lundi 30 mars 2015

Un mur, des hommes

Vous le savez (ou pas): j'aime prendre des gifles cinématographiques. J'apprécie que le cinéma me secoue par ce qu'il montre et/ou raconte. C'est sans doute d'abord dans une recherche de sensations nouvelles que je tâche de repousser toujours un peu plus loin mes frontières. Dernièrement, c'est ainsi que j'ai vu Omar, un film passé au Festival de Cannes 2013, sélection Un certain regard, originaire de Palestine.

De la Croisette, le film est même reparti avec un Prix du jury. J'ai vu des oeuvres plus puissantes, mais celle d'aujourd'hui est assez forte pour m'avoir attrapé très vite et tenu en haleine sur toute la durée. Ce qu'elle raconte ? Le quotidien de trois jeunes Cisjordaniens, amis d'enfance, révoltés du comportement d'Israël à l'égard du peuple palestinien. Pas question ici pour moi de prendre parti: je signale simplement qu'Omar montre notamment le haut mur qui a été édifié par les Israéliens pour séparer physiquement les territoires. L'intelligence du long-métrage consiste justement à ne pas tomber dans un manichéisme ordinaire. Ainsi, les trois personnages centraux des toutes premières scènes - et notamment celui qui donne son nom au film - ne sont pas des anges: une nuit, bien cachés, ils abattent froidement un garde-frontière. Ce geste est montré comme un acte purement gratuit, voire une décision irréfléchie. Rien d'héroïque...

Il n'y a ni bon, ni méchant, dans Omar. Juste une situation de guerre civile qui ne dit pas son nom, parce que les camps qu'elle oppose radicalement se croient systématiquement dans leur bon droit. L'idée que les choses puissent s'arranger, le scénario ne l'aborde jamais. C'est même tout le contraire: les personnages sont pris dans un étau destiné à les broyer tous. À défaut d'un climat de suspense, le film fait donc naître une véritable tension... et bien des réflexions. Personnellement, je me suis senti incapable de me détacher complètement de ce que j'imagine être la réalité du Proche-Orient. D'où cette gifle dont je parlais au début: je me suis dit une fois encore combien j'avais de la chance d'être né en France et d'y vivre aujourd'hui. Après avoir "digéré" mes émotions, j'ai pensé que j'avais aussi de la chance d'avoir pu découvrir un tel film. J'aime ce cinéma qui éclaire la marche du monde sans négliger la dimension artistique. J'en redemande ! Et si je suis heureux de pouvoir voir autre chose que de telles fictions, j'estime qu'elles participent de mon éducation.

Omar
Film palestinien de Hany Abu-Assad (2013)

Je l'ai dit, je le répète: j'ai vu des films plus marquants encore. J'aimerais insister sur le fait qu'il existe aussi des réalisateurs israéliens qui n'hésitent pas à présenter les facettes les plus sombres de leur pays, à l'image de Nadav Lapid dans Le policier. Je change désormais d'horizon pour vous dire qu'en termes de réconciliation impossible, j'avais été très marqué par Le repenti, un film algérien.

dimanche 29 mars 2015

Passé recomposé

Un autre choix rédactionnel m'a fait manquer la date-anniversaire d'un événement décisif: il y a aujourd'hui 120 ans... et une semaine précisément, les frères Auguste et Louis Lumière choisissaient Paris pour présenter aux éminents membres de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale un petit film d'une minute, le tout premier de la belle histoire du cinématographe: La sortie de l'usine Lumière.

Il y aurait mille et une anecdotes à évoquer sur l'incroyable invention des frangins, lesquels ont dû s'associer à des artistes magiciens comme Georges Méliès pour révéler son incroyable potentiel créatif. J'y reviendrai (peut-être) un jour. D'ici là, je voulais aussi partager avec vous ce que j'ai appris il y a une semaine: 200 des 1.500 films tournés par les deux pionniers devraient être restaurés. Le projet lancé par l'institut Lumière, à Lyon, s'élève à 400.000 euros, financés à 80% par le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC). Aucune date ne semble avoir filtré, mais une fois achevé, le travail devrait permettre de voir ces films au cinéma et/ou sur support DVD.

Autre actualité du septième art retrouvé: la restauration d'une pièce majeure du très vieux cinéma français, le Napoléon d'Abel Gance. Débutée en janvier, l'opération associe le CNC et la Cinémathèque française à l'ayant-droit du film: un certain Francis Ford Coppola ! Quelque 1,5 million d'euros devraient lui être consacrés. La version reconstituée durerait alors six heures et 25 minutes -  le film originel, sorti en 1927, atteignait les neuf heures 30, jusqu'à ce que des pans entiers en soient perdus lors de montages successifs. Le travail mené actuellement devrait prendre encore deux ans, après déjà six années de préparatifs et plusieurs autres campagnes depuis les années 50. Aujourd'hui, si le film est ainsi choyé, c'est aussi parce qu'il existerait une vingtaine de versions. Je suis assez curieux de ce qui va suivre...

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Bon.... et vous alors, ami(e)s cinéphiles ?

Vous êtes intéressés ? Vous avez d'autres histoires à raconter ?

vendredi 27 mars 2015

Le père ou la fille

Je vais revenir aujourd'hui vers des rivages pour moi plus classiques avec un western "à l'ancienne", signé Marlon Brando. Il faut signaler tout de suite que La vengeance aux deux visages est le seul film jamais tourné par l'acteur. Certains disent qu'il est le western préféré de Martin Scorsese et qu'il aurait dû être réalisé par Stanley Kubrick. Les voies de la production cinéma sont parfois bien impénétrables...

Le sujet du long-métrage, lui, est classique en diable. Trois cowboys font équipe pour braquer une banque et s'emparent d'un butin conséquent. Alors qu'ils font la fête après leur coup réussi, ils sont rattrapés par la loi: l'un d'eux est abattu, les deux autres s'enfuient. Finalement, après une longue chevauchée, Rio (alias Marlon Brando) est laissé seul au sommet d'une montagne par son complice, supposé ramener des armes et des montures fraîches. Vous aurez déjà deviné que Dad Longworth ne reviendra jamais. La suite des événements reprend les codes habituels du western: la trahison ne paye jamais. Parce que son héros est un bandit, La vengeance aux deux visages demeure digne d’intérêt. Il n'est pas question de le rendre plus beau ou plus noble qu'il ne l'est en réalité. Et on s'attache quand même...

