mercredi 24 décembre 2014

Quelqu'un de bien

Je vous le dis tout de suite: c'est ma dernière chronique cette année. Je pense que Mille et une bobines va ainsi faire relâche jusqu'à début janvier. Mais pour vous souhaiter de joyeuses fêtes, je suis heureux d'évoquer aujourd'hui un "film de Noël": La vie est belle, le classique que les chaînes télé américaines diffusent en boucle en cette période. La semaine dernière, j'ai eu l'opportunité d'aller le voir... au cinéma !

Dans La vie est belle, à ne pas confondre avec son homonyme italien signé Roberto Benigni, James Stewart est un jeune Américain déterminé à conquérir le monde - l'action débute dans les années 20. Finalement contraint à reprendre l'entreprise familiale, George Bailey grandit comme le bienfaiteur de sa communauté: toute son énergie est vouée à l'amélioration des conditions de vie de ses concitoyens. Cet altruisme exaspère un dénommé Potter, magnat de l'immobilier obnubilé par la location des taudis qu'il a mis sur le marché. Le film s'avère assez simpliste: la petite ville de Bedford Falls, cadre unique de l'intrigue, est un décor de contes de fées modernisé. Le "gentil" finira-t-il encore une fois par triompher du "méchant" ? L'histoire commence à peine qu'on nous annonce déjà une intervention divine pour garantir cette juste conclusion. Le scénario s'inscrit toutefois dans l'incertitude économique de l'Amérique de l'entre-deux-guerres. Bientôt 70 ans plus tard, le récit est encore très évocateur: si la crise de 1929 est passée, celle que nous traversons lui fait toujours écho.

Cela peut surprendre: le film reçoit un accueil assez froid au moment de sa première sortie, en janvier 1947, de la part des critiques professionnels, mais aussi du grand public. Il semble en fait arriver un peu tard, à une époque où les gens repartaient de l'avant, portés par l'espoir en des jours meilleurs. C'est ensuite que La vie est belle accède finalement au rang d'oeuvre-référence du cinéma américain. Frank Capra, qui s'était lui-même occupé de définir le casting, a eu plusieurs fois la main heureuse: Donna Reed est tout à fait superbe dans le premier rôle féminin, Lionel Barrymore fait un vilain convaincant et je ne vous parle pas des nombreux personnages secondaires ! Excellent lui aussi, James Stewart se serait, dit-on, lancé dans cette aventure les yeux fermés, confiant en un cinéaste avec qui il avait déjà tourné deux fois auparavant. Il parlait du film comme de son préféré parmi tous ceux auxquels il a contribué. Formellement, le long-métrage demeure d'une beauté très classique. Notez qu'il a nécessité la construction d'un décor vaste de 16.000 m² !

La vie est belle
Film américain de Frank Capra (1947)

Souvenez-vous: l'année dernière, pour marquer cette fois l'occasion de la Saint-Sylvestre, j'avais présenté Le magicien d'Oz. Il est vrai que, côté scénario, le film ne ressemble en rien à celui dont j'ai parlé aujourd'hui. Toutefois, c'est vers ce genre d'oeuvres patrimoniales que mon regard se tourne pour un réveillon de cinéma. Il est permis de préférer L'étrange Noël de Monsieur Jack, dans un autre genre...

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Frank Capra parle aussi aux maîtres actuels...
Steven Spielberg utiliserait très souvent La vie est belle pour montrer à ses équipes le ton général qu'il souhaite donner à ses propres films.

Attention, donc, à ne pas confondre...
La vie est belle
est aussi le titre d'un film de Roberto Benigni, sorti en Italie fin 1997 et Grand Prix du jury à Cannes en 1998. Je souligne aussi que Frank Capra n'est pas Robert Capa, célèbre photographe américain, connu - entre autres - pour ses images du Débarquement.

Vous voulez en lire davantage ?
"L'oeil sur l'écran" accorde parle du film en détail et lui accorde la note maximale: cinq étoiles. Princécranoir, lui, n'en dit rien, mais évoque Vous ne l'emporterez pas avec vous, un autre Capra avec le duo James Stewart / Lionel Barrymore. C'est à découvrir sur "Ma bulle".

mardi 23 décembre 2014

La France au top ?

Les fins d'année sont propices aux bilans. Je me suis dit qu'il serait intéressant de jeter déjà un petit coup d'oeil au box-office français. Or, s'il faudra attendre quelques semaines pour en être sûr, il s'avère que le cinéma tricolore est parti cette année pour truster le podium des entrées dans les salles nationales. Je ne sais pas s'il faut se sentir fier et pavoiser, mais pareil triplé n'était plus arrivé depuis... 1970 !

Au moment où j'écris ces lignes, il y a même quatre films tricolores dans le top 10 des charts français 2014. Le champion des champions du millésime, c'est bien entendu Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu ? et ses 12,2 millions de tickets vendus. Ses dauphins réunis n'atteignent pas ce score, Supecondriaque et Lucy ayant enregistré chacun un peu plus de 5 millions d'entrées. Simple constat: ces films ont tous trois dépassé le total-record de 2013 (La reine des neiges). Neuvième pour l'instant, Samba vient quant à lui de franchir la barre des 3 millions: il pourrait être dans le top 5 ou 6 en fin d'exploitation. Même si un dénommé Bilbon Sacquet va lui donner du fil à retordre...

Du côté du cinéma d'animation, la bonne réputation de l'école française ne se traduit pas tout à fait par les chiffres. Le score maximal revient à Dragons 2 (3,4 millions d'entrées), suivi de près par... une autre suite, Rio 2. Je relève toutefois le démarrage convaincant d'Astérix - Le domaine des dieux: trois semaines d'exploitation et 1,8 million de Gaulois conquis. Le premier projet inédit arrive un peu après: La grande aventure Lego (1,5 million). Malgré sa grande qualité et sa popularité croissante, l'animation japonaise reste loin derrière: désormais retraité, Hayao Miyazaki garde sa couronne. Son dernier opus, Le vent se lève, n'a su attirer "que" 736.000 amateurs - un résultat moyen pour le vieux maître. Heureusement que la cinéphilie n'est pas qu'affaire de statistiques...

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Selon les chiffres en ma possession vendredi...

J'ai vu trois des films du top 10 de 2014 - et onze du top 50. L'année dernière, j'étais arrivé à 8 et 21. Et vous ? Vous avez fait le calcul ? J'aimerais avoir votre avis sur l'importance à accorder à ces données.

lundi 22 décembre 2014

Sur une route

1987. De gigantesques incendies ravagent les forêts du Texas. L'été suivant, Alvin et Lance traînent leurs guêtres sur les routes locales pour en repeindre les marquages au sol. Le premier espère gagner assez d'argent pour vivre avec sa compagne, la soeur du second. Prince of Texas est économe en personnages: aux deux déjà cités s'ajoutent un camionneur et une vieille dame dont la maison a brûlé.

