vendredi 31 août 2012

Batman ends

Une chronique de Martin

Qu'un film dure deux heures et 44 minutes m'importe peu. Je veux dire que ce n'est pas ce qui me fera renoncer à aller le voir. J'aime vraiment les grandes fresques et le cinéma qui prend son temps. J'avais même un a priori favorable pour The dark knight rises.

Précision pour ceux qui pourraient l'ignorer: ce blockbuster estival est le troisième et dernier épisode d'une série sur le super-héros Batman. Une trilogie cohérente, car tournée par le même réalisateur, à l'inverse des quatre (!) épisodes cinématographiques précédents.

Je dois d'abord admettre que j'ai eu quelque difficulté à raccrocher les wagons. J'ai déjà eu l'occasion de le dire ici: je portais jusqu'alors un regard nuancé sur le diptyque de Christopher Nolan. Il m'a fallu quelques minutes pour resituer cette conclusion dans son contexte général. Soit, donc, Bruce Wayne, milliardaire le jour, chauve-souris la nuit. Une sombre histoire d'amour a fait de lui un homme brisé. Reclus dans son manoir, l'ex-vengeur masqué pleure la femme qu'il a aimée et se laisse accuser d'un meurtre qu'il n'a pas commis. Heureusement, l'ordre règne dans la ville et il n'est donc plus nécessaire qu'il rendosse son costume de justicier. Son titre trompeur ne peut dissimuler que The dark knight rises filme d'abord un homme qui a chuté. On découvrira vite que le même homme s'entraîne toujours dans l'ombre et a gardé sa combativité légendaire. Elle lui sera bien utile quand il lui faudra rempiler. Notez que c'est ce qu'il lui reste de fortune qui est attaqué, en préalable...

Tout (film de) super-héros a son super-vilain. Le méchant s'appelle cette fois Bane, tout simplement, physique de catcheur et idéologie indignée. C'est l'une des bonnes idées du scénario: on s'attaque prioritairement à la bourse, ce qui donne d'efficaces moyens d'action révolutionnaire et oppressante. Le traditionnel combat du bien contre le mal est d'abord une rivalité financière. Il est dommage que, sur cette trame assez bien sentie, Christopher Nolan et son frère Jonathan, assistant scénariste, n'aient pas brodé autre chose. Aussitôt ses enjeux clarifiés, The dark knight rises devient finalement un action movie de facture assez classique. Il faut admettre qu'il emploie la grosse artillerie niveau effets spéciaux. L'univers de Gotham City ainsi créé brille de toute sa noirceur. Problème pour moi: l'imagerie écrase le jeu des acteurs et l'intrigue passe définitivement au second plan. Je pense que je me passerais assez facilement de la suite qu'elle pourrait également annoncer...

The dark knight rises
Film américain de Christopher Nolan (2012)
Je ne crois pas que je reverrai la trilogie Nolan dans son entier. Malgré un casting en béton - Christian Bale, Joseph Gordon-Levitt, Gary Oldman, Marion Cotillard, Anne Hathaway, Morgan Freeman, Tom Hardy et j'en passe, ces aventures de l'homme-chauve-souris peinent décidément à me convaincre. Ironie du sort: je me souviens avoir vu le second opus sur ma télé et The dark knight restera probablement mon épisode préféré. J'avais découvert Batman begins au cinéma: comme sa conclusion, il m'avait laissé sans enthousiasme.

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Pour faire le tour de la question...
"Sur la route du cinéma" et "L'impossible blog ciné": deux sites amis vous proposent leur propre lecture du film. À vous de cliquer !

mercredi 29 août 2012

Chabadabada

Une chronique de Martin

Claude Lelouch n'a pas encore trente ans quand il tourne le plus connu de ses films: Un homme et une femme. Je ne savais pas franchement à quoi m'attendre quand je l'ai découvert il y a un mois pile. On dira que j'ai laissé mes parents choisir le DVD du soir, confiant en le talent du duo Anouk Aimée et Jean-Louis Trintignant. Pas de déception après coup: si cette histoire d'amour porte la trace des années passées, elle n'en est pas moins digne d'intérêt. Pudique et touchant, j'ai trouvé le ton du long-métrage très Nouvelle Vague.

L'histoire est somme toute fort classique. Jean-Louis Duroc, coureur automobile, croise à Deauville une jolie femme prénommée Anne, qui est venue ramener sa fille au pensionnat. L'infortunée maman ayant manqué son dernier train pour Paris, le galant pilote s'offre pour la raccompagner. Un homme et une femme rend la rencontre crédible par les points communs entre ses protagonistes: les enfants d'Anne et Jean-Louis vont dans la même école, les futurs amoureux sont tous les deux veufs et, sans fréquenter les mêmes cercles, s'intéressent l'un à l'autre, en tout cas suffisamment pour se poser réciproquement des questions et ainsi montrer une comptabilité possible. Petite anecdote: j'ai noté au passage que Claude Lelouch avait fait de son personnage féminin une scripte de cinéma. L'occasion pour lui de faire passer quelques messages sur sa vision du septième art. Pas sûr que ce soit neutre. Pas certain du contraire.

Ce qui est flagrant, en revanche, c'est que la forme du long-métrage est très particulière. Je passe rapidement sur le son et cette musique mythique de Francis Lai, à grands renforts de "Chabadabadas". Ancré dans le réel, le film montre notamment de longues sessions de course auto, bruits de moteur vrombissants à la clé. L'aspect cinématographique de l'entreprise saute toutefois aux yeux, notamment par l'usage alterné de la couleur et du noir et blanc. Aucune certitude sur ce point, mais il m'a semblé que le noir et blanc s'imposait sur la durée. Il est l'apanage des scènes intérieures. J'ai lu que Claude Lelouch était trop fauché pour faire autrement. On a pu dire aussi qu'il n'était pas mécontent du résultat et qu'il imaginait avec plaisir que ça permettrait à son film de sortir du lot. Pari gagné: Un homme et une femme reçut la Palme d'or et, peut-être plus surprenant, deux Oscars. C'est devenu un véritable classique.

Un homme et une femme
Film français de Claude Lelouch (1966)
Ne cherchez pas: c'est le premier film du réalisateur présenté ici. J'imagine qu'il y en aura d'autres, mais en attendant,vous pouvez donc vous tourner vers d'autres oeuvres de la Nouvelle Vague. Exception faite de ses courts-métrages, celles de François Truffaut qui sont évoquées sur le blog sont peut-être un peu récentes. Pourquoi alors ne pas revoir Pierrot le fou, de Jean-Luc Godard ? Autre option très recommandable: le Model shop de Jacques Demy.

mardi 28 août 2012

De l'évolution du cinéma

Une chronique de Martin

Je n'arrive pas vraiment à me souvenir si c'est le cas chaque été. Toujours est-il que, depuis plusieurs semaines, mon cinéma préféré reste fermé et ce jusqu'au 3 octobre. Je n'ai pas encore eu l'occasion de vérifier que, comme on me l'a dit, il profitait de cette pause estivale pour s'adapter au format numérique. Je constate toutefois qu'aucune de mes salles habituelles ne sera désormais plus équipée de projecteurs à bobines. Au temps pour le nom de mon blog ! J'ignore s'il faut s'en réjouir ou non. Bagage technique trop limité...