Malgré quelques longueurs, le film offre assez de rebondissements pour être intéressant jusqu'au bout. Bon... il faut accepter aussi l'invraisemblable romance qui se noue entre Rio et Louisa, la fille adoptive de de son ennemi. Précision: aussi irréelle qu'elle puisse paraître, cette sous-histoire est décisive pour le déroulé de l'intrigue. Marlon Brando est d'ailleurs très bon dans ce registre de héros tiraillé entre des sentiments contraires: il est finalement des plus logiques qu'il hésite longuement sur ce qu'il convient de faire de sa vie nouvelle. En face, la Mexicaine Pina Pellicer, une atrice rare, n'est pas une adolescente crédible, mais joue malgré tout son rôle avec talent. Karl Malden est un bon méchant et j'ai eu plaisir à revoir Katy Jurado. La vengeance aux deux visages se distingue également de la masse d'un point de vue formel. La longueur de ses rushs a rendu le montage difficile, mais la très grande beauté de ses décors naturels a survécu.

La vengeance aux deux visages
Film américain de Marlon Brando (1961)

On trouvera sans grande difficulté d'autres westerns bien meilleurs. Reste que l'ambivalence du héros le rend intéressant et que la route d'une possible rédemption est plus périlleuse qu'il n'y paraît. Le fait que l'action se déroule pour partie au Mexique rappelle le côté décalé de Marlon Brando à Hollywood. Un peu de cette spécificité perdure dans L'homme des hautes plaines ou Josey Wales (Clint Eastwood).

mercredi 25 mars 2015

Japonaise (ou pas)

Tiens ! L'enchaînement de mes choix cinéma va me conduire aujourd'hui à vous parler d'un autre film dont le personnage principal est une jeune femme. Ce n'est pas son seul point commun avec celui que j'ai présenté avant-hier: Tokyo fiancée est lui aussi l'adaptation d'un roman, Ni d'Eve ni d'Adam, seizième opus d'Amélie Nothomb. Publié chez Albin Michel, il a reçu le Prix de Flore en novembre 2007.

Le récit est né d'une inspiration très largement autobiographique. Amélie Nothomb a participé à la promotion du film en affirmant d'emblée qu'à ses yeux, il est même encore plus réussi que son livre. Comme son titre l'indique, Tokyo fiancée se déroule donc au Japon. L'histoire est celle... d'Amélie, une Belge âgée d'une vingtaine d'années, de retour dans l'archipel après y être née et y avoir vécu pendant sa petite enfance. La miss laisse à l'écart ses origines familiales européennes: elle compte devenir une véritable Japonaise. Pour s'intégrer et tout en cherchant à écrire un livre, elle entend donner des cours de langue française à qui voudra bien en recevoir. C'est ainsi qu'elle fait la connaissance de Rinri, un garçon de son âge. Et ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants ? Pas vraiment. Ces deux-là ne savent pas trop ce qu'ils veulent. Le scénario illustre alors leurs atermoiements, au-delà même des divergences culturelles.

À mesure que l'intrigue avance, le ton du film se fait plus sombre. Après avoir vu la bande-annonce, j'avais imaginé tout autre chose. Loin d'être déplaisant tel qu'il se présente, le long-métrage dépasse largement le cadre de la petite comédie dans lequel j'avais pensé l'insérer. Quelque chose ici va même plus loin que la nostalgie ordinaire d'une jeunesse qui s'efface, le constat de toute la difficulté qu'on peut avoir à devenir soi étant finalement un brin "réfrigérant". Tokyo fiancée joue bel et bien sur toute une gamme d'impressions fugaces et de sentiments contrastés. J'ai envie de vous dire que c'est justement ce qui fait la richesse de son propos, même s'il déplaira sûrement à certains du fait de cette ambivalence. Je veux saluer également l’interprétation de Pauline Étienne: la jolie demoiselle crève l'écran, tour à tour mutine, coquine et fragile. Son partenaire masculin, Taichi Inoue, est assez inspiré, lui aussi: on en oublierait presque... qu'il ne maîtrise au fond que quelques mots de français ! J'ai pris plaisir au joli voyage dans lequel ces deux-là m'ont embarqué.

Tokyo fiancée
Film franco-belge de Stefan Liberski (2014)

Les fanas de lecture savent déjà qu'Amélie Nothomb parle également du Japon dans Stupeur et tremblements: cet autre roman est sorti courant 1999 et évoque ses diverses (més)aventures de salariée. Alain Corneau l'a adapté au cinéma en mars 2003, avec Sylvie Testud dans le rôle principal. Mais, pour trouver un film comparable à celui d'aujourd'hui, cherchez entre Amélie Poulain et Lost in translation...

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Pour être complet, un mot de l'auteure elle-même...
Je cite donc: "Stupeur et tremblements pouvait donner l'impression qu'au Japon, à l'âge adulte, j'ai simplement été la plus désastreuse des employées. Ni d'Eve ni d'Adam révélera qu'à la même époque, dans le même lieu, j'ai été la fiancée d'un Tokyoïte très singulier". Pour en savoir plus, c'est à vous de lire le livre et/ou de voir le film.

Vous êtes encore là ? Vous hésitez encore ?
Je vous propose donc d'aller lire l'avis de Tinalakiller.

lundi 23 mars 2015

Libérée ?

Vous voudrez bien m'excuser: il y a quinze jours, je suis resté muet sur la Journée de la femme. Quelques soirs plus tôt, j'avais regardé un film qui irait bien avec ce sujet important: Portrait de femme. Nicole Kidman, 29 ans, y est filmée par Jane Campion, 42 printemps. Le long-métrage adapte un roman de l'écrivain anglais Henry James. Pour sa sortie, en 1881, l'auteur n'était pas encore devenu américain.

Harold Bloom, un critique littéraire et professeur réputé, présente cette histoire comme une autobiographie cachée. Sa jeune héroïne s'appelle Isabel Archer: elle est américaine également, mais demeure chez sa tante, dans un manoir anglais, vers la fin du 19ème siècle. Plusieurs hommes lui font une cour assidue, parmi lesquels on peut citer Ralph Touchett, son cousin, ou Caspar Goodwood, un Bostonien entreprenant. Isabel est touchée, n'en montre rien et préfère la vie loin des obligations du mariage. Elle hérite alors de la fortune considérable de son vieil oncle et rencontre Gilbert Osmond, un veuf aussi déterminé à la séduire qu'elle l'est à lui résister, collectionneur d'art avisé et propriétaire d'une somptueuse villa florentine. Isabel sent petit à petit sa volonté vaciller, d'autant plus vite qu'une amie légèrement plus âgée, Mme Merle, côtoie elle aussi ce cher Osmond. Portrait de femme aurait pu s'écrire au pluriel. Et tout va changer...