Les relatives péripéties surviennent du fait de l'antagonisme premier entre Alvin et Lance. Plus âgé, Alvin a pistonné Lance pour le job parce qu'il est donc amoureux de sa frangine. Il est plutôt content d'avoir à bosser en pleine nature et apprécie d'écouter le silence. Immature et assez flemmard, son compagnon est presque son opposé en tout. Pire, il ne sait même pas vider un poisson, monter une tente ou encore réaliser un simple noeud. La seule véritable chose qu'il fait constamment, c'est attendre le week-end pour déguerpir et trouver une fille avec qui prendre du bon temps. La cohabitation improbable et forcée des deux garçons va évidemment créer quelques étincelles. Dans la pure tradition d'un certain cinéma américain, il sera question également d'opposés qui s'attirent et de différences qui s'effacent. Sagement, la balade de Prince of Texas nous promène sur un sentier balisé. Ce qui ne vous la rendra pas forcément désagréable, cela dit.

Vous l'aurez compris: l'intrigue du long-métrage est minimaliste. Parce qu'un carton nous précise au départ que la grande catastrophe survenue précédemment a causé la mort de quatre personnes, d'aucuns ont conclu - un peu vite, à mon sens - que les protagonistes de cette histoire ne sont que des fantômes. Si je n'ai rien vu d'étrange pour accréditer cette théorie, je dois souligner qu'il y a bien quelque chose d'évanescent dans ce film, où le temps semble tourner lentement... et peut-être même un peu plus lentement qu'ailleurs. Alvin et Lance ont visiblement l'âme en peine, mais je ne pense pas qu'elle puisse être qualifiée d'errante pour autant. Prince of Texas nous invite tout au plus à une certaine forme de contemplation. Joliment filmé, son cadre bucolique parvient presque à faire oublier qu'il a été la proie des flammes, en nous offrant un visage méconnu de l'Amérique. À vous de savoir si ça peut suffire à vous embarquer...

Prince of Texas
Film américain de David Gordon Green (2013)

Dans le rôle de Lance, les plus attentifs d'entre vous auront reconnu Emile Hirsch, révélé par son rôle dans Into the wild. J'avoue humblement que je ne connaissais pas son partenaire, Paul Rudd. Pourtant, il a joué dans l'une de mes séries préférées: Friends. Qu'importe: le duo est assez efficace et complémentaire. J'aimerais maintenant voir Joe ou un autre de la dizaine de films du réalisateur.

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Si rejoindre Alvin et Lance vous tente...

Je précise que le long-métrage est le remake d'un film... islandais sorti deux ans auparavant et resté inédit en France. Cette version US n'a attiré que 15.500 spectateurs, si mes sources sont fiables. Notez que David, de "L'impossible blog ciné", la place sur son podium 2013.

dimanche 21 décembre 2014

Ombres et lumières

J'ai de la chance: quand j'étais enfant, mon père a su me sensibiliser aux beautés de l'artisanat. Moi qui ne suis franchement pas dégourdi avec mes mains, j'ai une certaine fascination pour l'objet et la forme des choses. J'ai ainsi voulu voir Les contes de la nuit comme le fruit d'un travail technique. Relecture moderne du théâtre d'ombres, le film nous invite d'emblée à la (re)découverte de ce procédé d'animation.

Devant des décors dessinés aux couleurs vives, des ombres chinoises glissent donc à l'écran et font naître des histoires. Bien que sorties des supercalculateurs d'installations numériques, leur nature humaine reste perceptible et peut tout à fait servir de support à l'émotion. Précision: cinq des récits compilés dans ce long-métrage de cinéma proviennent de la série Dragons et princesses, déjà diffusée en 2010 sur la chaîne télévisée Canal+ Family. Seule la version cinéma comprend la sixième et dernière historiette, l'ensemble des images ayant par ailleurs été converti pour la 3D. Las ! Je regrette un peu d'avoir dû me contenter d'un regard depuis le fond de mon canapé...

Je veux bien croire que Les contes de la nuit sont plus marquants quand on les appréhende dans des conditions de visionnage optimales. Malheureusement, même si je n'ai donc rien à redire techniquement parlant, le fond m'a paru un peu léger. Dans un cinéma abandonné, deux enfants et un adulte tiennent lieu de personnages principaux, mais aussi de narrateurs: ce sont eux qui sont censés avoir imaginé et illustré ce qui nous est raconté. La tonalité générale de leurs aventures virtuelles s'adresse donc plutôt aux jeunes enfants. Pour un peu, j'ai même envie de dire qu'un bon livre est susceptible d'offrir un plaisir équivalent. Je le reconnais: je ne suis pas emballé.

Les contes de la nuit
Film français de Michel Ocelot (2011)

J'ai peut-être passé l'âge, tout simplement, ou alors c'est ce film précisément qui ne me correspond pas: toujours est-il que j'attendais autre chose. Je n'ai pas l'intention d'en rester là: j'ai très souvent lu de bonnes choses sur Michel Ocelot et pense de ce fait lui donner d'autres chances de me séduire. J'ai un vrai respect pour ce cinéma d'animation, même si je préfère Le conte de la princesse Kaguya...

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Pour finir, un bref aparté historique...

L'un des premiers long-métrage d'animation de l'histoire du cinéma propose presque la même imagerie. Conçu à partir de papier découpé et terminé en 1926, il est signé de l'artiste allemande Lotte Reiniger. Les aventures du prince Ahmed lui a demandé trois ans de travail !

samedi 20 décembre 2014

Le mythe anéanti

Combien de temps ai-je attendu, au juste ? Je ne sais plus vraiment. Je me sens bien incapable de situer le moment où j'ai entendu parler de La porte du paradis pour la première fois. Je suis simplement sûr d'une chose: j'espérais vraiment pouvoir découvrir ce film au cinéma. J'ai donc sauté sur l'occasion (unique) d'une projection-événement organisée par les Archives audiovisuelles de Monaco. Grand moment !

En faisant l'impasse sur le magnifique préambule, je vous indique aussitôt que La porte du paradis se déroule dans l'Amérique de 1890. Des émigrants venus d'Europe continuent à y débarquer en masse. Ceux-là ne sont pas britanniques ou français, mais allemands, slaves ou russes. Leur rêve: couler enfin des jours heureux, ce qui s'avère illusoire compte tenu de leur profonde misère et de l'effroyable accueil que leur réservent les colons déjà installés. Le coeur du scénario réside justement dans cette confrontation: s'appuyant sur le prétexte qu'une partie de leur bétail a été volé, un groupe de propriétaires terriens obtient le droit de rétablir l'ordre par ses propres moyens. L'idée des leaders de cet aréopage est très simple: il "suffit" d'établir une liste noire et d'éliminer alors les 125 personnes qui la composent. Un peu trop gros, dites-vous ? Je vous renvoie à vos propres sources historiques: même adaptés pour le cinéma, ces faits sont bien réels.