Ce qui est sûr, c'est que je ne suis pas forcément un inconditionnel de l'image haute définition au cinéma. C'est même l'objet d'un débat que j'ai eu avec quelques amis, amateurs intermittents ou cinéphiles plus réguliers. Pour moi, le grain fait partie du septième art. Pas sûr que ce soit possible, mais je n'ai pas particulièrement envie d'apprécier un visuel sans défaut sur les grands classiques. Restaurer les images d'origine, oui. Les altérer au nom de la "perfection", non. Le cinéma reste pour moi un peu de lumière projetée sur un écran. J'avoue qu'entendre le bruit du projecteur lors de ma dernière séance au format 35mm m'a donné une joie particulière. Un peu plus intense.

Bien souvent, je regrette de ne pas encore savoir exactement comment tout cela fonctionne pour vous soumettre des analyses documentées et du coup mieux argumentées. Je me demande souvent ce que sera le cinéma de demain. Des paliers technologiques sont franchis - dernièrement, j'ai ainsi découvert un fauteuil offrant de secouer le spectateur en fonction de ce qui était montré à l'écran. Je ne suis pas réfractaire au changement. En dehors de tout aspect financier, je constate que l'émotion se contente de peu. Souhaitons que la course aux armements que poursuivent certains distributeurs ne leur fasse pas oublier que c'est d'abord en elle que réside le plaisir.

dimanche 26 août 2012

L'honneur de la cavalerie

Une chronique de Martin

Vous connaissez Albert Serra ? C'est un réalisateur espagnol aux films assez pointus que j'espère découvrir un jour. À partir du personnage de Don Quichotte, il a tourné en 2006 un long-métrage dont le titre est le même que celui de ma chronique d'aujourd'hui. Rien à voir avec celui que je veux désormais évoquer: La charge héroïque date de 1949. C'est le deuxième volet d'une trilogie de John Ford censée rendre hommage aux soldats à cheval de l'armée américaine de la fin du 19ème siècle. Sa vedette n'est autre que le mythique John Wayne.

Le scénario progresse avec toute la grandiloquence qu'on peut attendre de pareil spectacle. D'emblée, une voix off plante le décor et flatte l'ego des valeureux pionniers menacés par les tribus indiennes. L'homme blanc vient tout juste de subir un revers important à Little Big Horn. Les officiers de l'armée du général Custer désormais morts, les conditions de survie des colons posent question. C'est dans ce contexte effrayant que Brittles, un capitaine de cavalerie proche de la retraite, est chargé d'une dernière mission. Avec quelques hommes, l'officier devra escorter la femme et la nièce de son commandant en lieu sûr, loin du fortin où la garnison est retranchée. En fait, La charge héroïque porte assez mal son nom français. Admettons toutefois que le titre original, où il est question du ruban jaune porté par une demoiselle, n'est pas plus évocateur. Peu importe. L'intrigue nous conduit bientôt dans les grandes plaines de l'Ouest. Des images Technicolor qui seront consacrées par l'Oscar !

Ce qui peut surprendre, c'est que le propos du film s'écarte largement de la menace que représentent les Peaux Rouges. John Ford paraît surtout s'intéresser aux hommes et à leurs caractères. Si Brittle semble posséder toute la panoplie du héros à l'ancienne, il est aussi un vieil homme en proie à une certaine nostalgie. Ses rapports extrêmement directs avec son chef de camp et son ordonnance apportent quelques bonnes scènes, non dénuées d'un humour bourru. La charge héroïque évoque également une rivalité amoureuse: celle qui oppose deux hommes du régiment pour séduire la fameuse nièce du commandant. Pas si anecdotique, cette histoire dans l'histoire connaîtra plusieurs rebondissements. Au final, aux côtés de la statue John Wayne, de nombreux acteurs auront l'occasion de faire démonstration de leur talent. Et tout cela accompagnera gentiment les spectateurs jusqu'à la confrontation finale, où le sang coulera bien moins qu'on aurait pu l'imaginer. La retraite, elle, attendra...

La charge héroïque
Film américain de John Ford (1949)
Le cinéaste ayant tourné 142 films, je peux dire que j'en ai vu d'autres, d'autant que, jusqu'à l'adolescence, j'étais vraiment adepte du western. Lesquels ai-je donc visionnés ? Là est la vraie question. C'est désormais trop loin dans le passé pour que je m'en souvienne. Note aux amateurs: ce blog peut déjà vous permettre de découvrir Vers sa destinée, le film que John Ford a tiré de la jeunesse d'Abraham Lincoln. Maintenant, merci à vous de me laisser le temps de me replonger dans d'autres vieux classiques hollywoodiens...

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Mais si vous êtes vraiment pressés d'en savoir plus...
Sans fausse honte, je vous envoie aussitôt lire "L'oeil sur l'écran". Grands connaisseurs du cinéma ancien, ses rédacteurs ont déjà parlé de La charge héroïque. Tiens, j'avais même mis un commentaire ! Je constate à présent que 23 autres Ford font l'objet d'une chronique.

vendredi 24 août 2012

Un homme et deux femmes

Une chronique de Martin

Benjamin Braddock est l'enfant chéri de ses parents. Américain d'origine modeste, il vient d'obtenir son diplôme de fin d'études. Avant de se lancer dans la vie active, il compte bien faire un break et profiter de quelques jours de vacances. Alors que son père a prévu une petite sauterie, Ben est reclus dans sa chambre. Pas envie d'aller saluer un à un tous les amis de papa-maman. Le lauréat avait pensé à autre chose, sans savoir vraiment à quoi. Une convive qui souhaite rentrer chez elle lui donne l'occasion de s'éclipser. Oui, mais voilà...

L'image vous l'aura fait comprendre: Benjamin et sa passagère finiront dans le même lit. D'abord timide, le jeune homme devra bien convenir que Madame Robinson est "la plus belle de toutes les amies de (ses) parents". Piqué au vif dans sa fierté, il entamera aussitôt une liaison avec cette femme d'au moins vingt ans son aînée. Le duo Dustin Hoffman / Anne Bancroft joue parfaitement cette joute amoureuse qui ne dit pas son nom - peut-être parce qu'ils n'ont réellement qu'à peine six ans d'écart. J'ai vu Le lauréat en VF. Déçu d'abord, j'ai toutefois pris plaisir à entendre Patrick Dewaere doubler le jeune séducteur. J'ai appris un peu plus tard que, derrière la voix de son initiatrice, se cachait... Rosy Varte ! Là, la différence d'âge des personnages est respectée. Magie des anecdotes de cinéma...

Le scénario, lui, ne s'arrête pas là. Au contraire. Aussitôt la relation Braddock / Robinson sur les rails de la quasi-normalité, il la dynamite avec un personnage tierce: Miss Robinson junior (Katharine Ross). J'en dis trop ! Je vous laisse découvrir la manière dont la belle Elaine s'impose dans le paysage. Il est temps pour moi de parler technique. Sans être trépidant, le rythme du film développe un tempo soutenu. Quelques fondus au noir bien placés le découpent en scènes multiples et bien écrites. Quasi-subliminaux et coquins, une série de plans illustre bien les pensées troublées de Benjamin. Son charme vintage ne doit pas faire oublier que Le lauréat était un film assez audacieux à l'époque de sa sortie. Très souvent drôle, il s'achève sur une note ambiguë. Le sourire de son héros s'efface devant un avenir incertain.