Le film date d'une époque où Nicole Kidman était l'une de mes actrices préférées. Si je trouve qu'elle s'est un peu égarée, elle me paraît excellente dans ce registre. Elle porte vraiment à merveille les robes des époques révolues et son talent d'interprétation nous attache presque viscéralement à un personnage plus complexe qu'il n'y paraît de prime abord. Sans réelle surprise compte tenu de ses origines littéraires, Portrait de femme est vraiment un film très (bien) écrit. Pour chipoter un peu, je pourrais aussi relever quelques maladresses stylistiques dans cette relecture cinéma, telles que notamment l'usage ponctuel de ralentis disgracieux ou d'une musique trop larmoyante. Heureusement, ce ne sont que de petits bémols à une partition aboutie et probablement respectueuse du matériau de départ. J'ajoute que la distribution est très bonne, avec John Malkovich impeccable, ou Viggo Mortensen et Christian Bale en protagonistes secondaires. Je dois conclure avec les autres rôles féminins, sublimés entre autres par Barbara Hershey, Shelley Duvall et Valentina Cervi.

Portrait de femme
Film américano-britannique de Jane Campion (1996)

Les connaisseurs auront noté que ce long-métrage correspond également au premier film européen de Jane Campion, trois ans après le triomphe cannois de La leçon de piano. Je confesse volontiers une préférence pour cette autre création de la réalisatrice néo-zélandaise. Idem pour son dernier film, Bright star (2009). Gageons donc que Lady Jane n'a pas encore fini de nous émerveiller...

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Sur la grande toile, vous pourrez lire aussi...
Deux avis féminins: celui de Chonchon et/ou celui de Sentinelle.

dimanche 22 mars 2015

Le bon moment

C'est l'occasion idéale pour profiter du grand écran: si vous voulez vous offrir une sortie cinéma, je vous recommande de ne pas hésiter aujourd'hui, demain ou mardi, puisque ce plaisir ne vous reviendra qu'à 3,5 euros par ticket... à l'occasion de l'édition 2015 du Printemps du cinéma. 2,6 millions de spectateurs en avaient profité l'an passé.

Nous sommes chanceux: 1.650 des 36.681 communes françaises seraient équipées d'au moins une salle, pour 2.025 établissements répartis sur tout le territoire et 5.587 salles en tout. La France dispose du tout premier parc en Europe et du quatrième au monde derrière la Chine, les États-Unis et l'Inde. Notre Fédération nationale des Cinémas français rappelle que voir un film au cinéma, c'est aussi l'apprécier dans les conditions pour lequel il a été créé. Elle souligne que l'année 2014 aura été pour elle un bon cru, avec 208 millions d'entrées enregistrées (soit 7,7% de plus que le millésime précédent). Pour promouvoir l'événement de ces trois jours, elle a fait campagne autour des acteurs de Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ?, le carton du dernier box-office. À vous de choisir ce qu'il vous plaira de voir...

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9h30... au réveil, j'ajoute une question...

Vous auriez également des suggestions de film(s) à me/nous faire ?

samedi 21 mars 2015

Chapeaux ronds

J'associe volontiers Claude Chabrol à un cinéma bourgeois, empesé. C'est d'autant plus injuste que je ne n'ai vu qu'une toute petite partie de ses films. Dernièrement, c'est ma mère qui a souhaité découvrir Le cheval d'orgueil, tiré du roman éponyme de Pierre-Jakez Hélias. Une agréable surprise qui vient blackbouler mes préjugés. L'histoire de ce beau film rare se déroule dans la Bretagne rurale d'avant 1914.

Le récit s'appuie sur un narrateur, qui est en fait l'auteur lui-même. Chronique des temps passés, il est dédié au pays bigouden, une zone bretonne située au sud-ouest du Finistère. Les conditions de vie d'alors sont plus que modestes et les gens très souvent miséreux. Restent quelques trop rares occasions de faire la fête, mariages populaires aux cérémonies interminables (trois jours !) et naissances. Cette fiction très réelle a des allures de documentaire. La caméra s'arrête peut-être à la porte des lits clos, mais c'est tout un peuple qu'elle filme sans relâche. Le cheval d'orgueil est une oeuvre digne et visiblement amoureuse de la Bretagne. Elle nous parle d'heures oubliées, que les commémorations de la Première guerre mondiale pourraient bien réveiller. C'est la France d'il y a cent ans, en réalité...

D'aucuns reprocheront à Claude Chabrol de verser dans le folklorique suranné aux relents populistes. Pas moi: le film a su me toucher. Évidemment, le fait que j'ai des origines bretonnes du côté paternel aura joué pour mon appréciation du long-métrage. Il n'est un secret pour personne que j'aime aussi tout particulièrement les productions costumées. Le cheval d'orgueil répond à ce qu'on peut en attendre quant à la qualité de la reconstitution. Vous y trouverez également une troupe d'acteurs impliqués, à l'image du jeune François Cluzet notamment, ou encore du regretté Jacques Dufilho. On remarquera aussi la présence de Michel Blanc, pour une évocation des légendes bretonnes liées à la figure de la mort, l'Ankou. Mais pas de pleurs ! Dans les heures difficiles, il reste à vivre bien des moments joyeux.

Le cheval d'orgueil
Film français de Claude Chabrol (1980)

Je me suis volontairement tu sur le sens du titre, qu'un bonhomme perché sur les épaules de son grand-père vous expliquera bien mieux que moi et dès les premières minutes du long-métrage. Les costumes et décors de ce beau film pourraient m'avoir rappelé ceux de Tess. Ceux d'entre vous qui chercheraient une oeuvre cinématographique plus axée sur la guerre de 1914 verront plutôt La vie et rien d'autre.

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10h45... un petit complément...
Le film a été tourné en français, mais il existe en langue bretonne ! Sous le titre Marc'h al lorc'h, il a été doublé par les professionnels d'une association, Dizale, dont le siège est à Lorient. Il est possible d'avoir accès à cette version par l'intermédiaire d'une commande VOD.

jeudi 19 mars 2015

L'effet aquatique

Je vais redire ce jour mon bonheur de vivre en France et de pouvoir profiter d'une cinématographie nationale d'une très grande diversité. Vincent n'a pas d'écailles est le tout premier long d'un réalisateur dont j'ignorais tout il y a encore trois semaines. Je m'y suis plongé avec intérêt et envie sans en connaître davantage. Le long-métrage est présenté comme un film de super-héros à la française. Amusant...

