle générale...
Les deux derniers, oui. Quand on ressert les choses, elles sont souvent meilleures. Avec son sens de la métaphore, Benoît Mariage a une très belle phrase là-dessus: "Le montage, c'est comme une sauce. Moins il y a d'eau, plus il y a de goût". Je trouve que c'est très juste. Quand on retire tout ce qui est inutile et qu'on emboîte tout ça correctement, on arrive à une certaine densité et c'est bien ce qu'on a recherché avec Jean-Pierre, en coupant beaucoup. L'homme qui rit dure une heure vingt, tandis que le premier montage devait approcher les deux heures. Même chose pour Les émotifs anonymes, avec une volonté de se concentrer essentiellement sur l'axe principal du film. Beaucoup de gens sont venus me dire qu'on ne voyait pas le temps passer et que c'était vachement bien comme ça. Sur Podium aussi, on a fait des choses comme ça: le premier montage devait durer deux heures et quart. Il reste une heure trente. Et on ne peut pas enlever trois quarts d'heure sans retirer des pans entiers du film. Si j'avais montré le montage du premier jour de notre travail à Yann Moix, je crois bien que j'aurais été viré. J'ai toujours dit ça en rigolant, mais je crois que c'est vrai. On est arrivé au résultat final après 4-5 mois de travail, en discutant, en constatant des choses... 

Les émotifs anonymes et L'homme qui rit sont vraiment deux films très différents. C'est aussi facile de couper dans les deux cas ?
Pour L'homme qui rit, on a conservé la construction originelle. Je crois qu'on n'a coupé que trois scènes, mais c'est plutôt à l'intérieur qu'on l'a fait - certaines sont même du coup deux fois plus courtes qu'à l'origine. Sur Les émotifs anonymes, le travail est un peu différent: il s'est agi d'une reconstruction, en changeant la structure. L'histoire reste la même, mais le début est par exemple très différent de ce qu'il était au scénario. Il y a eu beaucoup plus d'aménagements que pour L'homme qui rit, qui est, par la force des choses, un film très linéaire. Je vois assez mal comment ne pas démarrer sur l'enfance de Gwynplaine, sa rencontre avec Ursus... et puis là, il y a quand même un auteur ! Et un auteur qui n'est pas n'importe qui...

J'en reviens maintenant à Qui est là ?, série de courts-métrages que vous avez réalisés...
Tout part d'une époque où j'allais travailler à Paris. Je m'arrangeais pour prendre le train en même temps que Charlie Dupont. Nous avions l'intention de faire quelque chose ensemble, sans vraiment savoir quoi. Il m'a alors montré de petites choses faites avec des potes et je me suis dit que ça serait bien d'en faire de petites capsules. Assez naturellement, nous en sommes venus à la conclusion logique: en-dessous de quinze secondes, l'extrait des chansons choisies n'était pas reconnaissable, et au-dessus, ce n'était plus drôle. Une fois défini ce format, on s'est dit que ce serait comme ça et pas autrement.

Et ça vous a aidé ensuite pour votre travail de monteur ?
C'est surtout là que mon expérience de monteur m'a servi pour me concentrer sur l'essentiel. Ensuite, quand on a tourné, on a vu arriver quelques personnes, Benoît Poelvoorde encore... ou encore Justine Hénin qui est très amie avec ma femme, par exemple. Elles ont permis d'attirer l'attention et ça a vite buzzé. Ma femme ayant été chroniqueuse pour Les enfants de la télé, on a pu présenter notre travail à Arthur, lequel a bien voulu le coproduire et le diffuser dans Vendredi, tout est permis. Et c'est comme ça qu'on a fait une soixantaine de capsules, dont une partie est disponible sur Youtube. On en est désormais à plus d'un million de visualisations. Je n'en reviens pas ! Au départ, avec 10.000, j'aurais été content. Quand j'ai vu 30.000 la première fois, je me suis déconnecté: je croyais que le compteur déconnait ! C'était une plaisanterie pour rigoler avec des potes et, déjà, en ce sens, ça a marché. Je n'aurais pas imaginé atteindre un tel score. Pas une demi-seconde ! Justine nous a sans doute un peu servi de locomotive: les gens ne l'avaient jamais vue comme ça, alors que Benoît Poelvoorde, ils ont pris l'habitude de le voir faire le crétin. Pour moi, ça a aussi confirmé le plaisir à préparer un projet, à le planifier, à le tourner... plaisir différent du montage. C'est vraiment agréable de porter quelque chose du début à la fin.

Vous parlez de projets. Quels sont les vôtres à court terme ?
Actuellement, je suis déjà en train de monter le Angélique marquise des anges d'Ariel Zeitoun. Après ça, je ferai Akwaba, nouveau film de Benoît Mariage, de nouveau avec Benoît Poelvoorde. Le tournage a commencé il y a quelques jours. Par ailleurs, ma femme et moi attendons un deuxième enfant... je ferai donc une petite pause. Après, il y a d'autres choses, mais c'est un peu tôt pour en parler.