Le lauréat
Film américain de Mike Nichols (1967)
Méconnu, le réalisateur peut pourtant se targuer d'une carrière longue d'une quarantaine d'années ! Si son deuxième long-métrage reste dans les esprits, c'est aussi sans doute pour la bande originale signée Simon et Garfunkel. Quant à trouver des films qui lui soient comparables, c'est une autre histoire. Sur un site où j'ai pioché quelques infos, on parlait de La garçonnière. Pas idiot. J'indique également à celles et ceux qui voudraient voir la jolie Katharine Ross dans un autre registre que, deux ans plus tard, elle sera l'héroïne féminine de Butch Cassidy et le Kid. Avec cette fois Robert Redford et Paul Newman, une variation sur le thème du trio amoureux...

mercredi 22 août 2012

La princesse du désert

Une chronique de Martin

Je reviens aujourd'hui vers le réalisateur Jean-François Laguionie pour vous présenter son tout premier long-métrage: Gwen et le livre de sable. Sept ans après le plus primé de ses courts, le cinéaste français l'est de nouveau avec cette oeuvre d'une durée assez brève, puisque, générique compris, elle ne dépasse l'heure que d'à peine quelques secondes. Sur plusieurs sites Internet, il est mentionné qu'elle se prolonge sept minutes encore. Erreur répétée, j'imagine.

Bien que film d'animation, Gwen et le livre de sable ne repose pas sur une histoire simpliste. Pour résumer, un peuple humain survit dans le désert après un longue ère de tempêtes. Une jeune fille rejoint le groupe et se frotte à la matriarche, âgée de... 173 ans ! On dit que les dieux ont quitté la Terre et les hommes attendent fébrilement leur possible retour, tentant de se protéger du Makou, une entité mystérieuse qui déverse régulièrement des objets géants sur le monde. En guise d'intrigue, il s'agira aussi de chasse à l'oiseau, de voyage jusqu'au royaume des morts et peut-être bien d'amour entre deux jeunes de la tribu sur fond de superstition collective. Pendant une petite heure, donc, Jean-François Laguionie montre beaucoup de choses, mais n'explicite pas toujours le fond du propos. C'est un peu déroutant, mais pas assez long pour être pénible. Il est au contraire agréable d'essayer d'éclairer soi-même les zones d'ombre.

Graphiquement irréprochable, même si certaines couleurs peuvent paraître un peu ternes, le film fut donc primé et reçut même en fait deux récompenses: le Prix de la critique lors du festival d'Annecy (une référence) et le Prix du long-métrage à Los Angeles. Il faut rappeler ce qu'était le cinéma d'animation en 1985: les fondements d'un studio comme Pixar existaient déjà, mais il faudra attendre encore dix ans avant de découvrir un film en images de synthèse ! Gwen et le livre de sable s'appuie sur un dispositif technique assez "simple": le dessin à la gouache et le découpage. On doit accepter de revenir à une animation plus saccadée et un peu rétro pour l'apprécier vraiment. Pour dire ce qui est, je n'y suis parvenu qu'à moitié. J'aime toutefois les efforts que cette inspiration cinématographique réclame à ses spectateurs. Il y a là quelque chose d'un peu surréaliste, qu'on voit peu dans d'autres dessins animés.

Gwen et le livre de sable
Film français de Jean-François Laguionie (1985)
Il me reste deux oeuvres du maître à découvrir. Je pense attendre encore un peu avant de me hasarder au petit jeu des comparaisons. Même si c'est un peu simpliste, je continue de penser que le style Laguionie est vraiment caractéristique de son auteur et que l'évaluer par rapport à un autre n'a en ce sens pas grande signification. J'admets aussi y retrouver un peu de l'esprit artisanal des animateurs japonais. Et je vous annonce que, d'ici quelques semaines, j'ai prévu d'évoquer à nouveau ces mêmes créateurs, en présentant Le voyage de Chihiro et Le tombeau des lucioles. À suivre, si vous le voulez...

lundi 20 août 2012

Il faut sauver le soldat Bishop

Une chronique de Martin

Combien de fois ai-je vu Spy game ? Trois ? Quatre ? Davantage ? J'ai oublié. Je me souvenais simplement que mon cousin Mathieu l'avait regardé à plusieurs reprises quand il était venu me rendre visite. L'occasion d'un petit clin d'oeil au passage. Moi, j'ai replongé pour la énième fois il y a un mois. Que dire ? Le film m'a alors paru moins convaincant que le souvenir que j'en avais gardé. Peut-être parce que, depuis, j'ai pu apprécier le duo Robert Redford / Brad Pitt dans d'autres rôles plus convaincants. Ils méritent sûrement mieux.

Entendons-nous bien: Spy game n'est pas un mauvais film. Je suis juste en train de me demander si ce n'est pas typiquement le genre de films qui supportent mal d'être visionné plusieurs fois. Histoire d'espionnage, le scénario ménage un certain suspense. Agent CIA d'une belle efficacité, Tom Bishop perd le soutien de ses supérieurs quand, la veille d'un très important voyage officiel du président américain en Chine, il opère en solo pour faire évader une dissidente des geôles de Pékin. Problème: l'opération capote et il est à son tour emprisonné. Et le film de nous raconter comment, pourtant torturé et condamné à mort, il bénéficie lui aussi d'une mission-sauvetage officieuse. Que les amateurs de blockbusters musclés s'éloignent sans regret: une bonne moitié du long-métrage se déroule en fait dans les bureaux, quand les pontes de la CIA interrogent un agent bientôt retraité sur les activités de Bishop, que l'on considère être son poulain. Muir n'est peut-être pas le plus puissant, mais il reste l'un des plus malins. Il a juste 24 heures pour renverser la situation.

24 heures chrono, ça rappelle aussi le titre d'une série américaine. Exceptées ses deux grandes stars, on est en droit de s'interroger alors sur ce que le long-métrage conserve de cinématographique. Honnêtement, la réponse n'est pas évidente. J'apprécie Spy game parce qu'il ne sacrifie pas tout aux effets pyrotechniques. L'intrigue elle-même reste plutôt crédible, se déplaçant sur les théâtres probables de vraies opérations d'espionnage. Que manque-t-il donc pour avoir un vrai grand film ? Peut-être un peu de fond. Le scénario développe plusieurs sous-histoires qu'il ne conclut pas toujours. Certains personnages ne font que passer, semblent un temps devoir servir à la bonne compréhension des enjeux et finissent par s'effacer sans laisser de trace. C'est au mieux étonnant, au pire frustrant. Deux heures de projection ne suffisent pas à tout expliciter. Je dois dire aussi que j'ai fini par me désintéresser du sort de la dissidente des premières scènes, ce qui est quand même un comble. À vous d'estimer si Robert Redford et Brad Pitt valent à eux seuls le détour...

Spy game
Film américain de Tony Scott (2001)
Admettons quand même que tout ça sera toujours un peu meilleur qu'un James Bond de derrière les fagots ! J'ai (bêtement ?) manqué La taupe, cette année, et je n'ai donc que de très vagues références en termes de films d'espionnage. Vous voulez la jouer décalée ? Pourquoi alors ne pas vous tourner vers les espions d'entreprise ? Dans ce domaine, je peux vous conseiller deux longs-métrages signés Tony Gilroy, Michael Clayton et, sur un ton plus léger, Duplicity.

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Et parce qu'on a tous un avis différent...
Je vous recommande la lecture de "L'oeil sur l'écran", qui a publié deux opinions très différentes de Spy game. Les goûts et couleurs...

Et pour être tout à fait complet...
Puisque CgX me pose la question en commentaire, je précise également que c'est un hasard qui fait que j'ai publié cette chronique le lendemain de la mort de Tony Scott. J'ai appris la nouvelle tardivement, le 23 en fin d'après-midi... en lisant le commentaire.

samedi 18 août 2012

Rivière sans retour ?