Le personnage - joué par le réalisateur lui-même - est un garçon ordinaire, qu'un job entraîne dans le Sud de la France, au coeur même d'une région ensoleillée et parcourue de points d'eau, lacs et rivières. Ce cadre enchanteur révèle notre ami à lui-même: un simple contact avec l'élément aquatique décuple ses forces. Vincent nage donc comme un dauphin et, aussitôt qu'il est mouillé, déploie une énergie considérable. Ce phénomène 100% irrationnel n'est jamais expliqué dans le film. Vincent n'a pas d'écailles, c'est dit ! On constatera simplement qu'en dehors de cette caractéristique, notre (super-)héros est particulièrement timide et pas pressé pour répondre aux avances de Lucie, une jolie promeneuse rencontrée par hasard. Je vous laisse découvrir ce qu'il adviendra de cette rencontre somme toute banale...

Banal, Vincent n'a pas d'écailles ne l'est pas vraiment. C'est un film minuscule, mais pas inintéressant. Minuscule, parce que le scénario tient sûrement en quelques mots et les dialogues en peu de pages. Pas inintéressant, cela dit, parce que cette simplicité formelle reste au service d'une oeuvre atypique et plutôt attachante, en réalité. Tournées le plus souvent en pleine nature, les images d'une région restée largement à l'état sauvage sont belles et autorisent à croire cette drôle d'histoire possible, avec un peu d'imagination. Il y a là quelque chose qui conseille à respecter, voire à aimer, ce qui est différent en l'autre - et c'est, je trouve, un très joli message. D'aucuns pointeront aussi une dimension sociale, le personnage principal semblant au départ un peu "paumé": le cinéaste indique toutefois avoir souhaité ne pas lui donner une place trop importante. Ses références sont Buster Keaton, Charles Chaplin et Nanni Moretti.

Vincent n'a pas d'écailles
Film français de Thomas Salvador (2015)

Ce ne sera pas forcément ma révélation de l'année, mais j'aime franchement ce genre de petits films fabriqués à partir d'une idée originale et trois bouts de ficelle. Sachant que c'est aussi une histoire de jeunes, on peut penser à Mobile home ou à Les combattants. Chacun reste de libre d'inventer une suite à cette tranche de vie. L'histoire ne dit pas si ce drôle de personnage reviendra au cinéma...

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Une précision...

Le titre de ma chronique se veut un hommage à Sólveig Anspach. J'attends impatiemment la sortie du prochain film de la réalisatrice franco-islandaise, qui devrait avoir ce nom. Il est en post-production.

Et pour finir, un petit mot particulier...

Merci à Pascale, qui m'a fait gagner deux places de ciné pour le film ! Elle l'a vu aussi et semble-t-il apprécié: cf. "Sur la route du cinéma".

mardi 17 mars 2015

Le soldat

Fidèle à mes habitudes, je me suis dépêché d'aller découvrir en salles le nouveau film de Clint Eastwood: il est temps à présent de vous dire ce que j'ai pensé de cet American sniper, carton 2014 du box-office américain qui devrait terminer sa carrière chez nous, en France, autour des 2,5 millions d'entrées - de quoi peut-être s'offrir une place dans le top 20 de 2015. Oui, le vétéran américain vise encore juste !

Je vais le dire tout de go pour ne pas perdre de temps: j'ai bien aimé American sniper. Comme un bon vin, je suis aussi curieux de voir comment il vieillira. Aujourd'hui, en dépit de son indiscutable succès public, le film réveille cette bonne vieille polémique qui entoure régulièrement les oeuvres du réalisateur Clint Eastwood: est-ce là simplement le fruit du travail d'un patriote sincère ou bien l'oeuvre ambigüe d'un vieux cowboy limite réac ? Évidemment, en choisissant d'évoquer l'histoire (vraie) d'un dénommé Chris Kyle, tireur d'élite américain engagé quatre fois dans des opérations militaires sur le sol irakien, notre ami amerloque flatte la bannière étoilée. Vraiment ? Personnellement, je ne crois pas que ce soit son but. Ici, si la guerre peut paraître "justifiable", la bataille est de fait promise... à l'échec.

C'est toute l'ambivalence d'un Chris Kyle qui se dessine ainsi à mesure que le prétendu héros gagne en popularité. Son sang-froid manifesté au combat et l'efficacité clinique de ses tirs à très longue distance font vite de lui une légende pour ses camarades soldats. Cet homme élevé à la dure est presque une caricature en treillis, mais il s'avère finalement plus complexe que ce qu'on peut imaginer de prime abord. American sniper suit pour moi le même chemin: il se place du côté américain dans son exposé de faits de guerre, mais il le fait souvent à hauteur d'homme, sans discours populiste sur la nation américaine en danger. C'est le personnage lui-même qui, face aux images télévisées du 11 septembre, pense devoir tout quitter pour s'engager dans l'armée. Rien n'est dit pour établir que c'est le meilleur chemin.

Il est certain que le film élude tout à fait la question de la légitimité de l'intervention américaine en Irak et de ses conséquences passées, présentes et à venir. Clint Eastwood n'a visiblement pas fait ce film pour interroger la pertinence de la politique étrangère de l'oncle Sam. American sniper montre bien davantage comment le combat transforme un homme et peut le vider de sa substance, le rendant incapable de communiquer ses émotions à ceux qui n'ont pas connu les mêmes circonstances. Sur ces aspects, la rude réalité historique est respectée, depuis les états d'âme de Chris Kyle au moment d'abattre des civils jusqu'à l'admiration que lui a vouée le peuple américain. Impeccable tout au long du métrage, Bradley Cooper illustre habilement les deux facettes d'un soldat en fait très ordinaire.

Je dois vous avouer que je demeure assez surpris que le film rencontre un tel succès aux États-Unis. L'une de ses qualités premières serait pour moi qu'il montre la guerre de manière crue. Sans trop vouloir en dévoiler, je veux citer une scène de bataille débutée sur les toits d'une ville, à l'approche d'une tempête de sable. Le combattant est à la fois félicité pour avoir rempli une mission capitale et morigéné pour avoir mis ses camarades en danger. Quelques plans haletants suffisent à tout dire de l'absurde paradoxe du fait guerrier. Je perçois mal comment ne voir en American sniper qu'un outil propagandiste des "méchants" Américains: il a renforcé mon idée qu'ils ont commis une grave erreur - et sans doute une faute politique - dans ce chaos irakien. Nous n'avons pas fini de la payer...

American sniper
Film américain de Clint Eastwood (2014)

Un point important: le véritable triomphe du film dans son pays d'origine est d'abord un succès public, puisque l'Académie des Oscars n'a offert au long-métrage qu'une récompense, pour son montage son. En matière de films de guerre eastwoodiens, je crois utile de rappeler l'existence de Lettres d'Iwo Jima, en japonais. American sniper évalué de l'autre camp ou chez les civils, ça aurait eu de la gueule...

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Et maintenant, vous pouvez retrouver...