On dit parfois de La porte du paradis qu'il est un film maudit. Confidence pour confidence, c'est d'ailleurs la toute première raison qui nourrissait mon espoir de le découvrir sur un écran taille XXL. Rejeté par le public et la critique à sa sortie, le long-métrage a été massacré par la production: jusqu'à très récemment, les copies mises sur le marché avaient été amputées de plus d'une heure d'images. Personnellement, j'ai pu voir une version 2013, dont le montage approuvé par le réalisateur porte la durée de l'oeuvre à près de 3h40. J'ai conscience en donnant cette information que je vais décourager certaines bonnes volontés: nous n'avons plus, c'est un fait, l'habitude de ces (très) grandes fresques cinématographiques. Le mot "zapper" correspond mieux à notre époque que le mot "contempler". Il y a pourtant toutes sortes de belles choses à... regarder ici. Bien assez en tout cas pour réhabiliter un film et, bien évidemment, son auteur.

Michael Cimino est toujours vivant. Il fêtera ses 76 ans en février prochain. Si ce que j'ai lu est exact, il aurait également un scénario sous le coude, mais pas de proposition pour le produire. Il n'a plus fait de film depuis 1996 et c'est triste, je trouve. La porte du paradis mettait en scène quelques grands noms de l'époque, qu'on considère aujourd'hui comme de vraies stars: Christopher Walken, Jeff Bridges ou Isabelle Huppert, par exemple. Dans le rôle principal, on trouve aussi Chris Kristofferson, moins connu peut-être, mais toujours actif. Je citerai encore John Hurt et Mickey Rourke... j'en oublie sûrement. Le plus impressionnant est de vérifier que cet extraordinaire casting laisse vraiment toute sa place à la mise en scène: si le long-métrage traîne comme un boulet la réputation d'avoir causé la ruine financière du studio qui l'a produit, on peut dire qu'il a bien dépensé cet argent. Costumes et décors nous ont offert une somptueuse reconstitution !

Bref, devant pareil spectacle, l'endurance est récompensée. Anecdote amusante: pour cette version, Michael Cimino a retiré les cartons musicaux nécessaires à l'entracte dû au changement de bobine. Désormais, tout peut être diffusé d'une traite: j'ai confirmé mon goût et mon admiration pour les productions de cette envergure. Objectivement, j'ai aussi ressenti de petites longueurs, vite oubliées grâce à la magnificence de cet incroyable montage final. Je peux dire ainsi que La porte du paradis m'a pris aux tripes, littéralement. Plusieurs fois, j'ai ressenti de vives émotions, d'autant plus belles qu'elles étaient complexes. Je ne crois même pas que je présenterais le film comme un western: c'est plutôt un drame historique, puissant et furieux. Il se tient loin du manichéisme ! Face aux vrais salopards qui tiennent lieu de "méchants", les bons échappent à la caricature. C'est la nature humaine qui apparaît ici, dans toute son ambivalence.

La porte du paradis
Film américain de Michael Cimino (1980)

Ouf ! Arrivé au terme de cette chronique, j'ai bien du mal désormais à trouver un long-métrage comparable dans l'histoire du cinéma ! Même si j'ai la plus haute estime pour Sergio Leone, et notamment pour avoir imaginé Le bon, la brute et le truand, je trouve absurde de chercher parmi les westerns d'autres oeuvres aussi marquantes. Autant citer un autre film maudit découvert cette année: Comrades.

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Je voulais également citer le directeur photo du film...

Vilmos Zsigmond a dit: "Lorsqu'on fait un film sur le passé comme ça, il faut travailler comme un peintre, parce que si c'est trop réaliste par rapport aux normes actuelles, on y perd quelque chose. Il faut qu'on ait l'impression d'être dans le passé". Notre homme a côtoyé DePalma, Boorman, Allen, Scorsese, Schatzberg, Altman... et obtenu un Oscar pour le Rencontres du troisième type de Spielberg (1978).

Je n'ai pas lu grand-chose chez mes camarades de blog...

Seule Pascale ("Sur la route du cinéma") l'évoque (très) brièvement. Cela dit, elle partage mon enthousiasme. Les autres... c'est à vous !

jeudi 18 décembre 2014

Aux étoiles

J'ai manqué la rediffusion récente de la première trilogie. Ce devrait être fait bientôt, mais je n'ai encore rien publié sur le dernier volet de la deuxième. Je me refuse à regarder les toutes premières images de la troisième, en tout cas pour le moment. Vous pourriez imaginer que je ne m'intéresse pas - ou plus - à la grande saga Star Wars. Auquel cas, je tiens à vous le dire aujourd'hui: vous vous tromperiez.

J'ai tout au plus attendu cette date symbolique pour en redire quelques mots. Pourquoi diable le 18 décembre ? Tout simplement parce que, dans un an jour pour jour, le septième volet est annoncé sur nos écrans français - pour ce qui serait une sortie simultanée France/USA. Le titre: Stars Wars épisode VII - Le réveil de la Force. Après un accueil un peu froid, j'ai l'impression désormais que le film suscite davantage d'attente que d'inquiétude. Mêmes les sceptiques semblent accorder à J.J. Abrams le bénéfice du doute: qu'il ait réalisé quelques épisodes de Star Trek ne paraît même plus devoir faire obstacle à sa crédibilité. Il faut dire que les fans de toujours s'enthousiasment déjà du casting et du (grand ?) retour programmé des héros originels. Avec Carrie Fisher, Mark Hamill et Harrison Ford de retour pour reprendre leurs rôles respectifs de la princesse Leia, Luke Skywalker et Han Solo, la production a rassuré les puristes. Reste "juste" à produire un grand film - un tout autre défi à relever.

En rachetant à George Lucas cet univers qu'il a créé, le géant Disney n'est pas immédiatement parvenu à lever le doute sur la possibilité d'un renouveau narratif et formel. De très nombreuses caricatures l'ont prouvé: Mickey et Stars Wars, ce n'est pas forcément compatible pour tout le monde. Le long-métrage attendu l'année prochaine devra donc marquer les esprits et apporter une légitimité anticipée à ceux qui le suivront, en 2017 et 2019. Je dois admettre que j'envie parfois les spectateurs qui ont vu le tout premier opus au cinéma, dès 1977. Moi, c'était vers 1994 ou 1995, sur une vieille VHS - ce qui m'a permis tout de même d'éviter les retouches numériques apportées ensuite. J'aimerais qu'il soit possible de recommencer, sans subir l'influence des campagnes marketing XXL qui accompagnent les blockbusters actuels. C'est ça aussi, mon rêve de cinéma: voir un jour une oeuvre amenée à marquer plusieurs générations. C'est pour moi l'essence même du septième art que de nous accompagner... jusqu'aux étoiles.

mercredi 17 décembre 2014

Un monde de silence

Une comédienne de théâtre s'est interrompue au milieu d'une tirade. Elle n'a plus jamais reparlé. Son médecin n'a rien décelé d'anormal dans ses analyses: Elisabet Vogler serait en parfaite santé, physique et mentale. Toujours surveillée, elle part dans une grande maison isolée, sur les rivages de l'île suédoise de Farö. Une convalescence qu'elle passe avec Alma, une jeune infirmière. Le début de Persona...