Une chronique de Martin

Lewis, Ed, Bobby et Drew sont quatre jeunes Américains ordinaires. Le premier nommé embarque ses trois compères dans un week-end au vert. Son idée est de descendre une rivière en canoë. Le choix s'est porté sur un cours d'eau condamné à la disparition. Il est prévu que la région soit inondée pour permettre l'exploitation d'un barrage.

Quand Délivrance commence, les apprentis aventuriers hésitent encore un peu avant d'aller de l'avant. Certains auraient même envie de renoncer, les autochtones leur réservant un accueil plutôt glacial.

Bien évidemment, ce qui devait n'être qu'une partie de campagne tournera rapidement à la confrontation en plein air. Je ne veux pas révéler ici la manière dont l'expédition des gars de la ville tournera au fiasco XXL. Sans effet très spectaculaire, Délivrance impose pourtant un joli suspense. La manière dont la descente de la rivière est filmée a dû donner des sueurs froides aux spectateurs de 1972. Par un jeu régulier de zooms avant et arrière, la caméra nous plonge directement dans l'action et, dans le même temps, prend du champ et apporte l'idée d'un regard extérieur sur l'expédition. Un regard lourd de menaces, comme peut l'être celui des Indiens des westerns hollywoodiens, au moment précis où le convoi des Blancs s'engage dans un canyon des plus escarpés. Ma comparaison vous aura fait comprendre que le film a pris un coup de vieux. Rien d'anormal quarante ans après sa sortie. En le replaçant dans son contexte historique, j'ai trouvé qu'il offrait encore un spectacle convenable.

C'est vrai aussi que j'ai apprécié le casting. Burt Reynolds démontre un beau charisme dans le rôle de Lewis, le leader de la bande. L'acteur a donné de sa personne: petit budget oblige, la distribution étant contrainte à effectuer elle-même les quelques cascades prévues au scénario, il y est allé si franchement qu'il s'est... fracturé le coccyx ! Ironiquement, son personnage connaît une vraie évolution de caractère qui rend cette fâcheuse circonstance presque bienvenue dans le déroulé du film. À mi-parcours, c'est John Voight qui prend l'ascendant sur le quatuor. Moins va-t'en-guerre, il devient tout autre au fil des événements. Délivrance est un film qui bouscule et peut conduire à une introspection sur la véritable nature de l'homme. Explorateurs de pacotille, les quatre larrons démontreront qu'en dépit de beaux discours, ils ne sont pas vraiment plus malins que d'autres. Face à l'inconnu, ils prouveront leur incapacité à s'adapter et verront leur pseudo-camaraderie voler en éclats. Chut, j'en ai assez dit...

Délivrance
Film américain de John Boorman (1972)
Je dois dire que je me suis fourvoyé. Étant donné qu'il évoque notamment la destinée d'hommes face à la nature, j'avais imaginé que le long-métrage pourrait être comparé à La forêt d'émeraude. Grossière erreur, même si les deux films ont le même réalisateur ! Certes, dans les deux cas, les hommes s'éloignent des villes. Le film aujourd'hui est toutefois bien plus sombre que son "petit frère". Boorman y montre que l'homme est un loup pour l'homme, la lâcheté n'étant pas du reste son moindre défaut. Adapté d'un roman, il livre aussi, selon certains critiques, une allégorie de la guerre du Vietnam. Il est vrai que deux mondes s'y confrontent sans garantie de retour...

jeudi 16 août 2012

La môme de Berlin

Une chronique de Martin

Comme suggéré mardi, j'enchaîne avec un second film musical. Cabaret a un point commun avec le précédent: c'est qu'il se passe dans les années 30, cette fois non plus à Paris, mais à Berlin. L'Américaine Sally Bowles y est danseuse de revue. Elle accueille Brian Roberts, un étudiant britannique venu étudier la philosophie. Devant sa réserve, elle le croit d'abord homosexuel, mais parvient finalement à le séduire et lui fait mener la grande vie. Au moins jusqu'à l'arrivée d'un autre homme et de sérieuses complications...

Parce qu'il vient de Broadway et parce qu'il est donc scandé d'innombrables passages chantés et dansés, Cabaret a un rythme entraînant. Le long-métrage ne cesse en fait d'alterner les scènes intérieures, où le music-hall se fait presque prophétique d'un monde en déclin, et les plans extérieurs, au cours desquels la poussée politique des Nazis est plusieurs fois évoquée. L'un des personnages en parle ouvertement: "Ce ne sont que des voyous que nous saurons contenir. D'ici là, ils aident à nous débarrasser des communistes". Seul le héros, un peu égaré tout de même, n'a pas cet aveuglement. N'allez tout de même pas croire à un film engagé dans un discours politique. Un message y est dispensé et c'est même certainement l'un des premiers fondements du propos du réalisateur. Le long-métrage évoque aussi le sort des Juifs, sans être trop explicite. Il s'intéresse toutefois d'abord à l'évolution de la relation entre Sally et Brian.

Liza Minnelli et Michael York s'avèrent tous deux assez convaincants pour leur donner vie. Est-ce parce que je suis un homme ? J'admets que mon regard a surtout porté sur le personnage féminin. L'Oscar qui a couronné son interprète ne me paraît pas injustifié: l'actrice fait preuve d'une belle énergie dans les scènes dansées et s'en sort parfaitement avec le côté pathétique de Sally Bowles. La femme sûre d'elle des premiers instants laisse la place à une pauvre petite fille perdue dans la tourmente des sentiments. Si son partenaire apparaît un peu moins impliqué, Cabaret brille aussi de ses rôles secondaires. Je veux citer Marisa Berenson, la riche héritière juive au sort incertain, Fritz Wepper, son amoureux transi, ou encore Joel Grey, maître de cérémonie et narrateur de ces funestes événements. Quarante ans après sa sortie, le film a un peu vieilli, c'est vrai aussi. Il a toutefois su me laisser mal à l'aise face à ce qu'il annonce.

Cabaret
Film américain de Bob Fosse (1972)
J'ai parlé mardi de Que le spectacle commence. Ma préférence irait plutôt à cet autre film du même réalisateur, plus jeune de sept ans. Un petit détour sur la page dédiée aux films et acteurs récompensés vous permettra bientôt de constater que Cabaret peut être considéré comme un classique: en 1973, il obtint huit Oscars ! J'aimerais désormais redécouvrir L'ange bleu, film de 1930 où Marlene Dietrich danse, chante et séduit, malgré la montée en puissance du nazisme.

mardi 14 août 2012

Masculin, féminin

Une chronique de Martin

Dissipons d'emblée l'ambiguïté: je ne compte pas vous parler aujourd'hui du film de Jean-Luc Godard. Si j'ai certes repris son titre pour celui de ma chronique, c'est pour évoquer un long-métrage américain, Victor Victoria, du génial et prolifique Blake Edwards. Après lui avoir longtemps couru après, j'ai eu le plaisir de le voir enfin, dans d'excellentes conditions, au format 35mm et en plein air. Mille mercis aux associations qui ont rendu ce petit miracle possible !