- 2flics sur "Callciné",
- Princécranoir sur "Ma bulle",
- Dasola sur "Le blog de Dasola",
- David sur "L'impossible blog ciné",
- Pascale de "Sur la route du cinéma".

lundi 16 mars 2015

Une situation délicate

J'aurais très certainement pu parler de Cuisine et dépendances comme de l'une de mes découvertes de ce début d'année. Il se trouve pourtant que je l'avais déjà vu, il y a... fort longtemps. Sa diffusion sur une chaîne que je ne regarde jamais habituellement (Chérie 25) m'a donné envie de l'enregistrer pour juger de son vieillissement. Conclusion personnelle: sans être folichon, le film reste sympatoche.

Cuisine et dépendances, c'est l'adaptation d'une pièce de théâtre éponyme, oeuvre du couple Agnès Jaoui / Jean-Pierre Bacri. L'argument est assez simple: Français ordinaires, Martine et Jacques invitent à dîner de prétendus vieux amis qu'ils n'avaient plus vus depuis des lustres. D'autres convives sont de la partie: Fred, le frère de Martine, joueur de poker invétéré, et Georges, un ami de Jacques qu'une déconvenue professionnelle oblige à squatter le salon. Ambiance bizarre dès le début, surtout que les hôtes d'un soir se font attendre. Vous l'aurez sûrement compris: c'est à huis-clos que le film développe son histoire. Les seuls changements de décor surviennent quand les personnages passent d'une pièce à l'autre. Et il y a même deux protagonistes cachés ! Mais chut, je vous laisse voir (ou pas)...

Un tel spectacle s'appuie évidemment beaucoup sur les dialogues. Soyez rassurés: en l'occurrence, ils sont à la hauteur de ce qu'on peut attendre d'eux. Comédie quelque peu grinçante, le long-métrage paraît étrangement réaliste. Que celui ou celle qui n'a jamais connu une soirée ratée jette la première pierre aux scénaristes associés ! Quand le vernis des conventions se craquelle soudain, nous sommes toutes et tous des Martine et Jacques en puissance. Il est dommage que Cuisine et dépendances ne soit pas un tantinet plus corrosif. Sage, le film retient les coups et épargne à ses (improbables) héros une critique plus vitriolée. Les cinq comédiens, eux, font le boulot. Vous aurez reconnu Agnès Jaoui, Zabou Breitman, Jean-Pierre Bacri, Sam Karmann et Jean-Pierre Darroussin: une troupe que j'aime bien.

Cuisine et dépendances
Film français de Philippe Muyl (1993)

Un autre des détails qui m'a encouragé à revoir le film: le réalisateur est le même que pour Le promeneur d'oiseau, sorti l'année dernière. Vous retrouverez aussi l'éclectique Philippe Muyl dans ma liste d'interviews, "La parole aux artistes". Son adaptation de la pièce fonctionne bien - Jaoui et Bacri en ont d'ailleurs cosigné le scénario. J'ai souvent repensé à Roman Polanski, Yasmina Reza et Carnage...

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Parce que c'est vous, je vais préciser quelque chose...

Mon titre sous forme d'euphémisme rappelle un dialogue du film. Maintenant, c'est inutile d'insister: je ne dirai pas un mot de plus !

dimanche 15 mars 2015

L'infiltré

Johnny Depp et Al Pacino ont respectivement 33 et 57 ans au moment où Donnie Brasco sort sur les écrans. Le film raconte l'histoire vraie d'un dénommé Joseph Pistone, agent du FBI en mission d'infiltration de la mafia new-yorkaise, à la fin des années 70. Je l'ai regardé essentiellement pour passer un bon moment avec son duo-vedette. Objectif atteint, même si tout ça ne va objectivement pas très loin...

Le plaisir que j'ai pris tient pour beaucoup à la reconstitution soignée d'une époque... que je n'ai guère connue. N'empêche: j'ai bien aimé découvrir Johnny Depp avec une moustache à la Freddie Mercury, même s'il la rase vite pour adopter un look de jeune premier franchement étonnant pour lui, cheveux gominés coiffés en arrière. Al Pacino, lui aussi, se fond bien dans son personnage et interprète avec malice ce second couteau lassé de ne jamais jouer véritablement les premiers rôles. Je vous laisserai découvrir seuls comment ces deux-là se rapprochent et ce que leur complicité naissante les conduira à faire. Donnie Brasco n'est pas un chef d'oeuvre, je le répète, mais sa tonalité lui est particulière, je trouve. Peu de scènes spectaculaires, mais de bons dialogues et du suspense.

C'est donc peut-être un film d'acteurs qui vous est proposé ici. J'imagine que certains d'entre vous auront plaisir à y retrouver également le charismatique Michael Madsen, presque aussi borderline qu'il pouvait l'être cinq ans auparavant chez Quentin Tarantino. Finalement, en rédigeant cette chronique, j'ai fini par me demander ce qu'il manquait à Donnie Brasco pour être vraiment un grand film. Peu de choses, c'est certain. Peut-être juste une mise en scène légèrement plus spectaculaire. Il est possible aussi que cette sobriété soit voulue, pour laisser toute la lumière sur les comédiens. Précisons toutefois que le film fut nommé à l'Oscar, catégorie des scénarios adaptés: on ne saura jamais ce que d'autres acteurs ou un réalisateur différent en auraient fait. Il paraît que Johnny Depp a obtenu son rôle au détriment de Tom Cruise, Andy Garcia et John Travolta ! On dit aussi que Stephen Frears avait été envisagé comme réalisateur possible. Bon, cela dit, pas question désormais de réécrire l'histoire...

Donnie Brasco
Film américain de Mike Newell (1997)

Attention à ne pas confondre avec Donnie Darko, un long-métrage américain également, mais complètement différent. L'intrigue ressemble ici à celle de L'impasse, Les affranchis ou... Les infiltrés. C'est presque à regret que je constate que c'est un peu trop sage finalement pour s'imposer comme un classique. Wikipedia parle même du film comme un anti-Parrain. Catégorique, mais bien senti.

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Bon... à vrai dire, d'autres s'emballent plus que moi...
C'est le cas de Chonchon, à lire sur "Mon cinéma, jour après jour".

samedi 14 mars 2015

En partance ?

Je voulais le voir tant qu'il était disponible sur les chaînes de replay de mon prestataire Internet, mais je me suis aperçu après coup combien c'était étrange de parler d'Alyah dans le contexte actuel. Abreuvés d'informations sur les filières djihadistes, je me demande finalement si ce film peut nous parler et si oui, à quel point il le fera. Ici, c'est un jeune Juif qui envisage tout à coup de quitter la France...