Cette fois, ça y est: j'ai vu un film d'Ingmar Bergman ! Je suis ravi d'en avoir eu la possibilité dans une salle de cinéma, en compagnie d'autres membres de "ma" petite association de cinéphiles. Persona échappe franchement aux diverses cases dans lesquelles on classe parfois les oeuvres artistiques. Il se lance en fait comme un projet expérimental, à coup d'images symboliques et quasi-subliminales. Éloge de la folie ? Le réalisateur vient de passer six mois à l'hôpital, entre la vie, le délire et la mort, quand il livre au regard cet opus d'une déroutante beauté. Cette très douloureuse expérience médicale lui aurait inspiré ces images, tout à fait novatrices pour l'époque. "Mes films sont l'explication de mes images", a dit un jour l'auteur suédois. Sur ce film: "Je sens qu'aujourd'hui, je suis arrivé aussi loin que je peux aller et que j'ai touché là, en toute liberté, à des secrets que seul le cinéma peut découvrir". Je dirais qu'il existe probablement autant d'interprétations de ce travail que de spectateurs. Sans lâcher les actrices, la caméra nous interroge et heurte nos rares certitudes.

En moins d'une heure et demie, pour peu qu'on y embarque, on peut alors prendre plaisir... à ne pas tout comprendre. Ce qui est explicite dans Persona est tout aussi évanescent, presque fantasmagorique. Séparer la réalité de la fiction s'avère vite impossible: l'impression d'étrangeté laissée par le film repose justement sur cette indécision. Qu'est-ce qui est vrai ? Qu'est-ce qui ressort d'une projection mentale d'une des deux protagonistes ? Je n'ai pas su trancher définitivement. Qu'importe, finalement: cela ne m'a aucunement empêché d'apprécier ce que j'ai vu - dans une copie parfaitement restaurée, ô joie ! Fixe ou soudain embarquée dans un travelling, la photographie étincelle ici d'une pureté remarquable, fruit d'un incroyable travail sur la lumière. L'île de Farö et ses très longues journées d'été offrent un cadre naturel des plus évocateurs: j'ai aimé arpenter cette terre inconnue. Bien qu'on ait attiré mon attention sur le son, je suis moi-même resté muet après la projection, le temps de laisser mûrir mes émotions. J'espère vous en convaincre: c'était une belle expérience de cinéma.

Persona
Film suédois d'Ingmar Bergman (1966)

Une vingtaine d'autres films du réalisateur scandinave attendent d'accrocher ma curiosité. Je voulais voir celui-là après avoir apprécié Sils Maria, certains critiques ayant fait état d'une parenté possible entre les deux oeuvres, chacune étant portée par un duo féminin. Noir et blanc oblige, j'ai songé à Psychose. Ma pensée dérive depuis vers Vol au-dessus d'un nid de coucou ou Soudain l'été dernier...

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Une autre clé, sans doute...
Ingmar Bergman voulait d'abord appeler son film... Cinématographie. Le titre finalement choisi désigne le masque porté par les tragédiens grecs, qui leur servait de porte-voix. C'est aussi l’appellation donnée par Carl Jung au visage que l'on offre à autrui dans la relation sociale.

Exigeant, peu amène, le film est discret sur les blogs...
Je l'ai tout de même retrouvé sur "Ma bulle", celui de Princécranoir.

mardi 16 décembre 2014

La traque continue

Je me suis vaguement promis de relire les livres. C'est côté cinéma que je redécouvre aujourd'hui la trilogie Jason Bourne. Je manque clairement de certitudes pour vous dire si l'adaptation est fidèle. Devant La mort dans la peau, deuxième épisode, j'ai eu l'impression que non. J'ai évité de me poser des questions littéraires et essayé d'accepter le film pour ce qu'il était: un pur objet de divertissement.

Vous n'êtes pas obligés de continuer de lire cette chronique. Je vais dévoiler un aspect du premier opus: vous pouvez "sauter" directement au prochain paragraphe si vous voulez n'en rien savoir. Si vous êtes encore là, peut-être vous souvenez-vous aussi que nous avions laissé Jason Bourne à Goa, en Inde. Loin de son métier de tueur, l'espion amnésique tentait de refaire sa vie avec la femme qu'il aimait. Raté ! Au début du second volet de ses aventures, le passé ressurgit brutalement, par le biais d'un tueur lâché aux trousses du héros. Malgré son envie de décrocher, il ne va donc finalement pas avoir d'autre choix que de rempiler, cette fois. Ses ennemis le font passer pour un traître aux yeux de sa propre agence, qui a, elle aussi, l'idée de le supprimer. La mort dans la peau: un scénario un peu complexe.

J'aime bien cette idée de ne pas tout nous laisser comprendre aisément. D'aucuns jugeront l'intrigue inutilement nébuleuse: je peux admettre cette objection, sachant que l'on parle avant tout d'un film d'action. Pourtant, en ne maîtrisant que très modérément l'histoire qui nous est racontée, on plonge vraiment dans la tête du personnage principal. Sa faille, c'est bien sa mémoire défaillante, non ? Le puzzle des souvenirs éparpillés nous promène: à défaut d'une originalité absolue, j'ai trouvé ce que j'espérais en matière de rythme. L'idée intéressante, c'est que Jason Bourne est à la fois proie et chasseur. La mort dans la peau est bel et bien une course-poursuite à l'échelle internationale, avec parfois des plans d'à peine quelques secondes. N'en attendez pas autre chose qu'un peu de répit pour vos neurones...

La mort dans la peau
Film germano-américain de Paul Greengrass (2004)

Les connaisseurs auront remarqué qu'un second réalisateur est crédité aux commandes de ce deuxième volet: le Doug Liman de La mémoire dans la peau est... oublié. Les fidèles restent toutefois en terrain familier avec Matt Damon dans le premier rôle: ici, son physique ordinaire est un atout pour sa crédibilité. Paul Greengrass et lui s'offriront une autre suite et, plus tard, l'efficace Green zone (2010).

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Mouais... le film n'a pas marqué les esprits...

Sur "L'oeil sur l'écran", je n'ai pas senti un grand emballement.