Victor Victoria, c'est avant tout l'histoire d'une femme dans le Paris des années 30. Malgré une voix impeccable, elle a du mal à obtenir un contrat pour chanter dans un cabaret. Elle erre donc sans un sou vaillant et, quand la faim est trop forte, entre dans un restaurant, prête à prétendre avoir trouvé un cafard dans la salade pour quitter les lieux sans payer l'addition. C'est au cours d'une de ces soirées qu'elle rencontre un homme, chanteur sans engagement lui aussi, gay jusqu'aux bout de ses ongles manucurés et tout à fait solidaire. Ensemble, ce couple improbable va imaginer un nouveau stratagème pour retrouver le chemin du succès: Monsieur sera impresario, Madame continuera de chanter. Travestie, elle passera toutefois pour un homme capable d'aborder le répertoire des artistes féminins. Sa poitrine cachée dans un corsage étroit, elle laissera au public l'impression d'un androgyne de talent. Et les bravos reviendront...

Blake Edwards a évidemment tout ce qu'il faut de brio pour imposer cette histoire comme crédible. Alors qu'il va atteindre les trente ans cette année, son film est un petit bijou burlesque et romantique. J'aime beaucoup ce type de comédies, drôles, touchantes et folles tout à la fois. Le fait de retrouver ici Julie Andrews et James Garner en têtes d'affiches vient encore améliorer le spectacle. J'admire également les seconds rôles, de Robert Preston à Lesley Ann Warren, en passant par John Rhys-Davies ou Alex Karras. C'est certain aussi que Victor Victoria leur offre à tous une agréable partition. Impossible de ne pas évoquer du même coup la bande originale d'Henry Mancini et Leslie Bricusse, qui emballe le long-métrage, porté alors par un rythme fou, fou, fou. Malgré quelques petits temps morts un peu avant la fin, l'ensemble du show vaut le détour. Coquine sans être trop osée, c'est une jolie expérience de cinéma !

Victor Victoria
Film américain de Blake Edwards (1982)
Allez faire un tour sur la page des réalisateurs: plusieurs autres films du même cinéaste y figurent déjà, ce qui pourra donc vous permettre de mieux le connaître si vous le souhaitez. Je vous y encourage ! Impeccablement réalisé, le long-métrage d'aujourd'hui a été adapté en comédie musicale made in Broadway, pour 734 représentations ! Je garde ma préférence au cinéma et j'aime autant d'autres films musicaux moins joyeux, et par exemple Que le spectacle commence ou Les parapluies de Cherbourg. J'y reviens d'ailleurs très bientôt...

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Pour vous faire patienter...
Vous pouvez aussi lire "L'oeil sur l'écran" et découvrir ainsi que le film est un remake d'un long-métrage allemand de 1933. Lequel a fait l'objet de plusieurs autres adaptations, dont une en France, Georges et Georgette, de la même année... et du même Reinhold Schünzel !

dimanche 12 août 2012

Dialogue avec Andrea Segre

Propos recueillis par Martin

La petite Venise est le tout premier long-métrage de fiction d'Andrea Segre, venu du documentaire. Une fois encore, j'ai eu envie de mieux connaître un cinéaste après avoir vu son film. Internet m'a permis de trouver ses coordonnées et de lui écrire pour lui proposer une interview. Je le remercie de l'avoir acceptée. Je salue également Rachel Bouillon, de l'équipe de production, qui s'est elle aussi déclarée favorable à cet échange. Merci enfin à mon pote Christophe, qui a rendu notre échange plus facile... en me prêtant un téléphone fixe équipé d'un haut-parleur. Et maintenant, moteur !

Vous êtes l'auteur de nombreux documentaires. Pourquoi avoir cette fois réalisé une fiction ?
Au début, quand j'ai rencontré la vraie Shun Li, j'ai eu l'idée de tourner un documentaire sur cette histoire. J'ai toutefois eu l'impression que ce qui se passait dans l'osteria où nous avons tourné, c'était l'histoire idéale pour raconter une situation réelle aux grandes capacités métaphoriques. D'en faire un récit pas simplement local, mais aussi universel. C'est ainsi que j'ai commencé à écrire mon sujet, en cherchant à connecter la réalité à une certaine poésie. Ce premier projet de fiction marque mes débuts dans le cinéma. Je ne l'ai jamais étudié. Jusqu'alors, l'aspect réalisation n'était pas le but de mon travail. J'avais simplement l'envie de raconter les histoires que j'ai connues en travaillant ou en voyageant avec les migrants.

Comment se sent-on au moment d'aborder une oeuvre de fiction ? Un peu inquiet, peut-être ?
En fait, quand j'ai eu la première réunion avec l'équipe réunie derrière moi, j'ai vraiment saisi l'opportunité de me former. Pour moi, le film et son tournage ont été l'équivalent de cinq années d'école de cinéma. J'ai demandé à tout le monde de collaborer avec moi: j'avais vraiment ce désir et ce besoin d'apprendre et de comprendre tous les aspects techniques, des choses que je n'avais encore jamais rencontrées dans ma vie. J'avais bien sûr mon expérience du documentaire. J'ai cherché à en utiliser les instruments, mais il y a beaucoup de choses que j'ai apprises pendant ce projet. Je suis heureux et me sens honoré d'avoir pu travailler avec des techniciens d'un grand professionnalisme, comme par exemple le chef-opérateur et directeur de la photographie, Luca Bigazzi, qui est l'un des plus connus et importants en Europe. Ils sont devenus comme des amis.

Qu'avez-vous le sentiment d'apprendre au cours de ce tournage ?
La chose la plus importante, c'est vraiment le travail du réalisateur. Dans mes documentaires, j'ai toujours cherché à travailler avec la capacité d'acteur des personnes réelles. Si quelqu'un a quelque chose d'important à raconter, d'après moi, il arrive à bien le faire parce qu'il l'a vécu. La chose importante, c'est d'être capable de représenter, de mettre en scène, sa propre réalité. J'ai donc voulu travailler avec des acteurs qui cherchaient à être réels, qui prennent ce qu'il y a de réel dans leur vie pour se connecter avec leur personnage. C'est un peu le travail inverse de celui du documentaire et c'est intéressant de comprendre comment ça marche. Ensuite, sur le plan de la photographie, on a tourné en pellicule 35mm et c'était pour moi la première fois. N'ayant aucune formation, j'ai eu beaucoup de choses à apprendre. Comme je l'ai déjà dit, de ce point de vue, le travail avec Luca Bigazzi était fondamental.

En outre, pourquoi avoir choisi de tourner à Chioggia ? Est-ce que cette ville représente quelque chose de particulier pour vous ? C'est effectivement un lieu de migration...
C'est d'abord la ville où ma mère est née. J'ai grandi à Padoue, pas très loin, et tout l'été, j'étais chez ma grand-mère pour les vacances. C'est donc un pays important dans ma vie, que je connais très bien. Une ville dans la lagune du sud de Venise que j'ai vraiment toujours aimée et que le cinéma italien n'avait encore jamais racontée. J'avais donc l'envie de le faire depuis longtemps.

Choisir Chioggia, c'est aussi montrer une autre facette de la lagune vénitienne. C'était aussi votre intention ?
Oui. Le but, c'était de montrer au monde entier qu'il y a une autre Venise dans la lagune, qui n'est pas aussi connue, mais qui a quelque chose de plus riche d'un point de vue humain. Aujourd'hui, le tourisme à Venise se fait un peu oppressant et affecte la vie quotidienne d'une ville populaire comme peut l'être Chioggia. Il n'y a plus de pêcheurs vénitiens, plus d'ouvriers vénitiens... ce n'est plus qu'une petite proportion de la population réelle. J'ai vraiment eu ce désir de montrer une Venise plus liée à une dimension de travail et de vie, où les familles de pêcheurs sont encore là et où les fils de pêcheurs sont encore pêcheurs.