Alyah est le mot hébreu pour dire ascension ou élévation spirituelle. Par extension, il désigne l'acte d'immigration d'un Juif vers la Terre sainte, Israël. Le film, lui, tourne autour d'Alex, un jeune Parisien d'origine juive, donc, mais non-pratiquant. S'il veut quitter cette vie dans la capitale, c'est surtout parce que ses activités ne mènent vraiment à rien: pour s'en sortir, Alex deale. Shit d'abord, cocaïne ensuite... notre ami n'est pas vraiment bien parti dans la vie. Parviendra-t-il à convaincre son cousin de le prendre comme associé dans son restaurant de Tel Aviv ? Décidera-t-il d'un plan B pour rester avec Jeanne, sa nouvelle copine ? C'est tout l'enjeu du scénario. J'admettrais volontiers que vous ne trouviez pas ça très original. Objectivement, je dois bien dire que ça ne l'est pas, de toute façon...

Les vraies qualités de ce premier film sont à chercher ailleurs. Justement, on peut commencer sur cet angle, en constatant d'abord que c'est bien d'un premier film dont il s'agit ! Sans devenir génial pour autant, le long-métrage paraît finalement plus qu'honorable. Aucun éclat à signaler, certes, mais du travail propre, bien ficelé. Côté casting, j'ai bien aimé le jeu de Pio Marmaï, un jeune comédien qui semble peine à percer vraiment, mais que je trouve très correct. Bon... pour être honnête, c'est aussi (et surtout ?) pour Adèle Haenel que j'ai voulu voir Alyah: il m'a semblé que son talent était cette fois un peu sous-employé, mais ça n'a rien de dramatique. Je crois envisageable que vous passiez un bon moment devant cette histoire. Il en faudrait un peu plus pour m'emballer vraiment, mais j'ai vu pire.

Alyah
Film français d'Elie Wajeman (2012)

Avec un petit air de film noir, le long-métrage m'a fait penser à ceux de Jacques Audiard, comme Sur mes lèvres ou De battre mon coeur s'est arrêté. Il ne tutoie pas les mêmes sommets, cela dit. Pas grave. Mon idée, c'est d'attendre pour voir ce que le réalisateur proposera pour son deuxième film, Les anarchistes, avec une intrigue en 1899 et un tandem Adèle Exarchopoulos / Tahar Rahim devant la caméra.

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36 174 entrées en France et parmi mes petits camarades...

Pascale ("Sur la route du cinéma") l'a vu aussi: bilan en demi-teinte. 

vendredi 13 mars 2015

Analyse

En ce jour symbolique, le second vendredi 13 consécutif, j'avais pensé vous parler de la chance au cinéma. Ce sera pour une autre fois. Parce que je viens (presque) d'enchaîner les présentations des films vus lors du festival organisé par mon association, je préfère évoquer ma façon de "consommer" des images. Tous commentaires appréciés.

Seul ou en groupe
Pour moi, la quintessence du cinéma, c'est bel et bien l'expérience collective. Il m'arrive de regarder un film seul quand je ne trouve personne pour le découvrir avec moi, sur petit écran ou en salles. J'imagine que ce blog démontre qu'une bonne partie de mon plaisir nait de l'échange. Ma cinéphilie est joyeuse, baladeuse et partageuse.

Le bon comportement
De mon point de vue, il y a mille bonnes façons d'aimer le cinéma. J'avoue qu'à mes yeux, le grand écran reste souvent incontournable. Même les vieux films gagnent à être vus au format XXL. Je lis souvent, sur d'autres blogs, quelques critiques acerbes sur l'attitude d'une fraction du public des salles obscures. J'ai peu de souvenirs désastreux dans ce domaine et, dans le silence, j'aime sentir les gens vivre le film. Quitte à applaudir quand commence le générique de fin.

Question de rythme
Cette année, au moment où j'écris cette chronique, le délai maximal qui sépare deux de mes séances de cinéma atteint... neuf jours. Statistique ma foi éloquente: tous visionnages confondus, il n'est plus que de quelques heures ! Cela dit, je ne regarde que très rarement deux films le même jour. J'écoute généralement mes envies, dictées souvent par mon humeur et/ou mon niveau de fatigue. Je passe parfois à côté de bons films pour une simple question de motivation.

Contraintes et objectifs
Parce que le cinéma est pour moi affaire de plaisir et d'émotion, l'idée que je puisse m'imposer tel ou tel long-métrage me paraît absurde. Cela dit, je tiens beaucoup à rester curieux, pour m'ouvrir aux films venus d'un peu partout dans le monde et/ou conçus en des temps révolus. J'espère dès lors continuer à être surpris, touché et conquis.

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Bon... c'est bien gentil, tout ça, mais vous ?

Pouvez-vous m'en dire plus long sur votre façon d'aimer le cinéma ? Vous êtes tout à fait autorisés à aborder la question différemment.

mercredi 11 mars 2015

Une idée de la fin

Je suis passé tout près d'accrocher un nouveau pays à mon palmarès cinématographique. Dernier des long-métrages du célèbre cinéaste soviétique Andreï Tarkovski, Le sacrifice a reçu le Grand prix du jury au Festival de Cannes 1986, où il portait les couleurs suédoises. L'essentiel de la distribution est d'ailleurs scandinave et le film a été tourné sur l'île Gotland, site apprécié d'un dénommé Ingmar Bergman.

Pour accentuer cette impression "bergmanienne", on notera d'ailleurs qu'il a été fait appel à Sven Nykvist, son très fidèle directeur photo. Je crois important de signaler aux cinéphiles chevronnés qui me lisent aujourd'hui que Le sacrifice marque aussi ma première incursion dans l'univers de Tarkovski. J'ai eu quelque difficulté à y entrer. C'était par ailleurs ma quatrième sortie cinéma en quatre jours consécutifs et, en tout, la sixième en huit soirées de l'association dont je vous ai déjà parlé plusieurs fois. Je commençais à fatiguer. Sans doute qu'affronter un tel film sans trop savoir à quoi s'attendre relève aussi, sinon de l'épreuve de force, au moins du défi. N'exagérons rien: cueilli d'entrée par la musique de Bach, j'ai vu également de très belles choses dans cette oeuvre exigeante. La fête d'anniversaire d'un ex-comédien est soudain perturbée par l'annonce d'une catastrophe mondiale. L'avenir de l'humanité est menacé. Alexander fait alors le voeu de renoncer à tout, de l'amour des siens jusqu'à la parole, si tout redevient comme avant. C'est très glaçant.