Une petite phrase du réalisateur, peut-être ?
Paul Greengrass a déclaré: "Je pensais que je pourrais faire de Bourne une icône et l'ai fait en enlevant tous les costumes. Si vous regardez le premier film, il se change beaucoup, tandis que, dans La mort dans la peau, il a seulement un petit manteau. Bourne est un héros de la contre-culture. Il est contre eux et avec nous". C'est assez vrai.

lundi 15 décembre 2014

Au pas cadencé

Je ferai les comptes à la fin de l'année, mais je crois que 2014 restera pour moi comme un millésime cinématographique assez international. La vingtaine de films allemands déjà chroniqués s'enrichit aujourd'hui d'un classique: Le tambour, Palme d'or à Cannes en 1979. Il s'inspire de la première partie d'un roman de Günter Grass, sorti vingt ans auparavant. Lequel Günter Grass reçut le Prix Nobel: c'était en 1999.

Ce décor posé, un mot de l'histoire: elle débute à Dantzig, vers la fin des années 1920. Vous situez ? Hier convoitée par l'Allemagne, la ville est connue désormais sous le nom de Gdansk. Elle est le premier port de Pologne, sur la mer Baltique, l'ex-ville des fameux chantiers navals polonais, dont Lech Walesa fut l'un des syndicalistes les plus actifs. Bref... Le tambour nous ramène là avant la guerre. Nous découvrons cette période au travers du regard d'Oskar Matzerath, un garçonnet d'à peine trois ans, qui se demande déjà s'il est le fils de son père officiel ou celui d'un cousin de sa mère, Jan Bronski. Ce dont il est sûr en revanche, c'est de sa volonté de ne plus grandir. Parce qu'il croit pouvoir ainsi ne jamais devenir un adulte, l'enfant se laisse tomber dans des escaliers. Il survit, prend donc de l'âge, mais reste "coincé" dans son corps de gamin. Autour de lui, le monde s'enfonce à nouveau dans la guerre. À la hauteur d'Oskar, le constat est juste effroyable...

Le tambour a suscité en moi des sentiments assez contradictoires. D'abord, en pensant à ce qui allait arriver, j'ai eu quelque empathie pour ce gosse. Vous comprendrez aisément que naître dans une ville symbolique de la rivalité germano-polonaise à l'aube des années 1930 n'est pas forcément le sort le plus enviable. Les discours d'Adolf Hitler ou les grands défilés nazis qui émaillent le film font froid dans le dos. Pourtant, constamment enfermé dans sa bulle, Oskar a aussi un côté monstrueux: il devient adulte, même s'il reste petit, et joue toujours de l'instrument qui lui a été offert pour son troisième anniversaire. Ce faisant, il se coupe des autres. Sans concession, l'idée qu'il se fait des "grands" peut se justifier, mais elle demeure impitoyable. L'étrange fascination qu'Oskar a suscitée à mon égard est aussi née de son égoïsme, parfois. Son ambivalence me l'a rendu... intéressant. Je n'ai jamais ri ou pleuré, mais j'ai souri, frémi et eu le coeur serré.

Le tambour
Film allemand de Volker Schlöndorff (1979)

Drôle de film ! Je lui mets quatre étoiles pour saluer son audace. Quelque chose bouillonne ici que je n'avais pas ressenti ailleurs. Comparaison n'est pas raison, mais j'ai parfois pensé à la folie visuelle d'un Federico Fellini. Enfance en guerre oblige, j'ai songé également à La vie est belle de Roberto Benigni et, subsidiairement, aux Freaks de Tod Browning. Il faudrait aussi que je lise le bouquin !

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Pour finir, quelques anecdotes complémentaires...

- Le tambour a également obtenu l'Oscar du meilleur film étranger. C'était en 1980, l'année de Kramer contre Kramer. Claude Sautet portait alors les espoirs du cinéma français avec Une histoire simple.

- Je persiste et signe: le film a bien reçu la Palme d'or 1979. Présidé par Françoise Sagan, le jury l'a aussi attribuée à... Apocalypse now. Un cas d'égalité qui, notons-le, s'est reproduit en 1980, 82, 93 et 97.

- Volker Schlöndorff n'a pas voulu adapter la seconde partie du roman originel: il ne voyait personne d'autre que David Bennent dans le rôle principal. Le scénario de suite qu'il a écrit ne fut jamais réalisé.

dimanche 14 décembre 2014

Les nuits du chasseur

Il y a des films que je vois venir de loin et dont j'attends la sortie pendant de (très) longs mois. Il y en a d'autres, peu ou pas anticipés. Night call, je l'ai découvert à l'aveuglette, sur la proposition d'un ami et sans trop savoir à quoi j'allais me frotter. En gros, Jake Gyllenhaal interprète Lou Bloom, pauvre type soudain mué en prédateur nocturne d'images choc. Les vampires de la télé aiment le chaud et le saignant.

Au petit matin, Lou vend ses "meilleurs" sujets à prix d'or et retourne zoner sur Internet pour améliorer sa technique. Une journaliste, chef d'antenne, lui fait confiance: il apprend vite et gagne facilement beaucoup d'argent. Le film repose très précisément sur ce crescendo. Les questions autour de la moralité d'une telle pratique professionnelle surgissent presque naturellement. Sans les évacuer totalement, Night call ne les impose nullement à son personnage principal, qui se montre dépourvu de scrupule. Il y a quelque chose d'étrangement fascinant à contempler l'irrésistible et fatale ascension de cette machine à scoops. Son environnement la rend très crédible. Et Jake Gyllenhaal, amaigri, livre l'une de ces performances d'acteur dont Hollywood est friande. Certains le voient déjà décrocher l'Oscar !

Cette prestation hallucinée et hallucinante mérite certes des éloges. Elle n'a pas suffi toutefois à m'emballer pleinement. Le long-métrage montre intelligemment les dérives du tout-image, mais il ne dit pas grand-chose dans ce domaine. La légitime critique des mass medias vire parfois à la complaisance, quand les sujets nous sont montrés deux fois ou quand nous sommes les témoins - évidemment passifs - des mises en scène et autres manoeuvres de cette crapule de Bloom. Vous serez alors bien aimables de vous indigner, messieurs dames ! Malgré le recrutement d'un associé, Lou raisonne toujours en solo. C'est donc sur lui que Night call braque les projecteurs, se coupant d'une étude plus poussée sur la fabrique de l'info. La photo impeccable rend la virée séduisante, mais il m'a manqué un petit je-ne-sais-quoi.

Night call
Film américain de Dan Gilroy (2014)

Attention: je n'ai pas dit que le film était mauvais. Je trouve juste qu'il ne va pas au bout de ses intentions. Je dois admettre également qu'il a su me surprendre sur la fin, alors même que je le trouvais quelque peu longuet, voire répétitif. Le numéro de Studio Ciné Live sorti en novembre citait une longue liste de films tournés de nuit comme Collateral. J'ai aussi repensé à Taxi driver... en moins bien.