C'est difficile de tourner là-bas ? J'ai le souvenir d'une scène où tout le monde a les pieds dans l'eau, même à l'intérieur...
En fait, cette scène représente une chose que j'ai vécue dans la réalité. On appelle ce phénomène l'Aqua Alta, en italien. Les gens savent bien qu'il n'y a rien à faire sinon attendre. Après trois ou quatre heures, l'eau finit par partir. Si tu es pris là-dedans, tu attends. C'est comme ça.

Mais pour le film, vous l'aviez donc prévu dans le scénario ?
Oui. C'est une chose que j'ai prise de l'expérience du documentaire. Je crois que la relation que nous avons avec la nature, c'est un dialogue très important, qui ressemble un peu à celui que tu peux avoir avec les acteurs. Il faut considérer le lieu de tournage comme l'un des personnages du film. Il faut comprendre les émotions, les images et les visages que le lieu peut apporter. Je savais bien que l'Aqua Alta était un visage particulier de Chioggia. J'ai donc demandé à la production et à l'équipe d'avoir la patience de l'attendre.

Parlons maintenant des acteurs. Pouvez-vous m'expliquer comment vous avez rencontré Zhao Tao ? Vit-elle en Chine ?
Oui, à Beijing. C'est la femme et aussi l'actrice principale de tous les films de Jia Zhangke, le réalisateur le plus important de la nouvelle génération chinoise. Lui a gagné le Lion d'or à Venise en 2006, avec Still life. Quand j'ai commencé à penser à mon propre film, j'avais en tête le visage de Zhao Tao. Je l'ai appelée pour lui demander si elle serait intéressée à y participer. Elle m'a alors dit que c'était pour elle une belle occasion, car elle cherchait alors un projet pour travailler en dehors de la Chine et sans son mari, également. Elle avait envie de travailler avec d'autres réalisateurs. Le fait que mon projet repose sur un personnage de femme chinoise émigrée était pour elle une bonne opportunité pour émigrer en tant qu'actrice. Elle était aussi intéressée sur le plan culturel, voire politique, à raconter l'histoire de cette partie de la société chinoise qu'est la communauté émigrée. C'est une réalité que le cinéma officiel censure.

Et, à l'inverse, pour vous, ce personnage devait être une femme chinoise dès le début...
Oui. L'idée m'est effectivement vraiment venue après ma rencontre avec une femme chinoise.

Comment avez-vous communiqué avec Zhao Tao ? Parle-t-elle l'italien ? Parlez-vous le chinois ?
Non, ni l'un, ni l'autre. Un interprète a toujours travaillé avec nous. Quand elle a dû jouer en italien, elle a appris les dialogues du film comme une musique. Elle a transformé les mots italiens en sons, en symboles phonétiques de la langue chinoise. Je suis très content du résultat final. Elle parle l'italien comme une Chinoise qui ne serait arrivée que depuis quelques mois. Ça marche très bien.

Un mot sur votre acteur principal, Rade Serbedzija ?
Au début, l'idée, c'était d'avoir un pêcheur d'origine napolitaine. J'ai toujours pensé qu'il était nécessaire que Bepi soit lui aussi un peu étranger, mais pas autant que Shun Li. J'ai fini par comprendre qu'un pêcheur napolitain, du sud de l'Italie, serait trop étranger à Chioggia. C'est comme ça que j'ai eu l'idée d'en faire un Croate, un Yougoslave, d'une région avec laquelle les relations sont fortes. Il n'y a finalement que la petite mer Adriatique entre les gens. Avec ça, j'ai toujours pensé au visage de Rade, que j'avais vu dans Before the rain de Milcho Manchevski. Il était étonné quand je l'ai contacté. Il m'a dit: "Comment sais-tu que je ne suis pas seulement un acteur, mais aussi un pêcheur ?". Je l'ignorais ! C'est avec ce hasard qu'on a commencé à travailler.

Était-il important pour vous que cet acteur soit slave lui-même ?
C'est vrai que Rade est né à Belgrade et a étudié à Zagreb. C'est un acteur très connu là-bas. On peut dire que c'est un peu le Mastroianni de la Yougoslavie.

Vous avez aussi choisi d'autres grands acteurs de la comédie italienne. Des gens de théâtre...
En fait, parmi les trois autres pêcheurs, il y a Marco Paolini, qui est connu au théâtre et ne travaille pas beaucoup au cinéma. Les deux autres viennent du cinéma. Le reste de la distribution, ce sont des gens qui n'avaient jamais joué dans un film.

Vous avez donc, là aussi, fait appel à des gens qui ne sont pas des professionnels...
Oui et c'était important ! C'est le moyen d'introduire un peu de documentaire dans la fiction.

Qui est la femme qui joue l'amie de Shun Li ?
Une autre actrice amateur. Elle n'avait jamais travaillé au cinéma avant cette expérience. Je trouve qu'elle est naturelle et je me sens très lié à ce personnage plein de mystères. Il laisse beaucoup de questions sans réponse. Je bute moi-même sur la dimension réelle de Lian. J'ai voulu que le spectateur mette en elle des éléments personnels. Moi, quand je vois le film, j'ai l'impression que cette femme n'existe pas, qu'elle est l'amie imaginaire de Shun Li, qu'elle a créée pour se donner la force de vivre son expérience et de traverser les difficultés.

Le film a eu du succès et reçu quelques prix. Ça doit vous faire plaisir, je suppose...
Oui, évidemment. En Italie, on a eu 110.000 spectateurs et on est arrivé à 80.000 en France. Vraiment une bonne chose pour le petit film d'un réalisateur inconnu ! Les critiques dans les journaux et les magazines étaient vraiment bonnes. Le film va maintenant sortir en Angleterre, aux États-Unis, en Espagne, en Australie et au Japon. C'est pas mal.

Et pourrait-il sortir en Chine ?
Il a été projeté au Festival de Shanghai, avec de très bonnes réactions. Je ne sais pas si on pourra être distribué en Chine. C'est très compliqué.

Quels sont vos projets, désormais ? Rester dans la fiction ? Revenir au documentaire ?
Je vais continuer à tourner les deux. Je cherche toujours à trouver des confusions entre ces deux langages de cinéma. De mettre un peu de fiction dans le documentaire et inversement.

Comment présenter Mare chiuso, votre dernier documentaire ?
Il raconte le sort des réfugiés africains partis de Libye jusqu'en Italie et qui, en raison d'un accord entre Berlusconi et Kadhafi, ont été refoulés. Cette situation a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme de Strasbourg. Le film illustre justement les terribles violations de droits de l'homme entraînées par cette politique de refoulement.

A
vez-vous le sentiment que le cinéma et les documentaires que vous réalisez ont un côté politique ? Voulez-vous faire passer des messages ?
Oui, c'est le but. Je vis mon art comme un instrument pour pousser la société à changer vers plus d'ouverture. Nous avons la capacité de construire un futur de dignité contre le racisme et les injustices sociales qui existent actuellement dans la réalité européenne.

Vous faites partie d'une association, ZaLab. C'est aussi son but ?
Avec ZaLab, nous travaillons pour produire et distribuer un cinéma engagé. Nous nous appuyons sur une démarche participative: les protagonistes des histoires que nous racontons ont la possibilité d'être co-auteurs. ZaLab regroupe sept personnes, réalisateurs, journalistes, sociologues, travaillant dans le documentaire et aimant beaucoup le cinéma.