Par le son plus encore que par l'image, le film joue très clairement avec nos nerfs. Un bruit énorme m'a laissé imaginer que des avions gigantesques survolaient la maison d'Alexandre afin d'y lâcher quelques bombes ou que la Terre elle-même était en train d'exploser. Je me suis même senti physiquement oppressé quand Adélaïde, l'un des personnages féminins, a été prise d'une violente crise d'hystérie. C'était d'autant plus tendu que le long-métrage m'a paru laisser défiler la pellicule et prendre tout son temps avant de boucler une scène donnée. Confirmation sur Wikipedia: Le sacrifice contient les plans les plus longs de toute la carrière de Tarkovski, celui qui ouvre le film durant par exemple 9 minutes et 26 secondes. Sur l'interprétation qu'on peut donner à cette pièce de cinéma, je réserve ma réponse. J'ai eu besoin d'un peu de temps - ainsi que de repos - pour "digérer" cette expérience. Avec le recul, elle m'a plutôt dérouté que déplu. Beaucoup de choses me laissent penser que j'ai vu un opus important de l'histoire du cinéma. La prochaine fois, je serai... mieux préparé.

Le sacrifice
Film suédois d'Andreï Tarkovski (1986)

Ce long-métrage m'a secoué: le fait qu'il soit difficile d'accès n'empêche pas qu'il soit intéressant, comme pouvait l'être avant lui une oeuvre aussi forte que 2001: l'odyssée de l'espace. Il me semble d'ailleurs que le film de Stanley Kubrick a été évoqué pendant le débat qui a suivi la projection, l'autre jour. Melancholia l'a été également. Lars von Trier qui invente une fin du monde: je vous le recommande.

lundi 9 mars 2015

Un air d'opéra

Vous pourrez vérifier si ça vous chante: le maestro Federico Fellini est l'auteur du tout premier film dont j'ai parlé sur ce blog, il y a déjà plus de sept ans. Je pense qu'à l'époque, je n'aurais pas pu imaginer tenir aussi longtemps. Je suis toutefois ravi d'avoir retrouvé l'Italien lors d'une soirée de mon association. Notre présidente a très bien fait quand elle a choisi de nous offrir le magnifique Et vogue le navire...

Port de Naples, juillet 1914: la Première guerre mondiale s'annonce. Comme indifférents à la menace, des dizaines de gens bien habillés embarquent sur le Gloria N, un majestueux paquebot. La croisière n'est pas là pour s'amuser: ces messieurs-dames de la haute société sont venus faire leurs adieux à une cantatrice fraîchement décédée. S'ils prennent la mer, c'est parce qu'après une cérémonie, les cendres de leur idole seront dispersées au large. Et vogue le navire... donne très vite l'impression d'assister à la fin d'une époque, en compagnie d'hommes et de femmes qui n'ont pas compris que leur monde s'écroule. Présenté ainsi, j'ai conscience que cela pourrait paraître d'une noirceur insupportable. En fait, c'est presque tout le contraire ! Bon... je n'ai pas rigolé, mais la grande beauté du film m'a attrapé dès les premières minutes, pour ne presque plus me lâcher. Ce récit possède quelque chose de formidablement lyrique. Je me suis régalé.

Comme à l'opéra, le chant a ici une place primordiale, la musique également et j'allais dire le son. Je vous laisserai découvrir seuls comment quelques grands classiques du bel canto viennent traverser le long-métrage: c'est à la fois saisissant et absolument remarquable. Artiste érudit et multi-facettes, Federico Fellini nous fait aussi don d'une mise en abyme de toute beauté, avec quelques petites pointes d'humour bien senties. Et vogue le navire... démarre notamment avec dix bonnes minutes d'images muettes en noir et blanc, clin d'oeil aussi évident que somptueux aux origines du septième art. J'en passe et des meilleurs ! Le scénario, lui, n'oublie jamais d'être intelligent. Dans cette Italie de pacotille, j'ai même été - agréablement - surpris de trouver des résonances avec la situation du continent européen aujourd'hui, entre replis identitaires et accentuation des divergences sociales. Des découvertes cinéma de cette nature, j'en re-de-mande !

Et vogue le navire...
Film franco-italien de Federico Fellini (1983)

Décors "carton-pâte" et voix non synchrones: ce petit chef d'oeuvre est assez particulier, j'en conviens, sans même parler du rhinocéros ! Il n'empêche que je vous le recommande vivement. Il serait temps que je me penche plus avant sur la carrière du cinéaste. Je cherche vaguement un autre film avec lequel comparer celui-là - Le guépard ? Il me faudrait regarder parmi les opéras plutôt qu'autour de Titanic...

dimanche 8 mars 2015

Kurosawa, le retour

Un petit mot ce jour, simplement pour signaler que j'ai revu Cure. Mon impression est un peu meilleure qu'à la première vision. Il faut dire que c'est sur un vrai écran cinéma que je l'ai apprécié cette fois. Si vous voulez tout savoir, cette redécouverte précoce est dû au fait que j'ai présenté le film pour une soirée de mon association cinéphile. C'était pour moi une première et tout s'est plutôt bien déroulé. Ouf !

Il faut dire que j'ai été chanceux: plutôt que d'agir en solo, j'ai eu l'occasion de faire équipe avec Maxime, un étudiant qui prépare justement une thèse sur le cinéma nippon. J'ai donc pu me contenter de présenter Kiyoshi Kurosawa avant le film, mon comparse assurant pour sa part le gros de l'animation du débat qui a suivi la projection. Possible d'ailleurs que nous puissions très prochainement récidiver ! J'espère honnêtement que ce sera autour d'un film plus "accessible" pour moi. Si cela se confirme, il est probable que je vous en reparle.

En attendant, j'ai vaguement cherché quelques infos complémentaires relatives à Kiyoshi Kurosawa. Le Monde a publié il y a presque un mois un article évoquant sa possible venue au prochain Festival de Cannes. Isabelle Regnier, la signataire du papier, s'avançait même à affirmer que d'autres cinéastes japonais pourraient être de la partie, à l'image de Naomi Kawase ou de Hirokazu Kore-eda (et je vote pour, moi !). C'est dans les colonnes du journal québécois La Presse que j'ai trouvé l'anecdote la plus étonnante: pour un film à venir, notre star du jour aurait fait appel à... Tahar Rahim ! Son scénario "parle de la France d'aujourd'hui de manière symbolique et avec des éléments d'horreur". Fait inédit, le cinéaste aurait été contraint de chercher des subsides hors de son pays. "Au Japon, dit-il, c'est presque devenu impossible d'obtenir de l'argent pour un film qui n'est pas basé sur une franchise ou un manga". Une bonne raison de plus pour le soutenir, peut-être...

vendredi 6 mars 2015

Aucune raison

C'est un fait: je ne ferais pas aujourd'hui la preuve d'une folle audace rédactionnelle si je vous rappelle que j'aime les films fous. J'exagère d'ailleurs en le disant ainsi: j'aime CERTAINS films fous et j'apprécie que le cinéma m'emmène parfois hors des sentiers battus. Le moins que je puisse ajouter, c'est qu'avec Rubber, j'ai été servi. Mon pote Christophe fait de ce long-métrage une oeuvre culte. Et moi ? Euh...