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Bon, je constate que le film a plutôt de bons échos...

Dasola le juge "intelligent, bien fait" et son histoire "effrayante". Pascale revient sur la "performance saisissante" de Jake Gyllenhaal. Quant à Princécranoir, il place juste un bémol sur la mise en scène. L'ami 2flics, enfin, a bien aimé le film et en livre une analyse inédite.

samedi 13 décembre 2014

Ne pas brûler

Je devais être au collège, en 4ème je crois, quand j'ai croisé la route de Ray Bradbury. C'est marrant, la mémoire: c'était il y a 25 ans environ et je me souviens encore de Mlle Rémy, prof de français assez vacharde, qui nous avait fait lire ses Chroniques martiennes. Fahrenheit 451 ? J'ai quelque part cet autre de ses romans. Et j'ai vu fin novembre son adaptation ciné, réalisée par... François Truffaut !

Même si j'imagine volontiers l'enfant chéri de la Nouvelle Vague comme un amoureux des livres, il y a quelque chose d'un peu incongru dans le fait de le retrouver derrière la caméra d'un tel projet. Rappel pour ceux qui n'ont pas lu le roman: Fahrenheit 451 décrit un monde dystopique, où les pompiers forment une sorte de police de la pensée unique, chargée de dénicher les livres que possèdent les citoyens ordinaires et de les brûler tous, sans bien sûr les avoir lus avant ! J'avoue avoir oublié le ton du bouquin, mais le film, lui, n'y va pas avec le dos de la cuillère pour planter le décor. Hommes et femmes paraissent robotiques, pauvres êtres dominés par la peur de "fauter". Les rebelles sont souvent bavards. Les gens bien restent sagement devant la télé et discutent avec l'écran. Toute ressemblance bla bla...

Si j'ai parlé d'incongruité, c'est que François Truffaut nous offre là une production britannique et, à ma connaissance, son seul film tourné en anglais. Autre point étonnant: le casting, international. Oskar Werner alias Montag, le personnage principal, est autrichien. Autour de lui, on retrouve un Irlandais, un Allemand ou un Écossais. J'ai aimé l'idée de confier à l'Anglaise Julie Christie deux rôles importants: elle est à la fois, cheveux longs, l'épouse de Montag, cloitrée chez elle et gavée de pilules, et cheveux courts, la femme audacieuse qui l'ouvre finalement à un monde autre. Le long-métrage approche gentiment du demi-siècle, le livre étant pour sa part sorti en 1953: Fahrenheit 451 sent un peu la poussière. Il conserve toutefois sa pertinence sur le fond et mérite donc bien d'être (re)vu.

Fahrenheit 451
Film franco-britannique de François Truffaut (1966)

Je ne mets que trois étoiles, parce que la forme, très dépassée techniquement, plombe un peu le long-métrage. Le plus "kitsch" apparaît quand des hommes volants partent à la recherche d'un fugitif et qu'on distingue alors nettement les fils qui les tiennent suspendus en l'air ! Bon, la musique de Bernard Hermann rattrape heureusement le tout. Sinon, côté dystopique, il vous reste Bienvenue à Gattaca...

vendredi 12 décembre 2014

En finir, enfin ?

Milan, 1960 ou à peu près. Davos et Naldi, deux copains truands, prennent la poudre d'escampette après un hold-up en pleine rue. Après de longues années d'une cavale italienne, ils imaginent rentrer en France, où, espèrent-ils, leur passé criminel aura été oublié. Davos, notamment, veut raccrocher: il a une femme et deux gosses. Ainsi commence Classe tous risques, noir récit d'une fuite sans fin...

Ce qui m'a attiré vers ce film ? La perspective d'une confrontation d'acteurs intéressante et - à ma connaissance - inédite: Lino Ventura, 41 ans, d'un côté, et de l'autre, Jean-Paul Belmondo, 27 printemps. Les deux offrent ici une jolie prestation, le premier ayant déjà tourné quelques films intéressants auparavant, le second n'étant encore qu'un... jeune premier, plein de fougue et de promesses. Bonus appréciable: le tout est dirigé par un Claude Sautet quasi-débutant derrière la caméra et que je n'aurais pas imaginé dans ce registre. Possible que le film plaise surtout aux nostalgiques et aux cinéphiles omnivores: il a, de fait, pris un petit coup de vieux. Rien d'intolérable toutefois: j'ai même pris du plaisir à découvrir quelques plans vintage de Nice et Paris. Ceux qui ont connu l'époque devraient être contents.

Pour le scénario et l'écriture des dialogues, le long-métrage s'appuie également sur les talents multiples d'un certain José Giovanni. Français naturalisé suisse en 1986, cet ancien repris de justice apparaît ici pour la deuxième fois au générique d'une oeuvre cinéma. Romancier, il était aussi connu pour son passé collabo, qui lui valut d'être condamné à mort - et de ne passer "que" onze ans en prison. L'attelage Claude Sautet - José Giovanni peut surprendre: le repenti fit pourtant carrière dans le septième art, réalisateur et scénariste jusqu'en 2000, quatre ans avant sa mort. Ses très sombres activités des années de guerre ne contaminent pas Classe tous risques. Certes, le film met en valeur une fripouille, mais la conclusion tranche aussi nettement qu'un couperet: bien mal acquis ne profite jamais...

Classe tous risques
Film français de Claude Sautet (1960)

Vous l'aurez compris: vous devrez donc vous passer ici des punchlines de Michel Audiard, malgré la présence de Lino Ventura. Avec un peu de voix off, le long-métrage reste toutefois assez écrit, ce qui paraît logique quand on sait qu'il s'inspire d'un roman. J'avoue humblement ma (petite) préférence pour La métamorphose des cloportes. L'alternative séduisante à envisager, c'est Du rififi chez les hommes.

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Film noir, vous avez dit film noir ?

Du côté de "L'oeil sur l'écran", Elle et Lui ont visiblement apprécié. Princécranoir, lui aussi, en parle plutôt en bien sur "Ma bulle".

jeudi 11 décembre 2014

Son fils, sa bataille

Bien des critiques cinéma ont interrogé leur ressenti pour déterminer si, oui ou non, Mommy était le meilleur film de Xavier Dolan. Je suis désolé pour ceux d'entre vous qui attendaient de moi une réponse définitive: à ce stade de la discussion, c'est le seul que je connaisse ! Je courais depuis longtemps après une occasion de découvrir enfin quelque chose du réalisateur québécois. Bien content, pour le coup...