Vous êtes aussi un grand voyageur, avec des déplacements récents en Grèce et en Croatie. Et vous serez bientôt à Paris...
Je voyage beaucoup pour la présentation du film. Je suis également en train de développer d'autres projets.

Ce serait quoi, votre prochain film ?
Il y a déjà un documentaire que j'ai tourné et que je vais monter dans les prochains mois. Je l'ai réalisé en Grèce sur une musique particulière. Je suis aussi en train d'écrire un autre projet, qui sera peut-être tourné à l'automne. L'histoire d'une relation entre un père qui ne parvient pas à l'être et un fils qui ne veut plus être un fils. C'est une rencontre dans la montagne...

vendredi 10 août 2012

Le vieil homme et la mère

Une chronique de Martin

Aujourd'hui, un film italien. Grâce à La petite Venise, j'en aurai vu au moins deux fois plus cette année qu'au cours de la précédente. C'est toujours pour moi une surprise de voir aussi peu de cinéma d'Italie arriver jusqu'en France. J'ai signé la pétition pour les studios de Cinecitta, convoités par un promoteur prêt à en faire... un centre de fitness ! Et j'ai donc vu avec plaisir ce nouveau long-métrage.

Ouvrière d'une entreprise de confection de Rome, la jeune Chinoise Shun Li est envoyée dans la lagune vénitienne pour y occuper un job de serveuse. Elle n'a pas d'autre choix que d'accepter: elle doit gagner assez d'argent pour rembourser son employeur des frais qu'il a engagés pour la faire venir en Italie. Elle espère également pouvoir en mettre suffisamment de côté pour permettre à son fils de huit ans d'effectuer le voyage et de la rejoindre enfin. Sa bonne volonté manifeste fait vite d'elle une amie pour Bepi, un pêcheur retraité. Même si ses camarades l'ont oublié, le vieil homme vient lui aussi d'ailleurs, en fait de Yougoslavie. Il habite le coin depuis trente ans. Chioggia, ce bout d'Italie qu'on appelle donc parfois La petite Venise, il le connaît par coeur. C'est avec lui que Shun Li va le découvrir.

Le film repose donc d'abord sur l'histoire d'une rencontre. Improbable et jolie, la relation que Bepi et la jeune Chinoise tissent petit à petit recèle une tendresse qui ne plaît pas à tout le monde. En oubliant leurs différences, les deux personnes vont réveiller des sentiments contraires, chacun dans sa propre communauté. La petite Venise délivre alors un message de tolérance, d'écoute et de compassion. Modeste comme un premier film l'est souvent, il le fait avec douceur. Le réalisateur est parvenu à ménager de longues plages de silence qui en disent pourtant long. Les compositions de François Couturier pour la bande originale ajoutent à l'impression de douce langueur. Quant aux images, elles sont tout simplement magnifiques. Chioggia est un peu moins courue par les touristes que sa sérénissime voisine. Le long-métrage nous montre qu'elle n'est pourtant pas moins belle. La force - tranquille - de ce petit film s'en trouve démultipliée.

La petite Venise
Film italien d'Andrea Segre (2011)
Venu du documentaire, le réalisateur signe donc une première fiction assez remarquable. Peut-être bien est-ce parce qu'il a déjà l'habitude des images portées par une certaine force de conviction. La mienne serait qu'on tient là un petit joyau du cinéma social, encore imparfait sans doute, mais très prometteur pour la suite d'une carrière. Sorti de la salle de cinéma, mon père, Charles, trouvait des ressemblances entre ce film et Le Havre, le long-métrage normand d'Ari Kaurismäki. Pas faux: dans les deux cas, on voit naître un sentiment d'affection.

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Pour compléter ce que je viens de dire...
Je ne peux que vous recommander la lecture de la chronique publiée par Pascale ("Sur la route du cinéma"). Elle évoque un point important: le talent des deux acteurs, Zhao Tao et Rade Serbedzija. J'y associe volontiers le reste d'une distribution convaincante.

mercredi 8 août 2012

Une énigme en Provence

Une chronique de Martin

Je suis sûr que vous n'auriez aucun mal à trouver le titre d'un film adapté d'un roman. Je croyais que Le passager de la pluie en était un, mais je me suis trompé. Constat surprenant, Sébastien Japrisot a fait les choses dans le sens inverse: il a écrit le scénario du film sorti en 1971, avant de l'utiliser pour base d'un livre publié en 1992. Tant pis pour mon image erronée du vieux couple cinéma-littérature !

Je vous dois l'entière vérité. Si j'ai regardé Le passager de la pluie lors de sa récente diffusion sur Arte, c'est d'abord pour le plaisir anticipé d'y retrouver la frimousse de Marlène Jobert. Je suis sûrement un peu trop jeune pour mieux connaître la filmographie intégrale de la jolie rouquine, mais je reste toutefois convaincu qu'elle ne doit pas être réduite à sa seule (vraie et belle) qualité de "maman d'Eva Green". La dame est pour moi une comédienne patrimoniale ! Au départ du film, donc, à peine attentive aux paroles de sa mère de cinéma jouée par une pimpante Annie Cordy, elle voit descendre d'un bus un homme mystérieux, porteur d'un sac rouge décoré aux armes d'une compagnie aérienne américaine. Rentrée dans sa villa provençale, délaissée par un mari jaloux et steward aérien, la belle sera... violée par l'inconnu, à peine quelques heures plus tard. Et le film de s'intéresser alors aux diverses conséquences de cet acte, au silence de la victime et aux motivations du criminel. Une curieuse partie d'échecs aux relents d'espionnage s'engage.

L'autre joueur s'appelle Charles Bronson. C'est aussi pour l'acteur américain que j'ai voulu voir le film. En dépit d'un accent étranger fort prononcé, il parle ici en bon français et compose efficacement son très ambigu personnage. C'est lui qui mène l'enquête. Chat sauvage plutôt que souris, il a l'allure menaçante de celui qui veut tout savoir sans rien révéler de ses propres informations. L'intelligence du film tient aussi à ce que Le passager de la pluie n'est pas qu'un banal thriller. Si un véritable suspense est maintenu de bout en bout, le long-métrage a aussi parfois des allures d'histoire d'amour ou de comédie. À tort ou à raison, j'y vois un style caractéristique des années 70 alors naissantes, que j'aime assez, d'ailleurs. Le petit air de polar à l'américaine transposé en Provence pourra aussi séduire les amateurs de cinéma international. Le film parvint de fait à séduire des publics variés: il fut même récompensé d'un Golden Globe américain et Marlène Jobert obtint un Donatello, l'équivalent des Césars en Italie. J'ai aussi apprécié la bande originale de Francis Lai et une certaine idée du rythme. On a certes fait mieux depuis, mais le long-métrage m'a plu de par son petit côté vintage.