Au beau milieu de nulle part, des anonymes se sont rassemblés comme pour guetter un phénomène naturel. Un type d'apparence ordinaire est descendu de son vélo pour distribuer à chacun une paire de jumelles. Dans le même temps ou presque, un flic sort soudain du... coffre de sa voiture pour discourir sur le prétendu non-sens absolu des situations aperçues dans la plupart des grands classiques du septième art - notez que je préfère passer sur quelques détails. Rubber démarre ensuite et s'avère être le récit de la déambulation américaine d'un pneu serial killer. Vous pouvez bien relire la phrase précédente plusieurs fois: elle restera vraie, quoiqu'il advienne. Bienvenue en terre foldingue: bien réel, ce très improbable scénario aurait été inventé pour moquer une critique aux goûts trop formatés.

Mouais... toute la question est donc de savoir s'il reste du cinéma derrière ce gigantesque pied de nez. Ma réponse à moi est positive. Je note d'abord que le long-métrage est une grande mise en abyme capable d'offrir un film dans le film. Je crois ensuite utile d'affirmer que l'absurdité de l'intrigue elle-même n'a pas rendu les images moches ou inintéressantes. Au contraire: on voit bien que le type derrière la caméra maîtrise son sujet ou à tout le moins possède suffisamment de références pour inscrire sa très étrange création dans une filiation: aussi décalé soit-il, Rubber est assurément le film d'un amoureux du cinéma. Si vous vous sentez prêts, je vous invite cordialement à le regarder sans préjugé: vous pourriez être surpris. Attention: n'en attendez en tout cas aucune explication rationnelle...

Rubber
Film français de Quentin Dupieux (2010)

Le dernier opus du cinéaste - Réalité - est sorti il y a seize jours. Celui que j'ai présenté aujourd'hui m'a fait penser à un autre film dingue: Dans la peau de John Malkovich, "normal", en comparaison. Avec un clin d'oeil à Shining et une ambiance à la Duel, ce cinéma d'auteur (farfelu) et de genre (bizarre) s'adresse plutôt à un public aventureux. C'est sa limite, certainement, mais c'est aussi sa force.

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Le même film, vu d'ailleurs...

Ça donne une critique assez positive de "Sur la route du cinéma". Moins d'enthousiasme semble-t-il sur le "Ma bulle" de Princécranoir...

mercredi 4 mars 2015

Une fois dans l'est

Au chapitre des bizarreries cinématographiques, je vous propose aujourd'hui de vous retourner vers la Tchécoslovaquie des années 60 pour y découvrir Jo Limonade. Ce film incroyable prouve qu'il y avait encore une petite place pour la déconne derrière le Rideau de fer. J'étais bien loin de l'imaginer il y a tout juste quelques semaines. Heureux de vous assurer que le septième art sait encore m'étonner...

Jo Limonade, c'est le nom du héros du film. Ce cowboy tout de blanc vêtu défend, ça va sans dire, la veuve et l'orphelin. Vous permettrez que je rectifie le tir: ici, il défend plutôt un pasteur et sa fifille. Porté par la foi en leur bon droit, le duo se croit en mesure de convaincre les pistoleros de Stetson City d'abandonner le whisky et de ne boire que... de la limonade. Autant dire que ce n'est pas gagné d'avance ! Winnifred et son pôpa s'exposent donc aux représailles, en dépit d'ailleurs d'un argument sensé: rester sobre permet de mieux viser. Bref... quand tout (re)part en sucette dans le saloon, il est temps qu'un justicier apparaisse pour rétablir l'ordre. Ou essayer, au moins.

À ce stade de ma chronique, vous avez peut-être déjà une petite idée de ce qui vous attend. Je dois confirmer sans délai qu'en respectant les codes du western classique, Jo Limonade les explose gentiment dans une visée 100% parodique. La moquerie est très appuyée ! Jugez plutôt: les desperados repentis se mettent à picoler un breuvage connu sous le nom de Kola Loka. Il s'avère que le personnage principal du film n'est finalement rien d'autre qu'un représentant de commerce chargé de refourguer un maximum de bouteilles de cette boisson euphorisante. Heureusement finalement qu'il existe quelques bandits et des filles de joie pour oser contrarier ce conformisme mercantile...

Croyez-moi: si vous admettez cette énorme caricature, Jo Limonade devrait vous offrir un agréable moment. Cet OVNI cinématographique s'avère également tout à fait original sur le plan des techniques. Premier point: comme vous le constatez avec les photogrammes choisis aujourd'hui pour illustrer mon propos, il s'agit d'un film en noir et blanc, sur lequel des filtres de couleur ont été ajoutés - chacun venant presque définir la tonalité d'une scène. Autre caractéristique remarquable: le long-métrage est partiellement chanté, en tchèque évidemment. Karel Fiala, l'acteur qui tient le premier des rôles masculins, était même un ténor d'opéra. Il est franchement tor-dant !

Que dire encore ? Qu'un très joli décor permet de croire à cet Arizona de pacotille. Le tournage a en fait eu lieu sur le terrain d'une carrière de calcaire désaffectée, à 25 km au sud de Prague. Le réalisateur s'amuse aussi à multiplier les clins d'oeil au cinéma muet, au cours notamment de scènes de bagarre burlesques, filmées en accéléré. Tout cela n'est pas très sérieux... et c'est ainsi que ça fonctionne. Lancé à la vitesse d'un cheval au galop, Jo Limonade avance à bride abattue sur le chemin de la rigolade. De ce fait, malgré son âge avancé, il me semble tout à fait accessible au jeune public de 2015. J'en profite pour souligner que le film a fait l'objet d'une édition DVD.

Jo Limonade
Film tchécoslovaque d'Oldrich Lipsky (1964)

Coup double ! Seize jours après Le baron de Crac, j'ai donc apprécié cette oeuvre d'un autre cinéaste tchèque. Il est difficile de proposer un juste point de comparaison: Lucky Luke est trop kitsch, Maverick trop... américain. Il faudrait peut-être citer ce fou de Mel Brooks ! Une certitude: en livrant cette vision déformée des grands mythes hollywoodiens, Lipsky a devancé l'école du western italien. C'est fort.