Prix du jury à Cannes cette année, ex-aequo avec le dernier opus signé Jean-Luc Godard, Mommy est vraiment un chouette film, plein d'une énergie peu commune et d'une force émotionnelle incontestable. En quelques mots, l'histoire est celle de Diane, une quadragénaire québécoise. Un carton préalable nous indique que, dans ce Canada fictionnel, les parents peuvent abandonner leurs enfants et les laisser à la charge de la collectivité, quel que soit leur âge, s'ils présentent d'importants troubles de la personnalité. Au début du long-métrage, dans le sens inverse, Diane, elle, récupère son fils Steve, interné jusqu'alors dans une sorte de maison de correction médicalisée. Complètement instable, le gamin y a mis le feu, blessant gravement l'un de ses co-pensionnaires. Son père ? Il est mort depuis trois ans...

"Les sceptiques seront confondus", répond Diane à l'assistante sociale qui lui promet déjà les pires difficultés avec son môme. L'évidence saute aux yeux: gérer ce mouflet rebelle d'une quinzaine d'années n'aura rien d'une sinécure, surtout qu'il ne va plus à l'école et s'avère aussi calme que le lait porté à ébullition. Pire, Steve n'a aucun respect véritable pour sa mère, qu'il insulte copieusement quand elle ose remarquer que les cadeaux qu'elle reçoit de lui ont été volés. Mommy est donc d'abord l'histoire d'une confrontation d'autant plus viscérale qu'elle oppose les deux êtres les plus proches qui soient. On trouverait presque Diane coupable de s'aveugler autant, mais c'est sans compter avec l'empathie que Steve et elle finissent par susciter. Le fragile duo tente malgré tout de subsister: c'est ce qui fait sa force et sa beauté.

Un troisième personnage, Kyla, rejoint bientôt le terrible tandem mère-fils. Je m'arrête dans mon laïus sur le scénario pour vous laisser quand même quelques surprises, d'autant plus volontiers finalement que Mommy vaut aussi le détour sur le plan formel. Il a été dit beaucoup de choses déjà sur l'emploi audacieux d'un format d'image atypique, le 1:1, qui enferme le plan dans un carré parfait - à l'allure d'un rectangle assez haut, illusion d'optique liée à l'aspect des écrans de cinéma. Ce choix surprend, mais n'étouffe pas le spectateur. Contrairement à mes craintes initiales, c'est le contraire: il renforce justement l'impression d'intimité et, quand le cadre daigne s'élargir enfin, Xavier Dolan nous offre une très belle scène de renaissance. Quel incroyable talent pour ce réalisateur: il n'a jamais que... 25 ans !

Tout repose aussi, évidemment, sur l'extraordinaire énergie déployée par les acteurs. Je le dis: Antoine-Olivier Pilon est for-mi-dable ! Personne ne peut souhaiter se confronter de cette manière à un ado aussi provocateur et violent, mais dans les rares et courts moments d'apaisement, son interprète fait de Steve l'enfant dont tout parent rêverait. Face à lui, Anne Dorval est une maman-courage incroyable de justesse, personnage à la fois pragmatique et tout à fait perdue. L'alchimie parfaite de ces deux-là contribue alors à sublimer l'apport de Suzanne Clément, parfaite voisine, aussi discrète que décisive. Avec quelques sourires parfois, Mommy m'a surtout laissé les yeux embués: c'est certes un film emballant, pour peu qu'on s'embarque avec lui, mais c'est aussi un drame, par bien des aspects. Détonnant !

Mommy
Film canadien de Xavier Dolan (2014)

Bon, si je tiens absolument aux comparaisons, il me faudra attendre d'avoir vu les quatre (!) autres films du cinéaste québécois pour dire certaines choses sensées. Je remarque que je découvre Mommy quelques jours seulement après avoir vu Curling, autre long-métrage canadien pour partie consacré à la mono-parentalité. Rien de calculé. Les deux récits sont très différents... et on peut bien aimer les deux.

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Une info pour qui, comme moi, se posait la question...

Xavier Dolan le souligne lui-même: son nom se prononce Dolane. Migraineux ou ironique, le jeune homme précise: "Comme Doliprane".

Pour finir, des liens pour retrouver Diane, Steve et Kyla...
- "La cinémathèque de Phil Siné",
- "Le blog de Tinalakiller",
- "Sur la route du cinéma",
- "Le blog de Dasola",
- "Chez Sentinelle".

mercredi 10 décembre 2014

Un bonheur autre

Il n'y avait rien de très encourageant dans ce que j'avais lu ici et là concernant le onzième film de François Ozon. Parce que j'apprécie généralement le jeu - et le minois - d'Isabelle Carré, j'ai décidé finalement de fermer mes écoutilles et de juger par moi-même. Conclusion: je n'ai pas détesté Le refuge. Je peux confirmer toutefois que ce petit film n'est pas le plus audacieux de son auteur. Tant pis...

Isabelle Carré est Mousse, une jeune femme dont on ne sait rien d'important, si ce n'est donc qu'elle porte ce drôle de prénom. L'ouverture du film la montre avec Louis, son petit ami, à Paris. Romantisme ? Pas vraiment. La jeune femme tient à peine debout tandis que son amoureux leur injecte à tous deux une bonne dose d'héroïne. Quand elle émerge enfin, Louis est mort. Overdose. Admise dans un hôpital, Mousse apprend qu'elle est enceinte. Rejetée par la famille de son désormais ex, elle file vers le Sud pour oublier ses vieux démons et s'installe dans une villa basque, la belle propriété d'un (généreux ?) inconnu. Paul, le frère de Louis, l'y rejoint finalement. Quant à moi, je n'en dirai pas davantage sur ce scénario. Improbable, diront certains. Oui, c'est vrai, mais c'est du cinéma...

Pour tenter de nous laisser croire à la vraie possibilité d'un bonheur autre, le film se déroule avec beaucoup de délicatesse. La puissance émotionnelle passe par le visage d'Isabelle Carré, qui a donc accepté de tourner alors qu'elle attendait effectivement un enfant. L'ennui est que le long-métrage montre souvent ce ventre rond, sans offrir franchement autre chose qu'un regard superficiel sur la future mère. Retenu aussi pour ses qualités de chanteur, Louis-Ronan Choisy montre une pudeur touchante dans le premier rôle masculin, certes. Seulement voilà... cette toute petite heure et demie de cinéma reste assez figée sur ses positions de départ. J'ai apprécié que Le refuge n'en dise pas trop sur le passé de Mousse, mais j'aurais bien aimé qu'on finisse par la connaître mieux. Pour croire à sa reconstruction.

Le refuge
Film français de François Ozon (2010)

Une note assez sévère, malgré la présence lumineuse d'Isabelle Carré. Pour elle, j'aurais voulu mieux aimer ce long-métrage: elle y joue gentiment avec son image de femme-enfant, pour mieux la retrouver au détour de quelques scènes. C'est l'histoire d'un "entre-deux". L'indécision plane sur ce récit délicat et le rend un peu fade. Du côté de François Ozon, je préfère donc Sous le sable ou Swimming pool...