Réaliser un long-métrage, un jour, ça vous paraît encore jouable ?
Je ne sais pas. À l'heure actuelle, comme je le disais tout à l'heure, je n'ai pas envie d'arrêter mon métier pendant 2-3 ans, le temps nécessaire pour faire un long-métrage. Ce n'est pas impossible, disons, mais pas non plus complètement calé. Je sais juste que ma femme a commencé à écrire des choses. J'ignore si je travaillerais avec elle comme monteur, si on travaillerait ensemble...

Les monteurs sont des travailleurs de l'ombre. Un compliment vous toucherait-il particulièrement sur votre travail ?
Il y en a plein ! Les compliments, ça fait toujours plaisir ! Ce qui me touche, c'est quand les gens perçoivent ce qui me paraît essentiel dans un montage: de l'élégance et de la fluidité. Quand on vient ensuite m'en parler, je crois bien que c'est ce qui me touche le plus.

Et la reconnaissance de vos pairs ?
Je ne vais pas dire que c'est acquis... ou en plaisantant. Le regard de ma femme compte et je sais qu'elle regarde attentivement les films que je fais. Même si ce n'est pas son métier. Elle ne va pas forcément faire attention au montage spécifiquement, mais au film au sens large, et me dire avec le plus de sincérité possible ce qu'elle en pense. Il n'y a pas besoin de beaucoup la pousser pour ça. Ce qui m'importe aussi, c'est l'avis de mes amis les plus proches et notamment de quelqu'un dont on a déjà beaucoup parlé. J'ai beaucoup de respect pour son goût pour le cinéma. Quand il aime bien un film que j'ai monté ou me complimente, ça me fait effectivement très plaisir.

Une question sur le cinéma belge et sa cohabitation avec le cinéma français. Comment voyez-vous cette "entente cordiale" ?
Avec beaucoup de bonheur ! Je suis un peu comme ces personnages de westerns, dans une zone frontalière. Je ne suis plus vraiment belge pour les Belges et pas encore français pour les Français. En Belgique, on ne m'appelle plus vraiment. On se dit que je suis loin. Honnêtement, ça me désole même un peu d'avoir été si peu appelé ces dernières années par des cinéastes belges. Côté français, c'est plutôt une qualité d'être belge depuis les années 90. Avant, il ne fallait pas trop le dire, avec les blagues de Coluche notamment. Finalement, l'image du cinéma belge a beaucoup changé en France, avec Jaco van Dormael ou les frères Dardenne entre autres. Être belge, aujourd'hui, c'est plutôt un signe de qualité, oui, ou même de bon décalage. Les Français nous aiment bien, nous trouvent sympa. En Belgique, il n'y a pas cette hiérarchie qui existe dans la profession française. On dit les choses comme elles sont, on est tous potes... Benoît Poelvoorde en parle très bien dans une petite vidéo sur Youtube, où il explique les différences entre le cinéma belge et le cinéma français à partir de l'anecdote d'une voiture dans le champ de la caméra. Bref, ma zone frontalière me plaît bien... j'aime beaucoup ce mélange entre la Belgique et la France. Je ne voudrais pas vivre toute l'année à Paris, mais pas à Namur non plus. J'apprécie au maximum cette chance que j'ai de pouvoir travailler des deux côtés.

Sur le plan linguistique, en France, on diffuse très peu de cinéma flamand. On y a vu l'an passé Bullhead de Michael R. Roskam, mais c'est à peu près tout. Et vous ? Vous avez déjà pu travailler avec des cinéastes flamands ?
Pas du tout. La frontière, c'est plutôt là qu'elle se trouve ! Le cinéma flamand est beaucoup plus tourné vers le marché hollandais. Bullhead est sans doute sorti en France grâce au retentissement international qu'il a pu avoir. C'est effectivement très rare. Il n'y a qu'assez peu de films néerlandais à sortir en Wallonie. Pareil pour les films wallons en Flandre. La langue est quand même une barrière. Par ailleurs, les Flamands n'ont pas besoin de venir chercher des monteurs wallons: ils en ont chez eux ! Pour toutes ces raisons-là, je ne pourrais pas monter un film avec une équipe néerlandaise. Je ne maîtrise pas assez bien la langue. Ce serait trop compliqué. Notre culture wallonne est quand même latine et elle nous pousse plus vers le Sud que vers le Nord. Leur culture propre étant par ailleurs plutôt réduite, les Néerlandophones de Belgique parlent anglais, s'ouvrent naturellement vers les pays anglo-saxons ou l'Allemagne. Il y a là une vraie scission. 

Pour finir sur une boutade, et en guise de petit clin d'oeil cinéphile à ce film, Cowboy, de Benoît Mariage, je voulais vous demander s'il vous était arrivé de faire un plan de coupe avec une mouette...
Une ponctuation de plan, vous voulez dire ? Non, jamais, je crois.