Le passager de la pluie
Film français de René Clément (1970)
Sébastien Japrisot au cinéma, c'est aussi, du côté des polars toujours, le très chouette L'été meurtrier, avec un Alain Souchon éperdument amoureux d'Isabelle Adjani. Dans un genre et un style bien différents, c'est encore Un long dimanche de fiançailles, film sur la Première guerre mondiale dont je reparlerai un de ces jours. Aujourd'hui, pour compléter mon propos, je préfère vous renvoyer vers un autre thriller un peu vieilli, mais qui m'avait beaucoup plu quand je l'ai découvert: Seule dans la nuit, avec Audrey Hepburn.

lundi 6 août 2012

Tous piégés

Une chronique de Martin

Telle l'hydre combattue par Hercule, la mafia napolitaine possède plusieurs têtes, lesquelles semblent toujours devoir se régénérer après avoir été coupées. C'est ce que montre Gomorra, fiction tournée au coeur des quartiers populaires de la cité italienne. Récemment, l'oeuvre de Matteo Garrone, couronnée d'un Grand Prix du jury au Festival de Cannes 2008, a fait polémique. Le réalisateur aurait payé des truands pour pouvoir travailler librement, ce qu'il a évidemment démenti. Je vais tâcher de ne pas me laisser influencer.

Gomorra, à mes yeux, se caractérise d'abord par sa structure éclatée. Plutôt que de s'intéresser à un personnage, le long-métrage en suit six et dresse finalement cinq récits parallèles. Il y a l'histoire de Ciro, intermédiaire de la Camorra chargé de distribuer de l'argent à certaines familles en lien avec la pieuvre. Celle de Pasquale également, un tailleur sans le sou qui fraye avec les artisans chinois. Celle de Roberto, nouvel employé d'une entreprise de retraitement des déchets, ou celle de Salvatore, enfant-candidat à l'appartenance à un clan. Je vous passe les détails. Sans se connaître vraiment, tous sont peu ou prou sous la coupe de la mafia. Explicite, le film évite presque les projections d'hémoglobine, mais démontre clairement qu'un système décide unilatéralement du destin de chacun et du sort de la collectivité. La violence ne se montre pas en pleine lumière. Latente, elle n'en est pas moins omniprésente. Comme suspendue.

On peut dès lors se demander si un tel film aurait pu être réalisé sans contrepartie pour les chefs mafieux. Faute d'information précise et vérifiée, et en tenant compte du fait que les accusations récentes émanent d'un criminel repenti, je me garderai bien d'en juger. L'unique certitude que j'ai, c'est que Matteo Garrone a bien tourné sur les sites d'activité de la Camorra et qu'il a également utilisé plusieurs habitants de ces quartiers comme acteurs ou figurants. Réaliste évidemment, son travail prend d'ailleurs appui sur le livre d'un jeune journaliste italien, Roberto Saviano, menacé de mort après la parution de son enquête. Vous aurez probablement compris qu'on ne rigole pas beaucoup - et en fait pas du tout - avec Gomorra. L'âpreté du récit lui confère une force assez inattendue. Le style quasi-documentaire de l'ensemble peut ne pas plaire. Il est difficile de s'attacher aux personnages. Mais tout autant de les oublier.

Gomorra
Film italien de Matteo Garrone (2008)
Inutile de regarder le film si vous cherchez à revoir l'univers mafieux d'un film comme Le parrain: vous feriez fausse route. Je ne vois aucun autre long-métrage qui pourrait lui être comparé. Probablement est-ce justement cette originalité qui a fait le succès de l'entreprise. Laissez-moi le temps pour vérifier cette impression. Et d'ici là, si vous tenez absolument à réintroduire une grosse dose de fiction dans une histoire de bandits, revoyez donc L'impasse...

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Dans la série "je ne suis pas tout seul"...
Je vous invite à lire les analyses publiées chez mes confrères bloggeurs, à la fois "L'oeil sur l'écran" et "Sur la route du cinéma". Comme moi, ils insistent sur la manière dont la thématique mafieuse est abordée. De fait, c'est donc bien ce qui est le plus remarquable.

samedi 4 août 2012

Petite princesse baston

Une chronique de Martin

Il y a quelque chose d'un peu paradoxal à évoquer une princesse aujourd'hui, jour anniversaire de l'abolition des privilèges féodaux. C'est d'autant plus incongru que la princesse dont je vais vous parler a perdu sa couronne et se bat pour la récupérer. À deux reprises cette année, Hollywood a ressuscité Blanche Neige. J'ai fait l'impasse sur la comédie avec Julia Roberts et Lily Collins. Je me suis contenté d'aller voir Blanche Neige et le chasseur, porté par une imagerie plus noire. Malheureusement, imagerie ne rime pas avec magie...

Blanche Neige et le chasseur n'est pas un mauvais film. C'est juste une aventure linéaire et prévisible. La donzelle est donc princesse. Fille du roi Magnus, elle a perdu sa môman et voit son pôpa convoler de nouveau avec Ravenna, une très jolie femme sauvée des griffes d'une armée ennemie. Grossière erreur: la beauté de belle-maman dissimule un coeur de sorcière et c'est donc le côté obscur de la force qui se manifeste pendant la nuit de noces. Fillette est aussitôt jetée en prison pour de longues années, le temps de concevoir projets d'évasion et actions revanchardes dignes de son rang. J'ai l'air d'ironiser, sans doute, mais c'est bel et bien la lutte pour son retour sur le trône qui sera ensuite le moteur du film. Le long-métrage revient alors aux bonnes vieilles recettes du blockbuster hollywoodien. Honnêtement, ce n'est pas tout à fait déplaisant. Malgré l'absence de surprises dans le récit, les images sont à tomber par terre et les deux heures passent à toute allure. Le seul truc fâcheux, c'est que je ne me suis pas attaché aux personnages...

Plutôt que d'une oeuvre, nous profitons là d'un long-métrage de série. Les options "grand souffle épique" et "rebondissements inattendus" ne sont pas fournis avec le modèle. J'exagère: je n'avais pas vu venir le retournement d'un des personnages, gentil, puis méchant. Le fait est que c'est un leurre - la ficelle était un peu grosse, de toute façon. Son ambiguïté vole en éclats en cinq minutes chrono et il reste alors dans le camp des fidèles à la princesse. Pour tout dire, j'attendais tout de même un peu mieux pour une raison particulière, au-delà donc des superbes images évoquées: la présence de Charlize Theron dans le rôle de Ravenna la félonne. Blanche Neige et le chasseur aurait pu être le titre trompeur d'un film axé sur le personnage maléfique. Mais non: si la froide blondeur de l'intéressée semblait source possible de réjouissances glacées, le long-métrage reste sagement sur les rails d'une production "grand public". Le sentiment demeure en moi qu'il y avait matière à quelque chose de plus grand. Je me dis que c'est peut-être aussi une question de liberté créatrice.

Blanche Neige et le chasseur
Film américain de Rupert Sanders (2012)
Notez que le réalisateur signe ici son tout premier long-métrage. C'est important, je crois: l'avenir nous dira s'il a d'autres possibilités ou s'il se contente de mettre en images des produits de commande sans grande profondeur. Son premier opus a été comparé à la trilogie Le seigneur des anneaux. Comparaison à mon sens à moitié valable: Peter Jackson est certes plus talentueux, mais il est aussi plus expérimenté et s'appuie sur un matériau plus noble à l'écriture. Même constat avec le Braveheart de Mel Gibson, référence des films d'action moyenâgeux. Loin des frères Grimm, cette Blanche Neige rebelle fait aussi penser à une Jeanne d'Arc made in Luc Besson. Kristen Stewart n'y suffit pas: il lui manque toujours un peu d'âme.

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J'ai lu un avis similaire au mien...
C'est celui de Pascale, dans sa chronique de "Sur la route de cinéma". J'ai aussi vu passer d'innombrables articles people sur les amours adultérines de Kristen Stewart et Rupert Sanders. Rien à en dire ici. Désolé pour les amateurs de potins: moi, je préfère parler cinéma...