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Du côté de mes petits camarades, vous verrez...

Les rédacteurs de "L'oeil sur l'écran" ont apprécié la sobriété du film. Sur "Le blog de Dasola", vous pourrez lire une longue liste de points négatifs, contrebalancés par autant d'éléments positifs. Je cite aussi "Mon cinéma, jour après jour" pour un soupçon d'ironie vengeresse...

mardi 9 décembre 2014

Un resto, du coeur

Zinos Kazantzakis est un jeune Allemand d'origine grecque. Sa vie quelque peu foutraque, il la partage entre le restaurant qu'il a ouvert dans un vieux bâtiment désaffecté et sa copine, la blonde Nadine, issue d'un milieu social élevé. Tout commence à partir sérieusement en sucette quand la demoiselle décide d'aller travailler... en Chine. Soul Kitchen, en très résumé, c'est une longue suite de péripéties...

J'ai lu quelque part que Fatih Akin, le réalisateur, s'était octroyé ici une petite pause entre deux sujets plus graves. Il se serait inspiré d'éléments de la vraie vie de son acteur principal, Adam Bousdoukos. Les deux hommes sont amis: le second aurait investi dans un resto avec le petit cachet versé par le premier pour un autre film. Le fait est que, malgré sa légèreté narrative et formelle, Soul Kitchen respire la sincérité. Il donne à voir toute une bande de potes débrouillards, prêts à suer sang et eau pour donner vie à son rêve d'un établissement culinaire reconnu. Je passe les détails: ils sont nombreux. On fait face ici à un visage méconnu de l'Allemagne contemporaine, jeune, métissée et qui se bat pour subsister. Le tout est traité sur le ton d'une vive comédie, un peu potache sur les bords.

La galerie de personnages vaut le détour. Les rôles secondaires existent, dans Soul Kitchen - c'est le nom du restaurant, au fait. Filmé toujours en mouvement, le petit monde de Zinos se montre attachant, chacun ayant largement de quoi démontrer son talent. Précision pour les amateurs: ce petit film virevolte en musique, porté par une bande-son plutôt efficace. Bref, il y a du rythme ! Le bémol viendrait peut-être d'un scénario assez linéaire et plutôt prévisible. On comprend vite que les galères de notre cher restaurateur cesseront forcément un jour, une fois qu'il aura soigné son hernie discale, par exemple, ou mieux accepté le départ de sa petite amie. Dans le Hambourg des années 2000, on aurait assurément pu espérer un peu plus d'originalité. Bon... je me suis quand même bien amusé.

Soul Kitchen
Film allemand de Fatih Akin (2009)

J'ai vu mieux, j'ai vu pire: cette petite comédie a au moins le mérite d'offrir un peu de dépaysement dans ce monde formaté. Les films drôles autour d'une bande de copains sont légion, depuis Les bronzés jusqu'au Péril jeune. Entre tous, je préfère le dernier cité, qui glisse tout de même vers autre chose de plus dramatique. Quant au meilleur des longs-métrages sur la cuisine, je cite volontiers Ratatouille...

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Vous êtes encore en appétit ? Au menu des blogs, il reste...
- "Sur la route du cinéma" - et sa réussite hilarante,
- "Le blog de Dasola" - et son scénario faiblard,
- "L'oeil sur l'écran" - et son film attachant,
- "L'impossible blog ciné" - et son aparté.

Et mon titre ne doit pas vous avoir fait oublier autre chose...
Le 24 novembre cette année, l'association créée par Coluche a lancé sa 30ème campagne consécutive. Elle estime qu'elle devrait aider environ un million de bénéficiaires cet hiver - un bien triste record. L'action se poursuit jusqu'en mars, pour moitié financée par des dons.

lundi 8 décembre 2014

La femme crocodile

Je ne savais pas très bien à quoi m'attendre en regardant Tabou. J'avais le vague souvenir d'avoir lu des choses élogieuses à son sujet. C'est ce qui m'a décidé à lui donner sa chance. Du fait de son origine portugaise, je me suis dit aussi qu'il me permettait également d'accrocher un nouveau drapeau à ma rubrique "Cinéma du monde". Bref, je l'ai regardé et, au début, je dois dire que j'ai eu très peur...

Tabou n'est pourtant pas un film d'horreur ou d'épouvante. L'inquiétude initiale que j'ai ressentie vient du fait qu'il s'ouvre directement sur les images étonnantes d'un explorateur de la savane africaine, dans un temps qui semble précéder celui des colonies. Quelques minutes passent et la caméra tourne vers Pilar, une femme seule en train de regarder un film au cinéma. La première séquence n'était donc qu'une mise en abyme: c'est dur pour ce lancement objectivement original, mais je m'en suis senti rassuré. J'ai retrouvé quelques repères rassurants quand le long-métrage rejoint la Lisbonne d'aujourd'hui. Pilar, donc, est une femme seule (ou presque). Généreuse, elle prêterait volontiers une chambre de son appartement aux jeunes qui voudraient découvrir la capitale lusophone. Ses amis sont peu nombreux: elle éconduit gentiment le vieil homme qui tente inlassablement de la séduire et protège sa voisine, une dame âgée...

Quand la domestique de cette dernière informe Pilar que l'intéressée est tombée malade, le film remonte le temps et retrouve l'Afrique coloniale. J'ai l'impression qu'il me faut me taire désormais. Dévoiler plus avant le scénario serait vous gâcher intégralement la surprise offerte par cette seconde partie. Tabou est un film atypique. Formellement, son noir et blanc est parfois poseur, mais il génère aussi quelques plans magnifiques - surtout, d'ailleurs, dans le déroulé de la seconde partie. La technique vient alors tutoyer les sommets émotionnels du cinéma muet, le long-métrage se passant totalement de dialogues. Restent à entendre les sons naturels et une voix off parfois un peu trop insistante, procédé - à ma connaissance - inédit dans le cinéma contemporain. Il vaut mieux se laisser aller complètement à la contemplation pour apprécier le résultat. Au risque d'en sortir quelque peu dérouté, sans doute, et/ou finalement séduit.

Tabou
Film portugais de Miguel Gomes (2012)

Le titre est évidemment une invitation à la comparaison. Je dirais donc que j'ai préféré le Tabou de Friedrich W. Murnau, réalisateur allemand d'un film muet somptueux autour d'une histoire d'amour polynésienne. 81 ans séparent les deux longs-métrages ! Il est vrai qu'on peut y pointer quelques ressemblances, mais celui de 2012 apporte un dépaysement peu commun. Out of Africa, en somme...

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Deux options pour revenir sur cette histoire de crocodile...

- Pascale en parle: "Sur la route du cinéma".
- Sentinelle aussi: "Chez Sentinelle".